Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2017

Séance 1 : Microcosmologie

Séance 1 : Microcosmologie

Questions de micro- et macro-cosmologie

Bernard Stiegler

Bernard Stiegler, « Séance 1 : Microcosmologie », dans Michel Blanchut, Victor Chaix (dir.), Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2017 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2017/seance1.html.
version 0, 20/12/2025
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Enregistrement du 11 janvier 2017 sur l’instance Peertube de la MSH Paris-Nord

Crédits : Épokhè et consortium CANEVAS

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Dans ce séminaire, je vous propose de croiser quatre grandes questions qui se posent ici sur le territoire de Plaine Commune et à la chaire de recherche contributive mais qui sont des questions que nous avons posées à Ars Industrialis depuis très longtemps à savoir que le premier séminaire que nous avons fait avec Ars Industrialis au Collège de philosophie, à l’époque, s’appelait « Economiser signifie prendre soin » ce qui est une manière de dire qu’une économie doit toujours être une économie libidinale et non pas une déséconomie libidinale ; elle doit prendre soin des sujets entrepreneurs, travailleurs, consommateurs etc., en tout cas des acteurs économiques de toutes les instances qui sont eux-mêmes dans une économie libidinale et qu’on ne peut pas du tout neutraliser cette dimension-là (si on le fait on le paye très cher). Deuxièmement, les questions que je vais essayer de traiter dans le séminaire concernent aussi un programme dans lequel nous sommes engagés avec l’IRI et qui se territorialise ici sur Plaine Commune qui s’appelle Nextleap ; les points les plus saillants de programme par rapport à ce qui nous intéresse ici sont au nombre de deux : premièrement la question qu’on appelle de la cryptographie - mais en fait la question de la cryptographie ce n’est pas la question de la cryptographie, c’est la question du secret ; la cryptographie étant une technologie pour ménager des espaces de secret et des temps de secret - je vais donc essayer de vous montrer pourquoi la question du secret est une question absolument de premier plan aujourd’hui. Deuxièmement, ce programme traite également la question de la décentralisation des infrastructure, appelons ça des plateformes, des infrastructures de plateformes, et cette question de la décentralisation, je pense qu’on doit aussi l’analyser – ça ne se réduit pas à cette question - sous l’angle de la territorialisation ; dans tous les cas, la décentralisation est une forme de micro-territorialisation, en tout cas d’éclatement par rapport à des grosses infrastructures, par exemple des gros Data centers, infrastructures du cloud computing etc. et là, en l’occurrence, je pense que nous devons sur Plaine Commune réfléchir à ces questions de décentralisation en faisant par ailleurs que des réseaux connectés décentralisés se territorialisent vraiment sur Plaine Commune et donc à une politique vraiment territoriale, revendiquée comme telle ; je crois que c’est une des responsabilités d’Ars Industrialis, de l’IRI et de la chaire de recherche contributive d’instrumenter le territoire sur ces questions-là avec Orange et Dassault System d’ailleurs et sous l’angle des Open datas, des Truely smart cities etc. Ça c’est le deuxième point qui motive les choix que j’ai faits pour finalement les sujets que je vais traiter dans ce séminaire.

Le troisième point, qui est le plus important et le plus central, qui est le cœur du projet de Plaine Commune, c’est de traiter des rapports micro / macro. Si je vous parle de microcosmologie, c’est parce que je vais vous parler de macrocosmologie et je vais aussi vous parler de cosmologie tout court ; je vais vous inviter à réfléchir sur trois échelles de questions et trois niveaux de réflexion qui constituent aussi des problèmes de relations d’échelle, d’ordre de grandeur, si on reprend la terminologie de Simondon et de Vincent Bontemps, et ce que je crois c’est que ces questions qui se posent pour nous de manière centrale dans notre projet de macroéconomie néguentropique, ils doivent traiter les problèmes d’entropie et de néguentropie sous l’angle de la macro et de la microcosmologie parce que la néguentropie, c’est toujours local ; donc la néguentropie c’est toujours un microcosme dans un macrocosme ; ou un macrocosme dans un cosmos ; par exemple, ce que Vernadsky en 1926 appelle la biosphère c’est un macrocosme, le macrocosme de ce qu’il appelle la matière biochimique ; aujourd’hui, le seul endroit, dit-il, où on est sûr que ça existe, cette matière-là, c’est la terre ; il y a sûrement d’autres endroits mais on n’en sait rien mais là, par contre, sur terre, il y a un type de matière qu’on ne trouve nulle part ailleurs, qu’on appelle la matière biochimique et qui d’ailleurs produit des matières qui ne sont pas biologiques mais qui sont des résidus du biologique et qui transforment la biosphère ; et c’est pour ça qu’on peut parler aujourd’hui de Gaïa dans un sens, pour moi, totalement délirant ; je ne suis absolument pas un admirateur de Lovelock, par contre je suis un admirateur de Vernadsky ; et les questions d’économie dont nous parlons ici, l’économie néguentropique, c’est l’économie d’un système ouvert qui est capable de laisser entrer en lui une hétérogénéité qu’il transforme en nouvelle forme de valeur ; chez Vernadsky, c’est les rayons du soleil qui arrivent sur la terre et qui, à travers l’atmosphère, sont capables de produire de nouveaux types de molécules, de protéines, et de nouveaux types de mouvements que l’on ne trouve nulle part ailleurs et qu’Aristote appelait les mouvements de l’âme végétative, l’âme sensitive et l’âme noétique et je reviendrais là-dessus en particulier, très en profondeur même ; c’est le cœur du truc.

