Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2020

Séance 3

Séance 3

Exorganologie III Remondialisation, Localités et modernité

Bernard Stiegler

Bernard Stiegler, « Séance 3 », dans Michel Blanchut, Victor Chaix (dir.), Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2020 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2020/seance3.html.
version 0, 20/12/2025
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Je vais faire aujourd'hui, bon vous vous souvenez, les deux premières séances en fait c'était Ishida Idetaka qui parlait, qui parlait en tant que, en tant que quelqu'un qui connaît très bien ce qu’on a appelé le colloque « dépassement de la modernité de Tokyo » qui a été en fait initié par ce qu'on appelle l'école de Kyoto, qui elle-même était influencée par diverses influences, d'abord le mouvement de l’ Aufklärung japonaise du 19e siècle, puis un grand penseur japonais très important, Nishida Kitaro, qui s'est mis à distance de l’Aufklärung et qui a remis en question un petit peu, je dirais, les modèles massivement occidentaux de cet Aufklärung, ce qui l'a conduit malheureusement à défendre finalement ce qu'on appelle l'ultranationalisme japonais, un fascisme en fait, peut-être que le mot n'est pas adapté, en tout cas un ultranationalisme, un hyper-impérialisme qui d'ailleurs, je dois le dire puisque j'ai un ami chinois ici aujourd'hui, a fait des centaines de milliers de morts dans une ville où j'enseigne qui s'appelle Nanjing. 350 000 chinois brûlés vifs au lance-flammes, il faut le dire quand même, parce que ce n’est pas rien. Ce n’est pas Auschwitz mais ça y ressemble un peu aussi. Donc nous avons avec Hidetaka qui est un ami, un vieil ami à moi, regardé un petit peu de plus près qu'est-ce qui se joue, disons, entre Nishida et Watsuchi, dont je vais vous parler moi. Nishida ne vous a pas parlé de Watsuchi, enfin un tout petit peu, il vous a parlé principalement de Nishida Kitaro, un petit peu d'autres penseurs qui sont les penseurs donc qui se sont réunis au colloque de 1942 et qui ne sont pas d'ailleurs que des philosophes. Il y avait aussi des écrivains, beaucoup d'écrivains, souvent de grands écrivains. Pourquoi est-ce qu'on avait étudié cette période de l'histoire du Japon ? Eh bien c'est parce qu'à mon avis, d'abord, elle n'est pas utilisée du tout y compris au Japon, et qu'elle suscite un petit peu le même type de réaction que Heidegger suscite par rapport à son implication dans l'histoire du nazisme, dont je rappelle toujours qu'elle a été relativement courte, même si elle est absolument impardonnable. Il ne faut jamais oublier que, à partir de 1935-36, Heidegger est plutôt considéré comme un adversaire du régime que le contraire. Il est d'ailleurs envoyé creuser des tranchées à la main, donc il est pénalisé, voilà, pour avoir en particulier dénoncé l'interprétation nazie de Nietzsche mais enfin néanmoins il a été recteur de l’Université allemande du Reich et puis il a été nazi, il a été adhérent du parti national-socialiste, etc. Et ça c'est une réalité. Si nous nous penchons sur ces questions, ce n’est pas simplement par intérêt historique pour la philosophie allemande et japonaise, et aussi française d'ailleurs, puisque tout ça a des conséquences en France. Tout ça est très intéressant et important, mais si nous nous y penchons, nous, c'est parce que depuis, je l'ai déjà dit, depuis deux ans presque, nous avons, pas tout à fait deux ans, un an et demi, nous avons lancé avec un certain nombre de personnes certaines sont ici présentes, d’autres sont en ligne, un programme qui a d'ailleurs conduit à une rencontre à Genève le 10 janvier dernier qui produit d'ailleurs beaucoup d'effets, peut-être que je vous en reparlerai si on en a le temps et ce programme pose qu'il faut revaloriser, reconsidérer, réinstancier la localité sur le plan économique et politique. Or, quel est l'argument aussi bien de Heidegger que des japonais contre la modernité occidentale ? C'est la localité. Le grand livre de Nishida Kitaro, c'est La logique du lieu. Et le grand concept de Heidegger, c'est d'abord le Dasein. Et dans Dasein il y a d'abord Da, là, càd la question de la proximité et de la localité. Je voudrais juste rappeler à ce sujet que Nietzsche, en 1879 pose le problème qui va être repris par Heidegger en 1927 des effets du chemin de fer, du télégraphe, de la presse et de la machine à vapeur sur la destruction de la proximité, c'est-à-dire de la localité. Donc c’est une question qui s'impose chez des très grands penseurs germaniques notamment, qui est refoulée, en particulier en France, parce qu'elle est considérée comme une question maudite, maudite par les nazis, maudite par les ultra-nationalistes japonais, maudite aussi par les... je ne sais pas comment les appeler, disons le Front National en France ou le Rassemblement National aujourd'hui, etc. etc. Et donc ça engendre ce que j'appelle une lâcheté noétique. On fuit l'objet parce qu'il est apparemment très nauséabond, disons. Moi je pense qu'il est pas du tout nauséabond, il est extrêmement noble. Cet objet a été posé par Aristote lorsqu'il posait la question du « tode ti » en grec ça veut dire « ce que voici » c'est-à-dire que c'était le geste que Aristote engendrait qui est une espèce de geste pré-phénoménologique en disant si on veut étudier l'être, il faut étudier l'étant, comme dirait Heidegger. Mais lui, il n'appelle pas ça l'étant, il appelle ça le tode ti, ce que voici, ce qui se présente à moi. L'être ne se présente jamais en tant que tel, il se présente toujours à travers le tode ti. Et le tode ti, dit Aristote, il dit ça dans les textes qu'on appelle Les analytiques qui sont les premiers textes que certains appellent de logique d'Aristote, ce n'est pas vraiment de la logique, comme le dit Heidegger, c'est de l'ontologie, mais qui passe par une analyse du langage et une extraction des catégories du langage, la langue grecque, le tode ti renvoie, dit Aristote, à une deixis, la deixis c'est le lieu. C'est ce qui se montre plus exactement. C'est ce qui se montre là. Donc, vouloir nettoyer Heidegger, Nishida ou quoi que ce soit d'ailleurs, de la question de la localité, c'est une lâcheté noétique. Et ontologique, alors je dis ontologique si on est ontologiste, mais moi je ne suis pas un ontologiste. La question de l'être m'intéresse chez les ontologues, comme chez Heidegger ou chez Aristote ou Platon, mais personnellement le modèle ontologique, les catégories de l'ontologie, je ne les reprends pas pour moi-même.

Alors, quand j'avais ouvert ce séminaire, il y a donc… au mois de novembre, je crois, j'avais posé que la dégradation de notre situation atteint un point vertigineux. Voilà, je ne vais pas vous reparler des incendies de l'Australie en ce moment, de la Sibérie l'année dernière, et de l'Amazonie, etc. Malheureusement, vous êtes bien informés sur tout ça, je dis malheureusement parce qu'on ne peut plus échapper à ça. Et je disais un point vertigineux, et j'avais ajouté : la question, c'est de ne pas être pris de vertige. Il faut avoir les pieds sur terre, à tout point de vue. Si vraiment on a l'ambition d'être utile dans cette situation à quelque chose, par exemple en participant à ce séminaire, il faut savoir qu'on n'est pas là simplement pour étudier l'ontologie ou l'histoire de la philosophie japonaise, on est là pour faire face à une situation vertigineuse qui est la consomption de la planète, y compris par des incendies et ça suppose de penser clair et d'agir clair, de ne pas péter les plombs sous aucun angle, sous aucun prétexte et ça nécessite d'avoir, je dirais, une praxéologie de la situation qui d'abord est bien consciente que oui, c'est vertigineux, on peut attraper le vertige en voulant faire ça donc il faut d'abord lutter contre les faiblesses qu'on a par rapport au vertige. Et on en a tous. Par exemple, la tentation de dire la localité on n'en parle pas parce que c'est dangereux. Alors ça c'est la plus massive par rapport à ce séminaire là, mais il y en a beaucoup d'autres, je ne vais pas en parler évidemment. Un des enjeux de ce séminaire c'est aussi de préparer, je dis bien de préparer, une discussion avec la collapsologie. Parce que, ce qui nous donne le vertige, c'est ce que les collapsologues appellent l'effondrement. Est-ce qu'il faut être d'accord ou pas avec les collapsologues, ce n’est pas la question. La question c'est est-ce qu'il faut les prendre au sérieux ou pas, ça c'est une vraie question. Moi, je les prends très au sérieux, il faut que vous le sachiez, et je viens d’inviter Pablo Servigne à une rencontre les 21 et 22 mai prochains à la Sorbonne pour qu'on discute de ça. Je viens de l'inviter en passant par Cyril Dion qui viendra aussi à la Sorbonne pour discuter de tout ça. J'avais soutenu dans une introduction de la première séance qu’une localité est toujours territorialisée. Enfin ça je ne l'avais pas soutenu, c'est aujourd'hui que je vais le soutenir. Mais une localité disait-je, est toujours grammatisée, une localité noétique, c'est-à-dire, ce n’est pas la localité des puces ou des bancs de poissons dans l'océan Atlantique, non c’est la localité des êtres que nous sommes, nous les êtres exosomatiques. Et nous nous localisons toujours à travers ce que j'appelle un processus de grammatisation qui permet quoi ? Eh bien, qui permet ce que l’Anti-Œdipe décrit comme un processus de déterritorialisation. Et il faut quand même le rappeler, parce que j'ai vraiment l'impression que ça a été complètement oublié, Deleuze et Guattari passent par André Leroi-Gourhan pour parler de ça, en essayant de se détacher de l'interprétation que Derrida avait d’André Leroi-Gourhan. Donc il faut revenir vers ces questions-là et il faut préciser ce que c'est que la grammatisation. Pour moi, la grammatisation, ce n'est pas l'archi-écriture, au sens de Derrida, mais ça n’est pas non plus ce que Deleuze et Guattari appellent le codage que je trouve beaucoup trop abstrait y compris parce que je pense que la machine désirante du capital est beaucoup trop abstraite et qu'une machine, quand on parle de machine, il y a que des machines concrètes, donc il faut aller voir de très très près ce que c'est qu'une machine. Il ne suffit pas de lire Lewis Mumford, il faut lire Alfred Lotka ; il faut relire Simondon que Deleuze avait lu mais pas Lotka époque-là. La grammatisation, c'est ce qui permet d'articuler des échelles. Alors, Simondon, dont on parlera ici bientôt avec Ludovic Duhem qui va venir faire une intervention dans ce séminaire le 5 mars, il parlera un petit peu de Simondon, parce que c’est d'abord à cause d'un article qu'il a écrit sur Simondon et Augustin Berque que je lui ai proposé de venir, mais par ailleurs il m'a aussi fait découvrir Alberto Magnaghi et un américain, Peter Berg, qui a développé une théorie en Californie équivalente à ce que Alberto Magnaghi appelle la biorégion. Ludovic Duhem donc va nous parler de Simondon et Simondon lui-même disait, ça a été très précisément énoncé et souligné par Vincent Bontemps, la technique c'est ce qui permet - la technique c'est la cuillère que j'utilise pour manger ou la pelle que je prends pour creuser un trou ou le biberon que je donne à l'enfant plutôt que mon sein, etc. tout ça c'est la technique - c'est ce qui permet, dit Simondon, d'articuler des ordres de grandeur. Qu'est-ce que c'est qu'on appelle un ordre de grandeur ? En physique, un ordre de grandeur c'est des commensurabilités. Ça désigne des commensurabilités. Par exemple, on ne peut pas raisonner en mécanique quantique comme on raisonne en physique microscopique ou macroscopique. Pourquoi ? Parce qu'on est dans d'autres ordres de grandeur. Les ordres de grandeur, ça renvoie à ce qu'on peut appeler des échelles. Et les échelles, nous aujourd'hui, en Seine-Saint-Denis, puisque tout ce que je vous raconte là, c'est directement lié à des travaux que nous faisons à Seine-Saint-Denis pour développer un territoire apprenant contributif fondé sur la recherche contributive, les échelles, en Seine-Saint-Denis, nous les définissons dans le champ économique comme nanoéconomiques, microéconomiques, mésoéconomiques et macro-économiques. La nanoéconomie, qu'est-ce que c'est ? C'est l'économie domestique, y compris de soi-même. Quand on vit tout seul dans sa chambre, d'étudiant par exemple, ou d'hôtel, mais aussi sur le trottoir, (alors on n'est plus nulle part, donc est-ce que c'est encore possible de vivre sur le trottoir ? C'est une vaste question. Il faut demander aux habitants de Delhi ce qu'ils en pensent puisqu’une très grande part de la population de Delhi vit sur les trottoirs. Je ferme cette parenthèse). En tout cas, cette échelle-là, qui est une économie, mais qui n'est pas simplement une économie domestique au sens de faire la cuisine, aller au supermarché, s'acheter des patates, etc. Ça c'est de l'économie domestique, passer l'aspirateur aussi, c'est une économie domestique. Ça consomme de l'électricité, ça enlève la poussière, donc ça lutte contre l'entropie, puisque la poussière c'est de l’entropie et l’économie c’est toujours ce qui lutte contre l’entropie mais c’est aussi e que j'appelle la nanoéconomie, c'est de l'économie psychique. Le narcissisme, primaire, secondaire ou primordial - primaire et secondaire, c'est les définitions de Freud, primordial c'est une définition que j'ai proposée qui n'est pas réductible à ces deux dimensions du narcissisme. Le narcissisme il est construit par une nanoéconomie psychique, c'est ce que décrit Freud dans différents textes. C'est l'économie de l'individu psychique. Et ce que montre Simondon, qui n'est pas parfaitement clair chez Freud même si c'est abordé, mais ça n'est jamais clair, c'est que l'économie psychique ne peut pas se produire sans individuation collective, c'est-à-dire sans une économie sociale. Et cette économie sociale, elle n'est jamais simplement psychique, elle est aussi marchande, monétaire, économie de subsistance et l'échange, fondé sur la division du travail. Il y aurait toute une relecture, une réinterprétation de Freud et de l'histoire de l'inconscient selon Freud à faire en repartant de la vision du travail dont il ne parle à ma connaissance jamais. Il parle beaucoup du travail comme étant la condition de la sublimation, la transformation du principe du plaisir au principe de réalité, toutes ces choses-là, mais la division du travail, il n'en parle pas, en tout cas à ma connaissance. Donc il y a un niveau nanoéconomique, micro- économique, mesoéconomique, et là je reste sur un double registre, c'est-à-dire économie des échanges monétarisés sur un marché des subsistances, mais aussi économie des existences. La mésoéconomie, par exemple, des existences, c'est l'école où je vais, l'école communale ou le collège du quartier, etc. c'est une organisation mesoéconomique de l'économie libidinale. Parce qu'une école, à quoi est-ce que ça sert une école ? À apprendre, à idéaliser et à sublimer collectivement. C'est ça le but d'une école. Et que cette école soit une école coranique, que ce soit une école chinoise, que ce soit une école de la République de Jules Ferry ou ce qui reste très délabré des écoles de la Seine-Saint-Denis, sachant qu'il y a quand même des écoles où ça va très bien en Seine-Saint-Denis grâce aux profs, aux élèves, parce que tout n'est pas complètement noir en Seine-Saint -Denis, loin de là, c’est une couche que j'appelle meso. Dans le champ de l'économie de subsistance, la mésoéconomie, normalement, pour moi en tout cas, ça constitue ce qu'on appelle l'économie des filières. La mésoéconomie du bois, par exemple, qu'est-ce que c'est ? C'est ce qui va des propriétaires forestiers aux marchands de meubles comme IKEA en passant par la menuiserie, toutes sortes de choses. Ça c'est ce qu'on appelle une filière. On a eu un petit débat au sein de l'IRI parce que Clément Morla, qui est notre économiste en chef, définissait la mésoéconomie comme la mésoéconomie du territoire dépassant le niveau des activités microéconomiques du territoire et la synthèse territoriale. Et moi je dis pourquoi pas mais une condition c'est d'articuler avec les filières parce que sinon ça fonctionne plus. Je passe sur le détail. Sur cette question j'ajouterai peut-être juste pour préciser mon point de vue, par exemple en Seine-Saint-Denis, il y a beaucoup d'entreprises de recyclage industriel. Recyclage du verre, recyclage du papier, recyclage de métaux, etc. C'est une filière. Si l'économie du recyclage en Seine-Saint-Denis peut fonctionner, c'est parce que cette économie territoriale est articulée avec une macroéconomie du verre de recyclage, du papier recyclé, de tout ce machins- là. Donc ça sort du territoire. Donc c'est extrêmement important parce que c'est ça qui ouvre les territoires. Et enfin il y a le niveau de la macroéconomie. Et ce niveau macroéconomique, et bien c'est ce que nous essayons de redéfinir à l'époque où l'OMC, l'Organisation Mondiale du Commerce, s'est substituée à l'ONU, grosso modo, impose ses lois, qui ne sont d'ailleurs plus des lois mais des contrats, c'est-à-dire qui sort même du cadre juridique si, pour quelqu'un comme Alain Supiot, je pense que le droit c'est jamais un droit du contrat, c'est toujours un droit de la loi, vous savez la différence qu'il y a entre... le contrat c'est entre partenaires privés donc on peut sortir de la loi du moment qu'on est d'accord entre soi, on peut faire ce qu'on veut et ça Supiot, et moi aussi, nous considérons que c'est absolument inacceptable. C'est la destruction même du droit. Par contre, c'est ce qui domine aux États-Unis en particulier aujourd'hui. Alors, la thèse centrale, c'est que ces questions sont toutes des questions de localité, de fonctionnalisation de la localité, que ces questions ont été refoulées, en fait, pour deux raisons. D'un côté, elles ont été refoulées parce que ceux qui ont essayé de les élaborer, par exemple, dans le champ philosophique, comme Heidegger, Nishida Kitaro, etc., eh bien, ils ont fini du côté des fascistes ou des nazis, donc ça effraye un peu. Mais ça a été refoulé pour une autre raison, c'est que le développement de la financiarisation du capital financier totalement déterritorialisé avait tout intérêt à instrumentaliser cette frayeur, par exemple de la French Theory pour ces questions, pour arriver à faire passer en fait ses modèles à elle, et ces modèles ont détruit la localité à un point tel que maintenant l'Europe est en train de devenir massivement ultra-nationaliste et fasciste. L'Italie vient d'y passer, elle a échappé depuis quelques mois mais j'ai bien peur qu'elle y retourne. La France laisse d'y retourner très bientôt, enfin d'y retourner, d'y aller pour la première fois, parce que la France n'a jamais été fasciste même s'il y a eu le régime de Vichy. L'Allemagne, etc. Enfin, vous connaissez la chanson malheureusement. Donc il faut que nous ayons les idées très claires, que nous n'ayons pas le vertige, que nous soyons courageux, lucides, et que nous prenions un peu de repos de temps en temps parce que si on est très fatigués on n’est plus lucides.

