Séance 8 bis : Réflexion sur une alter-doctrine du choc à partir de la lecture de Norbert Wiener
Exorganologie III Remondialisation, Localités et modernité
Bernard Stiegler,
« Séance 8 bis : Réflexion sur une alter-doctrine du choc à
partir de la lecture de Norbert Wiener »,
dans
Michel Blanchut,
Victor Chaix (dir.),
Le séminaire Pharmakon en hypertexte :
2020 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures
numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2020/seance8bis.html.
version 0, 20/12/2025
Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0
International (CC BY-NC-SA 4.0)
Enregistrement du 29 avril 2020 sur l’instance Peertube de la MSH Paris-Nord
Crédits : Épokhè et consortium CANEVAS
Bonjour à tous, ceux que je n’ai pas encore vu, parce qu'il y a une partie effectivement d'entre nous qui étions déjà là dans la séance précédente sur Winnicott. Voilà, donc on enchaîne sur la troisième séance, un petit peu à caractère exceptionnel, disons, pour essayer de faire face à la situation exceptionnelle on dira ça comme ça. Dans la session précédente j'avais parlé de la « shock doctrine ». Je rappelle très rapidement ce que j'avais essayé d'en dire, c'est que si nous voulons nous opposer à cette « shock doctrine », il nous faut nous-mêmes avoir une doctrine, parce que cette doctrine c'est vraiment une doctrine, ce n’est pas simplement des gens qui blablatent, qui fabriquent des concepts, qui développent des tas d'actions, qu'on peut considérer comme très nuisibles, c'est mon cas, mais en tout cas elles fonctionnent. Donc si on veut s'y opposer, il faut faire des trucs qui fonctionnent aussi, sinon ce n'est pas la peine. Alors, ce que j'essayais de dire, c'est que pour avoir une alter doctrine de cette choc doctrine, il faut comprendre que la choc doctrine, c'est un cas particulier du problème du double redoublement épokhal qui est lui-même la question du rapport entre systèmes techniques et systèmes sociaux. Et pas simplement systèmes sociaux, mais aussi systèmes biologiques et systèmes géographiques, ce que j'appelle les autres systèmes. C'est une expression en fait de Bertrand Gilles. Comme vous le savez, on l'a déjà vu la semaine passée, donc la doctrine de Friedmann et de la société du Mont-Pèlerin, puisque c’est de ça dont il s’agit, bien plus que de Lippmann et de Dewey. Il s'agit donc pour ces gens-là de savoir profiter des crises, des catastrophes, des désastres, pour accélérer les réformes et l'adaptation. Alors ça c'est le sujet dont parle Barbara, justement, dans son bouquin, la doctrine du néolibéralisme, c'est qu'il faut s'adapter. Nous nous opposons à ça, l'idée est qu'il ne faut pas du tout s'adapter mais qu'au contraire il faut adopter le double redoublement épokhal. Et donc pour lutter contre la choc-doctrine qui est évidemment déjà en œuvre pour tirer parti de cette terrible crise du coronavirus et imposer de nouvelles réformes, il nous faut nous-mêmes élaborer une autre doctrine et en particulier une doctrine des chocs, de ce que signifie le mot choc, en quoi consiste le choc, et d'abord il faut que nous posions que le choc commence là, et que par conséquent il nous faut analyser l'être choqué permanent de la société humaine et ses conséquences premières et dernières. Les premières conséquences de ce choc c'est le début de l'exosomatisation et ses conséquences dernières c'est l'épidémie du Covid-19. Voilà et c'est de ça dont il faut que nous rendions compte à travers une nouvelle doctrine. Alors la doctrine du choc des néolibéraux est aujourd'hui articulée avec la doctrine de la disruption, qui est enseignée par ce type à Harvard. J'aurais pu vous donner toutes sortes d'autres, mais c'est important de savoir qu'à Harvard, il y a une chaire consacrée entièrement à cela. Et ça, ça déplace un peu les questions. Le problème ce n'est plus le néolibéralisme, dont parle de Barbara, c'est le libertarianisme qui est un ultra ultra libéralisme ou un archi-libéralisme, je ne sais pas comment l'appeler, et qui tire parti des calculs réticulaires provoqués à l'échelle planétaire. C’est bien connu, dans ce séminaire je parle depuis quatre ou cinq ans de cette exosphère mais il faut ajouter un élément d'actualité c'est qu'aujourd'hui cette exosphère elle est en train de s'enrichir des fameux 40 000 satellites que veut mettre en orbite le camarade Elon Musk à travers ce qui s'appelle Starlink et je vous recommande la lecture d'un papier qui est paru dans Lundi Matin consacré à Starlinkhttps://lundi.am/Starlink-LSD-et-Silicon-Valley↩︎. Tout n'est pas de même niveau, mais il y a plein d'informations extrêmement intéressantes qui nous donnent à comprendre qu'on n'est plus à l'époque de Friedman, on est à l'époque de Musk et de Thiel, et que ces gens-là, qu'est-ce qu'ils sont en train d'élaborer ? Une doctrine pas simplement du choc, mais aussi de la techno-structure, de la techno- sphère qui consiste à passer de l'échelle du brain c'est à dire une échelle neuronale et même nanométrique à certains égards pour entrer à l'échelle cosmique pour articuler ça avec Starlink c'est-à-dire faire des relations d'échelle d'un type très particulier qui sont basées fondamentalement sur la calculabilité. Alors j'en profite pour aussi vous parler un tout petit peu dans les éléments d'actualité d'un article que j'ai lu sur Hot Magazine il y a deux jours, trois jours. Voilà, comment reconstruire un monde post-viral. Et puis il se trouve qu'Arnaud Delépine me l'a recommandé quelques heures après. J'ai attiré l'attention d'Arnaud sur le fait que cet article commence par citer Milton Friedman « Seule une crise réelle ou perçue produit un changement réel », a déclaré le célèbre économiste américain Milton Friedman il y a quatre décennies. « Quand cette crise se produit, les actions qui sont prises dépendent des idées qui circulent » l'article commence comme ça, il ne prend pas du tout ses distances avec Friedman mais semble dire bien voilà c'est ça la doctrine. Ce qui est assez extraordinaire c'est que juste à côté vous avez Edgar Morin qui s'est toujours présenté comme la voie alternative etc. et que les gens de Up magazine ont allègrement mélangé tout ça, ce qui pour moi montre l'état d'impotence critique et de désorientation conceptuelle inouïe dans laquelle nous vivons, où Friedman et Morin sont mobilisés sur le même canard et je pense que la catastrophe dans laquelle nous sommes c'est d'abord une catastrophe noétique, il n'y a plus de concepts, il n'y a plus d'appareils critiques, il y a une désorientation totale et des tas de gens qui racontent n'importe quoi. Alors nous, nous essayons de ne pas raconter n'importe quoi, ce n’est pas toujours facile. Pour ça, ce que je propose c'est de revenir vers Norbert Wiener. Il faut peut-être commencer à le lire en fait, parce que moi je connais plein de gens qui le citent, mais des fois je me demande est-ce qu'ils vraiment ils l'ont lu. Je pense qu'ils en ont lu des citations ailleurs, mais je ne crois pas qu'il l'ait vraiment lu. Norbert Friedman c'est un grand penseur et c'est à partir de lui qu'à mon avis il faut repenser tout cela parce que la base de Elon Musk, de Peter Thiel mais aussi du néolibéralisme naît du Colloque Lippmann mais de la société du Mont-Pèlerin c'est l'informatique théorique et l'informatique théorique c'est à la fois la machine de Turing et tout ce qu'on en a fait comme mésusage d'une part et la cybernétique. Donc il faut revenir à la cybernétique et je vous dirai pourquoi tout à l'heure à la fin de cette intervention que je vous proposerai aussi de passer par David Bates qui est entré en discussion avec Yuk Hui sur le sujet. Mais pour le moment, revenons à Norbert Wiener. Vous vous souvenez que la semaine dernière, j'avais parlé, comme la semaine d'avant d'ailleurs, de la nécessité de développer une nouvelle libido sciendi et que cette libido sciendi, elle ne se fait plus dans le contexte newtonien, mais dans le contexte gibbsien, si on reprend le contexte américain de Wiener. Et