Quatrièmement, ces questions – je suis par ailleurs en train de publier un petit texte qui parle du concept de Gestell chez Heidegger ; je ne vais pas en parler sauf à dire que ce qu’on appelle la disruption, c’est la concrétisation du Gestell de Heidegger c’est-à-dire le fait que le système de la biosphère est intégralement inscrit dans ce que Heidegger appelait un Gestell, c’est-à-dire un dispositif qui est par exemple le dispositif satellitaire et tout ce qu’il produit, aux deux tiers de la vitesse de la lumière, sur terre ; ce sont des questions que nous devons documenter, instruire, par rapport auxquelles nous devons faire des propositions en 2017 ; qu’est-ce que ça veut dire en 2017 ? en France, ça veut dire dans la perspective d’élections qui vont venir et où le nationalisme va revenir au galop, et dans la perspective par ailleurs de l’installation le 20 janvier prochaine de Donald Trump à la tête des Etats-Unis. Si je vous parle de tout cela c’est parce que Trump, par exemple, se présente comme un démondialisateur, que Mme Le Pen, ça fait très longtemps qu’elle le revendique comme ça mais qu’il n’y a pas que Mme Le Pen ou Trump qui parlent de ça ; Montebourg, par exemple, dit qu’il faut démondialiser ; c’est lui qui a fabriqué cette expression ; et quand je dis cela, ce n’est pas pour le pointer du doigt, l’accuser de quoi que ce soit, c’est pour dire que la grande question qui vient là, maintenant, à partir de 2017, et dans le monde entier, c’est qu’est-ce qu’on pense de la démondialisation, qu’est-ce qu’on dit de ça et donc qu’est-ce qu’on dit de la mondialisation et qu’est-ce qu’on dit de la mondanéisation qui n’est pas la même chose que la mondialisation; c’est une expression qui est utilisée en particulier par Heidegger, qui par ailleurs était un nationaliste, pour dire que l’existence, le dasein, est là. Là, qu’est-ce qu’il y a ? il y a ce que Heidegger appelle un monde. Ce que je vais essayer de vous montrer, c’est que si nous voulons re-mondanéiser, et peut-être mondialiser en un sens véritablement prometteur, fructueux, porteur d’avenir, nous devons revisiter les concepts de microcosme et de macrocosme en passant, j’y reviendrai, par la philosophie grecque : la République de Platon commence par ça ; qu’est-ce que c’est que le citoyen ? c’est un microcosme dans un macrocosme qui est la Cité. Et ça ne vous aura pas échappé que le discours que je tiens depuis très longtemps et que je reprends chez Simondon, à savoir individuation psychique, individuation collective, ça renvoie à ces questions. Donc la théorie de l’individuation psychique et collective de Simondon, c’est une théorie des relations d’échelle, des ordres de grandeur, ce sont ses termes, entre des échelles que nous devons poser aujourd’hui à l’époque de la scalabilité qui est la première question aujourd’hui dans le domaine du développement technologique. La grande question qui se pose au XXIème siècle, c’est l’industrie de la mise en scène parce que nous en faisons tous ; j’ai fait une interprétation de Donald Winnicott en montrant que Winnicott explique que le bébé ne peut se « psychicaliser » si je puis dire, se doter d’une psyché qu’à partir d’une expérience de l’objet transitionnel c’est-à-dire de la marionnette, de la poupée, de tout ce qui fait la matière du théâtre, à partir d’une mise en scène de son existence via l’objet transitionnel dans un espace transitionnel et Winnicott ajoute, à la moitié de son livre, le théâtre est un espace transitionnel, le musée est un espace transitionnel, les mathématiques, le droit même, tous les objets de l’esprit sont des espaces transitionnels c’est-à-dire des espaces de mise en scène ; que mettent-ils en scène ? des limites, des jalons, des tabous, des interdits, et des limites au sens d’Emmanuel Kant etc. sur des relations d’échelle, parce que ce que décrivent ces rituels, en règle générale, c’est une inscription de là où je suis, dans mon village, ma tribu etc. à l’intérieur d’un espace qui m’englobe, l’ethnie par exemple, qui, par rapport à ma tribu qui est microcosmique, devient macrocosmique et tout ça s’inscrit dans un cosmos, les étoiles etc. ; aucune société n’existe qui n’ait pas cette dimension qui est aussi la base de ce que j’avais appelé dans un livre la cardinalité et la calendarité. En Asie, surtout en Chine, c’est très important, Leroi-Gourhan l’avait souligné, rien ne se construit indépendamment de l’espace cardinal, les étoiles, tout ça ; je vous signale que les églises aussi ; elles ne sont pas construites n’importe comment, elles ont un rapport au soleil, bon; Il n’existe aucune société sans cosmologie et sans micro et macrocosmologie ; ce que j’appelle microcosmologie, ce n’est pas simplement les rituels, c’est aussi ma maison ; dans ma maison, j’aménage mon espace ; c’est un microcosme ; et dans ma maison, mon petit garçon a sa chambre qui est un microcosme dans le microcosme ; et cette chambre, il n’a pas du tout envie qu’on vienne la déranger, c’est sa chambre, c’est-à-dire c’est l’ipséité, ce que Heidegger appelait l’ipséité, l’ipse, le soi, c’est la constitution du soi, du chez soi plus exactement, parce que le soi est toujours dans un « chez soi » ; c’est pour ça que le fait d’être sans domicile fixe est terrifiant (quand on n’est pas nomade, parce que le nomade, lui, a un domicile qui circule) ; se dire sans chez moi, même si c’est une toute petite piaule, je n’existe plus ; je me suis intéressé à cette question en prison parce que en prison vous êtes privé de « chez vous » ; la peine carcérale c’est avant tout vous priver du droit d’être chez soi, sous l’observation constante de surveillants etc. Si je vous en parle maintenant c’est pour souligner un fait qui est que nous, les hommes et les femmes du XXIème siècle, nous n’avons pas de microcosme et de macrocosme, nous n’avons pas de cosmologie. Ce que je voudrais dire c’est que l’économie libidinale néguanthropologique, qui est une économie aussi capitaliste pour le moment, et qu’elle le restera encore certainement un certain temps, c’est une économie qui doit remettre de l’ordre; j’emploie un mot terrible là, l’ordre mais c’est ce que veut dire cosmos en grec ; il y a un ordre des choses ; nous, nous avons perdu cet ordre, y compris par exemple Trump, qui est un espèce d’anti-indiens – les indiens d’Amérique sont très connus pour avoir cultivé un rapport à l’ordre des choses absolument exceptionnel. Le mot « ordre » a une connotation, surtout depuis le XIXème siècle, extrêmement négative puisqu’il représente l’ordre policier, la répression, la domination, le conservatisme, l’empêchement de faire évoluer les choses qui est présenté par ceux qui protègent cet ordre-là qu’on appelle l’ordre bourgeois, l’ordre capitaliste contre le désordre, et le désordre c’est des irresponsables qui veulent tout casser, gauchistes, luddites etc.

Pour nous qui avons un « chez soi », la vie quotidienne consiste à assurer l’oeconomia, l’ordre de la maison ; qu’est-ce que l’ordre de la maison ? un microcosme qui s’articule avec un macrocosme ; chez les grecs par exemple, ce rapport entre l’ordre domestique de la maison (microcosmique) et l’ordre macrocosmique de la cité est régi par des relations tout à fait spécifiques de deux divinités qui s’appellent Hestia et Hermès ; Hestia protège un foyer dans lequel Hermès n’entre pas comme ça parce qu’Hermès c’est la chose publique, ça circule ; c’est aussi la chose secrète parce qu’il est l’interprète ; il n’y a donc pas le public d’un côté le secret de l’autre ; mais néanmoins il y a une différence entre les deux et Hestia c’est l’espace de l’intimité c’est-à-dire du secret ; car j’ai un droit absolument élémentaire à avoir des fantasmes de tous ordres par exemple que personne ne doit pouvoir connaître (y compris moi-même ; ce que découvre Freud c’est qu’une partie de mes fantasmes ne me sont pas accessibles puisqu’ils sont refoulés par ma conscience et que le fond de l’inconscient, c’est cet espace d’ultra-secret) ; il n’existe pas de sociétés sans ordre et échelles de ce type-là et il n’existe pas de psyché possible sans cette protection-là. C’est ce qui est mis en cause totalement par la technologie de la transparence et du calcul. C’est pour ça que je vous parlais de ces questions, mais pas simple sous l’angle de la transparence et de la cryptographie (crypte, nom commun, vient d’un verbe grec kruptesthai qui veut dire cacher, dissimuler, enfouir ; on connaît cet aphorisme d’Héraclite physis kruptesthai philei (la nature aime à se cacher). Derrière cette question de kruptesthai il y a ce que dira Heidegger à propos de l’alètheia à savoir que la vérité c’est ce qui est toujours en rapport au lèthè c’est-à-dire à la latence, à ce qui est latent au sens de Freud et qui est caché, voilé.