Pourquoi faut-il lire Heidegger ? Pour moi aujourd'hui, il faut le lire pour mille raisons, mais d'abord parce que c'est un des plus grands interprètes de toute l'histoire de la philosophie occidentale. Donc si on veut étudier les Grecs, si on veut étudier Leibniz, si on veut étudier Fichte, etc., il faut lire Heidegger, c'est absolument évident. Ça ne veut pas dire qu'il a raison dans tout ça, mais il apporte des éléments de discussion absolument fondamentaux. Mais ce n'est pas pour ça que j'en parle. C'est parce que Heidegger a échoué à penser la localité à laquelle il avait donné deux noms différents. D'abord le « da » du Dasein et ensuite la « Lichtung ». A partir du moment où Heidegger a abandonné ce qu'il appelait l'analytique existentiale du Dasein, pour des raisons que je ne vais pas examiner là mais on en reparlera si vous le souhaitez, enfin si je peux quand même en dire un mot parce que c'est même indispensable, parce qu'il entrait dans la question de ce qu'il a appelé le Gestell, que nous, nous appelons l'anthropocène. C'est la même chose. Et c'est la même chose qui anticipe en plus que l'anthropocène va devenir au début du 21e siècle, qu'il n'a pas connu, mais où il dit la cybernétique va tout contrôler. Et c'est ce qui se passe aujourd'hui. Ultra lucidité du soi-disant nazi. Et donc il faut absolument le lire. Mais le paradoxe, c'est qu’il a complètement, à mon avis, mécompris la cybernétique de Norbert Wiener et pour une raison très précise, c'est parce qu'elle se réfère à la théorie de l'entropie et de la néguentropie. Il ne comprend pas la théorie de l'entropie et de la néguentropie. Je l'ai déjà dit ici, je m'excuse, je me répète un peu. Il ne la comprend pas alors qu'il a des connaissances en physique et en mathématiques qui lui permettraient parfaitement de comprendre, mais c'est une position purement idéologique selon moi et pour une raison, je l’ai déjà dit aussi, c’est parce que Norbert Wiener, lui, interprète la théorie de l'entropie, au quatrième chapitre de Cybernetique et société, avec la théorie de l'information. Heidegger rejette cette théorie de l'information, et là je suis d'accord avec Heidegger. C'est pour ça qu'on va organiser bientôt avec Maël Montévil, une réunion, une journée, et on va essayer de nettoyer les écuries d'Augias de l'entropie, à savoir la pollution de la question de l'entropie, de la néguentropie par la théorie de l'information, qui est une catastrophe. Alors là là-dessus je crois qu'on est archi d'accord avec Giuseppe Longo. Deuxièmement, Heidegger ne pense pas la localité de manière rigoureuse, il la pense romantiquement. Quand je dis ça c'est pas du tout une insulte. Moi le romantisme, j'ai le plus grand respect y compris et même je dirais surtout pour le romantisme allemand, qui va aussi produire des grandes transformations dans la philosophie allemande, en particulier Schelling, qui est une transformation absolument fondamentale mais et que cette transformation est liée à ce qu'on appelle l'organicisme c'est à dire considérer la planète en totalité comme un immense vivant, on n'a pas attendu machin là dont on nous casse les oreilles tout le temps avec, comment il s'appelle, Gaïa là, Lovelock on n'a pas attendu Lovelock pour ça. Le premier qui a parlé de ça c'était Schelling. Et ça m'énerve. Quand on me parle de Lovelock, on ne parle jamais de Schelling, on ne parle jamais de Vernadsky. Lovelock c'est de la resucée de, pour moi, de très mauvaise qualité, de ses travaux de très bonne qualité. Heidegger vous le savez a été un lecteur de... vous ne savez peut-être pas, je vous l'apprends dans ce cas-là, c'était un lecteur... il a eu une lecture déterminante pour lui dans les années 20 qui est Jacob von Uxküll et donc ce fameux bouquin dont je vous recommande de le lire, il y a d'ailleurs un truc de l’Abécédaire de Deleuze dessus qui est vachement bien. C'est le bouquin qui s'appelle Mondes animaux et mondes humains où se développe le concept de Umwelt. Et ce concept d'Umwelt va jouer un rôle extrêmement important sur deux plans chez Heidegger. La localité, le Da. Le Da appartient à l'Umwelt. Le Da est un Umwelt ou une Umwelt. Mais aussi le monde, die Welt, qui est un des concepts absolument capitaux de Être et temps. Et qu'est-ce que dit Heidegger là-dedans ? Descartes n'a pas pensé le monde. Et il ajoute, le monde ce n'est ni le sujet ni l'objet. C'est le lieu de leur rencontre. C'est l'avoir-lieu de leur rencontre. Et ça on verra tout à l'heure que chez Watsuji, c'est extrêmement... Enfin, tout à l'heure, je ne crois pas, mais la semaine prochaine, c'est extrêmement important. Watsuji essaie de repenser ça, mais dans des catégories japonaises.

Alors, si je vous en parle, c'est parce que nous, quand je dis « nous », là, je parle aussi de Maël et moi, on dialogue, on essaye de travailler un peu ensemble sur tout ça. Nous essayons de relire les questions biologiques en passant par Schrödinger que Heidegger manifestement ignore, alors peut-être qu'il décide de ne pas le lire, peut-être qu'il l’ignore complètement, il peut ne pas avoir su qu'il y a eu des conférences de Schrödinger sur le vivant dans les années 40 mais en tout cas il n'a donc pas, il ne sait pas, il ne connaît pas le concept d'entropie négative de Schrödinger. Du coup, il rapporte le concept d'entropie négative à la théorie de l'information, à la néguentropie, et ça passe par Léon Brillouin. Moi, ce que je vais essayer de vous montrer, c'est que si on veut critiquer la localité, c'est-à-dire pour la réinventer, il faut lire Alfred Lotka, déjà - je ne vous ferai pas lire Alfred Lotka, je vous bassine avec lui depuis trois ans, donc j'espère que vous l'avez lu maintenant sinon, faites-le tout de suite. Je vous signale qu'on va bientôt le traduire et le faire apparaître aux éditions Actes Sud. Vous pourrez le lire en français. Et deuxièmement, il faut lire Alfred Lotka avec un concept que j'ai tenté d'élaborer il y a 30 ans presque qui est la rétention tertiaire et j'essaierai de vous montrer qu'il faut réinterpréter Watsuji avec ce concept de rétention tertiaire et qu'il faut donc lire Augustin Berque en se nourrissant de son travail qui est très riche et Augustin Berg parle japonais, il lit le japonais, il lit énormément de langues d'ailleurs, et donc il a capacité à s'emparer vraiment du travail de tous ces grands penseurs japonais formidables, mais il est très anti-derridien. Vous verrez, je vous montrerai qu'il récuse l'interprétation de la Khora par Derrida. La Khora qui est le concept de Timée de Platon, qui est considéré comme le concept le plus spéculatif de Platon, le plus nécessaire encore aujourd'hui. Et alors je ne dis pas qu'il faut forcément reprendre le concept de Derrida de Khora, l'interprétation que Derrida propose de Timée de Platon, mais par contre ce que je veux dire c'est que je pense que Berque se plante complètement sur ce que veut dire Khora chez Platon. Parce qu’il traduit Khora par quoi ? Milieu. C'est pas du tout ça la Khora. C'est pas du tout ça. Or c'est très important puisque le point de départ de Nishida Kitaro, c'est la Khora. Si Nishida reparle de la philosophie occidentale, c'est parce qu'il dit, c'est un bouddhiste d'abord, il dit, il faut repartir de ce que Platon a pensé comme étant la Khora. Du coup, pour lire Platon, il faut lire Descartes, Kant, etc. Il ne parle pas de Heidegger. Il parle de Husserl et c’est Watsuji, qui est plus jeune que Nishida, lui va aller en Allemagne. Il va suivre les cours de Heidegger, il va étudier Sein und Zeit en allemand, puisqu'il est germanophone. Et donc il va faire une intégration, voilà, de ce qui s'était développé avec Nishida, de ce qui s'est développé avec la phénoménologie et en particulier la phénoménologie existentiale de Heidegger il va élaborer quelque chose dont on reparlera j'espère la semaine prochaine. Cette semaine je voudrais recadrer après les deux interventions de Ishida, non pas Nishida, Hidetaka Ishida. Je voudrais recadrer, après ces deux interventions, l'objectif de ce séminaire pour introduire Watsuji. J'essaierai de vous parler de Watsuji la semaine prochaine. Et ensuite on parlera, on continuera peut-être deux semaines, voire trois avec Watsuji. Et ensuite on parlera d'Augustin Berque. Mon but ici c'est d'ouvrir un dialogue avec Augustin Berque, qui est un homme dont tout le monde me dit que je n'y arriverai jamais, il ne veut pas dialoguer, de toute façon il s'en fout, ça ne l'intéresse pas. Bon, je ne sais pas. J'ai déjà essayé, effectivement, il m'a un peu envoyé promener. Mais de toute façon je m'en fous parce que je dialogue avec ses livres pas avec lui. Donc j’essaie d’ouvrir une discussion avec la géographie d’Augustin Berque k et à travers lui aussi avec beaucoup d'autres, enfin quand je dis à travers lui, c'est pas à travers lui, mais avec lui en particulier avec le mouvement territorialiste italien d'Alberto Magniaghi que j'espère faire venir à la Sorbonne le 21 et le 22 mai prochain. Ainsi d'ailleurs que Rob Hopkins de Totnes, qui est celui qui a conçu et lancé les territoires en transition, qui aujourd'hui font beaucoup parler d'eux. J'espère organiser une discussion sur tout ça au mois de mai prochain. Et ce séminaire, c'est une façon de préparer cette discussion. Alors peut-être vous souvenez-vous que la deuxième séance, avant de... pour introduire un petit peu la discussion avec Hidetaka, j'avais posé une question. Nous disons, nous, les Simondoniens, ou les lecteurs de Simondon, je ne suis pas moi un Simondonien, mais je suis un lecteur de Simondon, les admirateurs de Simondon, nous disons qu'il faut absolument reprendre chez Simondon l'énoncé de base, l'individuation psychique est l'individuation collective. « Est » ne voulant pas dire est la même chose puisque au contraire il montre que l’individuation psychique n'est pas l'individuation collective, elle n'est pas l'individuation collective, mais elle est l'individuation collective, elle est et elle n'est pas. Comme la Khora d'ailleurs, chez Platon, est et n'est pas, ce que montre Derrida dans Khora. Et comme beaucoup d'autres concepts, notamment de Watsuji. Si je dis cela maintenant, c'est parce que si l'on dit l'individuation psychique, moi par exemple qui m'individue en ce moment, ça ne se produit que dans une individuation collective, alors où est cette individuation collective ? On pourrait dire qu'en ce moment elle est rue Suger dans une salle voilà mais je l'avais déjà dit l'autre fois elle n'est pas simplement rue Suger, elle est aussi à Marseille puisque je viens de voir Colette Tron donc je sais qu'elle est à Marseille je crois qu'il y a des amis en Équateur je crois qu'il y a des amis dans différents endroits de France et du monde qui suivent le séminaire, là il y en a au moins 7 ou 8, ils ne sont pas là. Donc il y a de l'individuation collective qui se passe quelque part. Parce que tout ce qui est, est quelque part. Quelle est cette localité de l'individuation collective ? Quelles sont les conditions d'individuation collective ? Où se produit l'individuation collective ? Quelles sont les conditions d'individuation collective ? Où se produit l'individuation collective ? Eh bien, ma réponse est, ça dépend. Ça dépend de quoi ? C'est la réponse... Bon, j'allais dire une bêtise à la Fernand Raynaud donc je m'arrête. Je déteste Fernand Raynaud. Ah oui, je n'aime pas du tout. J'aime beaucoup, beaucoup, beaucoup de comiques, mais lui, je ne l'aime pas du tout. J'ai le droit. C'est le principe de Kant, la troisième critique. C'est un artiste, on n'a aucune obligation d'aimer tous les artistes. Lui, je ne l'aime pas. Je ne l'aime pas parce que c'était un vieux réac qui défendait... Enfin bref, je ne vais pas m'appesantir sur Fernand Raynaud que peut-être beaucoup de gens ne connaissent pas ici parce qu'il a été totalement oublié. Raymond Devos, là, il n'est pas oublié du tout, lui, c’était un grand poète. Enfin bref, je vais poser la question, ça dépend de quoi l'articulation entre l'individuation psychique et l'individuation collective ? Réponse, ça dépend de l'individuation technique, c'est-à-dire des rétentions tertiaires qui permettent de faire ce que Gilbert Simondon appelle des relations d'échelle entre ordres de grandeur et ça c'est vrai du premier silex taillé mais qui permettent lorsqu'il s'agit de rétention tertiaire hypomnésique c'est à dire grammatisé et ça ça apparaît alors j'ai appris hier 70 000 ans jusqu'à maintenant je disais 35 000 ans et sûrement beaucoup plus, mais on n'en est pas sûr. Mais j'ai appris hier que, selon Barbara Glowczewski, qui est une de tes amies, eh bien maintenant on est certain qu'en Australie, il y a 70 000 ans, des parois rupestres sont apparues et que la grammatisation, telle que je la définis moi elle remonte maintenant à 70 000 ans. Qu’est-ce que la grammatisation ? c’est la discrétisation reproductible du mouvement sous toutes ses formes. Le mouvement de mon sang, le mouvement de mes pas, comme vous le savez peut-être si vous avez un smartphone et si vous avez activé cette fonction que j'ai désactivée, aujourd'hui vous avez fait 563 pas, etc. Tout ça est grammatisé, c'est remonté vers les assurances d'ailleurs etc. c'est un énorme business qui s'appelle la data economy mais en fait c'est d'abord une grammatisation et cette grammatisation j'ai fait par exemple j'étais dans un jury de thèse de quelqu'un d'ailleurs que nous connaissons qui venait à l'académie d'été d'Epineuil qui s'appelle Benjamin, j'arrive plus à retrouver son nom de famille, qui a fait une thèse sur le sport, et sur l'impact de l'évolution technique sur les pratiques sportives, du coup les retours sur la médecine, la conception de ce que c'est que la santé, absolument passionnant. De Lattre, Benjamin de Lattre, je vous recommande sa thèse. Je soutiens que l'individuation psychique est toujours collective et que le « ou » de l'individuation collective passe par les rétentions tertiaires. D'une part les rétentions tertiaires hypomnésiques comme par exemple celle qui apparaît, on ne sait pas très bien quand, là non plus on n'en a pas la certitude mais probablement il y a entre 40 et 70 mille ans la flèche qui fait que tout à coup votre corps détaché de lui-même puisque c'est un corps exosomatique - pour un guerrier, son arc et sa flèche, sa flèche fait partie de son corps exosomatique. Il ne faut pas essayer de lui prendre ses flèches et son arc, il va vous envoyer des flèches. Donc ça fait partie de lui, et puis de manière en plus ritualisée, dans tout un espace magique, chamanique absolument indépassable pour quelqu'un qui vit dans un monde comme ça. Mais tout à coup, cet être-là qui apparaît très tardivement dans l'humanisation, au paléolithique supérieur, et bien d'un seul coup il se déplace à 350 km heure à travers sa flèche. Et c'est comme ça qu'il devient le premier prédateur de la planète. Pour attraper des mammouths, pour contrôler des baleines, etc., il faut être capable, d'une part, de lancer des javelots, des harpons, des flèches, etc. très loin et très vite et très puissamment. Faut pénétrer le cuir d'un mammouth, c'est très épais, hein, pour que ça rentre, faut vraiment développer beaucoup de force, donc il faut que ça parte très vite. Il faut coopérer, par ailleurs. Ça, ça a été montré par Merlin Donald et un certain nombre de grands anthropologues américains ou australiens des deux dernières décennies, qui ont montré que c'est la coopération qui est la clé, truc que Richard Sennett reprend d'ailleurs dans ses théories du travail aujourd'hui, qui est la clé de la transformation de l'homme préhistorique dans ce qu'on appelle l'homo sapiens sapiens, l'homme moderne, c'est-à-dire nous. Et il paraît, une thèse en tout cas qui semble dominer aujourd'hui en préhistoire, c'est que si Néandertal a disparu, c'est parce qu'il a échoué dans cette capacité à construire des espaces de coopération et que du coup, il a disparu. C’est une des thèses parce que s’agissant de Néandertal il n'y a aucun consensus sur les causes de sa disparition.