ce contexte, dit-il, est un contexte tragique. Il dit « la meilleure attitude à adopter quand on roule du progrès dans un univers en dégradation progressive serait de donner à nos efforts le sens d'une tragédie grecque ». Après quoi, il fait état de l'enfant américain qui croit au Père Noël et de l'adultes aussi. J'y reviendrai un peu tout à l'heure à cette citation que j'avais déjà faite une autre fois. Je signale qu'en ce moment, Yuk Hui, à Hong Kong, travaille à une analyse de ce qu'il appelle le tragisme. Alors, je n'en connais pas les thèses en fait. Il écrit un livre là-dessus, sur l'art et la technologie, en repartant de la question du tragique. Il en parle un tout petit peu dans un papier qui a été publié d'abord dans E-Flux, en anglais, et plus récemment dans Lundi Matin, le même support que ce que je vous présentais tout à l'heure sur Starlink, et en français traduit par Michaël Crevoisier que vous connaissez puisqu'il est venu ici souvent, enfin ici je veux dire à Épineuil. Ce que je voudrais souligner, c'est que le tragique c'est au cœur de la réflexion de Norbert Wiener et que d'autre part, sans bien comprendre encore ce que veut dire Yuk à propos du tragisme, j'ai soutenu récemment dans Qu'appelle-t-on panser ?, tome 2, que notre époque, ou plutôt ce que j'appelle notre absence d'époque, ça n'est pas le tragique. Ça passe par un retour vers le tragique, mais pour aller vers ce que j'appelle le plus que tragique, et juste pour préciser ce que j'entends par là, pour les grecs, le tragique c'était le fait que la mort est sans issue, sans rémission, que jamais les hommes ne seront immortels, ou n'auront une vie immortelle. Mais par contre, pour eux, le cosmos et les immortels justement étaient des immortels, c'est-à-dire des jalons absolument stables. Ce n'est pas le cas pour nous depuis l'entropie, depuis le deuxième principe de la thermodynamique. Et à partir de là, une nouvelle affinité a-transcendantale, je l'appelle comme ça, est nécessaire pour constituer une libido sciendi qui est la condition pour élaborer une libido tout court, c'est-à-dire pour avoir une économie libidinale qui fonctionne de manière féconde. Alors, je ne vais pas en dire plus pour le moment là-dessus, on y reviendra peut-être avec Yuk, si on arrive à organiser une séance avec lui, parce qu'il y a huit heures de décalage plus tard chez lui, donc c'est compliqué d'organiser une séance de séminaire, mais on va essayer. En tout cas, ce que je soutiens c'est qu'une hypercritique, c'est ce qui doit permettre de faire une critique de la doctrine du choc, mais pas simplement de la doctrine du choc, une critique de toute la métaphysique qui est impotente devant cette doctrine du choc. Parce que pour moi, cette métaphysique, mais aussi les soi-disant déconstructions de la métaphysique, sont complètement incapables de répondre à cette doctrine du choc si ce n'est pour répéter des modèles absolument ressassés du marxisme, etc. Non pas qu'il ne faille pas lire Marx, au contraire, mais il faut lire Marx, non pas avec le marxisme, mais en lisant Marx justement comme Wiener, il faut lire Wiener au lieu de parler de la cybernétique sans avoir lu celui qui en a parlé. En tout cas une hypercritique de ce temps plus que tragique suppose de pe/anser avec un e et un a la cybernétique, elle-même se pensant à partir du concept d'entropie comme on l'avait vu la semaine dernière, là où donc Wiener pose que les machines, les organismes, les êtres humains, les sociétés, ce sont des processus anti-entropiques, il emploie le mot anti-entropique, et locaux, très important. Une précision sur la nature de la doctrine que nous combattons : lorsque j'avais dit la semaine dernière que l'être d'exception se constitue dans un rapport au kairos opérant la quasi-causation de l'accidentel d'une part et que j'avais ajouté que la choc-doctrine en est aussi une occurrence, après les objections d'Anne Alombert, je module mon point, mon discours, je pense qu'elle avait raison d'objecter. Il vaut mieux dire que c'est une pseudo quasi-causalité, cette shock doctrine. Alors, en quoi est-ce que ça ressemble à la quasi-causalité ? C'est parce qu'elle s'empare d'un accident, toujours, d'une crise, d'un accident, d'une contingence. C'est exactement la même chose, la quasi-cause mais elle ne le fait qu’en niant et en annihilant – c’est le nihilisme - les consistances, c'est-à-dire ce que les stoïciens appelaient les incorporels et que moi je préfère aujourd'hui appeler d'ailleurs, parce que je pense que le mot incorporel est dangereux. Il est repris par Deleuze d’abord et Guattari ensuite mais je pense qu’il faut les appeler des exocorporels et en se référant au troisième monde de Karl Popper. Ça c'est le troisième chapitre de la connaissance objective de Popper. Je vous redis que Popper, je m'en méfie un tout petit peu pour toutes sortes de raisons, y compris parce qu'il était membre de la société du Mont Pèlerin, ce qui est quand même un gros problème pour moi et d'ailleurs ça se voit bien pour ceux qui ont lu La Société Ouverte et ses Ennemis, mais en même temps c'est un vrai grand penseur, ce qui prouve que dans la société du Mont-Pèlerin et chez les néolibérauxPartisan d’un libéralisme de gauche Popper, s’est très vite trouvé dissidence idéologique avec de la Société du Mont-Pèlerin. « Popper, en mentionnant Lippmann et Mill, est alors sur une ligne très différente de celle des deux économistes (Mises et Hayek) de l’école autrichienne » Le colloque Lippmann Au origines du « néo-libéralisme » Serge Audier Poch’BDL p. 347 et ss.↩︎, il y a de vrais grands penseurs, il ne faut surtout pas les mépriser et les sous-estimer. Popper, avec sa théorie du troisième monde, élabore quelque chose qui constitue ce que j'appelle des exo-corporels. Alors je voulais scanner une autre page, j'ai oublié de le faire, mais un peu plus loin dans le bouquin, une centaine de pages plus loin, Popper dit il n’« existe » pas de troisième monde. Alors ce qu'il appelle le troisième monde, c'est le monde des contenus de pensée. Il repensera à Frege. Il n'existe pas de troisième monde sans élaboration technique. Il dit par exemple pour qu'il y ait des livres il faut du papier, il faut des crayons, il faut tout ça et c'est comme ça que s'élabore ce troisième monde. Donc les incorporels dont parle Guattari et Deleuze après les stoïciens, ce sont des exocorporels en fait, ce ne sont pas des incorporels, ils sont exocorporés dans des organes exosomatiques. C'est extrêmement important et c'est à partir de ça qu'on peut faire une alter doctrine du choc. Cette théorie du troisième monde de Popper c'est aussi une théorie de l'humus noétique. Cela dit, évidemment, toute quasi-cause peut elle-même devenir une pseudo quasi-cause. C'est-à-dire que ce ne sont pas simplement les théoriciens du choc qui s'emparent des accidents, les néo ou ultra-libéraux qui sont pseudo quasi-causaux. Il se peut aussi très bien que la quasi-causalité deleuzienne devienne une pseudo quasi-causalité d'épigones deleuziens. C'est un peu le destin de tous les grands facteurs de quasi-cause, que ce soit Deleuze, Guattari, Derrida, Heidegger, Bousquet, John Coltrane, ils sont imités par des imitateurs médiocres et qui font croire que Coltrane ça se réduit à cet imitateur ou par exemple que Charlie Parker se réduit à Sonny Stitt. Non, pas du tout, Charlie Parker c'est irréductible à Sonny Stitt. Par contre, si vous voulez faire du Parker, vous allez écouter, vous allez imiter Sonny Stitt imitant Parker. Et vous arrêterez de faire du jazz, vous ferez du business. Je dis ça parce que ce qui existe en musique et dans tous les domaines ça existe aussi en philosophie et c'est ce que je combats. Ces épigones, je les appelle aussi les nécrophages, ils sont importants parce que comme les bousiers et toutes ces vermines qui se pullulent dans l'humus aérobie, eh bien ils transforment les cadavres, ils les décomposent, ils en font de l'humus justement. On appelle ça des nuisibles bien