Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2017

Séance 9 : Vers un droit de l’Internation constituant une nouvelle puissance publique

Séance 9 : Vers un droit de l’Internation constituant une nouvelle puissance publique

Questions de micro- et macro-cosmologie

Bernard Stiegler

Bernard Stiegler, « Séance 9 : Vers un droit de l’Internation constituant une nouvelle puissance publique », dans Michel Blanchut, Victor Chaix (dir.), Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2017 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2017/seance9.html.
version 0, 20/12/2025
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Je vous signale que ce que je vise à travers la séance d’aujourd’hui et tout ce séminaire c’est d’organiser une lecture à la fois de ce texte de Marcel Mauss La nation ; ce qui m’intéresse surtout dans ce texte c’est le concept d’internation mais ce concept est fondé sur une certaine conception de la nation que Mauss a en tant qu’anthropologue et pas simplement en tant que militant socialiste parce qu’à l’époque il est aussi un militant socialiste, je voudrais donc aller vers une interprétation parallèle, je dirais, de ce texte-là (La nation), de celui-ci de Carl Schmitt (Le nomos de la Terre) dont je vous redis que c’est l’inspirateur de la constitution du Reich nazi, donc Schmitt est un juriste qui porte quelques casseroles bien pires que celles de François Fillon : je voudrais lire ces deux textes là avec le texte d’Emmanuel Kant L’idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique et dans une époque où nous sommes arrivés au stade où la biosphère devient un exorganisme planétaire c’est-à-dire que c’est la biosphère en tant que telle qui devient un exorganisme c’est-à-dire un milieu vivant exorganologisé de part en part ce qui signifie que les virus, les bactéries, les pieds de maïs, les souris etc. subissent les conséquences du devenir exorganologique de la vie sur terre telle qu’elle est apparue il y a trois millions d’années.

Ayant dit cela, je voudrais rappeler les questions principales de la séance d’il y a 15 jours : j’ai insisté sur le fait que notre thème macro et microcosmologie est inspiré pas simplement par un retour un peu nostalgique, romantique vers un passé pré-copernicien c’est-à-dire néo-aristotélicien ; ce n’est pas ça qui m’inspire même si ça pourrait aussi m’inspirer d’une certaine manière ; ce qui m’inspire, c’est la question de la scalabilité et c’est le fait que la question géopolitique et géoéconomique fondamentale de notre époque et que à peu près personne n’a identifié - je dirais dans le monde académique parce que par contre du côté des GAFA ils ont extrêmement bien compris ça - à ma connaissance en tout cas, c’est la question de la scalabilité c’est-à-dire de la nouvelle façon de faire des économies d’échelle à l’époque des relations d’échelle que rendent possibles les technologies numériques et en particulier ce que j’appelle « la nouvelle intelligence artificielle » dont on reparlera au début du mois de juillet puisque on va faire un séminaire préparatoire des Entretiens du nouveau monde industriel qui auront lieu au mois de décembre et où nous allons revisiter la question des instruments scientifiques du CEA et un certain nombre de questions de ce type par la même occasion dans le cadre du programme Epistémè. La nouvelle intelligence artificielle qu’est-ce que c’est ? c’est l’intelligence artificielle réticulée c’est-à-dire qui est capable de faire des calculs en temps réel et à l’échelle planétaire sur trois milliards de terriens parallèlement (pas tout à fait simultanément) et ça, c’est qui rend possible un nouveau stade de l’exosomatisation que certains, que je combats, appellent le transhumanisme qui prétend que maintenant nous entrerions dans l’époque transhumaniste ; c’est l’objet d’une discussion que nous avons eue dans des conditions d’ailleurs compliquées sur le plan des communications technologiques avec Peter Lemmenshttps://www.youtube.com/watch?v=a6XuCfxLdro↩︎ et j’espère bien qu’on reprendra cette discussion avec lui, peut-être cet été à Epineuil s’il peut venir et au mois de décembre prochain dans les Entretiens parce qu’il posait de vraies questions, très intéressantes, mais en même temps il y avait une petite tension de points de vues entre lui et moi qui, à mon avis, passe par Peter Sloterdijk et dont je pense qu’il faudrait l’éclaircir et l’approfondir et pas rester comme ça dans la surface de la rhétorique universitaire où nous étions l’autre fois et j’aimerais bien reprendre cette discussion avec lui, avec David Bates, avec de nouveaux invités que j’amènerai au mois de décembre.

Qu’est-ce que constitue la nouvelle réticulation et la nouvelle intelligence artificielle qu’elle rend possible ? c’est un nouveau type de milieu associé techno-géographique dont j’ai parlé dans la première ou la deuxième séance de ce séminaire, au sens de Gilbert Simondon pour montrer que ce n’est plus l’eau qui est fonctionnellement intégrée par la turbine Guimbal comme dans les usines marémotrices qu’on trouve en Bretagne, c’est nous qui sommes fonctionnellement intégrés, ce qui veut dire que nous devenons un élément humain d’une techno-géographie qui est basée sur une technologie de connexion et de calcul aux deux tiers de la vitesse de la lumière et ça, ça permet une extraction massive de plus-values par le calcul sur les moyennes ; j’insiste sur ce mot « moyennes » : comment est-ce qu’on extrait aujourd’hui de la plus-value avec les Big datas ? en faisant un « moyennage » qui d’ailleurs nous ramène au Moyen-âge au sens de «average» en anglais, qui permet de ramener tout le monde à la moyenne et ce qui permet à Jean-Marie Le Pen de dire « c’est le règne de la médiocratie » pour désigner ce qu’il appelle l’establishment. Malheureusement, si ça fonctionne ce discours de Le Pen, c’est parce qu’il y a quelque chose qui est posé comme processus de médiocratie et le premier à l’avoir décrit c’est un type qui a d’ailleurs été récupéré par les nazis qui s’appelait Frédéric Nietzsche et donc si on n’affronte pas ces problèmes résolument, on laisse la place largement ouverte à tous les hyper-médiocrates que sont les populistes comme on les appelle parfois, en tout cas en ce moment en France ( je précise en passant que je ne suis pas du tout d’accord avec Chantal Mouffe et Laclau sur l’histoire du populisme etc. pour moi c’est de la merde ce discours et que cette merde a donné l’impasse de Podemos en Espagne).

Ce qui constitue la fonction centrale de ce que j’appelle les exorganismes planétaires, ce sont les boucles de rétroaction, donc le concept fondamental de la cybernétique, qui permettent d’accomplir en temps réel des calculs à l’échelle planétaire. Il va donc falloir relire Norbert Wiener ; on ne le fera pas dans ce séminaire-là mais il faudra y revenir pour lire Wiener et Heidegger parallèlement et dans un sens qui n’est pas celui de Erich Hörl lequel a écrit un texte très intéressant sur la cybernétique et Heidegger mais qui rate, à mon avis, le problème fondamental. Rappelons qu’au XIXème siècle, sont apparus ce que j’ai appelé les exorganismes industriels territoriaux (tels que décrits par Ure)Cf Qu’appelle-t-on panser ? Les Liens qui Libèrent Page 192↩︎ lesquels sont remplacés ensuite par des entreprises transnationales (dont IBM est le modèle mais qui n’est pas une entreprise planétaire de la biosphère pour moi ; elle n’assume pas une fonction monopolistique mais par contre elle vise un passage à l’échelle transnationale et là, ils essayent, en mettant Watson au service des objets connectés, de se mettre au niveau des GAFA etc. et je ne suis pas sûr qu’ils y arriveront). Ces entreprises transnationales tentent de rejoindre les exorganismes planétaires qui, eux, ont la capacité d’ajuster de manière automatique 4 échelles différentes : l’échelle du consommateur (entouré de ses petits appareils, aujourd’hui le smartphone, demain la puce dans le cerveau si l’on suit Elon Musk, et ça ne va pas tarder ; et d’ailleurs, une des questions sur lesquelles j’ai beaucoup discuté avec Peter Lemmens dont je parlais tout à l’heure, c’est de cette question-là puisque lui-même travaille dans un laboratoire en Hollande sur ces questions ; l’échelle des groupes qui se sont vraiment constitués avec Facebook, financé par Peter Thiel et avec une stratégie extrêmement réfléchie, comme modèle opératoire dominant, qui a permis la réticulation avec les Big datas etc. ; ça existait déjà avec Amazon, avec Google mais avec Facebook, ça a pris une dimension nouvelle pas simplement pour des raisons de nombre puisque Facebook c’est 1 milliard et demi de membres mais pour des raisons de fonctionnalité ; troisièmement, c’est l’échelle de fabrication avec tout ce qui la précède et tout ce qui lui succède ; la conception, le design, la recherche et développement bien entendu, le marketing , la logistique c’est-à-dire la distribution etc. assurée elle-même par “}un* exorganisme planétaire aujourd’hui qui s’appelle Amazon et qui a un compétiteur qui est en Chine grâce au parti communiste chinois ; quatrième échelle : c’est la biosphère elle-même qui est devenue un exorganisme et il faudrait lire Vernadsky, Lotka au XXIème siècle puisque, eux, ce sont des gens du XXème siècle, ils raisonnent en 1925, au moment d’ailleurs où Marcel Mauss dit : au XXème siècle, à la fin, il y aura des réseaux qui vont tout changer, donc Marcel Mauss voit, au moment où lui-même est en train d’écrire son texte qu’il va se passer des choses fondamentales mais maintenant elles se sont passées donc relisons ces textes-là maintenant que ça s’est passé en tenant compte de ce qui s’est passé et non pas simplement en rabâchant Marcel Mauss dit que … je dis ça parce que il y a des spécialistes de Mauss partout mais je me demande parfois s’ils ont lu Mauss, je ne comprends pas très bien leur façon de travailler.

La biosphère devenant un exorganisme, c’est par un agencement entre des satellites, des ordinateurs et des Datas centers que ça passe ; et ça constitue, comme je le disais il y a deux semaines, des monopoles qui ne sont plus des monopoles naturels – parce que ceux-ci sont liés à un territoire avec ce qu’on appelle une souveraineté territoriale ou nationale à l’époque moderne - là, c’est la terre elle-même, une planète - et non pas un territoire – dont certains industriels sont devenus des fonctions exorganiques primaires ce qui fait, vous le savez très bien – bon par exemple j’ai encore eu froid dans le dos ce matin quand j’ai appris que au Cameroun l’internet est coupé ; je me suis dit Trump peut encore faire ce truc là aujourd’hui, et donc qu’est-ce que je fais pendant ce temps-là ? Je continue à me tourner les pouces ? non, je travaille avec Nextleap et j’essaye de trouver des solutions et des solutions qui ne soient pas idéologiques, des poses, la pose du hacker, la pose de l’électeur de Mélenchon etc. non, on prend le problème et on essaye de le traiter.