Alors je disais l'individuation collective et la condition d'individuation psychique, où se passe-t-elle ? Ça dépend de l'individuation technique. A partir du moment par exemple où vous pouvez tirer des flèches à 350 km heure et qui peuvent atteindre une cible à 200 m peut-être pas 200 m mais en tout cas à plus de 50 m votre espace vital se transforme, la structure sociale va se transformer aussi, vous allez voir apparaître des nouvelles structures sociales c'est ce dont parle Michel Foucault en commentant des textes de Karl Marx lorsqu'il explique qu'à partir du moment où le fusil apparaît l'armée se réorganise complètement parce que, pourquoi ? Le soldat peut prendre le fusil et flinguer l'officier. Donc à ce moment-là, ça nécessite une réorganisation complète de ce que j'appelle l'exorganisme complexe supérieur qu'est l'armée. Je dis supérieur parce que c'est un exorganisme qui est sous une autorité politique suprême. C’est le chef d'état-major dans le monde actuel, autrefois c'était l'empereur, pendant très longtemps l'empereur, le roi, c'était le chef des armées tout simplement. Parce qu'en fait c'était un combattant, c'était un soldat, qui avait transformé la manière dont il régnait sur les soldats qu'il contrôlait, les soldats ou les combattants, les guerriers, puisque soldat c'est un guerrier qui est payé, donc ce n’est pas tout à fait la même chose, les guerriers, et bien un moment donné son modèle d'organisation des armées de guerriers, il l'appliquait à l'ensemble de la société, comme empire, la Chine par exemple, c'est d'abord un empire de guerriers. Derrière une muraille, c'est bien connu, etc. Si je résume tout ça, ce que je vais dire c'est qu'il y a une histoire des relations entre individuation psychique et l’individuation collective qui passe par l’individuation technique, que le OU de l’individuation collective, c'est-à-dire ce que je vais appeler l’extension de la localité est conditionnée par l’individuation technique et en particulier par la grammatisation. J'avais essayé de montrer dans La misère symbolique, dans le tome 2, en faisant une critique de Freud, mais une critique positive, c'est-à-dire en repartant d’une thèse de Freud qu’il avait énoncée pour la première fois en 1918 dans une lettre à Fliess que l'histoire des organes humains, des organes endosomatiques humains, est directement liée aux organes exosomatiques. C'est ce que dit Freud, il dit l'œil se défonctionnalise complètement et le nez surtout se défonctionnalise complètement avec la station debout et l'œil se refonctionnalise tout à fait autrement. Ça va devenir l'œil d'un chasseur et ça c’est extrêmement important ; c’est ce qui constitue ce que j’appelle le processus de défonctionnalisation et de refonctionnalisation de l'appareil psychique et de l’appareil social par l'appareil technique. Si maintenant vous lisez les manuscrits de 1844 de Marx, où Marx dit mais l'oreille c'est tout à fait social, c'est pas du tout un organe naturel, s'il n'y a pas de conservatoire, s'il n'y a pas de cours de musique, s’il n’y a pas d’instrument de musique, ce n’est pas la même oreille etc. Il dit exactement la même chose en fait 50 ans avant Freud. Nous, nous vivons une période d'hyperaccélération, je dis bien d'hyperaccélération, de la défonctionnalisation et de la refonctionnalisation. Ou plus exactement, nous vivons une hyperaccélération telle qu'il y a une défonctionnalisation sans refonctionnalisation. Pendant très longtemps, y compris après la Deuxième Guerre mondiale, il y a eu une accélération. Alors on définit aujourd'hui dans le champ du débat scientifique sur « qu'est-ce que c'est que l'anthropocène ? ». Très massivement, ce qui domine c'est l'anthropocène c'est une accélération. Lotka le disait déjà en 1945. C'est une accélération de l'évolution des organes, ça c'est ce que dit Lotka. Les autres ne disent pas ça, les autres, ils feraient bien de lire Lotka parce que ça leur éviterait des tas de faux problèmes. Mais ils disent en tout cas, c'est une accélération. Par exemple, l'espèce humaine évolue beaucoup plus vite que les autres espèces parce qu’elle n'évolue pas à travers les organes biologiques mais à travers les organes artificiels ce qui a un effet sur ses organes biologiques etc.

J'ai essayé de décrire depuis longtemps maintenant les rapports entre individuation psychique et individuation collective via l'individuation technique sous les catégories de système technique, système sociaux et système psychique et j'ai appelé ça le double redoublement épokhal. Donc ça, ça date d’y a longtemps, c'est dans le premier tome de La technique et le temps. Aujourd'hui il faut réinterpréter le double redoublement épokhal avec Alfred Lotka et en y intégrant la question de la localité que je n'avais pas traitée à cette époque-là. Je l'avais en tête, mais je n'avais pas encore les idées suffisamment claires pour en parler. Ça commence à s'éclairer un peu. Si on veut voir comment s'articule l'individuation psychique et l'individuation collective à travers l'individuation technique. Il faut, ça je ne vais pas le développer, j'en avais parlé il y a un an ou deux dans ce séminaire, je crois que ça se passait d'ailleurs à la maison des sciences de l'homme de Saint-Denis à l'époque, il faut distinguer les organismes simples, les exorganismes complexes inférieurs et les exorganismes complexes supérieurs. Un exorganisme complexe inférieur c'est par exemple un fabricant, je ne sais pas moi, d'arc, d'arme, un armurier, un armateur, etc. Un exorganisme complexe supérieur, c'est celui qui a le droit d'utiliser les armes, qui définit le droit d'accès aux armes ; par exemple pour accéder aux armes, il faut être noble à une époque. Il n'y a pas de permis de port d'armes. Vous êtes noble, vous avez le droit de porter toute arme que vous voulez et d'en faire ce que vous voulez. À condition que ce soit dans le sens de la noblesse, c'est-à-dire... duels, vous pouvez tuer vos serfs, il faut éviter quand même parce que ce sont des créatures de dieu donc le curé ne sera pas content mais bon voilà vous pouvez sauter la bergère puisque ça s'appelle le droit de cuissage etc. parce que vous avez la supériorité du guerrier. Dans la république de Jules Ferry la supériorité, ce n’est pas celle du guerrier, c'est celle du savant et ici faudrait passer par Max Weber, Le savant et le politique, bon, on n'a pas le temps. Et c'est grâce à l’Aufklärung qu'on va dire cela. C'est pour ça que les japonais, à partir de l'ère Meiji, donc aux alentours de 1860 et quelques, vont introduire la philosophie occidentale de l’Aufklärung, qui est la modernité, la philosophie de la modernité pour casser les modèles de supériorité qui sont basés sur le shogun etc. et pour dire : la supériorité c'est l'éducation et c'est pour ça que Fukuzawa Yukichi, un grand penseur japonais du 19e siècle, va écrire un livre qui s'appelle L'appel à l'étude. Il va écrire un livre qui va se vendre en millions d'exemplaires au Japon du 19e siècle où il dit aux japonais étudier, arrêtez de faire la guerre, arrêtez, on n'est plus au temps des samouraïs, on est au temps des concepts, on est au temps de la modernité donc étudiez. Et c'est contre ça que Nishina a développé là contre, enfin contre et pour, mais en disant ça ne suffit pas d'imiter les occidentaux, il faut ajouter quelque chose d'autre. Donc ça c'est la question de la supériorité. Je ne vais pas vous en parler, je le signale et je vous signale qu'il y aura un développement sur ce truc dans un bouquin qui devrait sortir dans pas trop longtemps qui s'appelle «ELEMENTS ». Ça c'est le titre et le sous-titre c'est « De réponses à Antonio Guterres et à Greta Thunberg ». Ça s'appelle « ELEMENTS ». En grec ça se dirait « stoicheia ». Je dis ça parce que je pense que nous sommes aujourd'hui dans une phase où il faut redéfinir des axiomes. Et chez Euclide, on appelait ça des éléments. Donc il faut reconstruire des éléments pour faire dialoguer entre elles des disciplines qui sont les mathématiques, la physique, la biologie, etc. la sociologie, l'économie, le droit sur de nouveaux éléments. Lobachevski a fait exploser l'axiomatique euclidienne au 19e siècle. Bachelard et beaucoup d'autres ont montré les enjeux de tout ça. Aujourd'hui c'est beaucoup plus que ça qui a explosé et personne n'en parle. Nous nous disons il faut reprendre tout ça et il faut le reprendre aussi du point de vue de la localité parce que c'est précisément ça pour nous la question, c'est l'élément premier, c'est la localité, c'est le tode ti. oui … non ce n’est pas ce n’est pas ce que je veux dire, non, par contre puisque vous me posez la question j'en profite pour préciser un point, c'est que dans ce texte, vous trouverez quelque chose qui s'appelle pharmacologie de la supériorité, c'est-à-dire comment au nom des concepts, on peut réduire en esclavage des gens, les couper en petits morceaux, etc. c'est-à-dire on peut justifier tous les crimes de l'Occident qui sont incommensurables. Aucune civilisation n'a commis autant de crimes que l'Occident, mais c'est absolument incommensurable. Et en plus, l'Occident est à l'origine de ce qui est appelé l'Anthropocène. Quand je dis ça, ce n'est pas du tout pour faire du décolonialisme ou de la culpabilité, c'est pas du tout la question. C'est pour faire ce qu'on appelle de la critique philosophique. Bon, je ne vais pas développer ces points de toute façon. Ce que je voudrais souligner en revanche, c'est que le rapport individuel collectif est en train de se décomposer aujourd'hui, à vitesse grand V. Hier après-midi, nous avons présenté à la Caisse de dépôts et de Consignation avec Marie-Claude Bossière un film qu'elle avait déjà présenté au Centre Pompidou, peut-être que vous l'avez vu, où on voit un bébé qui est totalement intoxiqué par un smartphone et qui est vraiment accro au smartphone à un point absolument incroyable. Moi j'avais vu des choses comparables mais pas chez des bébés, chez des ados qui prennent du crack. Le crack est arrivé il y a une trentaine d'années aux Etats-Unis, c'était une catastrophe absolue, on ne savait déjà pas faire avec l'héroïne, mais avec le crack on ne savait vraiment pas faire du tout, parce qu'un môme qui prend du crack c'est un criminel en puissance, il est prêt à tout pour avoir sa dose de crack, et donc c'est extrêmement grave l'introduction du crack. Mais quand vous voyez un gamin de six mois, parce qu'il a en gros six mois ce bébé-là, il ne marche pas, voilà, si vous lui donnez le smartphone, si vous lui enlevez le smartphone, c'est une réaction exactement comme un môme intoxiqué au crack. Sauf que ce qui se produit ce n’est pas une dépendance à cet opioïde qu'est le crack, c'est une dépendance à autre chose que nous étudions en ce moment dans la clinique contributive de Pleine-Commune, dans le quartier Pierre-Seymard de Saint-Denis. Et ce que l'on constate, on l'a beaucoup souligné hier, d'ailleurs c'était un petit peu nouveau, c'est que l'intoxication du bébé vient de l'intoxication des parents, on l'a dit devant des parents qui étaient là, ce n’est pas facile à dire, mais qu'ils l'ont compris, c'est eux-mêmes qui le disent maintenant. Ce qui veut dire que si les bébés sont intoxiqués c'est parce que les parents le sont et si les parents le sont c'est parce que vous et moi nous le sommes. Parce qu'en fait il y a une intoxication de masse aujourd'hui pour une raison très simple c'est l'accélération, ce que j'ai appelé tout à l'heure l'hyperaccélération du double redoublement épokhal, ce que j'appelle parfois aussi la disruption. Nous avons tous maintenant, peut-être pas tous, mais la plupart, des trucs comme ça. J’ai quelques amis qui n’ont pas ça. Moi-même, j'ai désactivé les fonctions email et tout ça, mais je suis obligé d'utiliser le sms et puis quelques autres fonctions. Et c'est extrêmement dangereux ce machin-là. Le crack c'est dangereux pour tout le monde, y compris pour les vieux pépés de 90 ans. Donc voilà, il faut savoir que ça affecte tout le monde. Si je vous dis cela, c'est pour une raison très précise. C'est pour dire qu’un processus de décomposition se produit. Alors si vous avez lu Hegel, vous vous souvenez de l'introduction de... Je ne sais plus si c'est la préface ou l'introduction de la Phénoménologie de l'Esprit où il dit bon ben il faut que ça se décompose pour que ça se recompose. C'est la dialectique. Il faut que le temps passe, que l'histoire détruise, etc. pour que de nouvelles figures apparaissent. C'est la dialectique idéaliste de Hegel que Marx va reprendre en faisant une dialectique matérialiste, du matérialisme dialectique, historique d'abord, puis ensuite dialectique en Union soviétique. Et donc il pose que bon, une destruction ce n’est jamais bien, mais ce qui est important c'est qu'une nouvelle composition, une reconstruction. Et bien là il n'y a aucune reconstruction. Il y a une pure destruction. Et l'économie actuelle est basée sur cette pure destruction. C'est ce que j'ai appelé non pas la destruction créatrice mais la destruction destructrice. Et ça c'est ce qu'on voit en Seine-Saint-Denis. Et ça fait que aujourd'hui plus rien n'a lieu parce que qu'est ce qui fait qu'un lieu a lieu c'est justement une reconstruction c'est à dire un processus qui va reconstruire, qui va réinventer, quelque chose de nouveau va avoir lieu en général en élargissant une localité, en l'ouvrant, en créant des nouveaux réseaux etc. Et ça, aujourd'hui, ça n'a pas lieu. Et ce non avoir lieu, c'est un devenir qui s'accomplit sans avenir. Et c'est pour ça que la planète entière a la trouille maintenant. Même Trump a la trouille, j'en suis absolument certain. Il dissimule sa trouille en essayant de se convaincre lui-même qu'il n’y a pas de raisons d’avoir peur s’il doit convaincre ses électeurs. Donc voilà, et ça c'est des mécanismes qui fonctionnaient très bien chez Sarkozy d'ailleurs aussi, et chez tout le monde d'ailleurs, on fait tous ça. On a tous besoin de se convaincre de ce dont on veut convaincre les autres quand on leur ment sans le savoir. Ça s'appelle se mentir à soi-même.