qu'ils soient très utiles. Et moi ce qui m'intéresse ce n’est pas ça, c'est l'humus. Alors on va les tolérer ces nécrophages parce qu’on en a besoin, mais il ne faut surtout pas s’appuyer sur eux, il faut s’appuyer sur l’humus. Une alter shock doctrine, qu'est-ce que c'est ? C'est une doctrine du choc qui se pense depuis le fait de l'entropie, c'est ce que fait Wiener. Et telle qu'elle est devenue, ça c'est ce que ne fait pas Wiener, l’anthropie avec un a et un h, la doctrine du choc exosomatique pose l'impératif catégorique d'une néguanthropie avec un a et un h se déclinant à diverses échelles de localité, les mêmes échelles que celles que Musk essaye d'articuler par les algorithmes, depuis Neuralink jusqu'à Starlink, depuis les neurones jusqu'aux étoiles, comme c'est très clairement énoncé par les noms de ces projets. Et il s'agit de décliner ces échelles de localité contre ces projets ultralibéraux et libertariens comme économie politique et libidinale. L'économie politique, ça ne veut pas dire retour à l'état-nation, ça veut dire retour à une puissance publique. Est-ce que c'est un état national ? Est-ce que c'est un empire ? Est-ce que c'est une localité régionale ? C'est un autre sujet. Par contre c'est une localité et cette localité est territorialisée. Et cette localité territorialisée sort de son territoire parce que la libido fait sortir du territoire. Par exemple, vous êtes Roméo, la fille que vous aimez appartient à un territoire qui est votre ennemi historique et familial, et bien vous allez néanmoins tomber amoureux et épouser Juliette, vous en mourrez d'ailleurs, et ça c'est magnifique, c'est la déterritorialisation libidinale et noétique parce que la libido c’est la noésis sous ses différentes formes plus ou moins sublimées. Cette économie libidinale répond, par cette composition économie libidinale et économie politique, à la sobriété qui est requise en vue de l'ère néguanthropocène. Cette sobriété, c'est évidemment beaucoup pour Victor Chaix que je suis en train de dire ça, mais c'est aussi parce que ce sera un sujet de l'école de la génération Thunberg qu'on va aborder bientôt. Cette sobriété, tout le monde en parle en ce moment, on ne parle plus que de ça à la radio à cause du Covid-19, c'est une très bonne chose, mais là il faut avoir les idées extrêmement claires et c'est pour ça que j'ai lancé ce séminaire, c'est pour que nous puissions essayer d'avoir des idées à peu très claires sur ces questions dans ce qui va être l'extraordinairement difficile sortie de l'épidémie et de la relance économique qui risque d'être une catastrophe.
A partir de ces considérations, il y a six chantiers conceptuels qui s'imposent. Premièrement, ça je le dis depuis deux séances, refonder l'informatique théorique, c'est la base. C'est pour ça qu'on lit Wiener aussi. Deuxièmement, produire des territoires existentiels à partir de territoires laboratoires en réseau. Les territoires existentiels dont parle Guattari, il faut les produire. Et pour les produire il faut des modes de production. Ces modes de production nous appelons des territoires laboratoires en réseau. Ça reprend très précisément ce que dit Guattari dans Les trois écologies et dans Chaosmose en essayant de rien oublier, ni le territoire idiosyncrasique, enraciné et ancré comme dit Guattari, ni la technologie. Il y a aussi la poésie, il y a aussi plein d'autres choses, il y a les singularités psychiques, mais il y a ça avec les territoires à ancrage idiosyncrasiques et les machines technico-scientifiques dont parle Guattari. Si on ne tient pas les trois, c'est du bidon. C'est d'ailleurs ce que disait dans un séminaire juste avant Olivier Watley depuis la Belgique, justement en citant Guattari. Et en disant qu'il fallait réarticuler la famille, la technique, l'économie, etc. Troisième chantier conceptuel, il faut repartir de Wiener et de la cybernétique et non seulement de Turing et pour cela il faut lire David Bates, on va le faire, Peter Sloterdijk, on va le faire, Yuk Hui, on va le faire, Philip Mirowski, Gérald Moore et Dan Ross, on va le faire, on va aussi inviter Gérald d'ailleurs et peut-être Dan mais ça sera à ce moment-là en anglais. Il faut ainsi aller au-delà de l'autopoiesis aussi bien que de la structure dissipative. C'est là que je dis qu'il ne suffit pas de répéter notre ami Guattari. Il faut le critiquer. L'autopoïèse, ce n'est pas tout à fait cohérent avec l'hétérogénèse. J'en avais un petit peu parlé déjà et je vais y revenir. La structure dissipative ce n’est pas une structure néguanthropique, en tout cas pas pour moi, je crois que Maël est plus mesuré que moi sur ce point, on en reparlera tout à l'heure, en tout cas ce n’est pas la néguentropie de Schrödinger, et là-dessus Guattari comme Deleuze sont faibles, enfin je dirais sur l'autopoïesis c'est surtout Guattari, Il ne se croit pas que Deleuze ait parlé d'autopoïèse. Par contre, il a parlé de structure dissipative. Là, il y a des faiblesses, il faut les critiquer. C'est fondamental. Sinon, on ne peut pas reprendre les pensées de Deleuze, Guattari et de tant d'autres. Quatrième chantier, justement, il faut à nouveau frais, ouvrir la question de l'hétérogénèse chez Gilles Deleuze, je vais y revenir. Cinquième chantier, il faut repanser avec un a l'hospitalité, qui va être une immense question dans cette période terrible dans laquelle nous sommes en train d'entrer. Il faut repenser l'hospitalité dans la différance dedans-dehors, différance avec un a qui est aussi ce que j'appelle maintenant la différance transitionnelle, il y a du dedans et du dehors, le dedans n'est pas dissous par le dehors, ni le dehors par le dedans, jamais Derrida n'a dit ce genre de d’ânerie, d'ailleurs, ce sont ceux qui l'ont vite lu et répété comme des perroquets sans lui être fidèles qui disent ça, jamais Derrida n'a dit ce genre de choses. Maintenant il faut ajouter aux analyses de la différance avec a de Derrida, la question de l'aire transitionnelle, bref de tout ce qu'on a investigué dans les trois heures précédentes avec Donald Winnicott. Si vous voulez en savoir plus, ça sera en ligne bientôt, on vous donnera le lien. Cette hospitalité qui constitue une différance transitionnelle, c'est une hétéropoïèse et non pas une autopoïèse. Et c'est ça qu'il faut explorer. Alors, on avait vu la semaine dernière comment Giuseppe Longo avait répondu à ma réponse, à sa lettre. Depuis, Giuseppe et moi, on a continué à échanger, et précisément, on a échangé sur quoi ? Sur l'hétérogénèse différentielle, telle que tentent de la penser Sarti et Cittihttps://www.ehess.fr/fr/ouvrage/dynamiques-post-structurelles↩︎, qui sont des mathématiciens italiens et sur lesquels il y a un appel à contribution à la Deleuziana, en ce moment même, la revue qui a été montée par Paolo et Sarah. Nous en discutions avec Giuseppe, parce qu'il travaille avec Sarti, il est très intéressé par cette théorie de l'hétérogénèse différentielle dans le champ des mathématiques qui donc s'ancre dans les travaux de Deleuze dans Différence et répétition en partant de Leibnitz etc. Je ne vais pas en parler ici. Et chez Giuseppe, l'intérêt pour ça, il n'est pas simplement spéculatif et purement théorique, il est aussi orienté vers la nécessité de concevoir une nouvelle machine comme étant l'objet d'une nouvelle informatique théorique, ou un nouvel, moi je dirais plutôt, ça c'est mon point de vue, la nouvelle machine c'est le point de vue de Giuseppe, je dirais plutôt, pour le moment, peut-être qu’il y a une machine mais en tout cas qu'il faut un nouvel agencement machinique et énonciatif, c'est-à-dire délibératif, existentiellement territorialisé, territorialisable via les réseaux. Je crois que c'est assez proche des questions que pose Yuk, d'ailleurs. Il évoque ça un tout petit peu dans ce papier dont je parlais tout à l'heure. Pour ça, dans tous les cas, outre qu'il faut critiquer Wiener, relire Deleuze et l'hétérogénèse, etc., il faut bâtir une hypercritique et cette hypercritique c'est