Alors, à partir de ça, j’avais souligné que ces nouvelles fonctions, et on en a reparlé mardi, ces nouvelles fonctions biosphériques et monopolistiques, elles sont légitimées par quoi ? Absolument par aucun droit puisqu’il n 'y a pas de droit. On est précisément dans le non-droit de la disruption. C’est ce que j’appelle le Far West technologique. Et ce n’est pas un hasard que... Enfin, ce n’est pas un hasard. Si, c’est un hasard, c’est idiot ce que j’allais dire. Mais disons que ça se trouve dans le Far West, effectivement, à l'extrême Ouest des États -Unis, ce qui se passe là. Et c’est l’esprit des pionniers du Far West, véritablement. Ce n’est pas l’esprit des Wasps de Boston, voilà, c’est le MIT. Ce n’est pas la même chose que la Silicon Valley. C’est d’ailleurs beaucoup plus intéressant, à mon avis, et beaucoup plus réfléchi. Le MIT pose des tas de problèmes passionnants que la Silicon Valley ne veut pas poser, selon moi. En tout cas, il n 'y a aucun droit pour ces gens-là. Mais ce qui fonde leur légitimité, c’est une légitimité sans droit qui est une légitimité fondée sur l’efficience, sur ce qu’Aristote appelait la cause efficiente. Et eux, ils disent, et c’est exactement ça que dit Peter Thiel dans son texte de 2009, la cause finale, la cause formelle, on n’en a rien à foutre. Ce qui nous intéresse, c’est la cause matérielle et la cause efficiente. Je le dis parce qu’on a congédié Aristote, la cause finale, la cause formelle, etc. à partir du moment où, après le tournant copernicien, précisément, on est entrés dans la physique moderne. Et donc, les questions de micro et macro cosmologie sont aussi liées à un abandon de certaines questions dans le champ des sciences et de la philosophie que Whitehead revisite. Parce que c’est ça Whitehead, celui qui dit non, il ne faut pas balancer tout ça. C’est une très grave erreur. Sinon, on ne fait plus de philosophie et on ne fait plus de science. On fait de la technoscience, plus de science. La science, ce n’est pas seulement la technoscience. Alors, tout ça, c’était des rappels et j’avais conclu en demandant est-ce que l 'entropocène est viable ? J’écris entropocène avec un e. Est-ce que l’anthropocène avec un a et un h, dans la mesure où c’est un entropocène avec un e, est viable ? La réponse en physique est absolument nette et claire. Non ! Si c’est un anthropocène, il n’est pas viable. Je dirais en physique de Schrödinger s’intéressant à la biologie. Il n’est pas viable puisque l’entropocène, c’est une planète. Cette planète constitue une biosphère, ce qui caractérise donc la biosphère, c’est le vivant. Et l’entropie, c’est contradictoire avec la possibilité du vivant. Donc, que faire ? Opérer une bifurcation. Il n 'y a pas d’autre solution. Une bifurcation au sens très strict que ce terme a en mathématiques, en physique, en biologie. Au sens, au pluriel, très stricts et incompatibles les uns avec les autres la plupart du temps. Donc immense problème d'épistémologie et d’unification de l’épistémè en question. Pourquoi est-ce qu’une entrée entropocène n’est pas viable ? Parce que, je l’avais dit en citant, d’ailleurs je ne l’avais pas cité, mais je l’avais en tête, ce que dit Freud sur les infusoires. Freud dit que quand on crée un bouillon de culture avec des infusoires et qu’on laisse ce bouillon de culture se développer, il meurt spontanément parce que les infusoires se développant sans limite, produisent des métabolismes négatifs, c’est-à-dire des excrétions, et ils s'empoisonnent. C’est exactement le problème qui est posé à la planète aujourd’hui. Et c’est le problème que posait Freud à propos de l’homme, parce qu’il disait ça en se demandant, est-ce que ce n’est pas un problème qui va se poser à l’homme ? Et c’est le problème que Lévi -Strauss a réaffirmé lui-même, 40 ans après Freud, et puis encore en 2004 à la télévision. Ce que je soutiens, moi, ici, et avec Ars Industrialis, c’est que ça, c’est un état de fait, qu’à cet état de fait, il faut trouver un nouvel état de droit. Mais ça ne veut pas dire qu’il faut convoquer les juristes et hop, on va voir comment on va négocier tout ça avec l'OMC ou je ne sais pas quoi. Non, ça veut dire qu’il faut réinventer le droit. C’est pour ça qu’il faut lire Carl Schmitt. Parce que Carl Schmitt pose des problèmes en termes de droits qui sont fondés sur... pas du tout ce que j’appellerais la question d’exorganisme planétaire, parce que lui ne parle pas d’exorganologie en particulier, mais par contre, il parle de globalisation et il dit que le devenir global de la Terre, dans ce texte qui s’appelle Le nomos de la Terre pose des problèmes absolument nouveaux au droit. Je ne suis pas un schmittien, mais par contre, je pense qu’il va falloir que nous le lisions sérieusement et que nous fassions des croisements entre Lotka, Whitehead, Schmitt, etc. Pour poser des problèmes vraiment nouveaux. Avec Marcel Mauss disant qu’il faut quoi ? Un droit de l’internation. Ce n’est pas Mauss qui dit ça, c’est moi qui dis ça. En m’appuyant sur le concept d’internation de Mauss - Mauss ne parle pas d’un droit de l’internation. Ce que je soutiens moi ici, c’est que s’il faut un droit de l’internation et que ce n’est évidemment pas du tout le droit international, Aujourd’hui, les juristes, en général, sont spécialisés en droit international ou en droit national. Et dans le droit national, en droit civil, en droit machin... Il faut aujourd’hui revoir complètement ces catégories-là du droit. Et il faut reconsidérer la notion d’internation elle-même, donc la notion de Mauss, au regard de la nouvelle forme de rétention tertiaire hypomnésique qu’est la rétention tertiaire computationnelle. Et il faut voir comment cette rétention tertiaire computationnelle, qui permet les relations d 'échelle et les économies d 'échelle planétaires que réalisent aujourd’hui les GAFA et tous ces exorganismes et avec quoi ils produisent de l’entropie, il faut voir comment on peut les retourner pour produire de la néguentropie. C’est ça le vrai sujet dont ni Occupy Wall Street ni Podemos ni aucun de ces mouvements, ni La Nuit Debout n’ont vu la question. Et c’est pour ça qu’ils patinent tous et qu’on va se taper Macron, voire Le Pen. Il faut mettre en place un processus de culture de potentialité néguentropologique et exosomatique qui mette le calcul au service de ce qui n’est pas calculable. Et c’est tout à fait possible. Il ne s’agit pas du tout de s’opposer au calcul. Ça c’est Heidegger. Et ça mène vers des contrées extrêmement dangereuses, comme on le sait. Mais il faut relire ce que dit Paul Claudel : « il faut qu’il y ait dans le poème un nombre tel qu’il empêche de compter ». Et donc, ce que rappelle Claudel en disant ça, c’est la poésie, c’est d’abord du calcul, d’abord apprendre à compter, comme la composition musicale. Les compositeurs, ce sont des mathématiciens. Fondamentalement, aujourd’hui, les compositeurs contemporains font des maths et ce qu’ils produisent quand ce sont de bons musiciens, c’est de l’incalculable. Il y en a un tas qui produisent de la merde, évidemment. Parce que ce n’est pas si facile que ça, de produire de l’incalculable avec du calcul. Alors là, il faut rappeler, puisque je suis en train de nous acheminer vers une lecture conjointe de Mauss, Schmitt et Lotka, il faut rappeler que Lotka introduit son concept d’exosomatisation au moment où il constate premièrement que le perfectionnement extrême de l’homme au 20e siècle, c’est en 1922, a conduit à la guerre de 14, c’est- à-dire à une extrême destruction. Et il dit, c’est comme ça parce que nous n’avons pas su développer les savoirs qui étaient requis par l’exosomatisation. Autrement dit, il dit que, dans ce que j’appelle moi le redoublement, le double redoublement épokhal, le savoir arrive trop tard. Le redoublement épokhal technologique va tellement vite que le savoir n’arrive pas à le suivre et que du coup, il y a la guerre. Ça, c’est le premier point. Et deuxième point, eh bien, ça, c’est ce qui, pour nous et à son époque, conduit à l’âge atomique. Il écrit au moment où Hiroshima subit la première expression de l’âge atomique. Nous sommes à l’ère de l’exosomatisation atomique. Il y a quelqu’un qui s’intéresse ici à L'obsolescence de l’homme, de Anders, de Gunther Anders, c’est à partir de la question de l’âge atomique qu’il a posé toutes ces questions dans L’obsolescence de l’homme en critiquant Heidegger sur de mauvaises bases à mon avis, ce que je vous disais l’autre fois. C’est pour ça que je pense que très intéressant et même très important de lire Gunther Anders, Yuk Hui, par exemple, le lit beaucoup maintenant. Mais en même temps, il faut bien voir qu’il est limité, pas par les mêmes choses, mais par des limites assez proches finalement, selon moi, que les limites assez proches qui empêchent Heidegger d’aller plus loin. Bon, qu’est-ce que ça veut dire, ce que je viens de dire là ? Ça veut dire que la question, c’est le savoir. Si le perfectionnement extrême que décrit Lotka peut se retourner contre celui qui a développé cette exosomatisation c’est parce que celui-ci n’a pas développé les savoirs à la hauteur de cette exosomatisation. C’est ce que dit Lotka. Eh bien, faisons-le. Essayons de développer ces savoirs. Et justement, nous nous appuyant sur Lotka. Et ce que dit Lotka, c’est qu’il faut commencer par la biologie. Il faut commencer par montrer que la biologie humaine, ce n’est plus de la biologie darwinienne, ce n’est plus de la biologie endosomatique, c’est de la biologie exosomatique. Et ça pose des problèmes tout à fait nouveaux. Ces problèmes tout à fait nouveaux, ils conduisent selon moi à ce que j’appelle une néguanthropologie, c’est-à-dire qu’ils doivent être une requalification de la physique, de la biologie, et de toutes les sciences humaines et de toutes les questions liées à ce qu’on appelle l’anthropos et que du coup je préfère appeler le néguanthropos. Alors ça, ça suppose de reconsidérer ce que c’est que la puissance dans l’exosomatisation. Pourquoi est-ce que je dis cela ? Je le dis parce qu’en fait, ce que décrit Lotka, c’est d’une certaine manière ce que Nietzsche appelle la volonté de puissance. Lotka, fait des descriptions lorsqu’il explique que la biomasse tend à s'emparer de l’ensemble de la biosphère et au niveau du système, que chaque espèce dans la lutte pour la vie se bat pour optimiser la transformation des atomes disponibles en une énergie vitale, c’est ça que décrit Lotka. En fait, il décrit, il dit ce que dit Nietzsche, ce que dit Nietzsche quand Nietzsche dit la vie, c’est ce qui est porté par la volonté de puissance. La volonté de puissance n’est pas simplement le surhomme chez Nietzsche, c’est la vie en général. C’est ce qui caractérise la vie en général et c’est ce que décrit aussi Vernadsky formidablement bien. Vernadsky dit : balancez une poignée de graminées dans un endroit, revenez l’année d’après, vous allez en trouver des centaines de millions. C’est-à-dire que ça pousse à toute vitesse, ça envahit tout ce qui est disponible. Sauf s’il y a évidemment une autre plante qui l’empêche de se développer. Ça, lorsque ça se produit avec l’exosomatisation, ça donne une volonté de puissance qui devient guerrière. Polémique, disons. Polémique au sens d’Héraclite, c’est-à-dire conflictuel. En un sens qui n’est plus la sélection naturelle et la lutte pour la vie au sens de Darwin, mais la sélection artificielle. Et cette sélection artificielle, elle exprime une volonté de puissance. Elle est à chaque fois portée par une volonté de puissance qui, aujourd’hui, dans l’exosomatisation, tente d’imposer des critères de sélection qui sont, par exemple, avec Ray Kurzweil, ceux de l'université de la Singularité. Ce que cherche à produire l'université de la Singularité, ce sont des critères nouveaux de sélection qui seraient guidés par le marché avec cette idéologie et ce marketing exosomatique planétaire dont le transhumanisme est en fait l’expression. Ces exorganismes qui cherchent à travers le transhumanisme, en particulier Google, mais pas seulement bien entendu, à imposer et à encore augmenter leur puissance, puisque ce que cherchent ces exorganismes, ce n’est pas seulement à croître, c’est à accroître sans cesse leur puissance. Ils ont une tendance à développer leur puissance telle que, évidemment, ils rendent évidente l’impuissance des organismes et des exorganisations publiques. De ce que j’appelais tout à l’heure dans le titre de cette séance, la puissance publique. Et pas simplement les institutions publiques mais les partis politiques qui sont absolument ridiculisés dans cet état de fait. Sauf le Front National, malheureusement. Parce que lui, il est en phase avec ce qu’il dit On retrouve cet état de fait dans la situation du politique 8 ans plus tard, en 2025 Ndr↩︎. Donc plein de gens vont dire que c’est le seul parti qui tienne la route. Macron, il n’a même pas de parti. C’est un sacré problème. Toutes ces questions, je pose qu’il faut les rapporter par principe et de manière primordiale, c’est-à-dire en commençant par-là, aux questions de ce qui constitue le savoir. Qu’est-ce que c’est que la puissance, puisqu’on parle de volonté de puissance ? Et qu’est-ce que c’est que la puissance telle qu’elle n’est pas réductible à la volonté de puissance du vivant tel que Nietzsche l’a décrite, puisque ce qu’on décrit, ce n’est justement pas le vivant. En tout cas, ce n’est pas simplement le vivant, c’est l’exorganique, que Nietzsche, lui, ne traite pas. Enfin, jusqu’à un certain point, on va voir dans un instant que ce n’est pas complètement vrai ce que je vous dis là. Quoi qu’il en soit, dans cette forme exosomatique de la vie, la puissance, c’est le savoir, ce n’est pas les muscles, ce n’est pas les gènes. Ce n’est rien de tout ce qui caractérise la puissance du vivant. Ce n’est pas la viralité, ce n’est pas la rusticité, ce n’est pas la virulence au sens où on dit qu’une plante virulente se reproduit très vite, etc. C’est le savoir. Et le savoir lui-même, il peut être en puissance, dit Aristote dans le Traité de l’âme. Il dit, voilà : qu’est-ce que c’est que l’âme noétique ? C’est ce qui est porteur en puissance de savoir. Savoir de la grammaire, savoir des mathématiques, savoir coudre des chaussures, savoir toutes les formes de savoir, quel qu’il soit, savoir faire la cuisine, mais tout ce qui doit être appris. Et le savoir, c’est ce qui peut être une puissance qui est passée à l’acte, c’est-à-dire qui n’est plus simplement la dunamis, parce que là, ce que je viens d’appeler la puissance, c’est ce que Aristote appelle la dunamis en grec. Il désigne aussi la matière, c’est-à-dire les ressources, disons. Mais la puissance, c’est aussi la puissance qui est passée à l’acte et qui, quand elle est passée à l’acte, constitue l’acte noétique par essence, la décision noétique. Et ça, c’est ce qui donne du pouvoir. Et ça, ce n’est pas Aristote qui le dit, mais Aristote le dit aussi. Mais ce n’est pas comme Aristote que je le dis là. C’est comme Bacon, Sir Francis Bacon “knowledge is power”. Tout le monde connaît cette expression. Presque tout le monde. Et c’est une expression qui a un sens historique très important quand même. Il faut le souligner, parce que si vous allez en Angleterre, que vous voyez ce que c’est que la Royal Society Greenwich, où j’ai habité pendant huit ans, où j’habitais juste à côté du méridien de Greenwich, etc. du musée de la marine qui est constitué autour et où vous avez des instruments scientifiques qui vous expliquent. Ça, c’est une stratégie de développement de l’empire britannique devenant un empire marin. Comme dit Carl Schmitt en reprenant une expression des Grecs, une thalassocratie, c’est-à-dire un pouvoir de la mer. Carl Schmitt souligne la puissance des Anglais, 15e au 16e siècle, c’est d’avoir décidé de s’emparer des mers, de ne pas avoir eu peur de quitter la terre. C’est génial, cette analyse de Carl Schmitt. Mais quand vous allez à Greenwich, vous voyez ce que ça veut dire. Parce qu’à Greenwich, c’est vraiment... Vous comprenez que tout ça a été fait pour les bateaux anglais. (Rupture de liaison) Bon, j’avais rajouté que l’Angleterre, c’était avant tout ce qu’on appelle l’Angleterre, c’est-à-dire Nelson battant Napoléon, etc. C’est la marine anglaise, la marine royale, et non pas nationale, la marine royale, et que cette marine royale a été constituée sur la base du knowledge is power, c’est-à-dire sur le développement d’un savoir. Les philosophes anglais étaient mis au service de l’armée, de la mer, la marine, pour développer leur capacité à naviguer, à faire la guerre sur la mer, etc. Et évidemment, ensuite, c’était la guerre du commerce, puisque tout ça avait pour but de constituer un empire colonial gigantesque, qui a été un colossal empire, c’est le seul véritable empire colonial au sens quasi planétaire qui ne se soit jamais constitué, l’Angleterre. Alors, ça c’est assez sur la base du savoir et il faudra bien faire un jour une histoire du savoir, une histoire géopolitique du savoir dont Michel Foucault a évidemment un peu ouvert la question, mais à mon avis, il a ouvert 1 % du sujet et il faut aller beaucoup plus loin que cela.