Si j’avais eu le temps je vous aurais emmené chez Bergson, où j'aurais essayé de vous montrer que « donner lieu », puisque le lieu c'est ce qui donne lieu, c'est la question du don. Le lieu ce n’est pas l'espace et ça n’est pas le temps ; c’est ce que donnent l’espace et le temps au-delà de l’espace et du temps ; certains appellent ça Dieu. Ce qui donne lieu c’est ce qui ouvre l’avenir et c'est ce que Bergson appelle l'ouvert. Et là je vous recommande, je n’aurai pas le temps d'en parler, mais moi je vous demande de lire Les deux sources de la morale et de la religion, qui est un texte qui se lit bien, pas un texte vraiment difficile à lire de Bergson, qui est passionnant, qui est très documenté sur le plan anthropologique, historique, scientifique, etc. Qui est très audacieux et qui peut déranger, parce qu'il termine sur la mystique. Moi je fais partie des gens qui défendent cette défense de la mystique. Et sachant que la mystique, il n'y a pas que Bergson qui la défend, George Bataille par exemple la défend. Et je pense que la mystique en question n'est pas nécessairement une mystique religieuse, mais que par contre elle peut être une mystique qui permet d'être accueillante à ce qu'il y a d'intéressant dans le religieux, et qui fasse droit… une vraie laïcité, c'est-à-dire un vrai droit à penser comme on veut, confessionnellement, politiquement, etc. ça doit être capable de faire vraiment droit, non pas on va dire qu'on tolère les croyants, les musulmans, les juifs, les je-sais-pas-quoi, ou les chrétiens. Non, on respecte, ce n’est pas simplement la tolérance. Pourquoi est-ce qu'on respecte ? C'est parce que c'est une pratique d'un mysticisme. Qu'est-ce que c'est que le mysticisme ? C'est ce qui cultive l'incalculable. Et il n'y a aucune manière scientifique de cultiver l'incalculable. Toutes les sciences cultivent l’incalculable mais aucune science ne peut vous dire : c’est comme ça qu'il faut cultiver l’incalculable parce que l’incalculable c’est ce qui fait que par exemple vous dites : c’est comme ça qu’il faut penser et dans dix ans, quelqu'un vous dira, par exemple, vous êtes Einstein, vous avez constitué une extraordinaire révolution épistémologique, puis d'un seul coup, il y a un mec qui s'appelle Hubble et qui vous dit, ah oui, mais ça ne marche pas ton truc ; vous allez résister pendant huit ans à dire c’est pas possible, c'est absolument... et puis finalement vous allez vous incliner. Je me suis trompé. Einstein était un très grand penseur parce qu'il était capable de dire ça. Et ça c'est l'ouvert mystique. D'ailleurs il en appelle lui-même à une religion. Il parle d'une expérience religieuse de la science, Einstein. Donc je ne vais pas vous parler de ça parce que j'ai pas le temps. Mais en revanche je vous invite à lire Bergson et surtout je veux que vous sachiez que c'est ça qui est aussi l'enjeu. Et c'est ça l'enjeu de l'ouverture de la localité. Je le dis pour une raison très précise, c'est parce que Bergson dit que ce qui a ouvert la localité, c'est le mysticisme. Et là, quand il parle de mysticisme, c'est le mysticisme juif, c'est le mysticisme chrétien, c'est le mysticisme musulman, c'est toutes les formes de mysticisme. Voilà, toutes les religions du monde en fait. Là, il défend la religion. C'est ça que son livre s’appelle Les deux sources de la morale et de la religion