une alter doctrine du choc comme critique de la critique de la raison kantienne. Qu'est-ce que je veux dire ? Je veux dire que ce qu'on appelle la pensée critique, si les philosophes ont dit en histoire de la philosophie, il y a la pensée pré-critique, Descartes, Leibniz, Platon avant, etc. Et puis il y a la pensée critique, c'est-à-dire Emmanuel Kant et toute cette époque. Et puis ensuite il y a la post-critique. On pourrait dire, certains ont envie de dire, le post-structuralisme par exemple, etc. Bon, moi je suis très méfiant avec ça. En tout cas, il faut, ce que je soutiens, il faut faire une hyper-critique, c'est-à-dire qu'il faut critiquer la Critique de la raison pure et la Critique du jugement, la deuxième critique, également La raison pratique, à partir premièrement des théories de l'entropie, c'est à dire en sortant du cadre newtonien qui est celui de Kant et en tirant toutes les conséquences de la sortie du modèle newtonien en particulier par rapport à la cosmologie rationnelle de Kant, mais pas seulement, beaucoup plus que ça, la théorie de la calculabilité donc de l'entendement etc. Et d'autre part il faut intégrer la théorie de l'exosomatisation. C'est ça faire une critique de la critique kantienne. A partir de là il s'agit de panser avec un a la réticulation algorithmique des rétentions tertiaires hypomnésiques digitales, c'est-à-dire des rétentions digitales qui affectent le schématisme kantien. Vous le savez peut-être, enfin je l'ai souvent dit dans ce séminaire et je l'ai écrit dans un livre, ce que Kant appelle les schèmes, qui sont les fruits de l'imagination transcendantale, eh bien moi je soutiens qu'en fait ce sont des rétentions tertiaires hypomnésiques qui sont produites par l'exosomatisation. C'est donc que j'appelle une philosophie a-transcendantale, qui n'est plus transcendantale même si elle reprend les questions transcendantales à son compte, mais en les détranscendantalisant, en passant par Max, Freud, Nietzsche, etc. Le problème c'est qu'aujourd'hui ces rétentions tertiaires hypomnésiques sont configurées par le modèle computationaliste, c'est-à-dire cognitiviste, et que du coup ces rétentions tertiaires hypomnésiques aboutissent à une hypertrophie de l’entendement, c’est ce que j’avais décrit dans La société automatique, et archi-entropique et qui est mortelle pour la biosphère. C’est ça qui génère la vulnérabilité, la destruction progressive de toute néguentropie donc de toute biodiversité, noo-diversité, et donc l'extraordinaire vulnérabilité de la planète devenue technosphère. Et c'est ça le vrai enjeu de la sortie de la crise du Covid-19. Si nous ne sommes pas capables d'argumenter ça, nous n'arriverons absolument à rien, voilà ce que je soutiens. Le nouveau stade exosomatique dans lequel nous sommes à travers l'intelligence artificielle réticulaire qui est un stade de la noogenèse, pour qu’il devienne vraiment un nouveau stade de la noogenèse, il faut y accomplir le second temps du double redoublement épokhal de la disruption. Parce qu'en principe, la disruption rend impossible le second temps puisque le premier temps va plus vite que la possibilité même du deuxième temps. Et bien nous, nous disons que ce n'est pas vrai du tout. Il faut mettre en place une nouvelle méthodologie de recherche, nous appelons ça la recherche contributive. Il faut aussi mobiliser les universités, les laboratoires de recherche, les grands établissements scientifiques pour qu'ils se bloquent face aux exigences néolibérales. J'avais appelé à ça dans État de choc, j'avais appelé les universités du monde entier à faire la grève noétique. Il faut le faire, non pas pour se mettre en grève, mais en refusant un certain nombre d'appels d'offres et en développant d'autres appels d'offres, et c'est nous qui devons les produire ces appels d'offres. Ce ne sont pas des agences qui sont pilotées par des économistes ou plus exactement par des gestionnaires qui sont là pour augmenter le business dans la guerre économique, non, c'est à nous de faire ces appels d'offres, dans une critique par les pairs, comme ça a toujours été le cas jusqu'à il y a 15 ou 20 ans. C'est absolument récent que cela a été détruit et ça avait été élaboré en Grèce ancienne, dans le Bouleutérion. C'est quelque chose d'incroyable qu'il n'y ait eu aucune réaction à tout cela, plus que cela. Cette recherche contributive, elle reprend les points de vue de François Tosquelles, de Gregory Bateson, de Kurt Lewin et donc de Guattari, mais aussi de René Lourau. Je dis mais aussi, pourquoi ? Parce que Guattari ne parle pas de René Lourau. Alors pourquoi est-ce qu'il ne parle pas de René Lourau ? Tout d’abord René Lourau, c’est un marxiste, il se réfère beaucoup à Hegel, à la dialectique. C'est quelqu'un qui a travaillé avec des gens comme... comment s'appelle-t-il... cet auteur que j'ai beaucoup commenté, qui a écrit Le droit à la ville, Henri Lefebvre, voilà, il faisait partie à Nanterre de ce groupe de sociologues, d'économistes et de philosophes qui essayaient de mettre les disciplines des humanités au service de la lutte contre l'exploitation de l'homme par l'homme, on disait à cette époque-là, il a mis en place toute une démarche qui s'inspire de ceux que j'ai cités tout à l'heure, mais en y apportant des éléments tout à fait propres, spécifiques, et je pense qu’il faut le relire, en particulier la conclusion où il fait des propositions méthodologiques tout à fait intéressantes qui sont à mon avis compatibles avec Guattari. Mais alors pourquoi est-ce que Guattari ne les convoque pas ? En tout cas à ma connaissance, c'est parce que je crois que pour Guattari il est beaucoup trop et freudien et marxiste, c'est-à-dire hégélien. Je peux comprendre ça, mais à mon avis c'est une erreur. Il faut revenir, il faut réarticuler Guattari avec Lourau et l'analyse institutionnelle en général. Il faudra que nous y revenions dans ce séminaire ou ailleurs, en tout cas pour ce que nous faisons en Seine-Saint-Denis, et sur les futurs territoires existentiels territorialisés sur lesquels nous sommes en train d’essayer de travailler. En outre les questions que nous allons examiner à présent dans Norbert Wiener, puisque maintenant on va revenir à Norbert Wiener, nous conduiront premièrement vers la question de la décision chez Carl Schmitt dans son rapport à la cybernétique et à travers la question du kathekonKathekon est un concept stoïcien créé par Zénon de Kition. Il peut être traduit par « action appropriée », « action convenant », « fonction propre » ou encore, compte tenu de sa réception chez les Latins, « devoir ». Le terme a été traduit en latin par officium chez Cicéron, et par convenientia chez Sénèque. https://fr.wikipedia.org/wiki/Kathèkon↩︎. Et ça nous amènera à lire cet article de David Bates et j’ai l’intention de lui proposer à David Bates en mai ou en juin de faire une intervention sur cette... il devait venir en fait, on avait prévu de faire un séminaire avec lui à la maison Suger avant la crise sanitaire, donc il est coincé maintenant aux Etats-Unis, mais voilà moi je voudrais proposer qu'on fasse une séance comme celle-ci avec lui bientôt, qui tournerait autour de cette question du kathèkon en fait. Kathèkon et cybernétique, c'est Schmitt évidemment, mais ce n’est pas seulement Schmitt, vous allez le voir Wiener aussi parle de kathèkon. Donc on parlera de ça et on parlera aussi de la question de la co-immunité chez Peter Sloterdijk. Sloterdijk en parle dans cet article qui a été publié dans la revue Multitude, vous le trouverez en ligne. Et on parlera également de ce que yuk Hui en dit dans cet article-là qui vient donc d'être publié en français dans Lundi Matin. Avant tout cela, et pour nous préparer à faire cela, il nous faut continuer la lecture de Norbert Wiener et de la façon qu'il a de convoquer les théories de l'entropie et de la néguentropie, sachant que David Bates lui-même interprète Carl Schmitt à partir de ces questions de ces questions d’entropie et de néguentropie.