Alors, revenons sur les rapports entre l’internation et la rétention tertiaire numérique, hypomnésique. En instaurant l’ère des fonctionnalités biosphériques monopolistiques, qui constituent elles-mêmes un exorganisme, elles constituent un exorganisme planétaire, c’est-à-dire une planète qui réagit d’un seul coup, comme un seul corps parce que vous avez, je ne sais pas, à Dubaï, à Pékin, à Johannesburg, au Groenland, etc. des gens qui disent, « je suis Paris, il y a eu des attentats, je suis Paris ». Et pourquoi est-ce qu’ils disent ça, tous ces gens-là ? Parce que Facebook a décidé qu’ils diront ça. Et ils le disent en même temps. Pourquoi ? Parce qu’ils sont reliés à la vitesse de la lumière via Facebook. Pas tout à fait la vitesse de la lumière, mais presque. A partir de là, ils constituent un exorganisme, un corps. Et là, il faut prendre le mot corps au sens de Spinoza. Mais il faudrait lire Spinoza avec ces questions-là. C’est ça que ne fait pas Lordon. Et ça, c’est dommage. Il faudra essayer de l’amener à le faire. Ces rétentions tertiaires hypomnésiques numériques court-circuitent les localités. En s’imposant à l’échelle planétaire, elles court-circuitent les localités. Et c’est pour ça qu’elles produisent l’entropocène avec un e. Ça suppose donc cet état de fait de constituer un état de droit qui va permettre de repenser en totalité la question cosmopolitique du point de vue de l’internation, mais en redonnant une place à la localité. Ça ne veut pas dire en revenant à l’état-nation, ça veut dire en relisant ce que dit Mauss de la nation par contre. Et pour quoi faire ? Et bien pour constituer des capacités de rassemblement délibératif macropolitique. Macropolitique voulant dire ici au-delà des frontières nationales et donc macrocosmique. Parce que nous voyons maintenant que la question cosmique revient et qu’on ne peut pas se contenter du discours de l’astrophysique. La question cosmique, c’est la question du lieu dans lequel nous vivons, comme macrocosme. Et d’un macrocosme qui est devenu non pas l’oïkoumène des Grecs, qui était pour eux le bassin méditerranéen, mais l’oïkoumène de la planète entière aujourd’hui, qui est, comme on va y revenir, au-delà de la planète elle-même, puisque l’oïkoumène va finalement jusqu’aux limites du système solaire avec Rosetta et Philae. Pour que ce soit possible de constituer une telle internation, il faut que se développent des localités microcosmiques opératrices de potentiels de bifurcations néguentropiques. Les bifurcations néguentropiques sont toujours locales. Toujours. Elles sont donc toujours micro. Et c’est pour ça que Deleuze et Guattari ont raison de poser les problèmes de micro-politique. Mais c’est aussi pour ça que les Deleuziens ont tort d'opposer la micro et la macro comme Deleuze et Guattari eux-mêmes le disent. Ils disent qu’il ne faut pas les opposer, il faut les agencer. Ce n’est pas du tout une opposition, un agencement. Et cet agencement-là, Deleuze a beaucoup tourné autour de cette question, c’est la bifurcation. Deleuze a essayé de s’emparer de la théorie des structures dissipatives avec Isabel Stengers, à tort à mon avis, parce que cette théorie des structures dissipatives, qui est très importante et très intéressante, en même temps, elle commet un court-circuit. C’est-à-dire qu’elle essaie de translater ce qui vient de Schrödinger sur le vivant dans le champ des structures microphysiques. Et ça, ça ne marche pas. Ce que produit un tourbillon dans une rivière, ce n’est pas du tout de la néguentropie. C’est une localité, mais pas néguentropique. Et donc, ça ne produit pas de bifurcation au sens des bifurcations du vivant. À partir de là, il y a eu un problème et je pense que ça a conduit Deleuze dans une impasse. Et avec lui, Isabelle Stengers que ça a rendue d’ailleurs très agressive depuis, parce qu’elle ne supporte pas, elle s’est faite envoyer promener par les scientifiques et elle est devenue vraiment extrêmement désagréable. Alors, La question de l’internation de demain, c’est comment on agence des potentialités de bifurcations microcosmiques à une échelle macrocosmique et pour faire en sorte que ces bifurcations microcosmiques produisent une bifurcation macrocosmique, bien entendu puisqu’il faut une bifurcation macrocosmique. Il n 'y a que comme ça qu’on peut lutter contre le « Trumpocène ». Si on ne se met pas sur ce registre-là, il n 'y a absolument rien à faire, absolument rien. La seule manière de combattre Trump, c’est de redonner du crédit au savoir. La post -vérité, c’est l’époque où le savoir n’a plus de crédit, est totalement épuisé, est totalement discrédité, quel qu’il soit, parce qu’il sert à fabriquer des bombes atomiques, parce qu’il sert à faire Monsanto, parce qu’il sert à toutes sortes de machins de ce type, à fliquer tout le monde, etc. Et donc c’est une catastrophe, parce qu’il n 'y a plus de conscience scientifique, au sens où Oppenheimer constituait une conscience scientifique. C’est fini. Eh bien il faut la reconstituer. À partir de là, il faut essayer d’interpréter ce que dit Mauss. Je vous signale que dans deux ans, c’est l’anniversaire de la Société des Nations, donc il y aura peut -être un coup à faire d’enfer, du tonnerre de Dieu, avec Lénine. On pourrait proposer à Lénine, à Guayaquil, on organise un énorme truc, la Société des Nations du XXIe siècle. Avec les Indiens d’Amazonie, les 16 tribus d’Amazonie équatoriale, etc. Et qu’on dise, voilà, on va réarticuler le micro et le macro. Et on va relire Marcel Mauss et on va faire des propositions. On va faire des propositions, pourquoi ? Eh bien, pour instaurer de nouvelles transductions entre les nations. Puisque c’est ça le problème de l’internation. Ce que décrit Marcel Mauss, c’est que l’internation, ce n’est pas un espace entre les nations, comme on appelle le droit international. Ce sont les relations qui font que ces nations vivent ensemble sur une seule planète. Et ce sont des transductions, évidemment. Ça ne peut pas être autre chose que des transductions. Mais Marcel Mauss ne connaît pas Simondon. Donc, il faut ajouter à ces considérations toutes sortes de concepts. Beaucoup de Simondon. Transduction, allagmatique, etc. Et Anaïs nous fera sûrement des propositions pour ça. Il est évidemment par ailleurs fondamental de lire Kant, qui est le penseur de la Société des Nations. Le concept de Société des Nations ne vient pas de Wilson comme beaucoup de gens le croient. Il vient d’Emmanuel Kant et il est énoncé en toutes lettres dans L’idée d’une histoire universelle. Mais Emmanuel Kant ne connaît pas ni l’entropie, il raisonne avec Newton, il ne raisonne pas avec Boltzmann ou Schrödinger et il ne prend pas du tout en compte les questions exosomatiques. Schrödinger ne les prend pas en compte non plus d’ailleurs. Donc il faut apporter à l’internation ces dimensions conceptuelles nouvelles pour permettre que cette internation qui est aujourd’hui constituée négativement, parce qu’elle est constituée négativement. Qu’est-ce que c’est que ce qu’on appelle les populismes internationaux ? C’est l’internation dans sa souffrance. C’est l’expression négative de la souffrance planétaire de tous les gens dans le monde entier qui sont inquiets, qui se disent avec ce malade à la tête des États-Unis, on va se taper une guerre, etc. Et donc l’internation, elle existe déjà, mais négativement. Il faut quasi causalement la transformer en une internation positive. Et ça, ça suppose de lui parler vrai. Ça suppose de pratiquer la parrêsia. La seule manière de lutter contre la post-vérité des fake news de Trump, c’est de pratiquer la parrêsia. Sinon, qu’est-ce qui nous arrivera ? Un nouveau totalitarisme planétaire, qui est déjà à moitié en place. Il constitue ce que j’appelle, dans un livre que je suis en train d'écrire, le soft totalitarism basé sur le smart capitalism. Donc l’association entre le smart capitalism* de Peter Thiel et Trump ça donne le soft totalitarism. Et ça, ça nous pend vraiment au nez. On est vraiment tout à fait au bord de la chose. Et dans une situation où la seule force qui est capable de s’opposer à ça aujourd’hui, c’est la Chine. Mais la Chine risque de s'y opposer dans un sens qui ne nous plaît pas du tout. Donc, il faut ouvrir une troisième voie, qui n’est pas celle de Tony Blair, mais qui est la nouvelle voie géopolitique que nous devons constituer avec tous les anciens mouvements, Occupy Wall Street, etc., en passant à une autre échelle. Ça, ça suppose de développer des savoirs, de redonner à la sphère des savoirs un crédit capable de penser l’exosomatisation, et donc de produire à partir de là des saveurs exosomatiques, par une conversion telle que le savoir apparaisse dans son unité comme ne pouvant être que le savoir de la localité biosphérique. Qu’est-ce que ça veut dire ? On se méfie beaucoup depuis Derrida, depuis Deleuze, depuis tous ces gens-là, de l'unité du savoir. On sait très bien comment la philosophie veut toujours débarquer en disant, allez, on va unifier tout ça, nous, les philosophes. Et ça, ça s’appelle la métaphysique. Donc, on s’en méfie comme de la peste. Et à juste titre. Et pourtant, il faut une unité des savoirs. Il faut une unité. Mais cette unité, elle n’est pas ontologique. Elle n’est pas basée sur un fondement unique qui s’appellerait l'être. Elle est à venir, c’est-à-dire qu’elle est téléologique. Elle postule à l’infini la possibilité de discuter entre arithméticiens et géomètres. Aujourd’hui, je vous signale qu’en mathématiques, les géomètres et les arithméticiens ne discutent plus, presque plus. C’est un des combats par exemple de Giuseppe Longo de dire qu’il faut reprendre la géométrie au sérieux à l’époque des algorithmes et qu’il faut reposer les questions géométriquement et pas simplement arithmétiquement. Alors, ne parlons pas des discussions entre les physiciens et les biologistes, ou entre les biologistes et les philosophes. Ça n’existe pas. Eh bien, ça ne peut pas durer. Parce que ça, ça produit du discrédit. Ça produit de la fragmentation, ça produit non pas du tout des bifurcations, des micro-bifurcations, mais une désintégration qui fait qu’ensuite, eh bien, oui, le smart capitalism peut exploiter tout ça sous forme d’algorithmes et détruire la planète. Il faut réinscrire les savoirs dans le projet de l’internation, autrement dit. Et l’internation, elle doit postuler son unité. Qu’est-ce que c’est que son unité ? C’est nous nous entendons pour ne pas détruire la planète. Nous arrivons à nous mettre d’accord avec des compromis, des douleurs, tout ce qu’on veut, des conflits, mais pour faire qu’on ne détruise pas la planète. Pour que ceci se produise, il faut pratiquer un saut. Il faut faire un saut, Sprung, je dis en allemand, parce que c’est un mot qu’on trouve chez Heidegger et chez Nietzsche. Un saut quasi-causal. Et il faut un tremplin quasi-causal. Parce que pour sauter, il vaut bien mieux avoir un tremplin. Donc il faut fabriquer un tremplin quasi-causal. Ou des tremplins quasi-causaux. Plaine Commune, c’est un tremplin de ce genre. Il faut en produire des milliers. Et pour quoi faire ? Pour opérer une conversion. Qu’est-ce que c’est qu’une conversion ? Et bien c’est quelque chose qui arrive après ça. Voilà, là vous avez un tableau. J’ai honte de ne plus me souvenir du nom du peintre italien qui l’a peint. C’est une scène qui est celle de la vie de... Vous reconnaissez ? Quelqu’un reconnaît ? Non, ce n’est pas Fra Angelico Tommaso di Cristoforo Fini dit Masolino da Panicale (1383-1440)↩︎. Ce n’est pas Fra Angelico, mais la scène c’est Saint -Julien. C’est-à-dire que là vous avez Saint-Julien qui est en train de tuer son père. Et bientôt sa mère après qu’il trouve dans son lit un homme et une femme. Il pense que c’est sa femme qui couche avec un ... Il rentre d’un long voyage et donc il trucide ses parents. J’ai déjà parlé de Saint-Julien l’Hospitalier, peut-être pas dans ce séminaire. Saint-Julien l’Hospitalier, c’est une figure absolument canonique de pratiquement tous les saints de cette époque-là. Ce sont des gens qui sont d’abord, comme les Romains, comme les légionnaires romains qui étaient remerciés par César, par l’empereur et comme les samouraïs japonais, ce sont des gens qui ont commis énormément de crimes, qui ont libéré leur pulsion de mort, puisque Saint-Julien l’Hospitalier, en fait, c’était un chasseur qui n’avait plus aucune limite à sa passion de tuer. Et un jour, il a tué, pour le pur plaisir de tuer, trois ou quatre faons, leur mère et leur père. C’est-à-dire toute une compagnie de cerfs. Et il a planté avec une flèche dans le front du cerf, du mâle et le mâle lui a foncé dessus avec ses grands bois, il s’est levé devant lui et il s’est mis à parler. Il lui a dit tu tueras ton père et ta mère et il est tombé raide mort. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? C’est une scène qu’on retrouve dans énormément de processus de conversion dans le christianisme, mais aussi en Asie. Puisque ces samouraïs que je parlais tout à l’heure, ils ne sont pas européens, ils ne sont pas monothéistes mais ils sont dans un processus de conversion, comme ces légionnaires romains qui se convertissent aussi. À quoi ? les romains à l'otium, les grecs à la scholè. Ce sont des guerriers les grecs, avant tout, avant tout. Et les japonais à la cérémonie du thé, c’est-à-dire au zen japonais. Je dis cela parce que je pense que la conversion est un moment absolument inévitable et que ce qu’on appelle une conversion, notamment dans la théologie chrétienne, c’est une bifurcation. J’ai déjà parlé deux fois de la Bible et des évangiles de la Bible pour dire que la Bible pense l’entropie lorsqu’elle dit au livre 3 de la Genèse : tout redeviendra poussière. Une façon de dire tout est entropie. Et que les évangiles pensent la néguentropie lorsqu’ils font du miracle la possibilité du Messie. Stricto sensu, du point de vue interne d’un système qui produit une bifurcation néguentropique, la bifurcation est miraculeuse. Elle est absolument inconcevable par le système lui-même. Donc ce que produit ce qu’on appelle un miracle, c’est quelque chose qui est inconcevable pour ceux à qui ça arrive. Je pense que ce sont des terminologies religieuses qui désignent des réalités que nous devons penser. Non pas avec Whitehead ici, parce que moi, je ne reprends pas à mon compte la théologie de Whitehead. Whitehead convoque le concept de Dieu lui-même, et ce n’est pas du tout ce que je veux vous dire. Mais par contre, ce que je veux vous dire, c’est que dans la période dans laquelle nous sommes, qui est une période de l’expérience de ce que j’appelle les extrêmes limites, j'en ai déjà parlé l’autre fois, il y a deux semaines, la limite, c’est l’eschaton en grec. Les périodes de ce qu’on appelle les extrêmes limites, ça a un nom en théologie, ça s’appelle l’eschatologie. Nous sommes dans une période eschatologique. C’est absolument évident. Et c’est pour ça qu’il y a des vocations religieuses qui se réveillent tout à coup, comme ça, dans tous les sens, n'importe comment et pour faire n'importe quoi. Ça veut dire que nous allons devoir faire de la théologie. Et c’est pour ça qu’il va falloir lire Carl Schmitt et en particulier le concept de katechon. Il faudra qu’on en reparle avec Axel, qui était intervenu dans l’Académie d 'été, il y a deux ans, sur ce sujet. Enfin, sur ce sujet. Disons sur la question du katechon et de Schmitt, notamment. Qu’est-ce que ça veut dire le katechon chez Carl Schmitt ? Le katechon étant une catégorie qu’on trouve dans la lettre aux Thessaloniciens de Paul de Tarse, c’est, comme dit Schmitt, la puissance qui retient. C’est aussi ce que dit d’ailleurs la lettre de Paul de Tarse. La puissance qui retient. Et cette puissance qui retient, qu’est-ce que c’est ? C’est la puissance qui empêche l’avènement de l’antéchrist. C’est-à-dire, c’est l’empire de l’église. C’est l’institution de l’église. Alors, je ne suis pas du tout en train de vous dire qu’il va falloir revenir vers la théologie. Je ne suis pas en train de me convertir tardivement, comme Husserl, par exemple, au catholicisme. Il y en a quelques-uns, cela dit, qui se sont convertis des philosophes comme ça. Ça mériterait qu’on s 'y appesantisse. C’est pas du tout ça que je suis en train de vous dire. Ce que je suis en train de vous dire, c’est que le katechon, tel que le mobilise Carl Schmitt, c’est une puissance de rétention puisque c’est la puissance qui retient. Donc, c’est de la rétention et c’est de la rétention qui produit une différance avec un a, c’est-à-dire qui diffère une échéance. L’échéance de quoi ? De ce que l’évangile appelle l’antéchrist, ce que les évangiles, pardon, appellent l’antéchrist. Ce que j'essaie de faire, moi, et ça fait très longtemps que je fais ça, donc ce n’est pas du tout une chose nouvelle, même si ça peut vous surprendre ce que je vais dire là. Ce que j'essaye de faire là, c’est quelque chose qu'évoquait Georges Bataille dans la Somme athéologique dont je vous présente là un résumé qui est plutôt pas mal fait du tout. Enfin, c’est un résumé, ce n’est pas un résumé, mais une histoire du projet de Georges Bataille d'écrire une somme, non pas de théologie comme Thomas d’Aquin, mais une somme athéologique. Pourquoi est-ce que Georges Bataille dit cela ? Georges Bataille qui fait une expérience du mal, qui réfléchit à la question du mal et de la transgression, eh bien c’est parce que Georges Bataille pose qu’on ne peut pas faire un pas au-delà de la somme de théologie si on ne repasse pas par des expériences mystiques, etc. par exemple de Thérèse d’Avila, sur laquelle il écrit un grand texte et de tout ce qu’il appelle l’expérience intérieure et un certain nombre d’autres expériences de ce type. Je crois qu’il faut aujourd’hui non pas suivre Georges Bataille sur ce chemin-là, pourquoi pas cela dit, mais par contre qu’il faut produire, pas une somme athéologique, mais une philosophie a -transcendantale. C’est ce que j'essaye de faire moi-même à l’époque où il faut repenser la pensée, et en lisant Qu’appelle-t-on penser ? de Heidegger, qui pose que la pensée c’est ce qu’il ne pense pas encore, eh bien, qu’est-ce que je ne pense pas encore ? Je ne pense pas le fait que la pensée veut dire « panser » avec un « a », c’est-à-dire soigner. Soigner quoi ? La biosphère. Et comment ? Par l’internation. Et comment constituer cette internation ? En réinterprétant toute l’histoire de la philosophie transcendantale d’un point de vue a -transcendantale c’est-à-dire en revisitant depuis les présocratiques jusqu’à Husserl et même au-delà, toute l’histoire de l’idéalisme, non pas pour le rejeter dialectiquement comme ont tenté de le faire Marx et Engels, ils n’ont pas réussi, mais pour le transfigurer de manière quasi-causale. Et ça, ça permet de relire Nietzsche aussi, et de produire ce que j’appelle la transvaluation de la transvaluation. Le but d’une telle démarche, c’est de penser l’avenir du système dynamique néguanthropologique qu’est la biosphère désormais. Désormais, la biosphère est un exorganisme et cet exorganisme, il faut le pa/enser avec un a et un e. Tant qu’on ne sera pas capable de faire ça, on ne pourra pas s’opposer à l’efficience et à la cause efficiente des exorganismes planétaires. Et par exemple, on ne pourra pas poser la question d’une éventuelle, je ne dirais pas nationalisation, mais internationalisation de ces fonctions, c’est-à-dire d’une déprivatisation de l’exploitation de ces fonctions sous forme de monopoles fonctionnels tels qu’ils sont actuellement. Ça, ça suppose de développer une nouvelle théorie des macro-fonctionnalités de l’économie. Je parle beaucoup de fonctionnalité, de fonctionnalisme et dans le sens de ce que disait d’ailleurs Paul-Emile hier, en mobilisant d’autres ressources, celles de Dewey en particulier mais il y a des macro-fonctionnalités. Et il va bien falloir à un moment donné que nous instruisions ce que veut dire macro-fonctionnalité et micro-fonctionnalité. En informatique aussi, il y a des macros, on appelle ça des macros, macro-fonctions. Hier, j’ai téléchargé un texte qui m'était envoyé, je crois, par Raphaël, d’ailleurs, et il me demandait si je voulais charger les macro-fonctions sur mon ordinateur. Il me posait la question parce que ça a un coût. Bref, les macro-fonctions aujourd’hui ne se posent plus dans les mêmes termes qu’à l’époque où il n'y avait pas de macro au sens de l’informatique, puisque toutes les fonctionnalités aujourd’hui sont numérisées. Donc, il y a des questions qu’il va falloir instruire et ces questions, elles sont fondamentalement celles de repenser les rapports entre la micro-économie et la macro-économie, la micro-politique et la macro-politique, et à toutes sortes d'échelles. C’est-à-dire, la question, c’est de repenser la scalabilité, non pas sur les modèles computationnels de Google, Amazon, etc., mais sur des modèles a-computationnels, qui vont au-delà du calcul et qui sont précisément les modèles de l’improbable, c’est-à-dire les modèles qui ménagent les possibilités de bifurcation. Si dans les agencements d'échelle qu’on trouve, par exemple, dans une tribu indienne ou dans une société du Moyen-Âge, nous avons des pratiques rituelles qui sont liées à des espaces de sacralité, etc. où on voit la lune, le soleil, etc. c’est parce que le cosmos est toujours investi de dimensions de l’improbable. Et il faut absolument réinvestir ces dimensions-là de manière que je n'hésite pas à appeler rationnelle, c’est à dire pour moi, la raison, c’est pas du tout le calcul. La raison, c’est au contraire ce qui cultive l’incalculable. Donc, c’est rationnel de raisonner ainsi. Alors, il faut que j’accélère parce que je suis super en retard, comme toujours. C’est pour ça que je ne laisse jamais le temps de discussion pendant que je parle, parce que sinon, sinon, je suis trop en retard. Tout ça, ça suppose de rapporter toutes ces questions d’abord à celles de savoir comment peuvent et doivent se réarticuler les puissances et les impuissances publiques et privées. Je dis bien aussi les impuissances privées parce que la puissance, la puissance privée, l’énorme puissance privée que développent les fonctions exorganiques planétaires actuellement vont devenir des impuissances privées parce qu’elles sont anthropiques, donc elles vont nécessairement à un moment donné, saturer leur puissance, comme Max Weber a montré avec la bureaucratie se saturait, etc. Et ça touchera évidemment ces puissances privées, comme les puissances publiques. C’est la puissance qui produit son impuissance. Et c’est ça que d’ailleurs Nietzsche appelle « l'ombre du voyageur » dans Le voyageur et son ombre, texte sur lequel je vais revenir tout à l’heure. Comment on les ré -articule ces puissances privées et publiques dans l’internation et comment l’internation est cette ré -articulation ? Comment on le fait du point de vue des monopoles fonctionnels biosphériques et donc comment on passe à cette échelle -là ? D’autre part, il faut rapporter toutes ces questions à celles qui concernent les conditions de possibilité et d’impossibilité des savoirs eux-mêmes. S’il est vrai que la puissance, dunamis, c’est donc pour l’âme exosomatique le savoir. Ces questions, nous devons nous les poser au moment où ces questions atteignent l’échelle du système solaire et pas simplement de la biosphère. J 'y insiste, c’est très important. C’est un des éléments fondamentaux du texte de Peter Szendi Kant chez les extraterrestres Aujourd’hui, l’exosomatisation s’est accomplie aux limites du système solaire. Ce qu’on voit là, c’est Rosetta. À travers donc des technologies de scalabilité qu’il faut critiquer au sens des philosophes, c’est-à-dire non pas rejeter mais dont il faut analyser les limites, c’est ça que veut dire critiquer après Emmanuel Kant, en particulier parce que ces fonctions de scalabilité actuelles court-circuitent les systèmes sociaux, les localités, et donc sont intrinsèquement anthropiques. Et pour ça, il faut lire Lotka en tant qu’il est celui qui permet de transvaluer la transvaluation de Nietzsche. C’est là où je voulais en venir, et c’est de ça dont je vais vous parler maintenant, et je vais aller un peu plus vite. Il me faut encore petite demi-heure. Désolé d'être un peu long.