Bon, penser tout ça ce n’est pas facile. C’est vraiment très ambitieux, d'autant plus que, et là je me permets de vous renvoyer au dernier bouquin qui s'appelle La leçon de Greta Thunberg, le dernier livre que j'ai publié qui est paru il y a quelques jours. C'est d'autant plus difficile d'aborder ces questions que je soutiens dans ce livre qu’aujourd'hui la science est bloquée. La science est tétanisée, elle est bloquée pour des raisons diverses, elle est bloquée pour des raisons je dirais d'abord de soumission aux intérêts des investisseurs. La science n'est plus financée que si elle peut rapporter ce qui est complètement dément parce que la science c'est ce qui ne peut pas rapporter. Aristote le disait, c'est la première page de La métaphysique d'Aristote, mais c'est absolument vrai. La science n'est la science que si elle ne peut pas se soumettre au calcul. Pour que ça rapporte, il faut que ce soit soumis au calcul. Donc le capitalisme contemporain détruit la science. Quand je dis la science, comprenez-moi bien, je ne parle pas que des mathématiques, de la physique mathématique et de tout ça, mais je parle aussi du droit, mais comme vous le savez aujourd'hui on transforme le droit en data, en gestion des data, donc en calculabilité sur le droit. Ça s'appelle la gouvernance par les nombres chez Alain Supiot. On transforme le débat scientifique en biométrie, bibliométrie plutôt, scientométrie, évaluation sur des algorithmes, lisez par exemple le bouquin de, comment s'appelle-t-elle, Cathy O'Neil, enfin il y a plein de bouquins qui sont parus là-dessus, voilà, où on détruit …cette femme, Cathy O'Neil, qui est une mathématicienne de l'université de …au nord de New York, j'arrive plus à retrouver son nom, peu importe, une grande université, a été débauchée par des banques américaines et puis au bout de deux ans, elle a démissionné en renonçant à des salaires extrêmement importants et en disant mais ils sont en train de tout foutre l'air, c'est pas possible de faire ça. Et ensuite elle a montré que c'était vrai aussi dans le champ de l'éducation parce qu'on évalue les gamins aujourd'hui avec des algorithmes, etc. Tout est soumis au calcul et Susanne Altenberg, une philosophe finnoise avec laquelle nous travaillons, a aussi montré ça dans ce qui se passe en Finlande actuellement. En ce qui concerne ce qu'on appelle généralement l'évaluation. Aujourd'hui on considère que l'évaluation c'est ce qui doit être calculable. Nous en Seine-Saint-Denis on essaie de montrer que l'évaluation ne peut pas être calculable. Parce que la calculabilité c'est la quantification. Nous posons qu'une quantification se fait toujours à partir de critères et les critères ne sont jamais calculables, ils sont qualifine ables. Cette qualification relève, disait Aristote, des catégories. Et ces catégories, ce sont des catégories de l'entendement et de la raison, dira Kant, elles ne se réduisent pas au calcul, même si elles peuvent utiliser le calcul. Alors, ça c'est le premier motif de blocage. La science est aujourd'hui intégralement soumise à ces trucs là et en plus elle y est soumise pour une raison très précise, c'est parce qu'elle utilise des instruments computationnels pour faire de l'astrophysique, pour faire de la nanophysique, pour faire... Ces instruments pendant très longtemps c'était les physiciens, les scientifiques eux-mêmes qui les développaient. Depuis quelques années, cinq ou six ans, Vous n'avez plus le droit, si vous êtes un laboratoire du CNRS par exemple ou un laboratoire de l'Inserm, de développer un instrument vous-même. Vous devez aller sur le marché, vous devez acheter des instruments scientifiques du marché et quand vous les achetez, vous signez une licence qui vous dit que vous n'avez pas le droit d'ouvrir la boîte, que vous n'avez pas le droit de savoir comment ça marche, c’est le secret industriel qui est protégé par le droit d'auteur, par la propriété industrielle. Et si vous appelez Cédric Mathiouz, qui est quelqu'un qui travaille au laboratoire du CNRS commun physique et biologie de Marseille-Lumini, et bien vous dites mais je ne peux plus faire de science. Si je ne sais pas comment je peux déconstruire mon instrument, le critiquer, etc. savoir comment il fonctionne, je ne peux plus., c'est plus une activité scientifique. Ça aussi c'est Aristote qui l'avait dit, dès le IVe siècle avant Jésus-Christ. Donc aujourd'hui on détruit des choses absolument fondamentales de ce qui constitue les conditions de la vérité. La vérité en tout cas telle que l'a définie la science du 19e et du 20e siècle en soumettant ça au marché. Ça c'est le premier motif de blocage. Il y en a un deuxième, ce deuxième c'est l'entropie. L'entropie est un objet, on appellerait ça une patate chaude dans un langage hot potatoes aux Etats-Unis. Pourquoi ? Vous connaissez peut-être pas la plaisanterie, enfin c'est pas une plaisanterie, c'est une réalité, mais ce qui était un mot d'esprit de von Neumann, c'est pas John, je sais plus comment il s'appelait, von Neumann, qui un jour rencontre M. Claude Shannon, qui est donc le concepteur de la théorie de l'information, et qui constate que c'est tout à fait étrange, mais quand il fait des calculs de probabilités sur la redondance de l'information, la possibilité de supprimer des informations dont on n'a pas besoin pour pouvoir préserver l'information, enfin bref, c'est tout ce qu'on appelle la théorie de l'information, il se trouve que par hasard la constante qu'il met en jour, c'est d'ailleurs pas lui qui l'a mis au jour, c'est quelqu'un avec qui il travaille chez les Bell Laboratories aux Etats-Unis, chez ITT, et bien c'est la même constante que Boltzmann dans la théorie de l'entropie, càd l’entropie étant chez Boltzmann un calcul statistique au niveau nanométrique sur les probabilités qui vont gérer l'évolution de l'ordre vers le désordre. C'est formellement la même structure. Shannon et Von Neumann réfléchissent sur l'intelligence artificielle, c'est les années 40. …, ce sont des gens qui viendront dans les conférences Macy quelques années plus tard. Et donc, Shannon lui explique ce qu'il a trouvé et von Neumann lui dit, tu devrais appeler ça l'entropie. Il ne sait pas ce que c'est que l'entropie ? Claude Shannon ne sait pas ce que c’est que l’entropie à cette époque-là. Ben dit Von Neumann, justement, tu ne le sais pas, personne ne le sait en fait. Et donc comme ça, tu es sûr d'attirer l'intérêt, tout le monde se demande ce que c'est que l'entropie, etc. Appelle ça comme ça, voilà. C’est à travers cette prescription de Von Neumann que le mot entropie s’est développé via la théorie de l’information. C’est très important parce que ça a engendré un immense malentendu épistémologique. Pourquoi ? Parce que Norbert Wiener qui connaît la théorie de Shannon va se la réapproprier pour essayer de penser les boucles de rétroaction en cybernétique. Il va montrer qu'il y a des boucles de rétroaction entropiques et des boucles de rétroaction néguentropiques. Évidemment comme il fait de la cybernétique, il développe des machines qui sont des machines à calculer donc il veut rendre calculable la néguentropie elle-même donc il se dit super j'ai un formalisme qui vient de la théorie de l'information, ma machine est une machine informationnelle, donc je vais appliquer ça, ce qui est à mon avis une grande catastrophe. En réalité le concept de néguentropie il date de 4 ans plus tôt - c'est de 1948 ce dont je vous parle - et quatre ans plus tôt, en 1944, donc à Dublin, Schrödinger développe ce concept, il appelle ça l'entropie négative. Et donc il se passe en l'espace de quelques années une incroyable concaténation d'événements qui font que Shannon rencontre von Neumann, von Neumann et Wiener travaillent ensemble. Wiener entend parler de Shannon, il se dit je vais reprendre son concept. Et Brillouin qui essaye de théoriser l'information en théorie quantique, là cette fois-ci, en mécanique quantique, puisqu’en mécanique quantique on parle de forme-matière pour aller vers énergie-information, c'est la grande transformation. On ne parle plus de forme et de matière en mécanique quantique, ça n'a pas de sens. Donc on parle d'énergie-information ce que Gilbert Simondon va d’ailleurs reprendre complètement à son compte et à mon avis de travers - je m'avance beaucoup parce que c'était un grand connaisseur de la physique, bien plus que moi - mais moi je pense qu'il a déraillé là-dessus. En tout cas tout ça va faire qu’il va y avoir un malentendu validé par Léon Brillouin, qui est un grand physicien. On oublie toujours de dire qu'il essaye de penser ça avec les instruments scientifiques et donc, si on ne tient pas compte de l'instrument exosomatique tout ce qu’il dit n’a aucun sens – c’est pour ça que des gens font des mésinterprétations de Léon Brillouin qui a mon avis n’est pas du tout un théoricien de la théorie de l'information de Shannon. On en reparlera peut-être dans la journée avec Carlos et Anna. En tout cas, ce que ça produit, ça produit un malentendu entre mathématicien, physicien, biologiste, théoricien de l'information, informaticien, économiste, puisque l'économie, vous le savez certainement, ce qu'on appelle le néolibéralisme, s'appuie sur la théorie de l'information de Herbert Simon, qui lui-même est branché avec un type que je déteste tellement que j'oublie toujours son nom, un autrichien là, Hayek, etc. Voilà, et tout ça va donner, qu'est-ce que ça va donner ? La Silicon Valley. Parce que si vous allez voir comment ça fonctionne chez Apple, chez Google, etc. C'est la théorie de l'information. C'est un désaccord que j'ai avec quelqu'un pour qui j'ai une grande admiration par ailleurs, c'est Frédéric Kaplan, qui a fait une critique du modèle de ce qu'il appelle le capitalisme linguistique de Google, et donc il a lancé il y a longtemps, enfin il y a deux ans déjà à Lausanne, ce qu'il appelle une opération de reverse engineering à partir de produits linguistiques de Google, il essaye de critiquer ça, il m'a envoyé des résultats intermédiaires et il se plante complètement dans l'interprétation des résultats parce qu'il reparle de la théorie de Shannon. Ça ne peut pas marcher ça. S'il reparle de la théorie qu'utilisent Google et Amazon, il ne peut que reproduire ce que font Google et Amazon. Bon, ça c'est une parenthèse. La raison pour laquelle je vous en parle, c'est parce que j'ai un différend avec Aurélien Barrau, qui est un astrophysicien très sympathique par ailleurs, et qui ne comprend rien à ces questions, à mon avis, alors qu'il est physicien, qu'il sait très bien ce qu’est la thermodynamique, beaucoup mieux que moi, et que néanmoins il ne comprend pas que pour qu'il y ait des physiciens, il faut qu'il y ait des êtres vivants, parce qu'un physicien c'est vivant, c'est pas un ordinateur, c'est pas... voilà. Et que si vous ne protégez pas le vivant vous ne protégez pas la physique. Pour rendre compte de ce que c’est que la physique, vous devez rendre compte de ce que c’est que le vivant, ça a été expliqué très bien par Georges Canguilhem ; le physicien est vivant et la possibilité de la physique est liée au vivant. Et la nécessité de la physique aussi est liée au vivant. Si on a besoin de physique, c'est parce qu'on est vivant. Le système, l'univers n'a pas besoin de physique. Oui, il est physique. Il n'a pas besoin de physique. Mais les êtres vivants sur la Terre et peut-être ailleurs dans l'univers ont besoin de savoir, dont la physique. Alors, il est important de savoir qu'Aurélien Barrau n'est pas simplement un physicien reconnu, professeur d'astrophysique à Grenoble. Enfin, ce n’est pas rien, c'est une personnalité scientifique tout à fait importante et très appréciée de ses étudiants etc. mais il n'est pas inutile de savoir qu'il est aussi philosophe, qu’il a fait sa thèse sur Jacques Derrida et le concept de « struction » pourquoi la struction ? c'est parce qu'il essaye de penser le chaos non pas avec Gilles Deleuze mais avec Jacques Derrida. A savoir que le chaos, lui, il le traite en tant qu'astrophysicien. Les astrophysiciens ont tous affaire à la question du chaos, aux théories du chaos, avec des outils mathématiques, des mathématiques du chaos, etc. Donc il essaye de repenser les questions fondamentales de l'astrophysique, en fait, avec Derrida et je pense qu'il se gourre complètement. Mais quand je dis ça, ce n’est pas parce qu'il se trompe simplement, c'est parce que chez Derrida il y a un refoulement de la question de l'entropie, de la négentropie et que du coup il y a des mésinterprétations. Alors, ça j'en parlerai dans la suite de ce bouquin là et qui a pour titre Déconstruction et destruction mais aussi struction. Donc ce sera un livre qui commencera par un dialogue sur un petit livre qui a été publié par Jean-Luc Nancy et Aurélien Barrau qu'ils ont fait ensemble qui a pour titre Dans quels mondes nous vivons, mondes c'est au pluriel, ça pose le problème, cette pluralité des mondes, de ce que j'appelais tout à l'heure des relations d'échelle. Vous le savez bien, si vous lisez Bernard d'Espagnat par exemple, vous ne pouvez pas unifier le niveau nanométrique, mécanique quantique, le niveau microscopique et le niveau macroscopique. Vous ne pouvez pas les unifier. Il y a quelque chose qui est de l'ordre d'une diversité fondamentale d'échelle et vous ne pouvez pas réduire ces échelles. Vincent BontemsVincent Bontems, ancien élève de l'ENS Ulm est philosophe, il travaille dans un laboratoire de recherche du CEA. On lui doit les entretiens avec Bernard Stiegler, parus en 2008 (L’économie de l'hypermatériel et psychopouvoir).↩︎ travaillait sur un physicien dont j'ai oublié le nom, qui avait prétendu trouver une possibilité de... Nottale, exactement, je te remercie. Et Nottale s'est fait complètement détruire, hein, et Vincent Bontems s'est retrouvé dans la merde. Parce qu'il avait fait toute sa thèse sur les travaux de Nottale, et il se trouve que Nottale aujourd'hui, ce n’est pas la mémoire de l’eau, enfin voilà, c'est un peu traité comme ça. Je ne sais pas d’ailleurs si c’est juste, peut-être qu’il faudrait y revenir à Nottale, je n’en sais rien, je ne suis pas capable d’en juger mais ce que je veux vous dire c’est que les sujets dont on parle ici, liés à ce que j'appelle la localité, ce sont des sujets qui sont directement liés à cette question de la struction, chez Aurélien Barrau, à ces questions d'échelle en physique, à cette question de la physique biologique, c'est-à-dire de ce que devient la physique du point de vue du vivant, etc. Et que donc nous ne pouvons pas ne pas nous mettre au cœur de ce qu'étaient les premières questions des physiologues, de ce qu'on appelle les physiologues grecs. Il faut revenir quasiment à Thalès au 7e siècle avant Jésus-Christ. Il faut reprendre l'ambition de Nietzsche de dire on réinterprète tout. Parce qu'il faut redémarrer à zéro. Régulièrement il faut redémarrer à zéro. Redémarrer à zéro ça ne veut pas dire on efface tout. Faire ce que par exemple Einstein fait en même temps que Poincaré d’ailleurs à savoir faire des calculs de vitesse de train etc. et se dire finalement je suis obligé de complètement abandonner la géodésie euclidienne et newtonienne et je suis obligé d'inventer une nouvelle théorie qui est la théorie de la relativité, et bien c'est tout balayé. Mais ça ne veut pas dire du tout tout effacer, tout oublier. Au contraire, il faut tout relire, tout réinterpréter. C'est à ça que nous sommes confrontés aujourd'hui. Et quand on dit qu'il faut s'attaquer à la localité, c'est de ça dont il s'agit. Après, il faut aussi s'attaquer à Marine Le Pen qui essaye de faire de la localité son propre sujet. Et c'est comme ça qu’il faut attaquer Marine Le Pen en disant : vous touchez à un truc très compliqué, vous n’y connaissez rien, vous racontez n’importe quoi, une localité c’est toujours ouvert sinon ça ne durerait pas ça. C'est ce que montre Bergson, c'est aussi ce que montre Bertalanffy et même si une localité ouverte peut se donner l'impression qu'elle est fermée, elle peut essayer de cultiver une illusion de la fermeture mais si elle reste fermée, vraiment fermée, elle disparaîtra pour des raisons de brassage génétique, pour d'innombrables raisons.

Alors ayant dit cela je voudrais poser une question ici je suis toujours dans la préparation de la lecture de Watsuji Tetsuro. Que serait une individuation collective sans limite ? Parce que je disais tout à l'heure, une individuation collective c'est toujours ce qui s'agence avec des rétentions tertiaires et hypomnésiques. Les rétentions tertiaires et hypomnésiques, ça c'est ce que Derrida a bien montré, ça circule. Donc par exemple la Grèce est reliée à l'Egypte qui est reliée etc. et c'est comme ça que l'Occident se constitue en passant d'ailleurs par la Judée parce que ce n'est pas la même écriture exactement mais c'est dans tous les cas d'écriture alphabétique et ça va se combiner via les chrétiens quelques années après Jésus-Christ quelques décennies après Jésus-Christ. Sans limite, qu'est-ce que ça voudrait dire ? Si par exemple on s'appelle Paul de Tarse, sans limite c'est le royaume de Dieu. Le royaume de Dieu est sans limite, il est accueillant à tout le monde, il est œcuménique, il peut accueillir toutes les créatures, quelles qu'elles soient, parce que la promesse c'est la rémission des péchés. Donc quoi qu'aient fait ces créatures, de toute façon, elles peuvent être... et à cette époque-là, l'histoire de l'enfer et tout ça, ça n'existe pas encore, c'est apparu bien plus tard. Est-ce que sans limite veut dire sans lieu ? Si vous lisez Martin Buber, il vous dira non parce qu'il faut une bible portative. Donc ça se déplace. Je dois ça à Marco Panini, qui est un étudiant de Gérald Moore que j'ai rencontré, je crois que c'était en Équateur, qu'il m'a parlé de cette bible portative. Je ne connaissais pas ce texte extraordinaire de Martin Buber. Une individuation collective sans limite, ce que je vais essayer de vous dire, c'est ou bien elle est religieuse, plutôt chrétienne et je dirais même catholique, ou bien c'est du vent. Je dis ça parce que c'est le catholicisme, KatholouActes 4 : 18 Et les ayant appelés, ils leur défendirent absolument (katholou) de parler et d'enseigner au nom de Jésus.↩︎, vous le savez bien, le catholicisme ça vient de Katholou, qui veut dire universel. C'est le catholicisme qui construit ce que j'appelle moi la nécromasse noétique de l'universalisme, l'universalisme chrétien, enfin l’universalisme de Descartes, il est d’abord chrétien et d’ailleurs Dieu joue un rôle fondamental dans l’universalisme de Descartes. C’est Dieu qui apporte comme le dit Derrida le signifiant transcendantal, ce que Descartes appelle l'idée. Mais il n'y a pas que Descartes, il y a Kant, tous les philosophes occidentaux, quasiment, même quand ils sont athées, leur conception de l’universalité et de la raison vient de la théologie, plus exactement de ce qu’on appelle l’ontothéologie c'est-à-dire de Thomas d'Aquin, etc. Et ça on ne peut pas le neutraliser. C'est d'ailleurs ça que dit Heidegger. Et comme vous le savez, ou comme vous ne le savez peut-être pas, Heidegger était d’abord un séminariste, il devait devenir prêtre, et c’est l’évêque qui lui a dit : non je n’en veux pas, il n’est pas en bonne santé, finalement il a abandonné la théologie, il a fait deux ans de mathématiques, parce qu'il a décidé de devenir mathématicien, et puis finalement en étudiant les mathématiques, il a dit non, il faut que je fasse de la philo. Il savait qu'il y avait un type qui s’appelait Brentano, Husserl, qui était aussi un mathématicien, et c’est comme ça qu’il est devenu Heidegger. Mais Heidegger, il part de Dieu, de l'expérience de Dieu. Il le dit très bien. D'ailleurs, il y a un truc qui s'appelle Phénoménologie de la religion qui est absolument incompréhensible pour moi, d'ailleurs, parce que c'est basé sur des textes théologiques extrêmement difficiles à lire. Je n’y comprends rien. Mais bon, c'est très important et c’est de1925 donc il n'a pas laissé tomber tout ça du jour au lendemain. C'est très important dans sa pensée. Ce que je veux dire c'est que si on veut se passer de la localité, eh bien il faut devenir chrétien. Si vraiment on est cohérent. Et d'ailleurs c'est ce que fait Bergson, il est cohérent. Donc Bergson décide en 1932 de se convertir au christianisme. Ce qu'il ne fera finalement pas parce qu'il s'aperçoit que les juifs sont persécutés dans toute l'Europe, y compris la France, parce qu'ils ne sont pas persécutés comme en Allemagne, mais enfin l'antisémitisme français, ça a été quelque chose d’assez terrible. On l’a oublié grâce à l’affaire Dreyfus et à la résistance et tout ça, mais enfin les antisémites, il y en avait énormément en France, peut-être autant qu'en Allemagne, peut-être même plus à une certaine époque même si peut-être pas parce qu’il y a l’antisémitisme de Martin Luther. Certainement que l’Eglise protestante a joué un rôle là-dedans et en Allemagne elle était très puissante. Mais bon, je ferme cette parenthèse. Moi je soutiens que si on veut sortir de cette conception de l'universel et de refaire droit à la singularité, comme le disait Gilles Deleuze, il faut voir les conséquences de ce que dit Bergson et ne pas se contenter de ce que dit Bergson. J'ai aucune intention de me convertir au christianisme. D'ailleurs je n’ai pas besoin de me convertir parce que j'ai été baptisé en plus. J'ai été baptisé pour faire plaisir à ma grand-mère, comme beaucoup de petits français de mon âge. Faut pas fâcher mamie donc on baptise le môme sinon elle n'endormira pas. Ma grand-mère était une croyante très catholique.