Norbert Wiener, pour moi, c’est d’abord, en vue d'ailleurs de refonder l'informatique théorique, c'est tenter de trouver le sens exosomatique supérieur de la cybernétique. Qu'est-ce que je veux dire en disant supérieur ? Et bien comme j’ai essayé de vous montrer tout à l'heure, l'enjeu de la cybernétique pour Wiener, c'est ce que j'appelle les exorganismes complexes supérieurs. Ce n'est pas aussi clair que ça, en tout cas évidemment il n'emploie pas cette terminologie, mais néanmoins il le dit très précisément. La cybernétique, c'est la question aujourd'hui de la régulation par des boucles de rétroaction des collectifs humains, ce que j'appelle donc des exorganismes complexes, à travers une aide artificielle exosomatique dont la cybernétique est la théorie mathématique, puisque c'est un mathématicien avant tout. Là je vous recommande d'ailleurs un livre qui est celui-ci, Cybernétique et société, que vous avez peut-être lu, mais je vais aussi vous parler tout à l'heure de cet autre livre-là, et c'est en fait celui-là le livre important de Wiener. C'est un livre qui n'est pas évident à lire parce qu'il y a beaucoup de mathématiques, pour ceux qui ne connaissent rien aux maths comme moi, ce n’est pas toujours simple, mais c'est ça le texte qui est à l'origine de la cybernétique de Wiener. L'autre, c'est les conséquences sociales de cette conception de la cybernétique. En tout cas, c'est là que, selon moi, à la fois on trouve la possibilité, en relisant Wiener, d'une alter doctrine du choc. Et c'est ce en quoi, je crois, qu’ont échoué aussi bien Martin Heidegger, dont je crois qu'il n'a pas compris Norbert Wiener que les French theorists, qui sont tous plus ou moins heideggeriens, comme Derrida, Deleuze, Lyotard, Foucault, etc., ainsi que leurs épigones parfois franchement misérables. D'autre part, c'est là qu'est la possibilité de constituer le point de départ d'une refondation de l'informatique théorique, qui est la seule voie possible pour pratiquement répondre à la question de la sortie de la crise sanitaire et de l'entrée dans un nouvel âge. C'est une question pratique. Et donc, si on n'est pas capable de décliner nos théorèmes dans des programmes scientifiques de recherche technologique, comme le disait Guattari, pour développer des nouveaux modèles qu'il appelait technico-scientifiques, eh bien on est foutus. La shock-doctrine, sa puissance, surtout depuis qu'elle est devenue le libertarianisme, c'est d'être capable de décliner, bah quoi, par exemple 40 000 satellites en l'espace de quatre ans à travers un lanceur qui s'appelle je ne sais plus comment, etc. Il faut voir le génie absolu de ces mecs que nous combattons et qui vont extrêmement vite et si on n'est pas capable d'en faire autant, c'est perdu. Donc il faut avoir les yeux en face des trous. Maintenant, si on veut mettre nos yeux en face de nos trous, des trous de nos yeux, de notre absence d'époque et de retrouver un sens à tout ça, eh bien il faut repartir de Wiener tel que lui-même il repart d'une analyse épistémologique de la science de son temps. Qu'est-ce qu'il pose ? Première phrase de l'introduction, « Le début du XXe siècle marque un véritable bouleversement dans nos conceptions du monde. » C'est de ça dont parle Wiener. C'est ça le point de départ de la cybernétique. Et ça, ça a été effacé. Plus personne ne parle du bouleversement dans les conceptions du monde qui a été Gibbs, Boltzmann avant lui et avant eux, Carnot etc. Pourquoi bouleversement ? Parce que à travers Gibbs notamment, lui dit que c'est Gibbs qui est le plus important dans ce processus, je ne donnerai pas d'avis parce que moi je vous avoue je n’ai jamais lu Gibbs, j'ai lu Boltzmann un peu, mais Gibbs je n'ai jamais lu. En tout cas ce qui est fondamental là-dedans c'est que à partir de cette révolution thermodynamique le cosmos est indéterminé et inachevé. En totalité, ce n’est pas simplement l'être vivant qui est inachevé, ce n’est pas simplement la société qui est inachevée, c'est le cosmos lui-même qui est un processus en cours de développement, dans lequel il y a une indétermination fondamentale, et qui concerne tout aussi bien le monde physique que le monde moral. Je dis ça parce que pour Kant il y avait une indétermination du monde moral. Bien sûr, pour Kant c'était ça la base de ce qu'il appelait la liberté. Mais dans l'affinité devenue a-transcendantale de la thermodynamique, le monde physique aussi est indéterminé et inachevé. Pas de la même manière, bien entendu, mais néanmoins lui aussi. Et ça veut dire qu'il faut repenser la physique en très grande profondeur, ce qui à mon avis n'est pas encore fait. Ce qui se fait, c'est des pensées très importantes en mécanique quantique, en astrophysique, dans toutes sortes de domaines, dans la physique mathématique où il y a une multiplicité de champs de spécialités extraordinairement passionnants, très riches, extraordinairement féconds, etc. Mais pas de théorie physique unifiant tout cela. Il y a des raisons à ça, évidemment, fondamentales. C'est que cette unification, on ne parvient pas à la faire. Mais ce que je soutiens, moi, c'est qu'elle ne se fait pas, notamment parce qu'il y a un refoulement de la question de l'entropie. Ça c'est un des objets de la petite controverse que j'essaye d'entretenir avec Aurélien Barrau. En tout cas, tout ça conduit à ce que Wiener appelle l'imperfection organique et qu'il rapporte au diable et à la question de l'imperfection chez saint Augustin dans la Cité de Dieu. Et nous, quand je dis nous, je parle de Maël Montévil et moi, nous essayons depuis que nous travaillons ensemble, ça fait maintenant deux ans je crois, deux ans et demi, nous essayons de penser le diachronique dont le diable est le nom. Ça fait très longtemps que j'ai annoncé un livre, le tome 4 qui est maintenant devenu le tome 5 de La technique et le temps, le sous-titre c'est Symboles et diaboles Les diaboles c'est ce qui se tient entre le diable et le diachronique. Et je pense que c'est ça qu'essaye de penser Wiener. Je dois vous dire tout de suite que je pense qu'il échoue à le penser. Mais son échec est extraordinairement fécond et fructueux et il faut le lire de très et non pas faire comme les heideggeriens qui disent ah bah Heidegger a dit que ce n’était pas intéressant donc on ne le lit pas. Non il faut le lire parce que Heidegger ne l'a pas bien lu. Alors le démon négatif d'Augustin, qu'il appelle l'imperfection, c'est ce que j'appelle le défaut d'origine et le défaut qu'il faut, qui est la condition de la quasi-causalité. Il faut repenser l'imperfection et le diable à partir d'un regard pharmacologique sur l'exosomatisation à son stade cybernétique. Voilà ce que je veux faire ici. J'ai oublié de vous montrer ce transparent, vous le connaissez déjà, je l'avais montré à la séance précédente. Ce que peut-être juste je vais redire, c'est que voilà, ici, Wiener insiste sur l'incomplétude dans le monde. Il emploie le mot incomplétude. Vous allez voir que tout à l'heure on va y revenir avec Giuseppe en matière de théorie de la calculabilité, une