Nous avons, nous, perdu très fortement – quand je dis « nous », je ne parle pas simplement des occidentaux, je parle des hommes et des femmes du XXIème siècle sur la terre, à peu près dans le monde entier ; je suis passé récemment à Abu Dhabi ; c’est hallucinant ; c’est encore pire qu’ici - tous ces savoirs absolument élémentaires ; ils ont été détruits par les « arts ménagers » ; le salon des arts ménagers c’est ce qui a fait que progressivement tout ça est devenu l’objet non pas de la microcosmologie mais du marketing, du design et de stratégies de développement qui ont lentement mais sûrement transformé le savoir-vivre en pouvoir d’achat et le savoir-vivre est désintégré par ce type de pouvoir d’achat. C’est pour ça qu’ici, sur Plaine Commune, nous parlons d’un savoir d’achat. Nous disons que si nous développons une économie néguentropique où il y a des modes de production de néguentropie contributive, il faut que nous développions aussi des acheteurs qui ont un savoir d’achat et pas simplement un pouvoir d’achat, qui savent acheter ça parce que c’est bien mieux de manger ça que ça et qui redéveloppent une microcosmologie ; parce que la microcosmologie, c’est ça qu’elle développe. Par exemple en Chine, dans toute cette organisation du cosmos très caractéristique que Leroi-Gourhan a décrite, le rapport à la nourriture, à la cuisine est directement lié à ces questions. Et il n’y a pas en Chine de différence fondamentale entre la nourriture et la pharmacie ; je mange pour me soigner ; et tout ça, c’est lié à des modèles microcosmiques ; suivant les villes dans lesquelles on a un médecin, les cuisines sont complètement différentes et les chinois défendent leurs manières de cultiver telle plante, de la faire cuire etc.

Normalement, les relations entre microcosme, macrocosme et cosmos sont des énoncés – je parle là surtout pour les sociétés pré-modernes – par des récits qu’on appelle des mythes – chez les grecs on appelle ça la mythologie, pas simplement des mythes – et ces récits jalonnent des relations d’échelle ; par exemple les relations entre les olympiens, les titans, les mortels etc. ce sont des jalons de relations d’échelle dans une théogonie qui justifient un ordre – jusqu’à un certain car comme Lévi-Strauss l’a très bien montré, il y a toujours un moment donné où les mythologies sont contradictoires et où elles ouvrent l’espace du désordre ; c’est très important car je ne suis pas en train de dire qu’il faut éliminer le désordre, je suis en train de dire que l’ordre ménage la possibilité d’un désordre, c’est tout à fait autre chose.

Tout cela constitue un « chez soi » ; c’est une question à laquelle j’ai commencé à m’intéresser un jour parce que j’ai fait un entretien avec Derrida sur la télévision, qui a été publié sous le titre Echographie de la télévision, et dans lequel Derrida dit à un moment donné – c’était à un moment où nous parlions de l’hospitalité et des règles de l’hospitalité – il dit : pour pouvoir être hospitalier il faut être chez soi ; « chez soi » ne veut pas dire chez soi dans son truc ; chez soi par exemple à St-Denis, qui n’est pas Aubervilliers, chez soi à Plaine Commune qui n’est pas la Seine St-Denis, chez soi dans La Seine St-Denis qui n’est pas le Grand Paris etc. Ce que j’essaye d’approcher en disant tout cela c’est le fait que, pour qu’il y ait du soi, il faut qu’il y ait du chez soi et que ce chez soi est constitué par des processus d’englobement ; moi, par exemple, j’héberge en moi plusieurs moi, plusieurs personnages qui se font parfois la guerre en plus, qui peuvent m’amener chez le psychanalyste si je suis névrosé et qui peut se terminer en psychose ; c’est ce que disait Louis Jouvet en 1943 pour former les comédiens ; apprenez tout d’abord que de toute façon, disait-il, que des personnages vous en jouez tout le temps mais vous ne vous en apercevez pas, ils vous habitent et ils sont contradictoires. Et vous avez sans arrêt à résoudre des problèmes de conflits entre ces personnages ; vous pouvez aller au théâtre soit pour jouer soit regarder un spectacle de théâtre qui va vous aider – c’est la catharsis d’Aristote – à régler ces conflits et c’est des conflits de « chez soi » (il y a des conflits internes et il y a des conflits externes).

Aujourd’hui le soi est menacé, profondément menacé, ce qui est très dangereux parce que quand on détruit le soi on détruit la psyché en tant que telle, on libère totalement la violence pulsionnelle et c’est menacé parce que les structures de microcosmologie et de macrocosmologie ont été remplacées progressivement par des modèles d’affaires qui reposent sur le calcul c’est-à-dire sur la transparence, sur l’instauration d’une transparence totale – ce qu’on appelle transparent ça veut dire calculable tout simplement, seules les chose calculables, du point de vue dont on parle là, sont transparentes ; ça veut dire qu’un algorithme peut les analyser et c’est argumenté en disant que c’est formidable, ça permet par exemple à Julian Assange de révéler un certain nombre de chosesJe pense qu’Assange est irresponsable par rapport aux questions de la transparence ; elle n’est absolument pas un but en soi ; la transparence peut être le totalitarisme ; si vous regardez ce que dit Zinoviev de l’Union soviétique, c’est la transparence pure. La démocratie c’est la transparence et le secret↩︎ .

Nous avons beaucoup de mal, nous les gens du XXIème siècle, à penser ces questions ; nous sommes démunis, désorientés, d’abord parce que quand on n’a plus de cardinalité on est désorienté ; l’orientation c’est ce qui se base sur une cardinalité et une calendarité (qu’est-ce qu’un calendrier ? ce sont des lunes pour les indiens par exemple, c’est ce qui traduit directement les mouvements des planètes, des étoiles et qui les inscrivent dans la vie quotidienne ; il y a des calendriers au sens moderne du terme qui apparaissent à l’époque de l’Egypte ancienne et qui sont liés é des systèmes d’écriture mais il y a d’autres formes qui sont des calendriers de sociétés traditionnelles magiques, mythiques de la surnature - par exemple le calendrier indien qui raisonne en terme de lunes comme beaucoup de calendriers) et la cardinalité c’est évidemment ce qui est constitué par des rapports à ces mêmes astres mais cette fois-ci non pas dans leur rythme – ce que j’avais appelé dans un livre leur programmatologie - mais leur disposition cardinale c’est-à-dire le zénith, les points cardinaux, l’est et l’ouest etc. toutes ces choses, jusque pratiquement au XVème siècle, organisent les rapports de l’Occident y compris avec les très grandes transformations produites par le christianisme, le monothéisme à travers Aristote et la théorie des lieux qui pose que les étants, comme dit Aristote ou Heidegger, on des lieux c’est-à-dire qu’ils appartiennent à des sphères et il y a des étants microcosmiques, des étants macrocosmiques et des étants cosmiques ; par exemples les âmes végétatives, sensitives et noétiques vient dans la sphère sublunaire ; ça c’est un lieu, un topos.