Alors Lotka, vous le savez, c’est un mathématicien qui se spécialise en génétique des populations, donc il devient biologiste petit à petit. Il conceptualise l’exosomatisation exactement là où Darwin ou pardon, où Nietzsche ne conceptualise pas l’exosomatisation. Nietzsche reste fondamentalement un darwinien. Il n’arrête pas de critiquer Darwin. Il s’oppose en permanence à Darwin. J’ai consacré mon séminaire de l’année dernière à cette question. Donc, si ça vous intéresse, je vous propose d’aller voir ce séminaire ou au moins la première et la deuxième séance. Tout en critiquant Darwin, Nietzsche reste dans l'organogenèse endosomatique. Il ne thématise pas l'organogenèse exosomatique. Et il ne faut pas lui en faire le reproche. On ne peut pas tout faire dans la vie. Par contre, ça a des conséquences extrêmement embarrassantes, plus qu’embarrassantes, absolument inacceptables, intolérables. C’est que c’est ce qui va faire que Nietzsche va effectivement tenir un discours eugéniste, parce qu’il va véritablement prôner une politique de sélection eugénique. Et c’est pour ça que les nazis vont pouvoir s’emparer de son travail qui consiste à dire qu’il faut protéger les exceptions. Donc, l’année dernière, j’avais essayé de prouver, en m’appuyant sur le travail de Barbara, ma fille, que Nietzsche, effectivement, n’est pas capable de penser l’exosomatisation. Eh bien, il faut que je pondère ce discours en prenant, là encore, un travail de Barbara, qui est celui-ci, que vous trouverez en ligne si vous voulez le lire. Je voulais d’ailleurs vous l’envoyer, mais j’ai oublié. Je vous recommande absolument de lire ce texte. Il est vraiment absolument remarquable pour ce qui nous intéresse. Ça s’appelle Nous entendons bien le martèlement du télégraphe, mais nous ne le comprenons pasNietzsche-t%C3%A9l%C3%A9graphe.pdf>↩︎. C’est une citation de Nietzsche dans Humain trop humain, deuxième volume, c’est-à-dire dans Le voyageur et son ombre. Qu’est-ce que dit Nietzsche dans ce texte, Le voyageur et son ombre ? Au paragraphe 278 que voici. Ah non, ce n’est pas ça. Ah ben, je l’ai encore, encore un texte qui me manque. Ah non, ce n’est pas un texte qui me manque. Excusez-moi. Ce que je voulais dire, c’est que si vous lisez ce texte de Barbara, je vous recommande de lire aussi celui-ci, qui est en anglais, que d’ailleurs, Sarah et Paolo ont lu puisque je leur ai envoyé, qui est le texte d’une conférence qu’elle a faite au mois d'octobre dernier à Columbia pour essayer de montrer que la lecture que Deleuze proposait de Nietzsche était partielle https://blogs.law.columbia.edu/nietzsche1313/barbara-stiegler-what-is-tragic-a-few-questions-on-the-deleuzian-interpretation-of-the-eternal-return/↩︎. Et en particulier parce qu’elle oublie un point qui est quand même fondamental et qu’on trouve d’abord dans L’origine de la tragédie, c’est que précisément, Nietzsche, c’est un tragique et que bien sûr que Nietzsche affirme et dit qu’il faut affirmer, dire oui, etc. Mais en même temps, il alerte en permanence sur la dangerosité de ce oui. Autrement dit, Nietzsche est un peu pharmacologique. Et ça, c’est ce que je crois, c’est ce dont Barbara montre les conséquences et en particulier les conséquences sur l’interprétation de l’éternel retour. Je ne vais pas vous en parler maintenant, mais peut -être qu’on en parlera dans la discussion. En tout cas, dans l’article que je vous ai présenté tout à l’heure, qui est d’ailleurs paru en version partielle dans l’observateur, Barbara commente C’est ce fragment, enfin c’est pas un fragment, c’est cet aphorisme de Nietzsche, 278, dans lequel, donc le paragraphe 278 du Voyageur est son ombre, dans lequel Nietzsche annonce d’immenses transformations qu’il décrit donc comme ceci « La presse, la machine à vapeur, il dit pas vapeur mais c’est la machine à vapeur, le chemin de fer, le télégraphe sont des prémisses dont personne n’a encore osé tirer la conclusion qui viendra dans mille ans ». Qu’est-ce qu’il est en train de dire ? Nietzsche est en train de nous dire que la presse donc la machine qui est capable de produire un million d’exemplaires par jour. C’est ça qu’on appelle la presse. Là, c’est la presse à journaux, ça s’appelle. Un million d’exemplaires par jour. La machine, c’est la machine à vapeur qui développe les usines du capitalisme dont Nietzsche parle énormément, d’ailleurs, parce qu’on ne cite jamais tous ses textes, mais Nietzsche, c’était un type qui analysait le capitalisme. Le chemin de fer, c’est-à-dire les réseaux ferrés et le télégraphe, les réseaux de communication, d’information, vont produire quelque chose qui viendra dans mille ans et quelque chose qui est une convergence exorganique, évidemment. il va décrire, Nietzsche, on va voir comment, la manière dont ces pharmaka que sont la machine à vapeur, le chemin de fer, le télégraphe et la presse vont faire système et où les moyens de production industrielle machiniques d’un côté, formant ce que j’appelais l’autre fois des exorganismes et de l’autre côté les territoires transformés par ces exorganismes et en quelque sorte ré-exorganisés, parce qu’un territoire c’est d’un exorganisme déjà, mais ce que Nietzsche va décrire c’est la manière dont ces territoires vont être ré-exorganisés par les exorganismes industriels. C’est ce que tu disais à propos des villes autrefois. La ville se reconstruit autour de l'usine, de l’unité de production, eh bien cela va produire une immense transformation. Une immense transformation qui est quoi ? L’accomplissement du nihilisme. Parce que c’est ça l’accomplissement du nihilisme. C’est le capitalisme comme accomplissement du nihilisme par l’exosomatisation. Et c’est ce que j’appelle la biosphère exorganique. Ça, ça nous inviterait à relire non seulement Spinoza, mais Hobbes. Parce que si vous lisez Hobbes, vous vous souvenez peut-être, j’avais d’ailleurs montré le frontispice du Le Léviathan l’autrefois, au début de ce séminaire, Hobbes présente le Léviathan comme un immense organisme, etc. On y reviendra peut-être dans la discussion. Les territoires et les exorganismes étatiques et administratifs qui les constituaient, se trouvent ainsi totalement recodés, comme disaient Guattari et Deleuze, puisqu’ils employaient très précisément cette expression. Recodés, voire recodifiés, au sens où la codification en jury, en droit, c’est un processus de codage, précisément, et j'y reviendrai dans les deux dernières séances, puisque c’est ça l’enjeu de NextLeap, comment le code binaire repose le problème de la codification juridique. C’est ça le vrai sujet du droit aujourd’hui, dans un contexte de réticulation informationnelle. Alors, dans ce Le voyageur et son ombre, Nietzsche nous avertit de quelque chose dont il nous dit par ailleurs dans L’avenir de nos établissements d’enseignement, 1872 :

Notre philosophie doit ici commencer non par l’étonnement, mais par l’effroi.

C’est évidemment une manière de reprendre le début de La métaphysique d’Aristote. Aristote commence en disant « faire de la philosophie, c’est s 'étonner ». Et Nietzsche nous dit à la fin du 19e siècle, ce n’est pas de s'étonner dont nous aurons besoin, c’est de s’effrayer, l’effroi. Eh bien, nous, au 21e siècle, nous commençons à comprendre ce que veut dire l’effroi. J’ai montré l’autre jour, j’ai oublié de la mettre là, une image de Angela Merkel qui regarde Donald Trump. Vous avez dû la voir parce qu’elle a circulé énormément. Et on voit Merkel qui regarde Trump comme ça, l’air vraiment effrayé, vraiment effrayé. C’est la photo anti-diplomatique par excellence. On voit que là, on n’est plus dans la diplomatie. Elle est suffoquée par le bonhomme, suffoquée. Et nous le sommes tous. La planète entière est suffoquée, effrayée par ce qui se passe. Et si nous ne nommons pas cet effroi, alors cet effroi produira un totalitarisme. Si nous ne le décrivons pas, si, pour parler comme les psychanalystes, nous ne les verbalisons pas, si nous n’oralisons pas notre angoisse, cette angoisse nous conduira au pire ressentiment, au pire comportement. Alors, qu’est-ce que décrivent Nietzsche et Barbara le commentant ? Eh bien, la presse écrite transforme l’information télégraphiquement recueillie et transmise, depuis ce qui devient des agences de presse, en produit de consommation courante quotidienne, pour une opinion publique qui se trouve ainsi de transfigurée de fond en comble, ce qui détruit les savoirs. C’est ce que dit Nietzsche en 1872 dans le malaise, enfin ce n’est pas le malaise, c’est sur l’avenir de nos établissements d’enseignement, de Bildung en allemand, de formation. Et là, je cite L’avenir de nos établissements d’enseignement c’est donc Nietzsche qui parle :

Un savant exclusivement spécialisé ressemble à l’ouvrier d’usine qui, toute sa vie, ne fait rien d’autre que fabriquer certaines vis ou certaines poignées pour un outil ou une machine déterminée. Tâche dans laquelle il atteint, il faut le dire, à une incroyable virtuosité.