incomplétude, pas simplement avec Gödel. Donc je passe là-dessus. Dans son autre ouvrage majeur, celui que je vous que je vous ai montré tout à l’heure, Wiener souligne dans un chapitre qui s'appelle Temps Newtonien, temps Bergsonien que l'indétermination chez les humains est inséparable de leur équipement exosomatique. Il le montre ici, c'est extrêmement important. On va le retrouver d'ailleurs dans Cybernétique et Société, vous le verrez tout à l'heure, mais là c'est la théorie mathématique qu'il est en train d'exposer. Et pour introduire sa théorie mathématique, il précise que les processus de temporalisation dans les sociétés humaines s'opèrent toujours à travers les arpenteurs, les astronomes, les navigateurs, les horlogers, les polisseurs de lentilles, une montre, les techniques de navigation etc. Il dit : le principal aboutissement technique de ce savoir-faire découlant des modèles de Huygens et de Newton fut l'âge de la navigation. Autrement dit, Wiener ne pense jamais à la science séparée de la technique. Et ça, c'est absolument fondamental. C'est absolument fondamental parce que ça va lui permettre ensuite de penser ce que j'appelle les exorganismes complexes supérieurs en disant par exemple au marchand a succédé le manufacturier, au chronomètre, la machine à vapeur et à partir de là il va développer toute une théorie de l’association, de la constitution des sociétés, à travers des types de boucles de rétroaction d'un nouveau type. Alors ici il nous faut rappeler quelque chose qui est la note que j'avais déjà citée la semaine dernière à savoir que Wiener nous dit qu'une définition indiscutable et définitive de l'entropie n'est pas possible, il n'est pas réaliste d'exiger une définition indiscutable et définitive de l'entropie. Pourquoi ? Alors d'abord parce qu'il y a d'énormes problèmes épistémologiques de fait, alors que peut-être un jour on arrivera à surmonter de droit, c'est ce que j'espère moi, j'espère contribuer à activer le monde scientifique dans ce sens-là, c'est pour ça que j'emmerde Aurélien Barrau, parce que je voudrais que les astrophysiciens arrêtent d’ignorer ces questions mais je pense que c'est aussi ce que dit Simondon lorsque Simondon dit que connaître l'individuation est impossible parce que l'individuation dès lors qu'on la connaît on la transforme et du coup ce qu'on a connu n'existe plus. Ça c'est le problème de l'entropie de la néguentropie, de la processualité comme disent aussi bien Simondon que Whitehead. Et donc, il faut que nous comprenions que nous devons apprendre à vivre avec un inconnaissable que nous devons néanmoins conceptualiser et en le déclinant sous les figures de l'entropie, la néguentropie et l'anti-entropie, avec un e, mais aussi avec un a et un h pour les trois figures. Ça, c'est notre programme de travail ici que nous menons, nous essayons de mener depuis un certain temps d'ailleurs, pas avec cette thématisation comme je la fais aujourd'hui mais néanmoins depuis très longtemps et dès le début avec David Bates, Hidetaka Ishida et un certain nombre d'autres etc. qui sont les Digital Studies qu'on a lancés en 2012, donc ça fait maintenant 8 ans, au Centre Pompidou, durant ce colloque, et où on a déjà avancé un certain nombre de choses sur ce registre-là. Alors pour cela, il faut revenir sur la critique des thèses de Wiener, telle qu'il y pose que, vous l’aviez vu avec moi l’autre fois, l’organisme vivant et la machine sont anti-entropique. Alors est-ce qu’ils sont anti-entropiques de la même manière ? La réponse est clairement non. Il dit, lorsque je compare l'organisme vivant avec une telle machine, je ne veux absolument pas dire que les processus chimiques, physiques et spirituels de la vie, etc. sont les mêmes que ceux des machines. Il ne dit pas ça. Il dit par contre que dans les trois cas, organismes vivants, machines et sociétés, parce que dans un autre passage il parle des sociétés, et bien il y a des processus originaux de lutte contre l'entropie. Et c'est absolument évident. De ce point de vue-là, il a raison. Il ajoute que les uns et les autres sont des exemples de processus anti-entropiques locaux. C'est-à-dire qu'il a bien lu Schrödinger, lui, à la différence de Simondon. Nous devons critiquer ce point de vue certainement avec Simondon parce qu'il tend parfois à confondre les deux. Il y a des moments où ce n'est pas très clair chez Wiener, mais là c'est très clair qu'il ne confond pas les deux. Et nous devons le critiquer d'abord en l'honorant, en honorant son extraordinaire clairvoyance et d'abord parce qu'il pose pour nous sinon pour lui-même la question de l'exosomatisation. A chaque fois il rapporte toutes ces questions à l'histoire des techniques, etc. Il repose toujours que la cybernétique c'est un stade dans le processus d'exosomatisation. C'est le grand sujet de la confrontation avec Simondon, cette convergence ou pas entre machine et organisme, comme disait Canguilhem mais Simondon est lui-même très ambigu sur ce point, puisqu'il dit également que la machine produit la néguentropie. Il le dit très clairement. Il dit la chance l’homme c’est que la machine produit de la néguentropie. Il ne dit pas le contraire de ce que dit Wiener. Il rejette la confusion entre la machine et l'organisme, mais je crois que Wiener ne fait pas cette confusion. Par contre, à l'inverse, Simondon ignore gravement la pharmacologie de la machine, alors qu'au contraire Wiener postule d'emblée la duplicité pharmacologique de la cybernétique. Donc si on veut critiquer Wiener, il faut commencer par le lire, il ne faut pas simplement se contenter de lire Wiener à travers Simondon. Le Wiener de Simondon n'est pas Wiener, c'est le Wiener de Simondon et ça ne suffit pas parce que je pense qu’il n’a pas tout compris à Wiener comme Heidegger. Wiener insiste sur les dimensions à la fois locales et temporaires de toute forme de néguentropie, y compris l'entropie machinique. La machine semble temporairement résister à la tendance générale à l’accroissement de l’entropie. et à l'appartement dans l'entropie. Localement et temporairement. Donc ça veut bien dire qu'il y a un caractère tragique de la machine, ou plus que tragique. La machine n'apporte pas de solution à l'entropie. C'est extrêmement clair pour Wiener. Ce n’est pas si clair que ça chez Simondon. Donc je pense qu’il faut honorer Wiener. Maintenant il faut aussi le critiquer fortement parce que, en tout cas selon moi, dans la suite du bouquin et dans l'autre grand ouvrage, dans ces deux grands livres qui sont ces livres de référence, ne tirent aucune conséquence ni de la temporalité fugitive ni de la localité limitée de la capacité à lutter contre l'entropie de la machine. A partir de là, qu'est ce qui va se passer ? Ça c'est ma thèse critique, enfin négative, sur Wiener. Premièrement, il va se laisser embarquer par les sophismes de Shannon, tout comme Simondon d'ailleurs, quoi qu'il en dise, c'est à dire qu'il va reprendre à son compte la théorie de l'information, qui serait une information sans support, calculable, avec des