Nous avons totalement perdu ces notions et si je pense qu’il faut les revisiter, c’est pour toutes sortes de raisons, tout d’abord parce que je pense que ces questions sont incontournables dans une économie de la néguentropie ou de la néguanthropologie et il faut que nous comprenions pourquoi nous avons perdu le rapport à ces questions et pourquoi il est possible et nécessaire de renouer un rapport à ces questions mais peut-être sur des bases absolument nouvelles. Si nous avons perdu un rapport à ces questions c’est parce qu’à partir du XVème siècle, XVIème, XVIIème siècle (Kepler, Galilée, Newton) le rapport au cosmos se transforme ; le cosmos devient l’univers et l’univers est un espace infini et homogène; c’est ce qui va être formalisé par Descartes ; c’est très bien expliqué par Alexandre Koyré dans son œuvre majeure qui s’appelle Du monde clos à l’univers infini ; le monde clos c’est le cosmos ; l’univers infini c’est l’univers ; dans une telle approche, est scientifique ce qui réduit toute localité à n’être qu’un point de singularité contingent et accidentel dans une nécessité universelle qui est totalement indifférente à son positionnement dans un espace et dans un temps ; les objets de la science sont hors temps et hors situation spatiale ; à partir de là on va s’acheminer d’un discours de cosmologie à un discours qui va devenir de plus en plus l’astrophysique parce qu’on entre dans la physique mathématique ; la physique ça devient de la mathématique et réciproquement aujourd’hui ; les mathématiciens sont pratiquement tous des physiciens et la cosmologie devient un terme imprécis pour le grand public ; par contre quand Whitehead dit qu’il faut faire de la cosmologie spéculative, ça c’est pas du tout imprécis ; Whitehead pose que l’on ne peut pas se satisfaire des modèles qui sont devenus non finaliste, comme il dit, qui ont conduit à l’astrophysique et il réintroduit la théorie des quatre causes en particulier les causes finales ; un monde où il n’y a pas de causes finales, dit-il, n’est pas un monde ; il faut refaire la cosmologie et en particulier ce qu’il appelle la cosmologie spéculative ; Whitehead devient mon chouchou maintenant ; c’est lui maintenant qui m’excite. Mais pour pouvoir faire cela, il faut, comme dirait Derrida, déconstruire le moment de la modernité qui efface les questions cosmologiques, qui les refoule même et essayer de comprendre quel en est le prix et le sens aussi, quel est ce refoulement, parce que bien sûr il y a les nécessités liées à, appelons ça l’épistémè moderne c’est-à-dire cartésienne, mais il n’y a pas que ça ; il y a évidemment un champ de vecteurs qui est à l’origine de tout cela et qui passe aussi par exemple par ce que Max Weber appelle la sécularisation, le désenchantement et l’élimination de tout ce qui est secret  et mystérieux ; éliminer les mystères, éliminer les secrets c’est éliminer la cosmologie aussi. Et comme vous le savez, Max Weber dira, le capitalisme, c’est avant tout une transformation d’une religion du mystère, le mystère de la transsubstantiation, en une église réformée qui va devenir elle-même le capitalisme qui lui-même va transformer la foi religieuse en confiance calculable c’est-à-dire en billet vert puisque c’est comme ça que ça se termine, le billet vert sur lequel était écrit In God we trust en non pas we believe ; les américains ne croient pas en Dieu, ils ont confiance en Dieu ; et pourquoi ? j’avais essayé de parler de ça dans Mécréance et discrédit, la confiance est calculable tandis que la foi, la croyance c’est pas calculable ; c’est forcément affirmer quelque chose que l’on ne peut pas calculer ; c’est ce que disait Derrida dans Foi et savoir.

J’aimerais bien aussi parler de Karl Polanyi de La grande transformation parce que ce que décrit Polanyi dans cet ouvrage c’est-à-dire le désencastrement du marché, c’est la liquidation totale de toutes les opacités cosmologiques ou mystérieuses ou locales, de toutes les localités qui pouvaient être défendues sur des registres qui sont ni religieuses ni cosmologiques mais qui sont tout simplement l’autorité de la puissance publique qui fait que par exemple un Etat va dire : non, nous n’acceptons pas ça, bien sûr le marché a des droits, des vertus etc. mais il y a des contraintes qui nous obligent à le limiter. La cosmologie (je veux dire ici la micro et la macrocosmologie) en général c’est l’énonciation des limites ; la cosmologie ce n’est pas seulement la cosmologie des physiciens, c’est la cosmologie au sens du cosmos des grecs, des indiens etc. c’est-à-dire un ordre et un désordre local qui s’articulent les uns dans les autres sur des échelles, c’est-à-dire très localement microcosmiquement, moins localement, macrocosmiquement, et à l’intérieur d’un cosmos. Pour des raisons absolument structurelles, le capitalisme que décrivent Max Weber puis Polanyi est anti-limitations ; le capitalisme a horreur des limites ; et c’est là qu’il sera intéressant de voir comment Trump va s’en sortir avec tout ça puisqu’il prétend qu’il va remettre des limites et malheureusement il y arrivera peut-être parce qu’il y a eu des périodes comme ça où Mussolini et Hitler ont en effet redressé les activités économiques locales pour un certain temps quand même ; en mettant des limites ; donc il n’est pas du tout exclu que Trump y arrive ; avec l’aide de la Silicon Valley et c’est là que ça va assez compliqué à regarder, comprendre comment Musk, Trump et Thiel arrivent à travailler ensemble mais on peut être sûr qu’ils ont de grandes capacités à le faire.