Donc, qu’est-ce qu’il est en train de décrire ici, Nietzsche ? C’est très clair. C’est la prolétarisation des savants. Et un peu plus loin, il écrit, nous atteignons maintenant le point où dans toutes les questions générales de nature sérieuse et surtout dans les problèmes philosophiques les plus élevés, l’homme de science en tant que tel n’a plus du tout la parole. Là, ce qu’il décrit, c’est la post-vérité, c’est-à-dire le fait qu’il n 'y a plus de référence au savoir, que ça ne fonctionne plus du tout sur cette base-là, que l’information a absolument détruit tout ça et que donc on met un terme - c’est ça aussi l’accomplissement du nihilisme - on met un terme au crédit du savoir de manière structurelle. Au moment où Nietzsche décrit donc les effets de l’exosomatisation sans les thématiser, parce qu’il ne parle pas de l’exosomatisation. Enfin, il en parle, mais sans voir qu’il en parle. Il n’a pas le concept de l’exosomatisation. Mais il observe, en revanche, l’accélération de l’exosomatisation. C’est de ça dont il parle essentiellement. À ce moment-là, le renforcement des États -Unis a lieu avec des moyens nouveaux qui tirent les conséquences à la fois du machinisme industriel, qui a été promu par Jacquard, et des travaux de Charles Babbage et d’Ada Lovelace, c’est-à-dire de ce qui va conduire à l’informatique. A partir de là, ça, Nietzsche ne le voit pas, parce que ça vient des Etats-Unis. Ce n’est pas encore en Europe. A partir de là, l’information qui était transportée sur les réseaux de télégraphes va devenir l’information computationnelle, c’est-à-dire l’information des ordinateurs. Et là, on va passer à un autre stade qui est la délégation exosomatique des fonctions de l’entendement dont je parlais dans le séminaire qui était consacré au transhumanisme et à l’exosomatisation. Au XXe siècle, la maîtrise computationnelle de l’information s’accroît à un point tel qu’elle engendre la première grande entreprise transnationale, c’est-à-dire déterritorialisée, qui s’appelle International Business Machines, connu sous le nom de IBM et dont vous voyez là le slogan aux alentours des années 60 -70, I think therefore IBM. C’est un slogan quand même extraordinaire. Ça mériterait de longs commentaires. À quoi répond Steve Jobs, think different. C’est extrêmement intéressant. Donc si Steve Jobs est celui qui va véritablement penser ce qu’on appelle la microinformatique, l’ergonomie de la microinformatique, et qu’est-ce que c’est ? C’est un discours du micro par rapport au macro. C’est comme ça que Apple va s’installer, en disant nous sommes micro. Et c’est d’ailleurs comme ça que, par exemple, Galloway, Peter Galloway va pouvoir dire Deleuze est l’inspirateur de la Silicon Valley, etc. Pas que lui, beaucoup de gens. En France aussi, celui qui a écrit sur la French Theory, je ne connais plus son nom, je ne m'en souviens plus et ce n’est pas complètement faux, bien entendu. Mais ce qui m'importe, moi, c’est de souligner que derrière ça, il y a toutes sortes d’enjeux. Évidemment, il y a la connotation de ego cogito ergo sum. Donc, c’est. IBM se met à la place de Descartes. Nouveau fondement du savoir à travers les machines de business. Donc c’est le business qui devient le savoir. Et Apple répond en disant, voilà, nous affirmons la différence face à quoi ? À l’entropie qu’impose l’hégémonie d’IBM. Et évidemment, il faudrait ici réinterpréter un petit peu toutes les discussions qu’il y a pu y avoir autour des rapports entre les beatniks ou plutôt les hippies, la microinformatique, l’intelligence artificielle. Je ne vais pas le faire du tout. D’ailleurs, souvent, ça m 'énerve, ces discours-là, que je les trouve très, très superficiels. Mais en même temps, là, ça mérite vraiment d'être étudié. Quoi qu’il en soit, ce que l’on appelle une entreprise transnationale, c’est ce qui repose sur ce que IBM précisément va théoriser dans les années 60 sous le nom de ce qu’il va appeler la culture d’entreprise. Qu’est-ce que va faire IBM ? qui est une entreprise transnationale, qui a des bureaux, des agences dans le monde entier, enfin, en tout cas, dans tout le monde libre, comme on dit à cette époque-là, c’est-à-dire pas dans les blocs de l’est, évidemment, mais partout dans le monde ailleurs. Et moi, d’ailleurs, j’ai connu le fils du patron de IBM France dans les années 70 et j’ai discuté avec lui de tout ça. Cette entreprise va développer la culture d’entreprise qui a pour but de quoi faire, de se substituer à la culture nationale. C’est-à-dire que la stratégie de la DRH de IBM, à cette époque-là - il y a des textes là-dessus en pagaille, il y a même eu des livres écrits - consiste à dire qu’il faut que les employés de IBM adhèrent plus aux valeurs de IBM qu’aux valeurs de leur nation. Il faut qu’ils adhèrent aux valeurs de leur nation, mais pour être des ambassadeurs de IBM dans leur nation, et pas l’inverse. Et ça, c’est ce qui est théorisé - je ne sais pas si c’est bien théorisé parce que je n’ai pas lu le truc - par un prof qui est là, Jacques Folon, qui essaye de réactiver la notion de culture d’entreprise aujourd’hui. Alors, il faut savoir que IBM s’est imposé à travers toutes sortes de luttes, dont une qui est très importante, va se jouer. Elle va être théorisée par Simon Nora et Alain Minc à l’époque où Alain Minc était un grand commis de l’Etat très lucide, autour de la question des normes. Ça, c’est le code ASCII. C’est exactement la version américaine, US ASCII Code Chart. C’est le code ASCII américain. C’est la proposition des États -Unis pour créer le code ASCII. Le code ASCII contre lequel d’ailleurs IBM s’est battu à un moment donné. Pourquoi ? Parce qu’il permettait, par son développement, la stratégie d’Apple, notamment et pas seulement. Alors, si j'en parle, c’est parce que lorsque nous insistons beaucoup sur des questions de technologie de scalabilité, de normes, parce que derrière toutes ces technologies, il y a des normes, il y a des formats, sur les questions que soulève régulièrement Olivier à propos, par exemple, des offres technologiques de Amazon, etc. Si nous disons c’est important de s 'y pencher, ce n’est pas du tout parce que nous sommes des technologues invétérés ou des technophiles ou des je-ne-sais-pas-quoi, c’est parce que c’est le cœur des sujets de géopolitique. Et que c’est de ça dont il faut que nous parlions ici, à Plaine Commune, si nous voulons développer a truly smart city. C’est-à-dire qu’il faut que nous ayons bien conscience que tout ça, c’est ce qui réorganise la vie urbaine et du coup la territorialité dans un sens qui n’est évidemment pas du tout celui que nous défendons. Bon, si j’avais plus de temps, je vous aurais parlé de ce que dit Heidegger de la cybernétique et de toutes ces questions-là. Je ne vais pas le faire. Je suis déjà beaucoup trop long. Je voudrais essayer de terminer sur Nietzsche. Je ne vais d’ailleurs pas complètement terminer, mais aller aussi loin que je peux et revenir à ce que Nietzsche décrit du 19e siècle, à savoir la réticulation informationnelle, parce qu’il voit ça. Donc, il voit l’essentiel. Parce qu’à l’époque, elle est encore assez peu faite pour tout dire. Ce n’est qu'au 21e siècle, c’est maintenant qu’elle est véritablement faite. Au XXe siècle, elle se développe énormément, mais ce n’est rien par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui, bien entendu. Ce que voit Nietzsche en 1872, c’est l’effroi pour lui, ça l’effraie, c’est effrayant. Mais il ne voit pas un millionième de ce que nous voyons. Donc, nous nous sommes habitués finalement à toutes ces choses à un point absolument incroyable dont il faut nous déshabituer. Parce que nous avons intériorisé et naturalisé des états de fait qui sont en fait des états qui créent du non-droit et donc, si nous voulons créer du droit, si nous voulons inventer du droit, nous devons dés-intérioriser ces états de fait. Nous devons nous en déshabituer, pas simplement par l’étonnement, comme dit Nietzsche, mais par l’effroi, ce qui est évidemment compliqué. Comment ne pas retomber dans une eschatologie de l’effroi ? À partir de là, c’est très compliqué. Eh bien, moi, je pense que c’est compliqué pour nous, mais que si nous savons le faire, et le formaliser à travers, par exemple, des ateliers contributifs sur Plaine Commune, ça devient totalement enthousiasmant. Ce n’est plus du tout effrayant, c’est au contraire réconfortant. Je pense que notre travail, c’est de transformer l’effroi en réconfort. Et je pense que c’est tout à fait possible. Mais ça, ça suppose de pe/anser avec un e et un a. Et ça suppose aussi de relire Nietzsche notamment, et notamment dans tout ce qu’il souffre, puisque Nietzsche souffre. Vous savez bien qu’il souffrait tellement qu’il en est mort fou. Voilà, il souffrait à tel point qu’il est devenu fou. Il faut analyser tout ce que dit Nietzsche sur ces questions et qui vont conduire à ce que Heidegger appellera le Gestell, la mise en place du Gestell, à travers lequel s’imposera - et là, je cite Barbara, résumant les fragments de Nietzsche sur ces questions - un devenir fluent de toutes les réalités qui perdent toute forme de stabilité et de permanence. Il décrit la disruption. Avec une précision de sismographe, Nietzsche décrit comment les anciens modes de constitution de l’éternité sont en voie d 'être détruits par l’accélération des événements qui rendent pour la première fois manifeste la réalité du flux absolu. Alors ça, c’est la thèse fondamentale de Barbara, c’est que Nietzsche est le penseur du flux. Avant tout, que c’est ça l’enjeu de Dionysos. et que dans le flux, il y a des stases et que la question, c’est comment on articule le flux avec les stases, c’est-à-dire les localités, c’est-à-dire les micro-concrétions qui font que des endroits sont vivables et qui doivent intérioriser le flux, mais d’une certaine manière dont on va voir que Nietzsche nous invite à faire de l’organologie. C’est pour ça que je vous proposais ce texte de Barbara. Avant de vous le dire de manière précise, je cite un fragment de Nietzsche de 1982 -83. Il n’est pas daté de manière très précise.

Je prévois quelque chose de terrible. Le chaos est proche, est tout proche. Tout est proche.

Voilà ce que dit Nietzsche en 1983, c’est-à-dire 4 ans ou 5 ans avant de devenir fou. Pour ne pas être décomposé, désintégré et emporté « transdividuellement », je reprends cette expression que je dois à Guattari, transdividuellement et non pas transindividuellement, comme résidu amorphe par le flux, pour ne pas être emporté par le flux, Nietzsche nous dit que les âmes doivent préserver leur métastabilité ce que j’appelle moi la spirale métastable. Ce que Nietzsche appelle ici une âme, il reprend un vieux terme, c’est ce que nous appelons ici l’individuation psychique. Et cette individuation psychique, c’est une spirale métastable. Comment faire pour qu’elle ne soit pas totalement déformée et emportée par le flux, comme un tourbillon parfois disparaît dans un fleuve qui entre en crue, en furie et qui emporte toutes les formes métastables qui le constituaient jusqu'alors au bord de ses rives. C’est ça la question que pose Nietzsche. Et là je lis une paraphrase que fait Barbara de fragments de Nietzsche : « Le télégraphe et la presse obligent les âmes à rester elles-mêmes tout en se métamorphosant beaucoup plus profondément et beaucoup plus vite, forcées d’incorporer en elles une masse de plus en plus grande du flux du devenir et de ses contradictions ». Ce qui est dit ici des âmes psychiques, c’est-à-dire des individus psychiques, c’est aussi vrai des pays, c’est aussi vrai des communautés, c’est aussi vrai des communautés de savoir, par exemple, etc. C’est face au devenir fluent de toutes les réalités, que Nietzsche conçoit l’éternel retour. Le flux, c’est ce que produisent les lignes télégraphiques et le martèlement qu’elles transportent et que donc l’époque ne comprend pas, nous dit Nietzsche. « Nous entendons bien le martèlement du télégraphe, mais nous ne le comprenons pas ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire exactement la même chose que ce que disait Lotka. Nous avons développé un procédé d’exosomatisation, mais nous ne comprenons pas comment il fonctionne, pourquoi il fonctionne. Nous le développons sans le savoir. Pourquoi on le fait ? Il y a un retard fondamental qui s’instaure à l’époque de Nietzsche et c’est à partir de là qu’il tente de penser l’éternel retour. Barbara écrit la pensée de l’éternel retour essaye très précisément de répondre à cette épreuve, à ce martèlement du télégraphe, que tout le monde entend bien, mais que personne ne comprend encore. Le retard donc, c’est ce que Lotka essaye de penser fonctionnellement, mais aussi, je dirais, dysfonctionnellement, puisque ce qui fonctionne le mieux dans un système, c’est son dysfonctionnement, c’est-à-dire ce qui prépare les bifurcations, mais qui toujours expose le système à se détruire, parce que s’il dysfonctionne, il peut disparaître. Je crois que je vais m’arrêter là, parce que si je continue plus loin, ça va être trop long.

Donc on va prendre un petit peu de temps pour discuter. Et à la prochaine séance, je vous dirai les choses que je n’ai pas pu dire jusqu’à maintenant. Principalement quand même, je vous résume le dernier point, qui est évidemment, pour moi en tout cas, le plus intéressant, à savoir que Nietzsche pose, et c’est ce que montre Barbara très, très précisément, que l’intériorisation du flux tel qu’il se produit n’est pas possible, que le flux détruit beaucoup trop la métastabilité des âmes ou des localités et il dit qu’il va falloir inventer des organes pour localiser le flux, pour le territorialiser autrement. Et évidemment, c’est extrêmement important pour moi parce qu’ici, Nietzsche en appelle à l’organologie. Alors, l’année dernière, dans le séminaire, j’avais déjà montré ça, que Nietzsche essayait de penser les organes. Mais à l’époque, l’année dernière, c’était les organes endosomatiques. Là, c’est une organologie exosomatique. Et évidemment, c’est là où Nietzsche est extrêmement proche de l’économie, puisque Nietzsche a aussi beaucoup parlé de l’argent, de la finance, du capitalisme, etc. Et d’ailleurs, là aussi, c’est Barbara - excusez -moi, je ne suis pas venu pour faire du népotisme et la promotion de ma fille, mais il se trouve que c’est la seule personne que je connaisse qui a travaillé sur ces questions - c’est Barbara qui a montré que Nietzsche est un penseur du capitalisme, bien plus qu’on ne l’a jamais dit en France, en tout cas. Voilà, je m’arrête ici et je reprendrai cette question de l’organologie nietzschéenne dans 15 jours.