Alors ce que je voudrais dire c'est que on peut définir une adhésion collective sans limite, ça s'appelle l'église de Paul de Tarse, de Saint Paul comme on l'appelle. Il est saint à cause de ça. Ou bien on peut aussi dire, non, on laisse tomber tout ça, c'est ce que dit Peter Thiel, « laissez tomber tout ça, des conneries métaphysiques ». On crée une individuation collective sans limite parce que réalisée par le calcul. Et que le calcul lui il est absolument sans limite. Que vous fassiez du calcul sur la Terre, sur Mars, ou aux extrémités de l'univers qui sont à des millions d'années-lumière d'ici ou des milliards d'années-lumière d'ici, dans les milliards de milliards d'étoiles, où que ce soit dans ces étoiles, le calcul reste le calcul. Deux et deux font quatre, partout. Est-ce que c'est ça l'universel ? Ça c'est ce qu'auront prétendu les cognitivistes, les computationalistes comme je les appelle. Et c'est ce qui a été rendu possible par la théorie de l'information, que von Neumann va etc. etc. Et finalement Wiener va intégrer dans sa théorie. Mais c'est faux. C'est absolument faux. L'universel c'est pas du tout ça. L'universel ce n’est pas l'universalité du calcul, c'est l'universalité de la raison. Et Kant explique très bien pourquoi l'universalité de la raison ce n'est jamais le calcul. C'est toujours ce qui dépasse le calcul. Et ce qui dépasse le calcul, et bien c'est ce que j'ai appelé dans un livre que je n’ai toujours pas publié, la mystagogie. La raison est mystagogique. C'est ce qu'explique Kant dans la troisième critique de la raison pure. Je critique ce livre, enfin je lis ce livre dans ce bouquin mais je n'ai pas fini. Alors nous sommes aujourd'hui entre une conception que je crois totalement dépassée y compris dans l'église, y compris par François, le pape actuel, qui consisterait à dire voilà l'universalité sans limite c'est Dieu etc. et c'est le corps de l'église. Je pense que, il y a des chrétiens qui pensent comme ça, mais ce sont des chrétiens de droite et plutôt d’extrême-droite mais je ne pense pas qu’aujourd’hui, au Vatican, ce soit la vision du pape. Je me trope peut-être cela dit, je ne suis pas un grand connaisseur de tout ça ou bien à l'inverse nous avons des computationalistes qui disent on n'a plus besoin de tous ces trucs, tout est calculable. Moi ce que je soutiens c'est qu'il faut restaurer, si j'ose dire, c'est un peu dangereux, mais il faut restaurer le mystère de la localité, qui n'est pas tout à fait ce que Paolo Vignola appelle la carte postale. La localité, ce n’est pas prendre en photo des palmiers pendant un coucher de soleil quand on est à Guayaquil. Ça n'est pas que Notre-Dame ou je ne sais quoi, ou les gondoliers de Venise. La localité, c'est une hyper complexité. Et qui se vit de mille manières y compris en prenant des photos de clichés parce que c'est aussi une manière de montrer la localité et c'est ce qui n'est pas pensé et ce qui n'est pas pensé depuis pratiquement Platon. C'est se contenter de penser des romantiques allemands comme Schelling, c'est dangereux, ça a été réapproprié par les nazis en effet, par les ultra-nationaux japonais en effet, tout ça. Et c'est ce qui va faire que, parce qu'on ne s'en occupe pas, l'extrême droite va revenir au pouvoir à peu près partout dans le monde. Parce que c'est non seulement en Europe, mais c'est à peu près partout. Amérique latine, Amérique du Nord, à peu près partout. Aujourd'hui, ça se traduit par le discours transhumaniste, ce que je suis en train de vous dire là. Et je connais des chrétiens et même des catholiques tentés par le transhumanisme. Donc ça, il faut se pencher sur ce sujet de très près. Je pense que la raison pour laquelle Laurent Alexandre, qui est le grand transhumaniste français, qui a chaque fois qu’il en a l'occasion dit : mais non, je suis pas transhumaniste, qui a créé un truc contre Greta Thunberg, et l'histoire du conflit entre Laurent Alexandre et Greta Thunberg, c'est l'histoire du conflit entre le calcul que défend Laurent Alexandre et l’incalculable que je défends et Greta Thunberg aussi le défend, en tout casque la génération Thunberg le défend. , , c'est une histoire du conflit entre le calcul que défend Laurent Alexandre et le, comment l'appeler, appelons ça l'incalculable, que je défends et dont je crois que Greta Thunberg aussi le défend, en tout cas que la génération Thunberg le défend en défendant le vivant. Pourquoi ? Parce que le vivant est incalculable. C'est ça le vivant. Il n'est pas calculable. Jamais vous ne réduirez l'évolution du vivant à des calculs. Ce n’est pas possible. Et ça on le sait depuis Lamarck. Quand je dis qu'on le sait depuis Lamarck, je ne veux pas dire que Lamarck l'a théorisé comme tel mais il le savait déjà c’est ce que dit Leroi-Gourhan. Il ne parle pas de Lamarck mais de Cuvier, mais c'est la même époque et c'est la même école, si je puis dire. Il y a un texte formidable de Leroi-Gourhan, il explique : Cuvier en train de dégager un fossile dans un bloc de gypse, et voilà, il dit : Cuvier ne sera pas capable à partir de ça bien qu’il soit un paléontologue qui connaît toute l’histoire des squelettes etc. et là il est en train de dégager un petit lémurien d’un bloc de gypse eh bien Cuvier dit : je ne peux pas savoir ce qu'il y aura après, parce que ce n'est pas calculable, totalement improbable. Et ça, ça s'appelle le vivant. Aujourd'hui, ce qui se passe, c'est qu’on met des formalismes de la physique pour gérer l’économie et ces formalismes détruisent cette incalculabilité donc le vivant et c’est pour ça que la planète est en feu. C'est vraiment exactement pour ça. Il n'y a pas d'autre raison à ça. Ce que j'ajoute, moi, à tout ça, c'est que l'incalculable passe toujours par la localité, et non seulement ça, mais que la localité est toujours territoriale. Je ne veux pas dire qu'elle se réduit à la territorialité, mais elle passe toujours par la territorialité. Elle passe par un territoire. Je suis né quelque part, et ça a de l'effet. Dans la manière dont je me branchais, par exemple, avec le séminaire de pharmakon.fr. Je suis né à Marseille, je suis né en Angleterre, je suis né en Équateur, je suis né en Italie. Et bien j'apporte ma noodiversité. Et à quoi est-ce que je le dois ? A une synthèse territoriale. A une synthèse territoriale qui s'est produite à des échelles très variables, mais qui conditionne complètement mon rapport au Fudo. Qu'est-ce que c'est que ça le Fudo ? C'est ce que Augustin Berque traduit par « médiance », c'est le concept produit par Watsuji Tetsuro, et qui est le concept qui tente de penser les rapports entre l'individuation psychique et l'individuation collective dans ce que je crois être l'individuation technique. Et ça, ce n'est pas théorisé ni thématisé par Watsuji et ça ne l'est pas non plus par Augustin Berque bien que Berque parle de Leroi-Gourhan et tout ça et j'essaierai de vous montrer la semaine prochaine, que malgré ça il rate à mon avis l'essentiel.

Alors bientôt on va travailler sur ces questions, c'est quasiment ficelé, enfin ce n’est pas ficelé mais en tout cas c'est acté et si ça vous intéresse et que vous avez les moyens de venir je vous y invite. On parlera de ces questions à Rijeka, à l'université de Rijeka, avec un prof américain qui s'appelle John McKenzie. On travaillera avec lui d'abord à Rijeka, puis à l'île de Cres, sur la côte Dalmate, avec des agriculteurs, des éleveurs de chèvres, de brebis et de vaches, pas sur l'île de Cres en Croatie pour les vaches, et des pêcheurs croates, des pêcheurs de l'île de Cres. On va travailler avec eux en les mettant en relation avec Sherkin Island qui est en Irlande, c'est une île sur laquelle a travaillé Glenn Loram qui est un artiste qui a travaillé avec des habitants d'une île pour réinventer l'île dans une relation en archipel et donc en se référant à des réflexions qui sont menées depuis très longtemps par Edouard Glissant et qui ont été reprises par Paolo Vignola et Sarah Baranzoni notamment en Équateur mais aussi avec Noël Fitzpatrick, Glenn Rahm et un certain nombre d'autres également dont Giacomo ici présent. Nous allons faire, tenter de constituer un archipel d'échelle biosphérique. C'est-à-dire de relier noétiquement via les réseaux les îles Galapagos, cette île d'Irlande qui s'appelle Sherkin, l'île de Cres au large de Rijeka et la Corse. En travaillant avec l'université de Corte, l'université de Rijeka, l'université de Wayalghin et l'université de Dublin. Et je n’ai pas encore eu le temps d'appeler Gérald Moore pour savoir comment il veut s'impliquer dans cette affaire. Quand je dis que ça, c’est déjà acté, c'est que c'est acté par les autorités croates, les gens avec qui je discute. On va le préparer à la Sorbonne les 21 et 22 mai, on va en parler. Et on en fera ensuite une analyse à Arles, ça se passera du 7 au 11 juillet en Croatie, et du 12 au 14 juillet on sera à Arles pour faire une académie d'été internationale avec un nouveau partenaire représenté ici par Victor Chaix, qui est devenu maintenant un partenaire de ce séminaire qui s'appelle l'association des amis de la génération Thunberg, puisqu'on va organiser ça avec cette association et donc aussi avec Youth for Climate et Extinction Rebellion. Pourquoi est-ce qu'on fait ça ? C'est parce qu'on pense qu'aujourd'hui il faut aller très vite et donc si on fait des travaux de recherche comme on les fait ici depuis très longtemps, qu'on les articule avec des expérimentations en Seine-Saint-Denis, etc. ou au Galapagos ou ailleurs, il faut que ça transfère et que ça infuse ultra rapidement vers les activistes qui derrière Greta Thunberg essaient de défendre l'incalculable et de faire des propositions concrètes, très précises, pour s'opposer à Donald Trump, pour le dire un peu bêtement. Ayant dit cela j'ajouterai un point, ce qui ouvre le territoire au-delà du territoire parce qu'un territoire n'existe que s'il s'ouvre au-delà de lui-même, ce n’est pas simplement la flèche qui circule à 350 km heure, c'est l'incalculabilité. Cette incalculabilité ça peut être celle du chaman qui est dans la grotte de Chauvet ou de Lascaux ou des grottes australiennes dont je parlais tout à l'heure et qui cultive de l'incalculable à travers ce que parfois dans certaines sociétés on appelle les esprits de la forêt etc. au Japon par exemple, dans le Japon ancien la forêt c'est les esprits de la forêt vous retrouvez ça d'ailleurs chez Miyazaki dans la princesse Mononoke, c'est comme ça qu'elle s'appelle Et cette incalculabilité c'est aussi le l'œcuménisme chrétien, donc ça peut se transformer, c'est très dangereux, ça peut devenir les missionnaires qui apportent les biens, ils arrivent à porter la Bible au Quechua, aux habitants de l'Amérique latine, sauf qu'ils en massacrent quelques millions, 15 millions si j'ai bien noté parce qu'ils sont accompagnés par des conquistadors etc. donc l'ouvert c'est pas du tout bon en soi c'est au nom de l'ouverture des Aryens à l'avenir de la planète entière gouvernée par les Aryens qu'on a exterminé 6 millions de juifs. Donc ce que je veux dire par là c'est que ce n’est pas parce qu'on est fermés qu'on est méchant et que parce qu'on est ouvert on serait gentil. C'est beaucoup plus retors que ça. Donc faut arrêter avec ces histoires de gentil et de méchant. On est tous méchants. Et il faut tous essayer de devenir gentil. Gentil au sens de Nietzsche. Le gentil chez Nietzsche, c'est celui qui ne calcule pas. C'est pour ça que Georges Bataille dit être nietzschéen. Le gentil c'est celui qui appartient à la gens, c'est-à-dire autrefois ça désignait la noblesse. Sur ces questions, et sur ces questions de territoire, d'individuation psychique, d'individuation collective, etc. Je vous recommande la lecture d'un texte que vous trouverez sur le site AOC, qui est payant, mais vous pouvez y accéder pour 1 euro pendant 6 mois, je crois, donc ça vaut le coup. 1 euro, ce n’est pas cher. Vous trouverez un texte qui s'appelle Isoler Ensemble, qui explique que, bon, c'est très bien, les territoires en transition, tout ça, la zade de Nantes, enfin de Notre-Dame-des-Landes, c'est très bien, mais d'abord, alors ça il ne le dit pas, mais c'est quelqu'un d'autre qui vient de me le dire tout à l'heure, ça échoue à chaque fois. On avait une discussion là-dessus à Épineuil il y a quelques années, voilà, ça échoue à chaque fois. À chaque fois on recommence le même truc. Moi j'ai assisté à cinq ou six trucs comme ça dans ma vie. Le premier c'était à Cres-Malville, ensuite le Larzac, enfin j'avais 22 ans, un truc comme ça. Ça se casse la gueule à chaque fois, c'est toujours exactement les mêmes discours. Et donc alors tu m'avais dit d'ailleurs une fois, non, le Larzac ça a marché, on a empêché l'armée de s'installer. Oui, mais bien sûr, c'était une concession. Et puis ça a produit José Bové, qui est maintenant député européen. Ah mais il ferait mieux de s'occuper de ses brebis peut-être. Non mais bon, ce que je veux dire, moi j'aime bien José Bové je l’ai défendu jusqu’au jour où il m’a écrit en me demandant de le défendre. Je lui ai dit ok mais dès maintenant discutons mais il refusé de discuter, il a fait la même chose que le camarade Mélenchon. Ce que je veux dire par là c'est que l'ouverture, l'ouverture par exemple à un truc de député européen, oui c'est une ouverture, c'est aussi une fermeture. Et que c'est aussi une fuite par rapport à ses vraies responsabilités. Ses vraies responsabilités c'est de se mettre à essayer de vraiment de repenser sérieusement toutes ces conditions. Nous, nous avons un discours là-dessus, ça fait longtemps que je le tiens, que j'essaie de convaincre José Bové justement, que j'ai essayé de convaincre aussi Mélenchon. Oui, je peux en faire un ? Bien sûr, bien sûr. Vous pouvez écrire en 1996 un bouquet qui s'appelle « généreux mais qui argumente son engagement sur l'économie des énergies d'azote. Donc il est dans l'ouverture. Non mais je ne dis pas le contraire. C'est quelqu'un que j'ai su, donc je l'ai défendu. Je l'ai défendu, j'ai pris position pour lui lorsqu'il était... Je pense au livre. Il m'a demandé de défendre ce que j'ai fait, puis après je lui ai répondu, mais discute-toi. Je l'ai même invité à l'université de Compiègne pour discuter avec des biologistes, des ingénieurs en génie biologique, etc. Il n'a pas voulu venir. Et maintenant qu'est-ce qu'il y a des problèmes fondamentaux, c'est là-dessus qu'il faut travailler. Il faut produire de nouveaux modèles, et il ne faut pas simplement défendre son siège de député européen (…). Aujourd’hui, la question fondamentale, c'est de se remettre à travailler, à penser, à trouver de vraies propositions qui permettent réellement de dealer avec l'ONU, c'est ce qu'on essaie de faire. On n'y arrivera pas, mais on essaye quand même de dealer une voie pour sortir d'une situation absolument apocalyptique. Et donc, je veux bien soutenir tous les gens que j'estime, mais à mon avis, ça c'est un alibi pour ne rien faire. J'ai un jour, j'ai refusé de signer des pétitions, j'en avais marre parce qu’on m’en propose 10 par jour, et un jour j'ai dit : j'en ai marre, vous me faites chier, je ne signerai pas votre pétition, mettez-vous à bosser pour parler du problème et après peut-être que je signerai une pétition. Mais commencez par aller travailler, par analyser le sujet ; parce que ce sont des gens qui et après vous allez dormir, voilà j’ai fait mon devoir. Pas du tout. Enfin bon, on est parti dans le petit... Je suis prêt à en discuter. On va bientôt s'arrêter, cela dit, pour pouvoir discuter, mais je voudrais maintenant quand même dire quelques mots sur comment je compte vous emmener vers Watsuji. Enfin, nous emmener, parce que moi-même, je chemine, j'invente un peu en marchant.