Voilà les questions que je voudrais aborder dans ce séminaire et derrière ces questions, il y a aussi une manière de reprendre des questions que nous avons débattues cet été à Epineuil dans une Académie d’été spécialement sportive. Depuis, disons le tournant copernicien ( je dis Kepler, Galilée mais c’est surtout Copernic), quelque chose s’est produit, qui s’est combiné avec la Réforme, autrement dit la transformation du monothéisme en quelque chose qui allait devenir le capitalisme assez rapidement et tout ça a abouti entre disons cette époque – la Renaissance – jusqu’à nous, au XXIème siècle, à des rapports toujours très complexes et en plein transformation entre l’ordre et le désordre; d’abord, jusqu’à pratiquement la fin de l’Ancien régime l’ordre doit être immuable ; c’est ce que proclame l’Ancien régime ; il se réclame de Dieu pour ça ; c’est pour ça que la monarchie « de droit divin » est défendue par le roi au nom de Dieu; il représente l’ordre pas simplement monarchique mais monothéiste sur terre et donc il est donc évidemment dans un rapport fondamental à ce que les anticléricaux appellent « le sabre et le goupillon » ; le pape et les évêques sont là pour protéger la domination de la noblesse sur les paysans et donc la noblesse d’une part et le clergé de l’autre exercent la pression symbolique par le rituel, l’office, le symbole etc. et éventuellement évidemment la répression, l’exercice de la guerre contre ceux qui pourraient se révolter; ça se transforme profondément à la fin du XVIIIème siècle en France et dans toute l’Europe en réalité ; c’est ce qu’on appelle ici en France la fin de l’Ancien régime qui est le début de l’affirmation du fait que le désordre est bon et que le désordre s’appelle le progrès en réalité ; c’est du mouvement qui permet de progresser vers du meilleur ; le meilleur n’est plus le fait des aristocrates, qui sont les meilleurs comme dit leur nom (ariston veut dire meilleur) mais le meilleur c’est la puissance du peuple – celui de Rousseau etc. - capable de progresser et pour progresser, de renverser des ordres pour produire de nouveaux ordres en passant par des phases de désordre, c’est le temps de ce qu’on appelle les révolutions. Ces révolutions on peut les qualifier de mille manières, moi qui suis toujours très marxiste sur ce point-là, je continue à penser qu’il faut les interpréter avec Marx, s’il y a des changements structurels dans la production, à des changements structurels dans les rapports économiques entre les différents ordres que sont la noblesse, le clergé, le tiers état etc. tout ça c’est évidemment rendu possible par l’individuation technique c’est-à-dire la transformation de quelque chose dont nous n’avons pas encore parlé jusqu’à maintenant qui est le rôle de l’artefact dans les microcosme, macrocosme et cosmos. Pourquoi faut-il ordonner, mettre en ordre sa chambre par exemple ? parce qu’elle est pleine d’artefacts ; vous n’avez pas besoin d’ordonner la forêt amazonienne, elle s’ordonne toute seule, vous n’avez pas besoin d’ordonner le Sahara, il s’ordonne tout seul mais par contre votre chambre vous êtes obligé de faire le ménage dedans parce qu’il ne se fait pas tout seul ; c’est un espace clos et dans cette clôture, il y a de la poussière qui s’accumule, des déchets et vous devez régulièrement les éliminer, les traiter etc. ; vous devez en prendre soin. Si c’est comme ça, c’est parce que vous êtes dans l’exosomatisation ; parce que vous avez perturbé quelque chose qu’on appelle l’équilibre de la nature, qui est d’ailleurs une fiction ; il n’y a pas d’équilibre de la nature ; la nature est un processus, c’est ce que dit Whitehead ; il n’est jamais en équilibre ; il peut paraître être en équilibre mais il n’est jamais en équilibre ; c’est ce que montre notamment Vernadsky. Donc au XIXème siècle, il y a des transformations organologiques et exosomatiques très profondes qui se produisent et qui font que d’un seul coup, des espèces de sous-hommes (aux yeux du clergé et de la noblesse) qu’étaient les roturiers deviennent plus puissants que la noblesse parce qu’en s’appropriant l’exosomatisation ils accumulent une puissance qui est nouvelle et qui n’est pas une puissance symbolique. Jusqu’alors, ces ordres dont je vous parlais, le clergé, la monarchie, la noblesse, étaient avant tout des ordres symboliques ; c’étaient aussi des ordres guerriers – le symbole passait par un rapport à la mort – ils étaient fondés sur le symbole (et d’ailleurs le nom du Christ c’était le symbole). A partir de la bourgeoisie et du début du XIXème siècle, l’ordre ne se constitue plus du tout sur le symbolique mais sur les échanges calculables, monétaires qui vont constituer ce qu’on appelle un ordre économique ; jusqu’alors, ça n’existe même pas le mot « économie » - bien sûr qu’il existe l’oeconomia – c’est ce qui décrit les différentes facettes de l’esprit donc de la Trinité, avant la Révolution française ou la révolution industrielle - mais ce qu’on appelle l’économie apparaît avec les débuts de la science économique et les débuts de la bourgeoisie ; les nobles n’ont rien à f… de l’économie ; ou alors c’est l’oeconomia et c’est théologique. Le XIXème siècle, c’est le temps des révolutions parce que tout à coup une société très ordonnée, partout dans le monde, qui fonctionnait parfois avec un éclat extraordinaire – la France du XVIIIème siècle c’est éclatant même si c’est très décadent, la Chine et beaucoup d’autres ; ce sont des ordres qui se présentent comme immuables – c’est pareil de l’Islam entre le VIème et le XIIème siècle – les civilisations, ce sont des ordres immuables à ce moment-là. A partir du XIXème siècle, tout à coup, ça devient des ordres muables c’est-à-dire animés par des désordres et le désordre devient donc une force nécessaire et même indispensable à ce que l’on nomme le « progrès ».

Ce que je vous décris là, c’est le début de l’Anthropocène ; ce qu’on a appelé « le temps des révolutions »Éric Hobsbawm Le temps des révolutions 1789 - 1848↩︎ et il y en a partout, tout le temps, en France, en Allemagne, en Angleterre, en Italie et puis un peu plus tard en Russie et en Chine, encore plus tard. Mais depuis à peu près l’instauration d’un Nouvel Ordre Mondial, comme on l’a appelé, qui est grosso modo la Pax americana c’est-à-dire la puissance de l’empire américain, depuis après la deuxième guerre mondiale, la décolonisation et tous ces processus qui vont être régis par la puissance américaine, on n’est plus du tout dans le temps des révolutions ; on est dans le temps de la réforme ; la révolution, même si elle agite encore certains milieux, ne constitue plus un sujet de débat public ; mais en même temps, tout le monde a le sentiment que la réforme, ça n’existe plus, qu’on ne réforme plus rien du tout ; c’est la disruption qui se substitue à la réforme ; la réforme c’est encore délibératif. Je vous parle de toutes ces questions parce que ça fait partie des questions que nous avons à instruire dans ce que nous faisons à Plaine Commune et je pense que nous pouvons apporter un peu de discours rationnel sur ces questions. Qu’est-ce que la réforme ? ça mériterait que l’on s’y appesantisse un tout petit peu ; peut-être faudrait-il se demander qu’est-ce que la révolution ? on change d’ordre ; on change la constitution ; plus exactement on crée une constitution, on constitue un ordre nouveau, par exemple la République ; la révolution prolétarienne – on change complètement l’ordre économique en disant : on supprime la propriété privée etc. Il faudrait d’ailleurs regarder de très près la révolution noire ou brune, parce que les nationaux-socialistes, les nazis et les fascistes, se présentent aussi comme une sorte de révolution.

Je voudrais juste qu’on réfléchisse un tout petit peu sur ce que veut dire « réforme » ; j’en parle depuis très longtemps mais je n’avais jamais utilisé ce mot-là ; j’en parle quand je cite Bertrand Gille qui lui-même dit qu’à partir de 1805 à peu près, Napoléon instaure un appareil (qu’il n’appelle pas de réforme) de l’ajustement entre le système technique et les systèmes sociaux via les grandes écoles, les grands ministères et l’autorité de la puissance publique qui va faire en sorte de transformer les systèmes sociaux, l’organisation familiale, le droit, l’éducation en fonction de l’évolution du système technique ; ça c’est la réforme ; et la réforme dont on va dire par exemple – il y avait hier trois pages du journal Le Monde sur Jean-Claude Michéa et la nouvelle pensée conservatrice ; qu’est-ce que dit Michéa ?  d’où vient son succès ? il dénonce, parfois tout à fait à raison, le fait d’avoir produit une réforme sociétale pour ne pas prendre des mesure vraiment sociales et économiques ; il n’est pas le seul à dire cela ; la réforme, dans ces cas-là, c’est ce qui change des habitudes sociales ; ca change aussi des droits bien entendu, ça change des relations entre les individus mais fondamentalement ça commence par changer des habitudes c’est-à-dire des automatismes – il faut par exemple que je m’habitue au fait qu’il y ait des mères porteuses, ou, il y a trente ou quarante ans, il fallait que je m’habitue au ait qu’il y a de la contraception (ce que M. Fillon voulait remettre en cause un moment donné) - là on s’approche de quelque chose d’intéressant qui est que à travers la question de la réforme on s’approche de comment on peut remettre complètement en question un ordre qui est ce qu’on appelle l’ordre de la nature, par exemple la reproduction des êtres humains, pas simplement avec la contraception, mais avec par exemple l’utérus artificiel qui est en train de se développer actuellement et qui permet de produire des bébés de façon industrielle ; j’exagère à peine en disant cela, il y a un bouquin de Henri Atlan là-dessus qui s’appelle L’utérus artificiel et qui explique très précisément comment tout le monde se prépare à ça ; si je dis ces choses-là c’est parce que je crois que face à toutes ces questions, l’ordre de l’Ancien régime, la révolution du XIXème siècle, la réforme du XXème siècle et la disruption du XXIème siècle nous imposent de repenser les relations d’échelle puisqu’en fait toutes ces questions sont des questions de relations d’échelle ; par exemple, lorsqu’on dit qu’on va pouvoir mettre des nanotechnologies à la place des médicaments dans le corps des individus, on est dans une échelle nanométrique qui elle-même est en relation avec des organes qui sont des échelles somatiques, endosomatiques, elles-mêmes articulées avec des échelles exosomatiques locales et microcosmiques, ma chambre, mon appartement, mon Internet, etc. et tout ça qu’est-ce que ça produit ? si on reprend un terme de Jean-Luc Nancy, ça pourrait produire de l’immonde, ça produit une immense frustration qui nourrit tout ce que nous attendons de pire en 2017 en France et qui a aussi constitué la base stratégique de Donald Trump.