01 :31 :08

. Pardon? Oui, le mettre en... Ah oui, oui, sur l’écran, absolument. Merci. Pardon? Ah oui. Oui, oui, oui. Vas -y Anaïs. Parlez -vous. Allez -y. Oui, je trouve que c’est le concept de sort d 'organisme très intéressant. Ça m 'intéresserait de voir à quel point finalement la sorte de déchiruration de la misère symbolique a permis le terrain de ce soft capitalisant, c’est-à-dire qu’il y a quand même une mise en place avant ce smart capitalisant qui faisait la référence dans une période très spécifique à ce moment -là. dans lequel on vit. Enfin moi, si je parle de sauf totalitarisme, et j’aimerais bien que j 'en parle plus parce que je le comprends pas de mieux. Moi, l’effroi que je vis parfois ici, dans cette Géorgie du Sud, au nord de l’autorité, c’est vraiment cette question de la misère symbolique qui dépasse complètement la théorie technoculture. pour nous soutenir dans ce moment-ci. Merci. C’est tellement systémique, c’est vraiment effrayant. Et la question de l’effroi me parle beaucoup. Il y a quelque chose que j’ai écrit pour l’introduction de Neotechnics, parce que le livre va sortir bientôt. avec des contributions de Mario, de Sarah, et quelques autres productifs. Et donc tu parlais de défasage. Et donc sinon, il en parle en plusieurs termes, le défasage, la nécessité de l’individu de se défaser par rapport à lui-même. Mais il y a aussi le défasage culturel. cette prise de vitesse qui impose l’avancement technique sur une culture qui est toujours un peu de souffle par rapport à ça. Donc c’est intéressant parce que là on a encore eu deux niveaux d 'échelle dans cette question du défatage. qui sont intrinsèques, mais aussi qui sont nécessaires, c’est-à-dire que l’on a besoin de l’état d 'âge. Et ça me fait penser à ce rapport d 'échelle entre des scènes, si ce ne serait pas justement ce rapport entre l’anneau technique et le sous -anneau technique, ce rapport que l’on essaie de penser. avec Luc notamment, mais c’est justement l’attribution d’une rose au cosmos et pas forcément uniquement de l’individu spécifique ou collectif, ça s’inscrit là -dedans également. mais bon voilà, je vais te débrouiller mon temps. Merci beaucoup, merci beaucoup Agnéis, tu as beaucoup de choses à dire. Alors bien entendu, je suis plus que d’accord, j’ai archi d’accord avec ce que tu dis sur le fait que le soft totalitarism a des conditions de possibilité qui commencent bien avant le smart capitalisme. et qui commence avec la misère symbolique, c’est-à-dire en gros des industries culturelles, tel que Adorno les décrit en 1944, mais en réalité avec ce que Nietzsche décrit déjà en 1872, puisqu’il parle déjà de ça, Nietzsche. Là, je vous recommande vraiment de lire l’article de Barbara, j’ai évidemment cité que quelques phrases, mais il faut vraiment le lire en entier, il est extrêmement intéressant, et en particulier, elle montre, Barbara, que le conflit entre Nietzsche et Wagner, il vient de là. Vous savez que Wagner c’est d’abord un aspirateur de Nietzsche. Nietzsche c’est d’abord un admirateur de Wagner, qui voit le génie du siècle, à travers lequel à la fois la question de la place de l’art, conduisant à ce qu’il appellera le philosophe artiste, l’art total, l’oeuvre de l’art total, etc. C’est pour Nietzsche, qui est un musicien à l’époque, Nietzsche jouait de la musique, composait, etc. comme Rousseau un peu. C’est un éblouissement absolu d’abord, et ensuite c’est une haine absolue. puisque ensuite Wagner va lui apparaître comme étant exactement le contraire de tout ce qu’il croyait. Et de quoi est-ce qu’il va accuser Wagner ? De faire de la musique de flux, ce qu’on appellerait nous de la musique d’aéroport, c’est-à-dire de la musique au kilomètre, voilà, c’est plus subtil que ça quand même. Mais c’est quelque chose de ce type -là, c’est-à-dire qu’il dit que Wagner flatte ce qu’il y a de vulgaire fondamentalement dans cette culture qui se développe, qui est la culture du flux. Très complexe puisque Nietzsche dit qu’il faut penser le flux, accepter le flux. Mais en même temps il n’arrête pas de dénoncer la réalité de ce flux. Donc ce que tu disais est tout à fait vrai et Nietzsche lui-même le dit déjà. Les conditions du soft totalitarism se mettent en place extrêmement tôt en réalité. Mais en même temps, ce que j’appelle moi le soft totalitarianism, ce n’est pas simplement les effets des industries culturelles, ce n’est pas simplement la dénoétisation de masse qui commence en effet au XIXe siècle en réalité, et que d’ailleurs Flaubert commence déjà à décrire aussi, Rameau également, Mouzine ensuite en Autriche, etc. Je suis en train d 'écrire un texte sur Mouzine en ce moment là -dessus. Ce dont il parle, qui est aussi ce qui relève de la prolétarisation, de façon générale, la prolétarisation ça conduit aussi à ça. Et c’était le deuxième point important que je voulais présenter, mais que je présenterai dans deux semaines, c’est que Nietzsche pense l’organologie, je crois, de manière extrêmement programmatique, enfin je veux dire, donne quelques indications vers ça, j 'espère qu’il nous en convaincre, mais il pense aussi la prolétarisation. Et alors ça je vais vous citer tout de suite un, si je le retrouve, un extrait, un fragment de Nietzsche de 1887, alors ça c’est vraiment juste avant la fin, il écrit ceci, l’homme désapprend à agir, il ne fait plus que réagir à des excitations du dehors. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? L’homme désapprend à agir, ça veut dire la prolétarisation. Nietzsche décrit la prolétarisation et il va beaucoup plus loin que Marx puisqu’il ne le décrit pas simplement chez les ouvriers ou même chez les savants puisque c’est ce qu’il disait en 1872 dans le texte sur les établissements d’enseignement mais il le décrit chez Wagner, il le décrit partout, absolument partout. Donc Nietzsche est un penseur de la prolétarisation. Et transvaluer Nietzsche, transvaluer la transformation de Nietzsche, ça veut dire rapporter toutes ces dimensions chez Nietzsche que Nietzsche lui-même n’a pas donné à voir finalement, parce que c’est dans les fragments qu’on trouve tout ça. C’est pas dans les œuvres centrales, à part le truc sur le télégraphe qui est humain trop humain. Maintenant, ce que j’appelle moi le soft totalitarism, j 'introduis cette expression quand même, ça fait longtemps que j’ai ça en tête, mais que j’ai mis très longtemps à énoncer pour une raison très très précise, c’est qu’on parle pas de totalitarisme comme ça. Il faut faire attention quand on emploie des mots comme ça. Il faut vraiment être très, très, très assuré d 'être légitime dans l’emploi d’un mot pareil. Totalitarisme, pour le moment, ça s’appelle Staline et Hitler. Et il faut faire très attention à ne pas... C’est comme dans la question quand il y a des massacres, quand on a rapporté tout ça à la Shoah tout de suite, etc. Il faut quand même être extrêmement prudent. Pourquoi est-ce que tout à coup j 'en viens, moi, à parler de soft totalitarism ? D’abord parce que je pense que c’est vraiment l’actualité du moment. C’est aujourd’hui le vrai enjeu. Et que je définis le totalitarisme pas dans le sens de Hannah Arendt, ça ne veut pas dire que je récuse la définition d’hannah Arendt, par ailleurs, je ne les rejette absolument pas. Mais par contre, ce que je soutiens, c’est qu’il y a quelque chose qu 'Arendt aime beaucoup. pas du tout théoriser, parce que ça n’existait pas, tout simplement. C’est la totalisation computationnelle. Alors, un des penseurs du totalitarisme que je pense important en Union soviétique, c’est Zinoviev, sur lequel Lyotard s’est appuyé pour faire la critique du salinisme, qui lui, déjà, parlait un petit peu de totalisation. Pourquoi est-ce qu’il parlait de totalisation ? C’est parce qu’il parlait de possibilités de rapporter des individus à des unités. comme on traite un kilo de pommes, c’est pas un kilo de poivre, voilà. Vous voyez ce que je veux dire, c’est-à-dire de rendre comparable et de désingulariser absolument les êtres. Et il disait, c’est ça le totalitarisme, et notamment le totalitarisme stalinien. C’est ça qui se passe dans le goulag, etc. Et pas simplement dans le goulag, mais dans ce qui conduit au goulag. Et je pense qu 'aujourd’hui la question doit être posée sur un autre registre qui passe d’ailleurs par Antoinette Rouvroy et la gouvernementalité algorithmique. Il y a aujourd’hui des processus de totalisation qui consistent à quoi faire ? J 'en ai déjà parlé d’ailleurs dans le séminaire, à remplacer des juges aux Etats -Unis par des algorithmes et à faire qu’un jugement va être porté par calcul et sommation et analyse de moyenne comportementale qui vont faire qu’on va dire, ben voilà, vous avez 9 mois de taule. L’algorithme qui vous a collé 9 mois de taule ou 10 ans de taule ou la chaise électrique. Et aujourd’hui, je l’ai déjà dit mais je l’ai redit parce que c’est extrêmement grave, Aujourd’hui un juge aux Etats -Unis, enfin dans certains états, c’est pas dans tous les états, qui refuse d’utiliser un algorithme doit justifier la faillibilité de l’algorithme. C’est-à-dire qu’il doit donner des explications pour lesquelles il n 'utilise pas un algorithme. Ce qui est incroyable, c’est le déni absolu de la justice. Ça c’est le sort totalitaire, en acte, et qui est déjà en application. C’est pas un truc à venir, c’est ce qui existe aujourd’hui. Et ça il faut le critiquer. Et pour ça il va falloir passer des grands compromis historiques avec tous les vrais démocrates, humanistes, tout ça, y compris les gens avec lesquels on ne s’entend pas du tout sur le mot humanisme. Pourquoi ? Parce qu’il faut mobiliser ces gens-là contre cette Chose effroyable au sens où Nietzsche en parle, mais d’une manière, c’est vraiment effroyable, quoi. C’est pas simplement l’effroi que, quand j 'y réfléchis, si j 'y réfléchis bien, c’est effroyable. Non, ça, c’est en soi effroyable. Ça se présente comme effroyable, spontanément, immédiatement. Après, pour ta dernière question, sur le déphasage. Évidemment que, moi, je m’appuie sur Simonot à fond pour penser le désajustement, le déphasage, comme une nécessité, bien entendu. Ce que j’appelle le défaut qu’il faut. C’est tout ce qui, chez Simonon, passe par la nécessité du défasage. Et non seulement ça, mais même de la désindividuation. Chez Simonon, la désindividuation, ça n’est pas que la perte d’individuation. C’est aussi la condition de la nouvelle individuation. Donc pour que je m 'individue, il faut que je me désindividue. Je ne peux pas m 'individuer si je ne me désindividue pas. Et c’est pour ça que j’ai toujours peur de changer. Parce que quand je change, au moment où je change, je me désindividue, c’est-à-dire que je me retrouve à poil. Je me retrouve démuni et je risque de ne pas me relever. Si vraiment je m 'individue, c’est toujours ce risque -là qui fait qu’il faut du courage pour s’individuer. C’est pour ça que des tas de gens, vous ne leur ferez jamais faire de la philosophie, parce que la philosophie, si vous n’acceptez pas des individus, c’est-à-dire de vous mettre nu, à nu, vous ne ferez jamais de philosophie. Et évidemment, vous avez peur de vous retrouver nu. devant tout le monde habillé et ne plus trouver vos habits, ne plus trouver d’habits. Mais ça, c’est vrai dans tous les domaines. Ce midi, j’écoutais un truc sur le théâtre et les spectateurs au théâtre, etc. Qu’est-ce que c’est qu’un bon spectateur au théâtre? C’est ça l’enjeu. Un public qui vraiment aime le théâtre, il est prêt à se déshabiller, à être déshabillé par une pièce de théâtre. Et malheureusement, de moins en moins de gens sont prêts à ça aujourd’hui. Donc, oui, tout à fait. Je revendique ça chez Simondot. Mais comme tu le sais, on en a déjà parlé. Le problème, c’est que Simondot ne voit pas la pharmacologie du déphasage. Pour moi, il y a vraiment un immense problème chez Simondot, c’est que Simondot jamais n’envisage les froids. Les froids dont on parle n’existent pas chez Simondot. Il n’est jamais effrayé, Simon. Et ça, ça me dérange énormément. Ça me dérange tout comme Derrida n 'était jamais effrayable. Et ça me dérange. Ça m’a toujours énormément dérangé chez Derrida. C’est pour ça qu’on s’est engueulé, parfois très, très durement. Il n’avait peur de rien. Il n 'était effrayé par rien, il ne craignait rien. Mais ça veut dire qu’il n 'était pas lucide. Aujourd’hui, il y a quand même de quoi craindre. Donc il ne voyait pas les choses. C’est aussi ça d’ailleurs le sens de l’article de Barbara sur Dionysos et l’éternel retour. Le dernier point, alors d’abord pour expliquer aux personnes qui sont là et qui ne connaissent pas Neurotechnics, Neurotechnics c’est un groupe qui a été constitué il y a 4, 5, 6 ans, je ne sais plus exactement, notamment par Paolo Sarra et Anaïs qui sont présents, Paul Wilmarck aussi et quelques autres, dont Yuki Ui, Peter Lemans, Alexander Wilson, etc. et donc qui développe la thématique du neurotechnique. d’une considération de la noëlse, disons, du point de vue de la neurotechnique. Alors quand tu... et donc You, qui fait partie de ce groupe, et qui vient d 'écrire un livre sur la cosmotechnique. Et donc la question que posait... enfin, la question, disons, l’ouverture que faisait Anaïs, c’était, voilà, qui ça, question de cosmologie, d 'échelle, etc., ça pose au -delà des questions d’individuation psychique et d’individuation collective, au -delà et en deçà d’ailleurs, ça pose la question des rapports entre cosmotechnique et neurotechnique. Mais ça pose même plus généralement la question des rapports entre le cosmos et le nous. Ça veut dire qu’il va bien falloir qu’un jour nous parlions de Teilhard Schabach. Je dis ça parce que Vernadsky, qui était donc un russe noble, qui n’a pas eu à souffrir de la révolution bolchevique parce que c’était un grand savant et puis je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas comment il a fait pour... Bref, il est resté en Russie, tant que noble, il n’a pas quitté l 'Union Soviétique. Mais néanmoins, il voyageait, il est venu à Paris et il a rencontré Teilhard de Chardin. Et il dialoguait énormément avec Teilhard de Chardin. Et je pense, vous le savez certainement, le roi Gouin était aussi un admirateur et un élève de Teilhard de Chardin. Je pense qu’il va falloir que nous visions Teilhard de Chardin. Et je regarde Vincent parce que régulièrement on discute sur Teilhard de Charlin, il est moins chardinien que moi. Mais en tout cas, il va bien falloir que nous le lisions parce que Teilhard de Charlin a posé le problème de ce qu’il appelait la nosphère, c’est-à-dire de la biosphère comme nosphère. Et donc toutes les questions que je pose ici, moi, de fonctionnalité biosphérique, etc. Ce sont des fonctionnalités noétiques, bien évidemment. Quand je dis l’entendement, c’est extériorisé, c’est exosomatisé avec le calcul, c’est une fonctionnalité de la noaise, l’entendement. Donc, il y a là une question d 'épistémologie absolument colossale. Et qui renvoie à des questions de théologie. On ne peut pas découper. Et là, il faut lire. Et là, il va falloir qu’on discute avec David Bates. Parce que David Bates a les épaules pour porter des sujets comme ça, parce qu’il connaît aussi bien Carl Schmitt que Wiener, etc. Et il va falloir que nous nous rapportions ces questions à celles que l’on trouve, disons, en Californie, autour du cognitivisme. Je voudrais faire un commentaire sur le concept des catéchums. Je me souviens très bien de la très bonne présentation d’axel à l’académie et je me souviens qu 'avec Axel, nous avons parlé beaucoup parce que moi aussi, j’avais travaillé sur les concepts de catégorie il y a 4 ans. Mais à travers ce que vous avez dit aujourd’hui, et c’est très très très important, riche, je voudrais justement faire ce commentaire. On est rendu compte qu’une puissance qui ralentit la vie de l’artifice, comme vous avez dit, a été reçue comme un déferlement par l’empire romain et l’eglise, un déferlement de la fin du monde. qui m’a conduit à la globalisation des nouveaux nombres respirataires, comme Kajmi le disait, et finalement nous pouvons les dire à l’anthropocène et à tous les nombres de l’anthropocène. Et j’avais rapproché les catéchumles aux pharmacondes, mais seulement d’une façon un peu indirecte et malheureusement un peu métaphorique. Mais seulement maintenant, grâce à l’idée des exorganismes, je commence à penser d’une façon concrète ces rapprochements entre catéchones et parmacons. Parce que ce que je comprends de votre discours, c’est que les catéchones sont une puissance exorganique. Parce que l’empire romain, c’est exorganique. C’est un exorganisme. Tels comme l’église dans la Terre. Et je voudrais faire une parenthèse à propos du manifeste accélérationniste. Je crois que le manifeste accélérationniste