Alors je l'ai dit tout à l'heure pour moi l'interlocuteur ici finalement que je vise ce n’est évidemment pas Watsuji, ce n’est évidemment pas Nishida c'est Augustin Berque Et c'est ce qu'Augustin Berg appelle la mésologieLa mésologie est la science des milieux, qui étudie de manière interdisciplinaire et transdisciplinaire la relation des êtres vivants en général, ou des êtres humains en particulier, avec leur milieu de vie.↩︎ qui est quelque chose d'extrêmement intéressant, sur lequel il a écrit plein de choses, alors des fois ça se répète beaucoup. Un jour un participant de ce séminaire ici présent m'a envoyé un texte, en fait je me suis aperçu que c'était le même que j'avais lu mais sous un autre titre quasiment quoi, mais par contre il y a…, alors je veux dire qu’il ne faut pas tout lire parce qu'il y a beaucoup de répétitions, mais il y a quelques textes extrêmement importants. Le premier, c'est Ecoumène, je sais plus si c'est le titre exact, mais c'est extrêmement important. Et puis il y en a deux ou trois autres qu'il faut absolument lire, où il fait un travail très fondamental. Alors lui, il bosse, il travaille sur les concepts et tout ça et pas que sur les concepts parce qu'il travaille sur ses modes de vie à lui aussi. Et donc son travail part d’un livre qui s'appelle Fudo de Watsuji. Et Berque a découvert Watsuji au Japon. Et il l'a d'abord lu en anglais d'ailleurs, dit-il dans sa préface, et il avait trouvé ça très discutable et puis après il s'est aperçu quand il l’a lu au japon en japonais que c'est pas du tout ce que dit la traduction anglaise c'est à dire que la traduction anglaise a complètement massacré le texte voilà comme malheureusement ça arrive souvent, ça m'est même arrivé même à moi dans une traduction en anglais. Nous allons relire ça pour une raison très précise. Je pense que vous le savez, depuis deux ans nous parlons ici de Marcel Mauss. J'ai commencé à en parler l'année dernière dans Exorganologie 2, là on est dans Exorganologie 3. En fait la première fois que j'en ai parlé c'est en 2013 à Épineuil-le-Fleuriel dans une académie d'été. On avait consacré une académie d'été à ces questions, commencé à introduire la question de la localité, disons de l'international et de l'internation. J'avais un tout petit peu dit, beaucoup moins que j'aurais voulu le faire, parce que j'avais prévu l'année dernière dans le séminaire de parler beaucoup plus de la fin du texte de Marcel Mauss et de dire pourquoi je ne suis pas du tout satisfait par la fin, parce que c'est une vision complètement, je veux dire, dépassée aujourd'hui du capitalisme, de l'économie de marché et tout ça. Donc on ne peut pas répéter ce que dit Marcel Mauss, ce n’est absolument pas possible. Premièrement sur ce plan-là. Deuxièmement, la technologie a quand même beaucoup évolué alors même s'il a des visions extraordinairement lucides sur... Il ne faut jamais oublier que Marcel Mauss c'est le maître d'André Leroi-Gourhan, c'est lui qui va dire à Leroi-Gourhan étudie la technique c’est super important, tout va se jouer là, c’est André Leroi-Gourhan qui le raconte mais malgré ce génie qui se voit en particulier à travers le texte appelé Technique du corps il peut pas voir venir le web par exemple, il peut pas voir venir le building information modeling enfin il ne voit pas d'ailleurs le rôle des technologies computationnelles de l'information. Ce n'est pas encore configuré. Ça se configure que dans les années 40. Il est mort à ce moment-là. Par ailleurs, il ne connaît pas apparemment la question de l'entropie. En tout cas, il n'en parle pas. Et tout ce qu'il dit lorsqu'il défend par exemple la nation comme un espace local, on ne voit pas du tout comment il pourrait aller l'orienter vers ces questions. Nous, nous l'interprétons comme ça. Moi ce que j'ai proposé en 2013 à Epineuil, c'était de dire relisons Marcel Mauss avec Schrödinger. Et donc avec Boltzmann et compagnie. On va en fait faire ça en lisant Berque parce que je pense que Augustin Berck radicalise des questions que pose Mauss. Il ne se réfère pas à Mauss d'ailleurs, enfin il se réfère peut-être, mais en tout cas pas à ce texte-là. Mais par contre tout ce que dit Mauss, ça s'intègre dans la mésologie de Berque. C'est-à-dire qu'on peut, et on doit même à mon avis, lire ça d'un point de vue qu’on va appeler mésologique, la mésologie chez Berque étant l’étude du milieu (mesos en grec) à travers un concept qui est ce qu'il appelle la médiance. La médiance étant ce qui est et n'est pas. Quand je disais tout à l'heure la Khora qu’elle est et elle n'est pas, etc. Et cette médiance étant donc ce qui traduit le mot fudo puisqu’il dit le premier qui a pensé ça ce n’est pas moi c'est Watsuji. Après je précise qu'il critique Watsuji pour des raisons très précises. Watsuji explique dans le premier chapitre de son livre qu'il n'y a pas de déterminisme géographique, qu'il n'y a pas de déterminisme du milieu etc. donc on est en plein accord avec ça. Mais Berque montre qu'ensuite il fait exactement le contraire, c'est-à-dire qu'il voit du déterminisme partout. En fait, il n'arrive pas à échapper à des visions un peu anciennes et occidentales de ce qu'était le rapport au milieu, qui venait des géographes ou de Montesquieu ou de... voilà parce qu'il y a eu beaucoup de textes en fait qui ont été écrits en Occident sur cette question du déterminisme géographique. Je ne sais pas si vous le savez mais par exemple il y avait des gens, un géographe très connu, je trouve plus... je retrouve plus le nom, je crois que c'est Delablache, disait : voilà les gens du calcaire et les gens du granit. Ceux qui ont grandi sur des plateaux en calcaire ne pensent pas, comme les Normands par exemple, comme les Bretons qui ont grandi sur des rochers en granit, ils ne pensent pas pareil. Alors ça, si vous dites ça, vous allez dire maintenant, c'est normal que les Corses du sud ne soient pas comme les Corses du nord parce que les Corses du nord, ils sont sur le granit et le Corses du sud ils sont sur les lames calcaires ; ça se voit très bien à Bonifacio qui est une espèce de truc calcaire. Évidemment, Berque montre que voilà, ce n’est surtout pas ça la médiance ; ça ne veut pas dire que le calcaire et le granit n'ont pas de rôle, ça veut simplement dire que ça ne détermine pas. Bon donc si je vous dis ça c'est surtout pour dire faut pas prendre Watsuji forcément… voilà à commencer par Berque qui ne reprend que le début en fait ; après il est assez critique sur la suite. Je vous rappelle que Watsuji hérite de Nishida Kitaro qu'il a évidemment lu, qu'il a même connu et il enchaîne sur la logique du lieu. Il reprend le projet de la logique du lieu dont nous avait parlé Ishida Idetaka mais en y intégrant Heidegger c'est-à-dire le Da du Dasein. C'est là que ça devient très intéressant et Berque a beaucoup lu Heidegger. Et à mon avis, il l'a plutôt bien lu. En allemand. Mais ce qu'ils oublient tous, comme Heidegger, je crois que c'est le cas de Nishida aussi, je dis « je crois » parce que, très honnêtement je ne connais pas Nishida, Nishida fait beaucoup de travaux, moi je connais Nishida à travers la logique du lieu et ce que m'en a appris Idetaka Ishida, mais je suis pas du tout un connaisseur de ça, en plus je ne lis pas en japonais, donc voilà. Mais je crois savoir quand même que Nishida Watsuji et bien d'autres dont Augustin Berck n’intègrent pas les rétentions tertiaires et les rétentions tertiaires hypomnésiques. Et ça c'est très important. La discussion que je voudrais ouvrir avec Berque ou les mésologues, puisqu'il y en a un certain nombre en France et dans le monde d'ailleurs, est une discussion positive, c'est-à- dire pour véritablement essayer d'apprendre à travailler ensemble peut-être à Rijeka d'ailleurs, aux Galapagos ou ailleurs. C'est : discutons des rétentions tertiaires, donc de l'exosomatisation, donc d'Alfred Lotka que vous ne connaissez pas parce qu'ils ne le connaissent pas, ça c'est parfaitement évident, ils n'en parlent jamais. De toute façon personne ne connaît Lotka. A part ceux qui ont lu Georgescu-Rögen qui lui-même a lu Lotka mais à mon avis qui ne l'a pas bien lu en plus. Il l'a lu en partie mais il n'a pas tout pris. Alors, on va essayer de rentrer là-dedans la semaine prochaine. Je vais m'arrêter là, parce que ça fait bientôt deux heures que je parle, donc il faut qu'on ait le temps de discuter. La semaine prochaine, je reviendrai sur ces questions pour entrer vraiment dans Watsuji en parlant de l'idiome, qui est une question qui m'a toujours intéressé pour mille raisons d'abord parce que la linguistique m'a beaucoup intéressé depuis très longtemps, deuxièmement parce que dans idiome il y a idios et que le tode ti est idios. Le tode ti dont je vous parlais tout à l'heure est idios. Idios voulant dire non pas idiot, ça veut dire singulier, c'est-à-dire pas comme les autres. Et Aristote dit le tode ti est toujours idios. Il y a toujours une part idios dans le tode ti, singulière. Lorsque Deleuze a remis en cause la philosophie avec sa connaissance magistrale de l'histoire de la physiologie, c'est en disant d'accord, l'universel, pourquoi pas, mais à partir du singulier, c'est-à-dire à partir de l'idios c'est-à-dire aussi de l'idiot, de l'idiot de Dostoïevski, c'est-à-dire de la maladie de Dostoïevski qui s’appelle le haut-mal ou on appelle ça aussi l’épilepsie. Je dis ça parce que c’est extrêmement important ce qui fait que Dostoïevski est Dostoïevski, c'est son épilepsie, ce n’est pas moi qui le dis, c'est lui. Et je dirais que Fédor Dostoïevski est la quasi-cause de son épilepsie. C'est ce qu'il explique dans un livre qui s'appelle L'idiot. Il ne le dit pas du tout comme ça évidemment. Donc je reviendrai un petit peu là-dessus aussi pour vous montrer que l'idiome, c'est-à-dire aussi la langue, la parole c’est ça qui ouvre la localité. C’est là-dessus que Lacan est très important. Les lacaniens n’arrêtent pas de dire : il faut lire Freud avec Saussure, la linguistique etc. Mais après, je pense que les lacaniens, le seul problème, c'est qu'ils reprennent l'idiome, la langue, l'ouverture, mais ils oublient le lieu. Le lieu qui est d'abord le sein de la mère, mais qu'ils ne voient pas comme un lieu. Je pense qu'ils ont tendance à déterritorialiser, désincarner, délocaliser des concepts. Alors, ça ne veut pas dire que ces concepts deviennent vains, pas du tout, ils sont très importants, mais il faut qu'on les réinscrive mésologiquement et exosomatiquement dans l'actualité contemporaine si on veut en faire quelque chose de nouveau. Je m'arrêterai sur une citation d'Ishida, que je vous avais déjà faite. Dans une conférence qu'il avait prononcée en 2002 à l'invitation de François Julien, Ishida disait

Nous sommes internationaux depuis que nous sommes nationaux

Il le dit en français, il est francophone, vous en êtes aperçu, il a en fait enseigné et habité à Paris pendant longtemps. Ses enfants d'ailleurs parlent très bien français parce qu'ils sont nés à Paris et ils parlent français. Mais moi j’aurais dit, si j'avais voulu dire la même chose que lui, j'aurais dit nous sommes internationaux à partir du fait que nous sommes nationaux. Pourquoi est-ce que je dis à partir du fait que ? Parce qu'il y a le mot « partir ». Pour être international, il faut partir de la nation, il faut la quitter. Mais pour la quitter, il faut y être passé. Et cette idée de « y être passé », ça s'appelle le passé. Le passé de l'immigrant, par exemple. Donc, ce séminaire, j'aurais pu l'appeler « Partir », en fait. C'est un titre qui aurait bien convenu à Victor Ségalen. C'est un truc de breton, de marin. On va s'arrêter là, on discute et on repartira de tout ça la semaine prochaine pour lire Watsuji. Alors si vous voulez le lire Watsuji, je vous le recommande, vous trouverez des extraits sur internet, mais je vous recommande de lire le bouquin qui s'appelle Fudo qui se trouve, il est édité. Il est très lisible. Vous pouvez vous contenter de ne lire que l'introduction d'Augustin Berck qui résume un petit peu l'ensemble. Ça suffira pour ce séminaire. Si vous voulez, essayez de le lire pour la semaine prochaine, ce qui ne fait pas beaucoup de temps. Oui ? Oui. Quel poète a écrit « on ne part plus » ? « On ne part plus » ? Oui, oui. Ce qui m'intéresse plus, c'est le tragique de la permission d'ouverture. C'est Lévi-Strauss qui dit que c'est une suite obligatoire, si on s'ouvre, on s'uniformise. Il y a quelque chose comme ça. Où est-ce qu'il dit ça ? C'est l'histoire aussi. Oui, oui, mais où est-ce qu'il dit cela ? Dans l'histoire aussi. Comment ? L'historie de l'autopie. Et grâce à l'autre fois. Si je vous ai bien compris, j'ai simplifié tes lettres, mais l’entropie, c'est un peu l'uniformisation. Oui, oui, bien sûr, au plan en tout cas biologique et culturel, oui, ce n’est pas que ça. C'est aussi la condition de la diversification. C'est très... ça c'est ce qu'oublie Lévi-Strauss à mon avis. Parce que pour que l'animal puisse se diversifier, il doit produire de l'entropie. Donc lorsque Lévi-Strauss s'en prend à l'homme en disant, l'homme est un animal qui produit de l’entropie, il faudrait appeler l’anthropologie l’entropologie etc. D'accord, mais il oublie ce que va me dire Aurélien Barrau, ou ce que tu m'avais dit d'ailleurs. L'Amazonie, ça consomme énormément, ça produit énormément d'entropie, parce qu'il y a une très grande diversité biologique qui a produit…. Le vivant consomme et transforme de l'énergie en la dissipant. Donc le vivant ce n’est pas le contraire de l'entropie, c'est une exception dans l’entropie, c’est une forme exceptionnelle de production d'entropie. Mais c'est une production d'entropie. Et c'est là que ça m'intéresse et c'est pour ça qu'on reviendra vers Khora. Alors si vous avez le temps je vous invite aussi à lire le texte de Derrida qui s'appelle Khora. C'est un petit livre, ça se lit en deux heures, si on veut lire vraiment un peu plus que deux heures, en tout cas ça fait 50 pages, c'est un peu cher, c'est aux éditions Galilée. Mais, parce que je vais en reparler. Ça c'est ce que je crois que Berque n'a pas compris. Ce que dit Derrida c'est que la Khora détruit toutes les oppositions. Et moi si je suis passé par Derrida, si je maintiens et si je parle sans arrêt de Derrida, si je continue à lire Derrida, c’est parce que penser l’entropie c’est toujours au-delà de toutes les oppositions. Ce qui peut lutter contre l'entropie produit de l'entropie. Donc de toute façon vous ne pouvez jamais vaincre. Vous pouvez lutter contre l'entropie mais vous ne la vaincrez jamais. C'est elle qui gagnera. C’est pour ça que j'avais essayé d'expliquer que c'est la grande dépression de Frédéric Nietzsche. Ça a cassé Nietzsche et il a essayé de se relever avec Zarathoustra. Mais on ne vaincra jamais l'entropie. Donc il n'y a pas de grand soir, ça veut dire ça aussi. Politiquement, ça veut dire on ne mettra jamais un terme. Il y aura toujours de l'exploitation, ça ne veut pas dire qu'il faut accepter l'exploitation. Il y aura toujours de l'injustice, ça ne veut pas dire du tout qu'il faut accepter l'injustice. Non, il faut accepter simplement qu'il y en aura toujours, il faut la défendre quand même justement. Voilà, c’est ça que ça veut dire. Il faut quand même combattre l’injustice même si on sait qu’il y en aura toujoursTrès proche de l’idée régulatrice de « Vérité » chez K. Popper. Même sachant qu’on ne l’atteindra jamais, il faut toujours tendre vers elle.↩︎. C’est très religieux. C'est devenu le discours des religieux. Moi je dis qu'on peut tenir ce discours sans être un religieux. Mais par contre on peut rentrer en dialogue avec les religieux. Si par exemple on veut combattre le djihadisme actuellement qu’on connaît bien en Seine-saint-Denis parce que c’est un département où il y a beaucoup de djihadistes, on discute avec un ancien djihadiste, je ne vais pas vous dire qui, qui est vachement intéressant, formidable. Si on veut discuter contre les djihadistes, il faut discuter du Coran, il faut lire le Coran et il faut défendre Mahomet, il faut défendre la vision parce que Mahomet n'a jamais tenu ce discours-là. Et il faut sauver le religieux, non pas en devenant religieux, mais en expliquant que c'est respectable de dire que même si l’injustice existera toujours, je me battrai toujours contre l’injustice. Parce que les musulmans disent ça comme les juifs et comme les chrétiens. C'est ce qui est commun aux trois monothéismes. -