Voilà les éléments d’introduction que je voulais vous proposer pour aujourd’hui. Maintenant je vais un tout petit peu développer pour vous donner un peu de matière plus positive parce que là j’ouvre des perspectives, c’est programmatique, je vous invite à vous intéresser à la microcosmologie, à la macrocosmologie etc. sous l’angle de la théorie de l’entropie et de la néguentropie parce que je pense que si on n’arrive pas à avoir un discours scientifique et philosophique satisfaisant sur ces concepts d’entropie et de néguentropie, c’est parce qu’on n’arrive pas à penser ces questions de microcosme, macrocosme etc. En fait c’est inséparable.

Notre thèse la plus forte ici à Plaine Commune, dans la chaire – et c’est aussi la thèse de Plaine Commune tout entier, puisque c’est ce qui s’est passé ce matin, revendiquée officiellement par le président de Plaine Commune, donc cette thèse n’est plus la nôtre, c’est celle de tout le territoire – c’est qu’il est nécessaire et possible de constituer une économie de la néguanthropie avec un a et un h. Si nous voulons penser cela, la néguentropie en général et la néguanthropie avec un a et un h en particulier, nous devons aller au-delà des concepts d’entropie et de low entropy de Nicolas Georgescu-Rögen ; j’ai pendant longtemps commis une confusion – j’ai, en fait, fait une erreur de lecture notamment dans le séminaire de l’année dernière – en lisant Georgescu-Rögen ; parce que pendant longtemps je me disais à moi-même – c’était une facilité que je m’accordais – que ce que Georgescu-Rögen appelle low entropy c’est ce que Schrödinger appelle néguentropie ou ce que Wiener appelle anti-entropie ; et bien pas du tout ! la low entropy ce n’est pas du tout la néguentropie ou l’anti-entropie ; et si on regarde de près – je suis allé vérifier depuis – chez Georgescu-Rögen, il n’y a pas de néguentropie, il ne la théorise pas, et pour une raison très précise, c’est qu’il est mathématicien, et donc un peu physicien et il est super-prudent ; il sait très bien que les thermodymaciens n’acceptent pas que l’on transfère le concept dans d’autres champs que le champ des physiciensSur ces questions cf. Les dérives de l’argumentation scientifique Dominique Terré PUF↩︎. Et moi je pense qu’on ne peut pas théoriser l’entropie si on ne théorise pas la néguentropie ; l’entropie ne nous apparaît, à nous les Dasein comme disait Heidegger, qu’en tant qu’elle est un problème et que nous essayons de la différer ; nous essayons de différer les effets de l’entropie pour vivre plus longtemps, pour maintenir sur terre une biosphère vivable, désirable et allant vers le meilleur pur nous et pour nos successeurs, nos enfants, nos petits-enfants etc. En fait, ce que je vais essayer de faire dans ce séminaire, ça va être une manière de tenter de nous approprier Georgescu-Rögen et donc Lotka aussi, mais en critiquant Georgescu-Rögen ; Lotka je ne sais pas parce que je n’ai pas encore lu son bouquin que j’ai maintenant ; si vous n’avez pas suivi les Entretiens du nouveau monde industriel je vous recommande vivement de regarder l’intervention de David Bates sur Lotka parce que là, on a vraiment appris des choseshttps://iri-ressources.org/collections/collection-2/season-47/video-715.html↩︎.

La manière dont je lis et dont je vous propose de lire Georgescu-Rögen dont je rappelle pourquoi il m’intéresse beaucoup et ce pour trois raisons : d’abord il pratique l’économie, il dit qu’on ne peut pas rester dans le modèle schumpetérien - qu’il connaît très bien parce qu’en fait il l’a élaboré ; c’est lui qui faisait l’économétrie de Schumpeter - pour deux raisons : d’abord parce qu’il faut thématiser l’exosomatisation, ce que ne fait pas l’économie, et deuxièmement, parce qu’il faut la thématiser au service du maintien à une niveau bas de l’entropie, ce qu’il appelle la low entropy[ ; je pense qu’il faut nous emparer de cela mais en le critiquant pour faire un bond au-delà de la biologie par l’économie ; il y a quelque chose de pas très clair, on le voit très bien quand on lit des économistes ou des décroissants qui s’emparent de Georgescu-Rögen ; ils ont tendance à dire que la bioéconomie de Georgescu-Rögen c’est en fait une soumission de l’économie à la biologie et c’est pour cela qu’il y a tout ce bordel avec la biologie de synthèse etc.; parce qu’ils rajoutent un autre problème que Georgescu-Rögen ne connaissait pas ; je pense que c’est une totale mésinterprétation et ce n’est pas impossible que Georgescu-Rögen rende possible cette interprétation par contre ; je pense que ce n’est pas du tout comme cela qu’il faut l’interpréter ; je pense que l’économie, ou ce qu’il appelle la bioéconomie, ce n’est pas de la biologie justement ; mais si on dit ça, il faut absolument assumer la nécessité d’aller au-delà de la biologie et définir une forme de vie qui n’est pas réductible à ce qui est le canon de la biologie, disons le darwinisme, le néo-darwinisme ou ses formes apparentées, même contestataires, comme le clanisme etc.