probabilités, etc. Deuxièmement, il ne voit pas la question de la calculabilité, à mon avis, en tout cas il ne fait aucune référence à ni à Gödel, ni à Turing, etc. dans tout ce qu'il dit, il parle de la physique mais il ne parle pas des mathématiques et de cette dimension-là. Et conséquemment et troisièmement il a une théorie du langage qu'il aurait dû à une théorie de l'information qui est une catastrophe. C'est pour ça que Heidegger l'a rejeté. Et là-dessus Heidegger avait tout à fait raison sauf qu'il aurait dû ne pas tout rejeter. Alors à cet égard lisons un petit peu ce que me disait Giuseppe dans son dernier message. Il dit, quand il se réfère à Sarti, à l'hétérogénèse de Deleuze, mobilisé par Sarti pour repenser les mathématiques, il paraphrase Sarti en lui faisant dire qu'on pense tout gouverner par des méthodes de l'optimum des gradients plus ou moins affinés. L'invention mathématique est nulle. Autrement dit, qu'est-ce que dit Giuseppe après Sarti ? C'est que ce qu'on nous présente comme des mathématiques, ce n'est pas des mathématiques. Ça ne produit pas de mathématiques. C'est une instrumentalisation des mathématiques. C'est ce qu'on appelle des mathématiques appliquées. Je sais que Giuseppe, et Maël, n’appellent pas ça comme ça et par ailleurs, il dénonce l’instrumentalisation des mathématiques comme Sarti en quoi consiste ce que j'appelle moi le computationnalisme et il souligne que les mathématiques convoquées, ici, qui sont les mathématiques de la calculabilité, qui sont les mathématiques de Gödel, de Turing et de Church, posent avant tout le caractère négatif et limitatif de la calculabilité. Donc c'est une façon d'utiliser Turing exactement à contre-courant de ce que dit Turing, à rebrousse-poil de ce que dit Turing. Turing s'était d'ailleurs un petit peu prêté à ce jeu à mon avis pendant un certain temps. Il n'a pas toujours été, je trouve, d'une parfaite limpidité par rapport à ça, mais comme l'a montré Lassègue, il a quand même posé le problème de bifurcation à partir des années 50, et ça c'est tout l'intérêt de ce que dit Lassège et de relire Turing en particulier, cet article dont parle aussi d'ailleurs Maël dans son papier sur la machine de Turing, qui est l'article sur la morphogenèse qui ouvre à la question du biologique. Je ne vais pas en parler, mais peut-être qu'on en parlera tout à l'heure avec Maël, et on fera évidemment une séance là-dessus aussi, comme on l'a déjà évoqué. En tout cas, revenons à Wiener ici. Il pose qu’il existe des îlots d’entropie décroissante dans une entropie qui ne cesse de croître. Voilà, ça c'est son point de départ. Il n'en tire pas les conséquences malheureusement. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire, et c'est ça pour moi qui doit être inscrit dans une nouvelle informatique théorique, que la localité n'est pas fonctionnalisée par sa théorie cybernétique. Il faut fonctionnaliser la localité. Il faut faire de la localité une fonction primordiale de la noésis. Et à partir de là, il est possible selon moi de reconstituer une nouvelle informatique théorique. Alors est-ce que c'est en créant une nouvelle machine ou pas ? Je ne sais pas, mais j'espère qu'on en discutera bientôt avec Giuseppe, avec Yuk qui va un petit peu dans ce sens-là je crois, avec David Bates et avec beaucoup d'autres etc. J'en parlerai aussi demain avec Johann Maté qui va se joindre à ce groupe. Alors revenons maintenant à l'enfant américain, à son Père Noël et au paradis sur terre. Vous vous souvenez de ce que disait Wiener de l'enfant américain qui croit en Père Noël et quand il devient adulte, il continue à y croire, il pleure si on ne lui donne pas ses joujoux parce qu'en fait ce qu'il est en train de décrire c'est le consommateur américain. Qu'est-ce qu'il veut ce consommateur américain ? Construire un paradis sur terre, nous dit ici Wiener. Et cette construction du paradis sur terre c'est une vénération d'un progrès infini. Si vous lisez ce qui est écrit là, vous verrez que Wiener critique cette idée du progrès infini, c'est-à-dire l'idée de la croissance. Il est beaucoup plus lucide par exemple que Keynes qui ne voit pas ces problèmes de limitation. Il est beaucoup plus lucide que tous ses contemporains sur ces questions. Il dénonce le catéchisme de l'Américain moyen qui a conduit à ce qu'on appelle aujourd'hui Donald Trump. Donc c'est très important de lire Wiener pour s'armer et sur le terrain des ultralibéraux libertariens les combattre au niveau des concepts et de dézinguer le cognitivisme de Stanford puisque tout ça c'est ce qui est fabriqué à Stanford à travers son appel au cognitivisme computationaliste. Cela dit, Wiener en parlant du paradis sur terre et du consommateur américain qui croit au Père Noël, il parle du marché, mais il ne semble pas voir comment la cybernétique peut optimiser à l'extrême la logique du marché. Ce que je veux dire par là, c'est que tout en étant quelqu'un très à gauche, comme vous le savez, je vous l'ai dit je crois l'autre fois, il avait été menacé par le maccarthysme qui l’ accusait d'être communiste. Il n'était pas communiste, mais il était quand même très proche de la gauche radicale allemande. Il se méfiait énormément du fascisme, il savait de quoi il parlait bien sûr, en tant qu'Allemand. Malgré ça, Wiener ne fait pas la critique de la manière dont le marché et la théorie néolibérale justement va s'emparer de la théorie de la calculabilité cybernétique pour développer un marché computationnel à 100%. Évidemment, il ne connaît pas ce que nous connaissons nous, qui est la Data économie qu’il n'a pas vu, mais en même temps il anticipe tout ça, bizarrement sans l'articuler avec le marché, si je puis dire, en tant que tel. Il anticipe en posant le problème du rôle des savoirs dans les sociétés humaines qu'il compare aux fourmilières. Vous vous souvenez, j'ai déjà commenté plusieurs fois ces textes dans d'autres séminaires, il dit que les fourmis ce sont des espèces de communautés qui calculent, qui font des espèces d'exorganismes complexes. Enfin, ce ne sont pas des exorganismes, ce sont des supra-organismes complexes, ce n'est pas la même chose. On appelle ça des fourmilières ou des ruches, etc. Il dit que la seule différence entre une fourmilière et une société humaine, c'est que les fourmis sont stupides et elles n'ont rien à apprendre, elles n'apprennent strictement rien, tandis qu'une société humaine repose sur l'apprentissage et sur l'acquisition de savoirs. Et là, il ajoute, ce chapitre veut montrer que cette aspiration du fasciste à un état humain construit sur le modèle de celui des fourmis est fondé sur une profonde incompréhension aussi bien de la nature de la fourmi que de celle de l’homme, cet état fasciste, pour Wiener, nous semble dedans aujourd'hui. C'est ça que nous vivons aujourd'hui, dans le monde entier d'ailleurs, aux États-Unis plus qu'ailleurs, mais il n'y a pas que les États-Unis. Et toute la question d'ailleurs de l'appropriation de l'épidémie de coronavirus pour justifier une captation systématique de nos faits et gestes en