représente une sorte de handicapé, ou anti -Paul, dans le sens non de Paul Willemark, peut -être, je ne sais pas, mais dans le sens de Paul Dax. Un anti -Paul, pourquoi ? Parce que c’est une sorte d’eschatologie mais sans aucune valeur pharmacologique ou organologique et donc sans aucune considération niveau micro -politique, justement. Donc, le désir de ces choses-là, nous avons déjà commenté cet aspect manifeste avec Skriniček. Donc c’est quelque chose qui est plutôt clair. Il n 'y a pas de nouveau micro -politique, il n 'y a pas de nouveau dramatologie pour être dramatique. Je crois, et c’est clair, ce que j’ai commencé à penser, mais peut -être que c’est un bêtise, je crois que les catéchums, c’est basé, en mon temps, sur une affirmation et un réfoulement de son caractère local. Les ralentissements de l’antichrist, c’est un ralentissement local, parce qu’il s’agit de l’europe, il s’agit de la christianité, il s’agit d’un monde. Et c’est pas le monde à part entière, c’est local. Mais ce ralentissement a développé de façon plus ou moins directe une accélération exosomatique, qui a conduit à ce qu’on nomme la matrix universalis, qui a conduit justement l’enfer dans l’amérique, dans les Amériques, c’est-à-dire à la colonisation. Les catacombes en Europe, au niveau local, ont conduit à déchaîner l’enfer en Amérique, en particulier en Afrique, etc. Donc nous ralentissons, nous les européennes, ralentissons la rite de l’antichrist et accélérons l’anthropocène, ou l’enfer, ou la fin du monde, ou les habitats du monde entier. Et donc c’est une accélération. locale et du radicalisme local. Mais il ne s’agit pas de la même échelle, je crois qu’on pourrait utiliser votre vocabulaire. Et cette accélération locale, la colonisation, si nous prenons les penseurs qui s’appellent décoloniales, accomplit à ce qu’ils appellent l’épistémicide. Nous, les Européens, nous sommes responsables de cela. Et j’aimerais passer cette responsabilité dans la façon dont Bruno Lévy, Julie Deleuze, Judith Châtelet l’ont passée. C’est-à-dire pas responsable pour les disséminicides, mais responsable face à les disséminicides, face à ces choses-là. Et alors, la question se posera, peut -on penser cette... cette pensée de la localité comme une pensée de la responsabilité au dédain de la perspective de l’internation. Et cette responsabilité, c’est une sorte de complicité, je crois. Pourquoi votre conception du nihilisme en Europe et dans les États -Unis, le nihilisme aujourd’hui, c’est-à-dire le non -savoir absolu, c’est-à-dire la libération, la destruction du pouvoir, la prolétarisation, J’aimerais qu’il montre une sorte d 'épistémicide -suicide de la ration occidentale, c’est-à-dire la criminalisation comme dysfonction des savoirs, c’est un épistémicide ou un suicide. Et là, je trouve le revanchement des slogans de Bacon, « Knowledge is power ». Comment pensez -vous aujourd’hui ce revanchement de la phrase ? l 'être qu’on fasse à les localités de tout le monde, je dirais. faire circuler votre texte et le texte d’axel sur le Catécom. Je parle là aussi un peu à Tania pour transmettre un message à Axel parce que j 'espère que David Bates viendra cet été. Je ne sais pas si vous -même vous pourrez venir, mais je ne sais pas si Axel pourra venir, on verra. Mais en tout cas, j’aimerais, j 'espère que nous pourrons avoir une discussion sur le Catécom et sur Karl Schmitt. avec vous, avec Axel et avec David Bates. Je dis avec David Bates parce que David Bates est un spécialiste de Carl Schmitt et que je sais qu’il prépare un gros travail dessus, qu’il fait en ce moment même aux Etats -Unis un séminaire ou un colloque sur Carl Schmitt et je crois que nos questions ne peuvent pas éviter Carl Schmitt. Pas seulement à cause du concept de catécom, et je vais y revenir à partir de ce que vous venez de dire, mais aussi parce que Carl Schmitt pose le problème de la globalisation. Justement en décrivant ce que vous venez de dire sur le sujet. américain et africain. Lui ne décrit pas ça comme un enfer, mais il le décrit comme en tout cas un moment historique. Voilà, 1492 pour Karl Schmitt, c’est une transformation fondamentale de l’occident. Et le XXe siècle, c’est-à-dire la conquête de l’espace, la détériorisation, etc., c’est ce qui ouvre quelque chose d’absolument nouveau. Où il n 'y a plus d’autre. Et évidemment, nous sommes C’est tout un aspect que je n’ai pas du tout abordé dans ce séminaire, mais que par contre j 'espère bien aborder bientôt. Nous sommes dans une situation absolument sans précédent de ne pas avoir d’autre. Vous savez très bien, tout le monde s’attendit à ici, qu’on ne peut plus dire je vais ficher le camp de là pour aller ailleurs. Il n 'y a plus d’ailleurs. Bien sûr que Wayaquil c’est un petit peu différent, mais pas tant que ça. La Chine c’est différent aussi, mais pas tant que ça. Et de moins en moins. Et ça le sera de moins en moins. D’ailleurs, vous avez eu Stanford qui dirigeait l 'université de Yatchai. Donc, c’est la globalisation. Alors, c’est très compliqué la question du catéchole. Moi-même, je ne comprends pas très bien cette question. Je connais très peu Carl Schmitt, encore plus mal Paul de Tartre et les évangiles et tout ça. Et même la figure de l’antéchrist et tout ça, je sais ce que ça veut dire, mais je ne le sais pas de l’intérieur de la culture du christianisme. Donc je suis sûr qu’il y a énormément d’aspects qui m 'échappent dans cette affaire. Il faudrait d’ailleurs aussi parler de Nietzsche et de l’antéchrist parce que c’est un sujet absolument fondamental chez Nietzsche. extrêmement complexe et ambigu. Bon, je vais y revenir cela dit dans la prochaine séance. Je comptais en reparler un petit peu de l’antéchrist. Là, je n’ai pas eu le temps aujourd’hui, mais j 'y reviendrai. En tout cas, oui, le katechon, c’est un exorganisme. Le katechon, qui est un processus, voilà, ce que j 'en comprends, moi, c’est un processus de différence, avec un A, diffère l’échéance de la fin du monde, disons. tout en empêchant, je ne sais plus qui remarquait ça, le processus de la réélation, parce que pour que la réélation se produise, il faut l’antéchrist, donc tant qu’il n 'y a pas eu l’antéchrist, finalement, est-ce qu’on peut apprendre quelque chose de vraiment important ? Vaste sujet, sur lequel Nietzsche, justement, propose des choses tout à fait nouvelles, et je pense qu’il faut transvaluer la transvaluation de Nietzsche par rapport à la question de l’antéchrist, dont je vous dirai la semaine prochaine, dans deux semaines, que non, Donald Trump n’est pas l’antéchrist. Nous ne pouvons pas voir Donald Trump comme l’antéchrist. Mais la question c’est bien la localité. Alors qu’est-ce que produit, et je suis absolument d’accord avec ce que vous avez dit sur les accélérationnistes, c’est-à-dire que les accélérationnistes ne voient pas cette dimension. Et c’est pour ça que leur proposition qu 'au début je trouvais extrêmement sympathique, aujourd’hui je la trouve franchement antipathique, c’est-à-dire très très problématique et d’une extrême niaiserie en fait, même pas naïveté mais niaiserie, c’est niais comme propos. Parce que On a l’impression qu’ils n’ont absolument rien appris de tout ce qui effraye tout le monde. On a l’impression que tout le monde est effrayé sous feu. Je dis ça après avoir invité trois fois de suite Nick Czernicek, qui j’ai discuté avec lui, j’ai... des mails, j’ai envoyé un texte, j’ai commenté son manifeste dans un de mes livres, etc. Gerald Moore lui a expliqué tout ça, on l’a vraiment soigné. Il ne comprend rien, absolument rien, à tel point que je lui ai dit c’est une machine ce mec, c’est pas un homme, c’est une espèce de, voilà, c’est une machine de la London School of Economics. Et je ne comprends pas, personnellement je comprends pas. Il m 'énerve vraiment mal. En tout cas, la question, quand je dis qu’il faudrait relire Karl Schmitt, ou lire Karl Schmitt, et en particulier le Nomos de la Terre, mais aussi, bien entendu, théologie politique, je ne sais plus comment ça s’appelle, la théorie du partisan, etc. parce que ce sont des textes extrêmement importants sur la guerre, l’ami, l’ennemi, la filiale, etc. et qu’on ne peut pas ignorer. Il va falloir, même s’ils sont extrêmement dérangeants ces textes, mais Je pense qu’il va falloir les lire à contre -courant de Karl Schmitt, mais en collant à Karl Schmitt. C’est ce que montre Peter Zedlitz, il a des capacités d’anticiper des choses incroyables. Il a 50 ans d’avance sur son temps. Le Nomos de la Terre, c’est 1950. Et il voit des choses, il nous donne des éléments pour penser une autre époque du XXIe siècle. Il voit le XXIe siècle d’une certaine manière. Il le voit mal, mais il le voit quand même. Il voit peut -être pas aussi bien que Nietzsche, voit le XXe siècle mais il le voit quand même. Alors oui la question c’est le non savoir absolu et c’est donc effectivement de réintroduire du pharmacode quoi ? Dans le catéchum. Sachant que c’est très compliqué parce que pour moi, les christianistes, les paul -de -tartes en particulier, ce sont ceux qui évacuent le pharmacone, qui empêchent de penser le pharmacone. Pour moi, ce qui fait que le christianisme est le christianisme, c’est qu’il empêche de penser le tragique. Et le pharmacone, c’est le tragique. Autrement dit, c’est l’entropie. Et l’entropie étant la version XXIe siècle, du tragique au sens d’un aximendre au sixième siècle. Et alors je dis quand je dis ça, je redis une chose que j’ai dit l’autre fois. Faut faire attention à ne pas dire ce que je viens de dire là. C’est trop vite dit. Et bien entendu, c’est schématique. Donc, je retire d’une certaine manière tout de suite ce que je viens de dire. Mais quoi qu’il en soit, il faut, je crois, essayer de porter la responsabilité des épistémicides, comme vous les appeliez tout à l’heure. Par exemple, par rapport à l’amérique latine, à l’amérique du Nord aussi d’ailleurs, par rapport à l’afrique, mais aussi, pas seulement ça, mais aussi par rapport à toute l’histoire dans laquelle on a commis d’immenses oublis, d’immenses refoulements, etc. Il faut réinterpréter l’histoire, l’histoire en totalité. Il faut faire du non -hégélianisme, c’est-à-dire qu’il faut reprendre la question du savoir absolu comme non -savoir absolu et réinterpréter toute cette histoire de la phénologie du non -savoir absolu. en relisant Hegel, en pharmacologisant Hegel, Hegel que d’ailleurs Schmitt lit parce qu’il le cite avec une vraie admiration. Et comment faire ça ? d’un point de vue responsable, comme vous le disiez en citant Deleuze et Gilles Châtelet, eh bien moi je pense en faisant de l’économie politique de la contribution, c’est-à-dire en instruisant la question de la localité dans cette globalité, dans cette sphéricité de la biosphère. Et c’est là d’ailleurs que j 'espère qu’on reprendra une discussion avec Peter Lemons autour de Sloterdijk. Parce que je pense que c’est ça que Sloterdijk n’arrive pas à penser. Sloterdijk ne voit pas l’entropie, il n’en parle, mais il n’est pas effrayé. Et je pense qu 'aujourd’hui, les éléments sont là, en mobilisant Simonon, comme le disait Anaïs tout à l’heure, Deleuze, Foucault, Derrida, mais aussi toute l’histoire de la philosophie et des sciences. Les éléments sont là pour une réarticulation. Alors de quoi ? Est-ce qu’il s’agirait, par exemple, de reprendre le concept de catécom ? Par exemple, pour penser l’internation. Et ça, je pense que c’est une question qui est à l’horizon des réflexions de David Bates. Je ne sais pas s’il serait d’accord avec ce que je viens de dire. Je n’en suis pas sûr du tout. Mais, en tout cas, la question se pose. Voilà. Pour ma part, je ne crois pas, en fait, que ce soit possible de mobiliser le concept de katechon pour penser l’internation, pour la raison que je viens de dire, c’est-à-dire que c’est un pharmacone, mais il ne se vit pas lui-même comme un pharmacone, le katechon. Et il y a l’empire Romain. Tout à fait, tout à fait. Je dis parce qu’ils n’ont pas du tout entendre, Vincent Puig dit et par ailleurs il y a l’empire romain, le catéchum c’est aussi l’empire romain, etc. Bon, à l’époque du pôle, le pôle de Tars, donc c’est très compliqué. Vincent disait aussi, c’est à dire le capitalisme. Ça c’est à quelqu’un que tu n’es pas trop, c’est le très bon livre sur Saint -Paul de Badioué. Oui, mais il se trompe, c’est pas le capitalisme, l’empire hommage. Il ne faut pas dire n 'importe quoi, enfin bon. Je te dis mes sens. Pour être honnête. Je vais le lire, je vais le lire. Mais dire que l’empire hommage est capitaliste, moi je... Dis la source. Oui, Paul. Oui, par rapport à ce que vous avez dit de la puissance, j’aurais aimé voir ce que... comment vous... et garder la distinction entre puissance et possibilité, comme on peut distinguer entre l’entendement et la raison. Chez Kant, est-ce qu’il n 'y a pas besoin de garder une distinction entre puissance et possibilité ? Je ne sais pas. Si tout devient puissance, ou si on doit tout penser en termes de puissance, est-ce qu’on ne risque pas de retomber dans l’entendement malgré tout ? et c’est une modalité de l 'être. Ce n’est pas dans ce sens-là que j’ai parlé de la dynamisme. En fait, ce dont j 'essayais de parler, c’est de la volonté de puissance. Autrement dit, en soulignant qu’il y a commun à Nietzsche et à Lotka une définition de la vie comme ce qui peut, ce qu’il y a le pouvoir de quoi faire, et bien de changer le monde, même la vie en tant que telle, puisque c’est comme ça que Gernatsky décrit le vivant. Je sais pas si tu étais là, Paul, quand on a... J’avais parlé un peu de Vernadsky au début de ce séminaire, mais Vernadsky, ce qui est extrêmement original chez lui, c’est qu’il dit qu’il faut regarder le vivant non pas comme des espèces qui battent, etc. C’est très bien, c’est ce que fait Darwin, et tant mieux, il faut le faire, bien sûr, mais moi, c’est pas comme ça que je le regarde, je le regarde comme un processus chimique. Comment, à partir de certains atomes, je produis d’autres types de nouvelles molécules, etc., qui n’existaient pas avant. Et donc, c’est un processus de transformation de la matière, c’est une réaction chimique qu’on appelle la biochimie, en fait. C’est comme ça que Bernadette qui regarde la biosphère, il dit c’est avant tout une espèce d’usine scientifique. C’est moi qui dis usine mais je pense qu’il décrit ça quasiment avec ces mots là. Et Lodka, enfin il ne peut pas reprendre ça parce qu’il écrit en 1922 alors que Vernadsky écrit en 1925 donc Lodka anticipe Vernadsky en fait. En 1922 Lodka dit le vivant c’est avant tout ce qui veut conquérir tout l’espace. C’est à dire qui est voué vouer, vocation, volonté, volition, c’est compliqué ces mots-là, mais vouer à envahir l’ensemble de l’atmosphère. Il dit tous les mètres carrés de l’atmosphère seront envahis par le vivant, sont envahis par le vivant. Ensuite, alors ça c’est 1922, donc ça c’est quand il étudie, un peu comme Vernadsky et comme mathématicien, il fait de la quantification, il étudie, voilà comment se font des, on ne peut pas dire à l’époque, on ne connaît pas l’aDN, mais il ne va pas dire des réplications. Mais voilà, par contre, il parle de gène déjà. Il est arrivé après Weissman, donc il sait ce que c’est que le germaine et ce qu’on a fait à l’époque, les cellules germinales, etc. Ce que je crois, c’est que Lodka parle de la volonté de puissance de Nietzsche et que, simplement, il apporte à la volonté de puissance de Nietzsche une dimension qu’on ne trouve pas chez Nietzsche, ce qui, à mon avis, est beaucoup plus puissante chez Lodka, beaucoup plus convaincante. Parce que chez Nietzsche, elle est quand même très embarrassante, les volontés de puissance. Moi, elle me gêne en permanence. Et elle est la base de tout ce que Heidegger a dit contre la volonté chéniste qui fait résurgence du projet cartésien de la volonté chéniste. de conquérir la nature. Ce qui est archi faux, je pense que là -dessus, c’est très rare que Heidegger se trompe dans les lectures, vu là -dessus, il se gourre complètement. Il ne comprend pas ce qui est en jeu chez Nietzsche. Mais par contre, il rejette cette volonté de puissance parce qu’elle a quelque chose d’extrêmement problématique en effet. Mais l’autre cas, lui, il donne une dimension beaucoup plus beaucoup plus convaincante avec l’exosomatisation. Alors, qu’est-ce que je voulais dire en référant à ça ? Je voulais dire que l’autre cas constate que l’exosomatisation, quand elle s’accélère, et Nietzsche parle aussi de l’accélération de l’exosomatisation, produit un retard de savoir, c’est-à-dire une impuissance. Parce qu’il dit, nous devenons impuissants, il parle pas de contrôler, enfin disons, voilà, ça nous pète à la gueule, quoi. C’est la guerre, c’est Hiroshima, c’est