A partir de là se pose le problème de définir une localité anti-entropique et donc de donner un statut, en économie, à la localité ; c’est extrêmement important. Cela renvoie à un sujet qui tient beaucoup à cœur à Franck Cormerais qui est l’objet local ; il faut que nous reposions le problème de la localité non pas pour poser qu’il y a des lieux avec des frontières et on ne laisse pas rentrer quoi que ce soit ; non, il y a effectivement des lieux, pas forcément des frontières, mais des limites et il faut thématiser ces sujets sinon on laisse la place à Michéa et ses copains souverainistes ou du Front national et tout ce qui peut y être apparenté d’une manière totalement flasque. C’est le programme de ce que j’appelle une néguanthropologie qui est une microcosmologie et une macrocosmologie ; c’est ce qui est toujours situé localement – vous ne pouvez pas faire de la néguanthropologie « en général » ; la néguanthropologie c’est ce qui toujours part d’un fait qu’on appelle la vie du néguanthropos, c’est-à-dire la forme de vie exosomatique, à tel moment et à tel endroit ; vous ne décrirez jamais la vie exosomatique « en général » ; parce que chaque fois qu’une nouvelle révolution exosomatique se produit, tout ce qui paraissait fondamental dans la période d’avant est devenu complètement minoritaire et c’est quelque chose de tout à fait différent qui devient fondamental ; par exemple, le calcul, jusqu’au XVIème siècle, c’est absolument trivial, ça n’intéresse personne ; et puis, d’un seul coup, c’est le calcul qui devient la base de la société ; et le problème n’est pas de savoir si c’était mieux avant le calcul ou l’inverse, c’est absolument pas le problème, c’est un processus historique et si on ne comprend pas ce processus historique, qui est aussi un processus cosmique et qui relève de ce que Whitehead appelle la concrescence, locale, dans la biosphère, du cosmos – donc vous avez compris, je veux articuler Vernadsky, Lotka, Georgescu-Rögen et Whitehead - on ne comprend pas ce qui se passe.

Je vais terminer sur Vernadsky ; j’ai un petit peu parlé dans l’Académie d’été à Epineuil au mois d’août de méta-localité ; c’est dans ce sens là que Vernadsky me paraît fondamental ; qu’est-ce que la méta-localité ? c’est la biosphère, parce que c’est la condition de possibilité de toute localité ; si vous n’êtes pas compatible avec les limites de la biosphère, vous disparaissez de la biosphère ; cela veut donc dire que vous devez être capables d’assimiler – et l’un des plus grand problème de la cosmologie que je vous propose, c’est le problème de l’assimilation ; donc cela va nous ramener à des trucs avec Nietzsche dont je parlais l’année dernière sur la théorie nietzschéenne du soi etc. et de la sélection – le rayonnement solaire ; et on n’assimile pas du tout de la même manière le rayonnement solaire au Pôle nord et sous l’équateur, mais dans tous les cas il faut l’assimiler, y compris dans son absence parce qu’il y a six mois où il manque beaucoup au Pôle nord et au Pôle sud et sur l’équateur, si vous ne faites pas suffisamment attention, vous attrapez un cancer de la peau assez rapidement si vous n’êtes pas un natif du coin, et même les natifs, ceux qui ont la peau noire, se couvrent, se protègent du soleil. Tout ça c’est ce qui constitue une méta-localité qui a toutes sortes de dimensions et dont je pense que, avec Vernadsky, il faut les reprendre – quand je dis avec Vernadsky, comprenez-moi bien, je ne suis pas en train de dire qu’il faut devenir vernadskien ; je crois que tout un pan de Vernadsky est aujourd’hui pas forcément faux mais daté ; mais par contre Vernadsky a posé un problème vraiment très important qui est que, d’accord, le vivant, on va l’analyser avec Lamarck, Darwin et tout ça, très bien ; il y a un processus évolutif , très bien ; mais moi, dit-il, je ne le regarde pas du tout comme ça ; je le regarde essentiellement comme un processus de transformation biochimique ; comment je produis du calcium ? il n’y a pas de vivant sans calcium et qu’est-ce qui fait qu’avec du rayonnement solaire, je vais produire du calcium ?

Ce sont des questions auxquelles il faut que nous réfléchissions cosmologiquement, micro et macro-cosmologiquement à l’époque du transhumanisme, parce que le transhumanisme aussi se pose ces questions-là mais pas du tout avec notre approche à nous et pas du tout en tenant compte de la localité parce que cette biosphère dont parle Vernadsky, elle se fragmente dans ce qu’on appelle des niches ; et alors c’est extraordinaire, Vernadsky, qui était un type un peu dingue à mon avis, explique que la biomasse la plus importante ce sont les araignées et les insectes ; il hiérarchise donc l’être vivant ; il y en a qui pèsent que dalle, nous en l’occurrence, dans toute cette biomasse ; et comment est-ce que à travers ça on produit une bioéconomie qui va étudier les questions que pose Georgescu-Rögen mais en y intégrant les questions de biochimie que pose Vernadsky ; Vernadsky décrit un processus que suppose la fragmentation en localités ; c’est-à-dire que tous ces organismes vivants qui se caractérisent, pour Vernadsky, par leur capacité à produire de nouveaux types de molécules, fondamentalement – les organes, il s’en fout ; ça ne l’intéresse pas du tout ; c’est l’activité biochimique qui l’intéresse - ça se produit localement, dans des niches ; et ça c’est le problème de la biodiversité qu’il ne traite pas lui-même en tant que telle, c’est moi qui introduit cela. Et nous nous disons : avec l’exosomatisation, la biodiversité se poursuit par la noodiversité ; beaucoup de gens me disent : Teilhard de Chardin est revenu ! non, ce que je suis en train de dire, c’est une certaine façon de concevoir et de lire la philosophie c’est-à-dire la théorie du nous de l’esprit ou de la noèse, en y intégrant l’exosomatisation et son idiomaticité c’est-à-dire que toujours, quand le nous se concrétise quelque part, il se concrétise idiomatiquement ; en Grèce on ne parle pas l’hébreu et dans le royaume de David, on ne parle pas grec ; et c’est ça qui fait qu’il y a deux manières de noodiversifier l’effet de l’écriture puisque c’est la même écriture alphabétique grosso modo qui produit deux choses tout à fait différentes qui sont « les deux sources de la morale et de la religion » d’ailleurs d’une certaine manière et qui vont à un moment donné synthétiser à travers Paul de Tarse qui est un grec juif ou un juif grec. Si je vous cela c’est que derrière, il y a une question, et là je reviens vers des objets classiques chez moi et que j’a piqués chez Sylvain Auroux, qui est la question de la grammatisation et de ses effets sur idiomes – je prends le mot idiome au sens large, au sens de la parole, parole qui avait introduit la question du secret c’est-à-dire que quand vous ne parlez pas chinois et que vous êtes en Chine, tout ce que disent les chinois ça vous reste secret et réciproquement; c’est le problème de la traduction et ce problème-là est absolument fondamental en terme d’économie de la néguentropie ou de néguanthropologie, à savoir dans quelle mesure il faut défendre la variabilité idiomatique ; il y a une façon un peu bébête de la défendre avec celui que l’on a appelé à une certaine époque Iznogoud (Jacques Toubon), ministre de Jacques Chirac, qui avait mis une loi qui interdisait d’employer des mots étrangers ce qui est absolument débile parce que l’histoire du français c’est essentiellement l’intégration de mots étrangers, l’histoire de l’anglais aussi, l’histoire de l’allemand aussi, mais qui en même en temps posait une question, qui est une vieille question, qui passionnait d’ailleurs Derrida, qui est la politique des langues et la diversité des langues ; c’est une question qui se pose aujourd’hui de manière absolument fondamentale à l’époque de Google parce que Google c’est une manière de totalement désidiomatiser les idiomes d’une manière très subtile et extrêmement bien faite en plus parce que quand je dis ça ce n’est pas pour traiter ça par le mépris, loin de là.