Discussion

  • Vous avez dit qu'il faut passer par là, un peu le déplacer, mais il y a souvent la balance entre ceux qui sont en dessous et ceux qui sont en haut.

Tout à fait. Et c'est ce que disait Bataille, dans La somme athéologique de Georges Bataille, c'est quand même super important, il commence comme ça : vous pouvez toujours combattre les théologiens, les croyants tout ça, mais si vous n'êtes pas passé par la théologie, par les mystiques, Thérèse D’Avila en particulier, vous ne pourrez jamais les combattre parce qu'il faut d'abord que vous ayez vécu ce qu'ils vivent et c'est à partir de ça que vous pourrez peut-être faire quelque chose qui va au-delà. -

  • C'est ce que vous appelez la consistance ?

Exactement.

(… ) Qu’est-ce que dit Bergson ? il dit c’est l’universel mais l’universel qui passe par le singulier. Pourquoi ? parce qu’il dit : il faut un mystique, il faut qu’il y ait un mystique qui ouvre cet universel et ce mystique-là, c’est une singularité. C’est ce que j’appelle moi une nano-localité. Et cette nano-localité peut devenir une communauté mystique, ça peut être un ordre, ça peut être tout ce qu'on veut. Donc oui tu as raison, c'est tout à fait exact. C'est l'universalisme catholique, enfin catholique, le KatholouEtymologie de catholique. Du Grec "καθολικος" universel, issu du grec Katholou ("καθόλου «, au sens de « ce qui est d'une façon générale, universelle ».↩︎ je veux dire. Il essaye de lier, en fait il dit ce que je répétais tout à l'heure, c'est-à-dire que l'ontologie, la pensée occidentale, tout ça qu'il défend, parce qu'il défend l'héritage des Lumières, même s'il ne s'y enferme pas, à la différence de beaucoup, c'est l'universel. Mais cet universel, dit-il, est passé par toujours des figures. Ces figures, c'est Jésus-Christ, c'est Saint Paul, ou des philosophes, voilà, qui sont des singularités, donc, et ces singularités, ce sont des localités. Mais ce sont des localités qui s'ouvrent de plus en plus et elles s'ouvrent à des échelles, on pourrait dire avec Guattari, molaires et moléculaires. Et après, ce qu'il essaye de décrire, et il essaye aussi de décrire comment les localités se referment, comment l'ouverture se referme, alors là il y a tout un développement sur la refermeture qui est extrêmement important et qui nous menace tous absolument en permanence, eh bien c'est les conditions des processus de transindividuation. Ce que nous appelons nous après Simondon la transindividuation. Donc voilà, après, bon, moi je reprends, tu le sais, je ne reprends pas tout chez Bergson, il y a des passages où... Non, c'est simplement sur ces (...). Oui, oui, je suis tout à fait d'accord. Moi je ne reprends pas à mon compte tout ce que dit Bergson sur ce registre comme ça. Certainement pas. Je m'en rends compte si c'est-à-dire très peu. Je me disais voilà, il y a une jeune femme qui fait des trucs, tant mieux, super, mais je ne me suis pas mis à lire des choses de Greta Thunberg ou sur Greta Thunberg ou à regarder des vidéos, jusqu'au jour où j'ai lu un truc, je ne vais pas vous en parler, mais que je trouvais scandaleux contre elle et c'est comme ça que finalement je me suis mis à la défendre. Enfin en tout cas à essayer d'abord de comprendre qui c'était. Et il se trouve qu'à ce moment-là j'étais en train d'écrire sur les deux sources de la morale de la religion. Or c'est ce qu'il dit dans la jaquette, la quatrième de couverture de mon bouquin. Qu'est-ce que dit Bergson en 1930 : vous voulez tous des bagnoles, ça ne va pas durer. Aujourd'hui tout le monde veut une voiture etc. Un jour ça sera fini, ça s'épuisera. Il dit : il va falloir que se réarticule la mécanique et la mystique. Et il ajoute il va falloir réinventer une forme de mysticisme, de spiritualité. Et moi je pense que Greta Thunberg est une fille comme ça, parce que ce qu'il appelle le mystique, Bergson, c'est l'incalculable. Ce qui échappe et ce qui me fascine moi, parce que je suis un peu fasciné par cette jeune femme, c'est qu'elle est absolument, complètement imperméable ou hermétique aux médias et tout ça. Elle n’en a rien à foutre. Elle fait son truc, elle ne bouge pas, elle ne se laisse pas déstabiliser. Moi j'ai fait des émissions à la télévision, je suis passé à la radio, il m'est arrivé... C'est des pressions d'enfer, c'est pas du tout évident de se retrouver là et de garder sa ligne, ne pas se laisser influencer et tout ça. Elle, elle a 16 ans, elle a aucune expérience. Et là, ce n’était pas 10 caméras qu'elle avait, c'était 1000 caméras, 10 000 photographes, 100 000 micros. Enfin, je dis des bêtises, mais quand je dis 100 000 micros, je veux dire qu'il y a une archi-médiatisation qui est encore incommensurable aujourd'hui avec Facebook, Instagram et tous ces trucs. Et elle ne bouge pas. Et donc je pense que c'est une figure mystique dans ce sens-là. C'est-à-dire qu’elle échappe aux calculs des médias. Et c’est pour ça qu’ils sont à la fois fascinés et archi-agressifs parce que les positions dans les médias sur Greta Thunberg ne sont vraiment pas mesurées. C'est ou l'un ou l'autre. Et ça pour moi c'est très exemplaire de ce que dit Bergson en 1930.

  • On dirait qu'il y a une nouvelle réforme. Avec Greta Thunberg, on dirait qu'il y a une nouvelle réforme. Parce qu'elle a une position axiologique. La planète brûle. Qui recouvre et masque les discours médiatiques, disons, et a un principe supérieur. Mais si elle poursuit sa position, ce serait une nouvelle réforme.

Vaste question. J'aimerais bien que ce soit ça, parce que ça a été efficace la Réforme. Ça a inventé le capitalisme, si on en croit Max Weber, c'est-à-dire l'anthropocène. Donc il y a une pharmacologie de tout ça. Colette, vas-y, on t'écoute. Bonsoir.

  • J'ai un écho, pardon. Je te remercie d'avoir cité Segalen. C'est très étonnant parce que Segalen était aussi... Un de ses sujets était le mystère. Je trouve ça assez intéressant. Et par ailleurs, je ne me souviens plus quel type de livre. Il y a un livre qui commence par « Je suis né » et tout découle de là. « Je suis né à tel endroit » c'est ce que tu disais. « En tel lieu » et « en tel ». Donc, il y a l'espace et le temps. Je voulais citer un petit peu, peut-être Pasolini a écrit un livre qui s'appelle Qui je suis, où il explique comment en passant de la langue italienne au cinéma, il quitte sa langue maternelle pour fabriquer autre chose. Le cinéma était pour lui une façon de continuer à écrire, avec une autre technique, et à travailler. Il appelait ça un cinéma de poésie. Il continuait à faire de la poésie avec le cinéma. Cette idée de partir, ce n'est pas vraiment un commentaire de ce que tu as dit que je fais, mais c'est un peu allusif. En revanche, une question, c'est que tu en as peut-être déjà parlé, je l'ai peut-être oublié, je comprends la localité comme un idiotexte. Est-ce que je me trompe ?

Non, non, tu as tout à fait raison. Vous avez échappé aux spirales aujourd'hui. Mais vraiment c'était à deux doigts que je vous les remontre à nouveau. En fait c'est parce que j'ai oublié toutes mes images, j'ai oublié de scanner plein de trucs donc je me suis dit bon ben je ne montre rien mais sinon j'aurais montré l'idiotexte, oui, les spirales de l'idiotexte. L'idiotexte c'est vraiment ce qui essaye de penser ça. Et c’est pour ça que je dis que ça ne date pas d’hier parce qu’en fait c’est mon point de départ. Le premier texte que j'ai écrit dans ma vie a été consacré à l'idiotexte. Donc, c'était il y a longtemps, c'était en 1960... en 1980. Donc, oui, oui, tu as tout à fait raison, bien sûr. S'il n'y a pas d'autres questions, on va s'arrêter là. Si ? Oui ? On va s'arrêter là.

  • Vous avez suggéré par rapport à un certain concept de nation ancrée territoriale de revisiter Mauss avec Schrödinger. A quelle dimension de Schrödinger vous pensez ? Parce que Schrödinger dans la théorie des quantas, c'est les changements de phase, les changements d'énergie sont des changements d'information, en échangeant d'informations, un type d'échange d'énergie. Donc vous envisagez cette dialectique énergie, information, ou d’autres éléments...

Non, en fait, ce n’est pas la mécanique quantique de Schrödinger que je convoque, même si ça passe par là, mais là ce n’est pas ça que je convoque, c'est le bouquin qui s'appelle Qu'est-ce que la vie, Et donc où il se met dans une position de, comment un physicien, disons, peut essayer de comprendre la singularité du vivant. Et donc c'est vraiment ce qu'il dit sur le... Alors moi ma thèse, ce que l’on disait tout à l’heure à propos de l'entropie, le vivant produit toujours de l’entropie, etc. mais en même temps s’excepte temporairement et localement, c'est-à-dire dans des limites qui sont temporairement et localement égales qui a lieu temporairement. Donc c'est un lieu dans le temps et c'est une articulation entre le temps et l'espace. Et Schrödinger ce qu'il dit c'est que le vivant c'est ce qui a la capacité à différer l'entropie, c'est à la différer au sens de la reporter mais à la différencier et précisément par cette différenciation qui est l’organogenèse. Il n’écrit pas ça exactement. Moi, c’est comme ça que je l'interprète. Je dis c'est comme ça qu'il faut le lire. Lui il n'écrit pas ça exactement. Mais je pense que c'est ça qui est cohérent. Peut-être que Maël a envie de dire quelque chose là-dessus, je ne sais pas.

Donc moi je vais reprendre sur la chose d'Antoine Poirier. D'accord. Donc il faut qu'il se maintienne, moins de machiavranchies. Et ça en physique, ce n’est pas si que si, ni où. Par rapport à l'esprit. Moi ce que je voulais dire, c'était, par rapport à la question de l'individuation collective sans limite, avec la possibilité, je vais dire, de calcul, soit de la théologie, qui me fait penser à la question de la physique elle-même, qui est problématique de ce qui est à préférer à un texte sur naturaliser la physique. Parce qu'en fait la physique vient aussi très largement d’un point de vue théologique, en tant que chrétien, où il y a une loi universelle de type calculatoire, avec une limite donnée, où on peut tout faire, alors que, par exemple, si on s'intéresse au vivant les lois sont toujours locales, temporaires, etc. Et donc ça explique en partie d'un côté la difficulté à interagir avec les physiciens, mais aussi de point de vue très pratique, la difficulté à discuter aussi avec les ingénieurs. Parce que les ingénieurs ont une formation de physique appliquée, donc ils considèrent les artefacts comme des objets physiques appliquée. Alors que... Et ça c'est un premier débat, par exemple, lorsqu'on parle d'énergie renouvelable, on regarde la loi du objet en tout cas, une loi qu'on a créée, avec les lois physiques, en concevant les objets d'une certaine manière, par exemple le panneau solaire est renouvelable, dans le sens où il ne consomme pas de fuel, mais sa production consomme, elle, du fuel. Et sa conception, elle-même, pose le problème qu'elle pose directement dans le domaine de la science sociale. Donc, reconcevoir l'objet technique en dehors du paradigme physique qui est un paradigme hérité de la théologie justement qui est universel, c'est aussi reconcevoir dans sa qualité, etc. Alors ces questions que... tu as terminé ? Ces questions que pose Maël, on essaie de les traduire en comptabilité. Je veux dire par là que voilà, hier par exemple, tu n'étais pas là, mais quand on parlait, on parlait devant les comptables de la Caisse de dépôt, ce sont des comptables, avant tout. Du coup, il y a la comptabilité quantitative et qualitative. Et ce n’est pas le même plan. Donc on essaye de les traduire dans des nouvelles normativités comptables qui commencent à intéresser tous ces comptables, ces banques, parce qu'ils s'aperçoivent que ce n’est pas complètement idiots les problèmes que nous posons, mais qu'en effet, tout n'est pas physique, non seulement tout n'est pas physique, mais tout ce qui est important échappe à la physique. Donc voilà, on essaye de traduire ces questions en instrument comptable. Bon on va s'arrêter là, je vous remercie beaucoup et donc ça sera la semaine prochaine parce qu'on aurait dû faire, je sais plus quoi, faire sauter.