permanence, c'est un bond en avant dans cette fourmilière fasciste. Alors, la question c'est qu'est-ce qu'on peut opposer à cela ? Ce qu'on peut opposer à cela, c'est le savoir, dit Wiener. Et ce savoir qui est celui de l'individu humain qui apprend et étudie parfois pendant la moitié de sa vie et qui est physiquement équipé pour cela, et bien il est basé sur ce qu'il appelle le sensorium humain. Qu'est-ce que c'est que sensorium humain ? C'est cette capacité d'avoir des expériences sensibles, ça ressemble parfois presque à du Walter Benjamin ce qu'il dit là, sauf que ça passe par des organes artificiels dont les ordinateurs sont un cas cybernétique, turingo-cybernétique. Alors, il ajoute, bien qu'il soit possible de jeter aux orties cet énorme privilège de formation que possède l'être humain et non la fourmi, et ça c'est ce qui est en train de se passer aujourd'hui avec les transhumanistes qui disent on n'a plus besoin de se savoir de ces crétins d'êtres humains, faisons-en des esclaves, remplaçons-les par des machines et nous allons vivre ailleurs comme des dieux. Eh bien, il dit, bien qu'il soit possible d'organiser l'état fourmilière fasciste avec du matériel humain, je crois que c'est là une dégradation de la nature même de l'homme et économiquement un gaspillage des valeurs les plus hautes et les plus humaines. Alors ça c'est un discours très humaniste classique, mais à ça il faut opposer, comme il le fait lui-même d'ailleurs ailleurs, que ça conduit à l'augmentation générale de l'entropie. C'est ce que nous essayons de montrer, et c'est cela qui doit être l'objet de notre alter doctrine du choc, pour essayer de contribuer à une sortie de la terrible crise dans laquelle nous sommes, pour laquelle je dois vous dire que je suis extrêmement pessimiste quant à la possibilité d'en sortir, mais la seule façon d'être pessimiste, c'est de transformer son pessimisme en courage et donc en action, comme disait l'autre, vous connaissez la fameuse citation. Alors, ici Wiener, après avoir posé qu'il faut considérer trois types d'organisation ou d'organisme, les individus biologiques, les individus mécaniques, les machines, et les individus sociaux, sociétés, il prend un tournant dans son analyse, dans le livre, c'est très important, ce qui se passe dans ce chapitre 3, il va s'attacher à penser les sociétés et le rôle du feedback sous ces différentes formes de sociétés, le feedback pour lui n'étant pas le privilège de la cybernétique. La cybernétique, c'est une automatisation du feedback mais il montre que dans toutes les sociétés il y a du feedback évidemment. D'ailleurs Gregory Bateson dit la même chose, autrement, et là il s'intéresse à la diversité des formes d'organisation sociale. Alors il y a beaucoup de pages, là je vous en montre que deux, les calvinistes, les prophètes hébreux, les communistes, l'islam, le bouddhisme, l'américain moyen. Et tout cela, il dit, c’est lié fondamentalement, il y revient, à la question de la technique. Il ajoute, l'administrateur babylonien d'une propriété du temple n'aurait eu besoin d'aucune formation supplémentaire, ni en comptabilité, ni dans la gestion des esclaves pour diriger une plantation du sud des États-Unis. Qu'est-ce qu'il essaie de montrer là ? Il essaie de montrer qu'à travers les exorganismes complexes inférieurs et supérieurs, il y a des choses qui se maintiennent en différentes formes de tels organismes, et d'autres qui doivent évoluer avec l'évolution des savoirs et des techniques. Alors, ce tournant vers les exorganismes complexes supérieurs, pour moi, est absolument fondamental, il est très sous-estimé, il n'est pas tellement analysé et je pense que nous devons nous y pencher. Il pose que le destin des sociétés est indissociable de celui des techniques. La question du double redoublement épokhal est posée en fait ici par Wiener et la question qui va se poser c'est la vitesse que l'on avait aussi vu chez Lotka, vous vous en souvenez, en 1945, Lotka disait voilà il y a de la technique qui se développe etc. le problème c'est que les savoirs sont de plus en plus retardataires sur ces questions. Donc il faut que nous comprenions ici la question est de repenser les organisations sociales, les organismes au complexe supérieur dans leur relation à la technique et au savoir, ce qui n'est pas du tout la même chose, et les types de feedback que cela constitue, ce qu'il appelle les rétroactions sociales, ici dans la traduction française, entre technique et système sociaux, ce que j'appelle moi, après Bertrand Gilles, les ajustements entre système technique et autres systèmes.
Ayant posé cela, Wiener questionne ce qui, dans la tradition chrétienne, mais aussi dans la question de Carl Schmitt, se présente comme l'enjeu du kathekon, à savoir ce qu'il appelle ici le second avènement du Christ. Cette question du second avènement du Christ, vous allez voir comment elle est posée. Alors, ce second avènement du Christ, comprenez-moi bien, et comprenez bien Wiener, il n'est pas chrétien Wiener, il ne revendique pas, enfin je ne sais pas s'il est chrétien ou pas, mais en tout cas il n'est pas en train de dire qu'il faudrait un second avènement du Christ et un jugement dernier, il est en train de dire que ce qui se passe aujourd'hui au niveau des exorganismes complexes supérieurs pose des problèmes de la même nature que celui que Saint Paul de Tarse a posé à un moment donné. Ce que nous dit Wiener c'est qu'à travers cette question de la technique qui se pose à travers la cybernétique à l'époque contemporaine, n'oubliez pas d'ailleurs que c'est l'époque de la bombe atomique aussi, que ces réseaux cybernétiques, computationnels ont servi à construire la bombe d'Hiroshima, et que tout ça, Wiener l'a très précisément dans la tête, il pose la question de ce qu'on verra être posé à travers Schmitt et de sa fameuse théologie politique du kathekon, c'est-à-dire de ce qui vient limiter l'antéchrist, limiter ce qui constitue le pouvoir antéchristique. On y reviendra, je vais m'arrêter là, j'ai été très vite aujourd'hui, d'habitude je suis beaucoup plus long, merci, bravo Stiegler. Je vais m'arrêter là, on y reviendra bientôt avec David Bates et la semaine prochaine, je n’animerai pas de séminaire parce qu'on a une réunion avec l'association des amis de la génération Thunberg. Par contre, j'y parlerai et je voulais d'ailleurs le faire aujourd'hui et j'ai complètement oublié d'intégrer ce texte, c'est pour ça qu'en fait c’est allé si vite. C'est parce qu'il manque un petit bout et je sais plus où je l'ai mis donc je ne vais pas vous le citer, mais j'y parlerai, en tout cas j'en parlerai demain dans une réunion qu'on a avec la génération Thunberg pour préparer ce colloque de la semaine prochaine, colloque en ligne, j'y parlerai de comment on peut repenser l'entropie, la néguentropie, l'anti-entropie selon moi d'un point de vue traduisible directement dans les préoccupations qui sont celles que l'on a vu posées par Norbert Wiener ici. Voilà je m'arrête là pour aujourd'hui et je vous remercie de votre attention.
1 :03 :21