Donc, nous allons à avoir, dans ce séminaire, à instruire ces questions et à décrire des conditions de localité à des couches extrêmement variables, qui nous renvoient d’ailleurs à l’anthropologie physique ; je pense qu’il faut prendre en charge ces questions d’anthropologie qu’étudiait un type comme Vermeersch en France ; il y a une histoire du corps humain ; il y a eu une époque où par exemple, les êtres humains n’étaient pas unifiés sur le plan génétique parce qu’il y a eu diverses espèces humaines à une époque etc. C’est très important d’instruire ces questions dans une perspective qui est celle du transhumanisme parce que tout ça c’est une dynamique, ça fait partie d’une concrescence whiteheadienne si je puis dire ; il toutes ces questions de localités qui se constituent idiomatiquement donc qui se constituent aussi géographiquement, donc il y a des questions de géographie, parfois appelée la géographie de l’esprit ; vous savez que beaucoup on dit qu’il y avait une âme de granit des bretons et des corses, une âme de calcaire etc. ; souvent c’est délirant mais ce n’est jamais totalement inintéressant et je pense que ces questions vont venir à se reposer à une époque où nous ne pourrons plus nous permettre d’ignorer la localité et si nous disons que nous sommes pour augmenter les circuits courts et toutes ces choses-là, on ne peut pas se permettre d’ignorer ces questions – les circuits courts dans un monde granitique ou dans un monde calcaire, ce ne sont pas les mêmes circuits courts, ça ne pose pas les mêmes types de questions etc. donc ça nous ramène vers les questions d’écologie mais j’aimerais parler d’oecologie, maintenant.

Bon voilà, je conclus. La question que nous allons essayer de traiter dans tout ça, c’est une économie du faire-corps social ; c’est la grande question de Frédéric Lordon relisant Spinoza, comment le social peut-il faire corps ? je pense qu’il manque des dimensions exosomatiques à la théorie de Lordon mais je pense que la question de Lordon est légitime et nécessaire, y compris avec son problème de la verticalité ; verticalité et horizontalité, ça s’appelle calendarité et cardinalité ; et il n’existe pas de société qui n’ait pas de dimensions verticale et horizontale et les cosmologies servent à instancier cela ; donc il nous est absolument essentiel aujourd’hui pour notre programme d’économie néguanthropologique de renseigner ces questions de manière très précise et de réfléchir à ce que j’appelle des localités exosomatiques, à ce que j’appelle des exorganismes. J’ai essayé de montrer par exemple qu’un territoire, compris le territoire de Plaine Commune, est constitué par des exorganismes, la MSH c’est un exorganisme, la chaire de recherche contributive dans la MSH est aussi un exorganisme, Plaine Commune est un exorganisme qui a cru sur les communes de la Seine-St-Denis et le département de la Seine-St-Denis mais SFR et le Stade de France sont aussi des exorganismes ; tous ces exorganismes sont dans des relations très complexes et ce qui prend en charge ces relations, c’est-à-dire leur spécification, c’est ce qu’on appelle l’économie politique. Donc, en faisant tout cela, je poursuis mon programme qui était celui, il y a 10 ans, que j’avais appelé une nouvelle critique de l’économie politique mais en intégrant ici les problématiques qui viennent de Georgescu-Rögen.

Voilà. Je voulais vous dire d'autres choses, mais il est trop tard, parce qu'en plus je vais être obligé de partir dans trois quarts d'heure. Il faut qu'on ait le temps de discuter. Je voulais vous parler de Nextleap, du droit et tout ça, mais je le ferai à la séance prochaine. C'est, très important. Juste pour vous dire de quoi je parlerai à la séance prochaine, un petit peu, je commencerai en tout cas par là. Réinterpréter Lawrence Lessig, Code is Law, sous l’angle de ces questions- là, en revisitant Hestia et Hermès, la microcosmologie, etc., et en réfléchissant à la question de ce que c'est qu'un code. Si par exemple, je reviens à notre séance d'hier au conservatoire d'art dramatique, si vous allez voir ce qu'on appelle du théâtre Nô ou du théâtre balinais, qui sont pas du théâtre en réalité, du tout, ou alors on donne au théâtre un sens extrêmement vague, si vous n'avez pas les codes, vous allez quand même avoir un petit peu de mal à entrer dedans, tout comme d' ailleurs un chinois ou un balinais de souche qui n'a jamais voyagé et qui n'a pas la télé aura beaucoup de mal à rentrer et dans un film et dans une pièce de théâtre. J'en ai souvent parlé et je le redis. Je vous donne un exemple qui est très intéressant, enfin deux exemples sur lesquels je me suis beaucoup appuyé pour introduire ce genre de problème du code. Le premier exemple, il vient de Stendhal qui raconte une histoire extraordinaire. En 1930, à peu près, 1830 ou peut-être même 1825, à Baltimore, les colons, les wasp de la côte est qui commencent à devenir des vrais bourgeois américains veulent avoir un théâtre parce qu'ils veulent devenir comme les anglais une vraie civilisation avec un théâtre et tout ça et ils jouent Shakespeare en l'occurrence Othello et le théâtre est construit dans une petite ville de Baltimore donc et à cette époque-là l'Amérique n'est pas du tout encore sécurisé à la fois par rapport au banditisme qui est très important, aux indiens, etc. Donc les théâtres, ils sont gardés par des soldats. La, en l'occurrence, il y a un soldat qui garde un théâtre où on est en train de jouer Desdémone et les gens qui ont donné sa solde à ce gardien, qui est donc un fusil, lui ont dit, voilà, s'il y a de la violence, ça, tu prends ton fusil, tu tires. Et quand il voit Desdémone assassinée par Othello, il tire sur Othello. C'est comme ça qu'Othello, en fait n'est pas mort, parce qu'il est blessé, il a le bras cassé ou l'épaule cassée, je ne me souviens plus exactement. Mais c'est très intéressant si on compare ça avec ce qui se passe je ne sais plus qu'un jour de 1895 Boulevard des Italiens lorsqu'il y a la première projection de cinéma et que les gens ont peur de la machine à vapeur et que 20 ans plus tard, en Afrique, Ombrédanne fait un film avec des Africains qui vivent en Afrique centrale. Il leur montre le film et ils ne comprennent pas du tout que c'est un film, donc ils courent pour attraper les poulains derrière l'écran. C'est Roland Barthes qui raconte cette histoire. Ça, ce sont des codes. Quand Lawrence Lessig dit « Code is law », que veut dire code ? En fait, il y a une histoire du code et de l'encodage. Et c'est l'histoire de la grammatisation. C'est la grammatisation qui encode. Et donc, si nous voulons comprendre aujourd'hui comment, par exemple, développer un droit face à l'état de fait de la numérisation qui crée un code qui fonctionne, qui n'est pas légitime mais qui est efficient, nous sommes obligés de revisiter complètement le concept de code.

Et ça, ça nécessite aussi une microcosmologie parce qu'en fait, une microcosmologie, c'est ce qui instaure des codes, tout simplement. Des codes de mise en scène et qui expliquent que c'est comme ça que les choses entrent en scène dans cette société-là. Et tant que vous ne connaissez pas ces codes, c'est ça l'anthropologie, l'ethnographie, c'est la découverte de ces questions-là. Tant que vous ne connaissez pas ces codes, il ne peut rien se passer de fécond entre vous et ce territoire-là. Et ça, c'est une question que nous essaierons de revisiter la semaine prochaine. Voilà, je vais m'arrêter là pour qu'on puisse avoir un peu du temps pour discuter.

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