les camps d’extermination, c’est... voilà, voilà ce que ça donne. Et il dit, parce que nous n’avons pas de savoir. Ce qui est vachement important, je ne le fais pas, je ne pourrais pas le faire là, mais je le fais dans un bouquin que je suis en train de faire là -dessus, c’est de comparer ça avec Valéry. Paul Valéry qui dit non, c’est le savoir qui est à l’origine de tout ça. Le savoir qui est un pharmacone, on n’a pas vu que c’était un pharmacone, etc. Bon, et ça, ça permettrait de revenir vers le non -savoir absolu, Hegel et tout ça. En tout cas, moi je ne dis pas que tout est puissance. Je dis que le savoir est puissance. Et qu’il faut penser le savoir depuis la question de l’exosomatisation. Et pas depuis la question de l 'être. Et alors là, maintenant, je vais répondre à ta question. Le possible, qui n’est pas puissance, la dynamie, ça ne se réduit pas au possible. Il n 'y a pas de possible sans dynamisme et la dynamisme n’est pas réductible au possible. La puissance du savoir dans les analyses que je proposais ici en m’appuyant sur votre carte n’est pas possible en dehors de l’écosomatisation. Autrement dit, la puissance du savoir c’est ce qui permet l’écosomatisation d’une part, C’est ce qui rend possible ce que j’appelle dans la disruption l’onaérologie des rêves réalisables. C’est ce que j’appelle à Noès le rêve réalisable. Donc Léonard de Vinci qui rêve d’un avion et qui le dessine et Clément Allaire qui le fabrique. Ça c’est une forme de la puissance qui évidemment va vers la question du possible cette fois -ci, dans ce sens-là. Et là je vais essayer de montrer dans le temps du cinéma que ce qui se passe en fait avec l’apparition des exorganismes industriels et au moment où le savoir devient une fonction de production et que le rôle du savoir ça n’est plus de dire ce qui est mais c’est de développer des possibilités qui renversent ce qui est. C’est d’inverser et c’est de casser l’ontologie en fait. Et c’est dans ce sens là d’ailleurs que Dianilla pouvait dire qu’il y avait une déconstruction objective qui se produisait à travers la technique et qui précédait la déconstruction que lui-même essayait de pratiquer. Là on n’est pas sur l’origine de la question de la possibilité comme catégorie de l 'être, même si évidemment on ne veut pas séparer les deux. Donc je suis bien d’accord avec toi qu’il y a une question, mais je ne suis pas en train de dire que tout est puissance. D’abord, je ne dis pas que tout est puissance, pour commencer, et deuxièmement, quand je dis puissance, de toute façon, je ne dis pas simplement possibilité. Ce n’est pas la même chose pour moi. La puissance, c’est le savoir. en tant qu’il constitue un nouveau régime de ce qui n’est pas simplement de vivant mais le vivant produisant du non vivant et dépassant ce qu’on appellerait dans un langage que j 'utilise quasiment jamais mais la nature, dépassant la biologie si on reprend par exemple les termes de Nicolas Georges Skourogane. Et là dedans, alors là oui se posent ensuite des questions de comment on articule les la puissance ainsi conçue avec, par exemple, la catégorie du possible, l 'être, etc. Mais ce n’est pas la même chose pour moi. Je ne sais pas si j’ai répondu à ta question. que la raison peut aller plus vite que n 'importe quelle computation, que ça relève du possible qui est impossible pour l’entendement justement. D’accord, d’accord, d’accord. Donc autrement dit, tu rapportais cette question des rapports à l’entendement et à la raison. Effectivement, j’avais consacré ça. Et en fait, parce que je suis en train de relire des parties de Zeitgeist, je réalisais justement des paragraphes sur la Seine -Sauve -Sauve qui évidemment parlent de la localisation, de l 'être là, comme la possibilité de l’impossibilité justement. Je suis en train d’essayer de revisiter tout ça en confrontant Heidegger à l’anthropie et à la néganthropie, vraiment de manière très, très, très directe. Et je crois moi vraiment qu’il est possible d’agencer les questions de l’analytique existentielle de l 'être étant dans un point de vue que j’appelle négantropologique. Je pense que c’est tout à fait possible jusqu’à un certain point. Il y a un point où ce n’est pas possible. Mais ce que tu viens de citer, oui, c’est en plein dedans. Tania veut dire quelque chose, je crois, là -dessus. Vas -y, Tania. Non, par contre, je ne voulais pas interrompre. J’ai une petite question, et après mon commentaire, ma question, c’est quel est le statut de la totalisation computationnelle ? Parce qu’est-ce qu’il n’est pas aussi théologique, de quelque sorte ? Et alors, il s’agirait d’une autre sorte de théologie ? ou est-ce qu’il est ontologique, ou est-ce qu’il est seulement francophone, quelle est ses statuts, parce que j 'essaie de penser à cette localisation toujours en termes de la croix symbolique de Kant. Et après, mon commentaire, c’était mis sous sa terre sur la cosmopolitique. Je crois que quand Amben, cette pharmacombe de la dinamie, justement, c’est son mécanisme d 'éviter une totalisation, une mauvaise totalisation. Je ne sais pas si l’idée va être computationnelle, mais des entendements, je ne sais pas. Parce que j’ai écouté cinq minutes d’une telle talk qui était vraiment formidable. Elle parlait d’une idée de globalisation absolue, d’une globalisation du marché que porterait une croissance illimitée. Alors il s’agit aussi de cette idée d’une sorte incalculable, incalculable, d’une autre sorte, dans cette idée de la possibilité d’une croissance illimitée, qui n’a pas une idée de limite, et là, le limite, ça va le limite de la Terre, le limite matériel. Oui, alors, la question c’est que, dans les deux cas, il y a une télélogie, l 'unité ne pourrait qu 'être théologique et dans les deux cas il y a quelque chose d’illimité ou d’incalculable. Merci Tania. Sur la totalisation computationnelle et la théologie, je ne sais pas très bien quoi répondre, sauf pour dire une chose mais qui est un petit peu une banalité ou même une platitude, c’est que évidemment ces computationalistes que sont les transhumanistes tiennent un discours, je ne l’appellerai pas théologique, mais ils vulgarisent les fantasmes théologiques, avec cette espèce de... d’abominable concept d’immortalité. Parce que ça, c’est vraiment abominable. Juste pour préciser un petit peu sur l’immortalité, ma position, pas ma position, j’ai pas de position sur l’immortalité, c’est ridicule de dire ça, mais disons la manière dont je mobilise cette question de l’immortalité. Premièrement, je considère que si Platon est une catastrophe, c’est parce qu’il pose l’immortalité de l’âme. Et qu’il va poser en fondement de la métaphysique, pas au début, mais à partir de Sedre, et surtout de la République, il va poser comme une opposition absolue l’âme immortelle et le corps mortel. Ça c’est la base d’absolument toutes les oppositions que produit Platon. De ce point de vue là, il prépare le monothéisme. Mais il prépare un monothéisme déjà vulgaire. Parce que je crois qu’il y a un monothéisme, y compris chrétien, et qui s’appuie sur l’apocalypse de Saint -Jean, qui ne pose pas une immortalité comme ça. C’est pas une immortalité qui s’oppose au corps. Et c’est pas... Je crois, moi, que ce qu’on appelle le christianisme primitif, l’immortalité, c’est pas l’âme est immortelle, vous irez au paradis si vous êtes gentil, vous irez en enfer si vous êtes méchant. Ça, ce sont des catégories qui sont tardives et dégénérées pour moi, dégénérescentes du christianisme. Je ne pense pas que le christianisme, dans son point de départ, y compris chez Saint -Jean, pose des questions comme ça. Je pense que comme Socrate, il cherche, mais autre, comme mais différemment, il cherche à formuler des questions qui relèvent de ce que Derrida appelle la survie, sans en avoir les concepts. C’est ma lecture généreuse du christianisme. C’est comme ça, quand je suis généreux avec le christianisme, c’est comme ça que je le lis. Quand je ne suis pas généreux, je ne le lis pas comme ça. Après, il y a donc un christianisme vulgaire, malheureusement ultra -dominant, Parce qu 'aujourd’hui, c’est difficile de trouver un christianisme non vulgaire. Mais j’aime bien penser de temps en temps que François, le pape, est un chrétien non vulgaire. Mais là, je me dis que je pense que Paolo doit se marrer dans son coin, Sarah aussi, parce qu’ils sont italiens, donc ils ont un rapport bien particulier au pape. Il va se foutre de moi. Mais bon, il va se dire, laissons le rêver ce pauvre français, il ne connaît pas le Vatican. Mais bon, en tout cas, il y a du christianisme vulgaire et je pense que dans la totalisation computationnelle il y a un christianisme hyper vulgaire qui peut apparaître hyper vulgaire que pas un christianisme mais un christianisme d’un succès d’année. D’ailleurs le machin que je vous ai présenté tout à l’heure où je présentais Ray Kurzweil qui reprenait un des mots de l’anthropologie philosophique de Kant, c’est-à-dire raison d’espérer, ça vient de l’épiscopat de Paris. Et évidemment, les chrétiens sont très mobilisés contre les transhumanistes, mais en même temps, ils sont très mobilisés contre, mais il y en a quelques -uns qui sont quand même troublés, et les Théiardiens. Mais oui, mais ce sont des Théiardiens qui n’ont pas bien eu Théiard. Alors, Donc je ne sais pas bien te répondre parce que c’est une question très très difficile et qui m 'échappe véritablement, voilà. En fait j’avais l’intention l’année dernière de poser cette question, j’avais invité Jean -Luc Marion pour parler de ça, mais ce n 'était pas possible parce que Marion est un bon philosophe, un très très bon philosophe, il connaît bien la théologie, il est chrétien lui-même et donc voilà, mais ça n’a pas pu se faire malheureusement. Alors après sur ce que tu disais, bon, Je ne vais pas parler de Kant, de l’antinomie et tout ça, mais je suis d’accord avec ce que tu dis, avec ce que tu disais, à ceci près que je pense que justement, il faut le lire dans le contexte de l’anthropie, de l’anthropocène et de l’exo -somatisation, qu’à partir de là, ça nous amène quand même à faire bouger beaucoup, je crois, Kant. Mais en le mobilisant d’une autre façon à nous, c’est-à-dire non qu 'ancienne, mais en nous appuyant néanmoins sur lui. Je voulais ensuite... Alors je te demandais d’abord, qui parlait de croissance illimitée, j’ai pas bien compris, dans une telle conférence, c’est ça que tu as dit ? Qui est-ce qui parlait de ça ? Oui, je m 'en rappelle plus, quand je vais le chercher, mais c’était quelqu’un. 'un qui proposait une mondialisation du marché, qui disait qu’il fallait... c’était contre Trump, contre le discours de Trump, mais c’était... c’était contre des loups et tout ça, mais pour une croissance, pour que le tiers monde devienne très riche et tout ça, sans la possibilité d’une croissance. D’accord, d’accord. Donc c’était contre Trump, mais pour nourrir tout ce qui nourrit Trump, en fait, c’est-à-dire pour Trump, à mon avis. En tout cas, oui, je pense que la question, c’est bien... Je crois que dans l’époque actuelle, et en économie, c’est d’ailleurs pour ça que nous voulons faire des choses sur la psychanalyse. Je reviens à Plaine Commune. La question, c’est l’infini. Et à partir du moment où on pose le problème de l’infini, on pose le problème de la limite. Qu’est-ce que c’est qu’une expérience infinie de la limite ? Et qu’est-ce que c’est qu’une expérience limitée de l’infini ? Il n 'y a, à mon avis, que des expériences limitées de l’infini. Et je crois qu’on ne fait l’expérience de la limite que quand la limite est infinie. Et donc tout ça devra nous amener, j 'espère qu’un jour on fera quelque chose avec toi sur ces questions, notamment sur la psychanalyse et peut -être aussi plus spécifiquement sur Lacan, à poser ces questions. Ce que je voudrais juste dire sur ce registre là, c’est que j’ai un petit peu parlé, je ne me souviens plus pour dire quoi exactement d’ailleurs dans la description, de téléologie négative. Et je pense que nous devons aujourd’hui réfléchir à cette notion de téléologie négative telle qu’elle ne renvoie pas forcément à une téléologie négative. Je pense aussi d’ailleurs à un texte que m’a envoyé Paul, que je n’avais jamais lu je dois dire, de Derrida sur la téléologie négative. Différence avec un A et téléologie négative. Comment on y compte avec ça ? Et comment on y compte avec Freud, avec Lacan ? C’est un peu ça pour moi la question et ça c’est aussi la question du désir dans l’économie politique parce qu’un point que j’ai oublié de dire tout à l’heure dans ce que j 'essayais de répondre à Paolo sur la responsabilité pour moi la responsabilité de des épistémès de la diversalité j’appelle ça comme ça et bien c’est l’économie contributive et c’est l’économie contributive telle qu’elle est toujours locale toujours articulée à une échelle micro et macro avec des relations d 'échelle complexe Et c’est ce qui est toujours tendu par une diade indéfinie, qui n’est pas simplement une diade indéfinie, mais une diade indéfinie de l’infini, c’est-à-dire de l’infinité du désir. Et je pense que les gens qui parlent de croissance illimitée, ce sont des gens qui ne sont plus capables de comprendre ce que c’est que le désir, qui est précisément limité parce qu’infini, et réciproquement. Et ça, ils ne peuvent pas le comprendre. Et là, je pense que Hegel a une responsabilité dans tout ça, parce que ça fait... Je me suis engueulé avec Catherine Malabou sur ces questions, on s’est séparés à cause de ça, vraiment à cause de ça. Dans la préface à la phénoménologie de l’esprit, il est écrit, voilà, la philosophie pourra abandonner son nom d’amour du savoir pour devenir savoir effectivement réel. C’est ça la catastrophe Hegelienne. Même si cette catastrophe est absolument géniale. Quand je dis qu’elle est géniale, c’est qu’elle est... elle anticipe. Mais alors avec quelle performativité et quel type de performativité ? Très compliqué. Mais elle anticipe quelque chose, parce qu’il annonce la fin de l’amour, effectivement. La fin de l’amour du savoir, donc la fin de la finie, d’une certaine manière, etc. En même temps, je pense qu’il rate absolument. Et ça donne la question de ce que j’appelle aujourd’hui le non savoir. Je pense que c’est ce que Spinoza dit de l’expérience de Dieu en fait. Quand il parle dans l’éthique, c’est exactement de ça en fait. Si on y réintroduit les questions de la psychanalyse, ça prend une dimension que Spinoza ne pouvait pas voir, parce qu’on ne peut pas tout voir. Et ça donne une espèce de puissance à l’éthique, et à Spinoza en général, immense. Et ce qui me gêne beaucoup chez les Spinoziens, si j’ai osé dire, il y a Nordon, mais il y a aussi Bachelet, des gens comme ça, c’est qu’ils semblent craindre un rapprochement entre Spinoza et Freud. Et je trouve ça vraiment bizarre. Il y a un très bon livre d’une canienne... ce livre là qui s’appelle surplus. Qui ça? Un livre de qui? Carina Cordella. Ah, je ne connais pas. Surplus. C’est un magasin. D’accord, je ne connais pas du tout. D’accord, formidable. Merci beaucoup. Merci bien. S’il n 'y a pas d’autres interventions, Nous allons nous arrêter là, je vais juste demander à Paolo et à Sarah. Vous avez reçu, Paolo et Sarah, votre texte ? Oui, nous avons pris soutien, parce que le séminaire a commencé à 8h du matin chez nous. Nous avons lu seulement les mails, et après on va les lire maintenant, et on va demander à la rédaction de la revue, si on peut publier. et cet article là, parce qu’il va être publié, comme vous le disiez, dans un livre. Donc, je crois que cet après -midi, chez nous, tout le monde vous recevra. D’accord. Ça me prendrait beaucoup de temps de transformer l’article, donc si on peut le laisser comme ça, je préfère. et nous espérons que les étudiants soient satisfaits. Merci à vous. Dans deux semaines, Paul nous fera une intervention sur le Gewirt chez Heidegger, n’est-ce pas Paul? Tu es toujours d’accord? Voilà. Donc juste pour resituer, le Gewirt, c’est un concert que Heidegger a produit en divers endroits d’ailleurs, mais en France. dans Bâtir, Habiter, Penser, un texte dont nous avions un petit peu parlé également avec Laurent. C’est un texte, enfin c’est une expression que Wirt très très importante par rapport à des questions, disons, de ce qu’on pourrait appeler une cosmothologie ou je ne sais pas, enfin bon, voilà, ce sont des dimensions du lieu chez Heidegger, qui n’est pas le cosmos, mais bon, et c’est important de le relire. Je suis en train en ce moment d 'écrire un texte pour essayer de dire pourquoi il faut absolument lire Heidegger dans l’anthropocène. Et c’est pour ça que je suis très intéressé à ce que tu diras, Paul, sur ces questions. Voilà. Bon, on s’arrête là, alors. À bientôt. Ciao, ciao.