Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2020

Séance 7 : Chocs, urgences, exceptions

Séance 7 : Chocs, urgences, exceptions

Exorganologie III Remondialisation, Localités et modernité

Bernard Stiegler

Bernard Stiegler, « Séance 7 : Chocs, urgences, exceptions », dans Michel Blanchut, Victor Chaix (dir.), Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2020 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2020/seance7.html.
version 0, 20/12/2025
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Enregistrement du 26 mars 2020 sur l’instance Peertube de la MSH Paris-Nord

Crédits : Épokhè et consortium CANEVAS

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Bonjour à tous d'abord. Merci d'être là. Ce « là » un peu bizarre, le là de Zoom qui a remplacé Skype. Comme vous l’avez bien compris, je pense que beaucoup de gens ont dû recevoir l'email que j'ai adressé il y a à peu près une semaine, où j'ai proposé de transformer un peu le séminaire, d'abord en le faisant sur Zoom et d'autre part, évidemment, en modifiant sensiblement, très sensiblement même ce qui était prévu de faire. Ça ne veut pas dire que je vais l'abandonner. Je ne vais pas abandonner, mais évidemment, la situation imposait de considérer un petit peu les priorités de ce dont il s'agit de parler aujourd'hui et la manière aussi de traiter le sujet de départ qui était donc les exorganologies abordées à partir des questions que pose la géographie d'Augustin Berque et sa référence à la logique du lieu de Nishida et surtout la notion de Fudo de Watsuji. La séance précédente, vous vous en souvenez, était avec notre ami Ludovic Duhem qui a un petit peu approfondi ces questions du côté de Berque mais aussi de Berg qui lui-même a un peu lancé ce qui a été repris par les territorialistes en Italie. Donc tout ça c'était les objets du séminaire qu'on avait démarré en novembre avec Hidetaka Ishida. Je m'apprêtais, je m'acheminais vers la question de la Chora chez Platon mais aussi chez Derrida et pour essayer de montrer qu'à mon point de vue il y a mésinterprétation de la part de Berque quant à ce que veut dire Derrida, ce qui ne veut pas dire que je suive Derrida complètement dans sa proposition sur la Chora du Timée de Platon. Bon bref, je vous dis tout cela juste pour resituer un petit peu d'où nous venons et comment, eh bien tout à coup nous bifurquons, c'est le cas de le dire, face à une situation, comme vous pouvez le lire, j'ai appelé cette séance chocs, urgences, exceptions au pluriel. Nous bifurquons sous l'effet d'un choc, dans un état d'urgence et qui conduit à un état d'exception. Je rappelle juste sur le mot exception, que je vais remobiliser d'ailleurs dans très peu de temps, que j'avais il y a à peu près un an dans le séminaire, presque exactement un an, que je donnais déjà à la maison Suger qui était Exorganologie 2, j'avais souligné que pour un certain nombre de questions que nous avons à traiter aujourd'hui, comme nous avons l'ambition de continuer à pratiquer la différence noétique, c'est-à-dire ce qu'on appelle plus généralement penser, essayer de penser noétiquement, donc rigoureusement, nous nous trouverions et nous nous trouverions de plus en plus, selon moi, confrontés à des problèmes de ce que j'ai appelé des états d'exception noétiques. J'y insiste, alors j'y insiste parce que je crois que nous sommes en plein dedans, mais j'y insiste aussi parce que ça m'a valu, dans un Colloque à Cerisy, de me faire un peu, comment dire, agresser par quelqu'un qui avait décidé de ne pas entendre de quoi je parlais. Ce quelqu'un s'appelant Xavier Duchet. Voilà. Faisant l'âne, comme ça arrive souvent chez certains universitaires, on fait l'âne. Et je pense qu'aujourd'hui on ne peut plus se permettre de faire l'âne sur des sujets comme ça. Nous sommes en état d'exception noétique, nous sommes confrontés à des conditions où nous devons prendre des décisions rationnelles autant que possible, mais sans avoir toutes les conditions requises pour prendre une décision rationnelle. Et ça, il va nous falloir apprendre à vivre dans ce contexte-là. Et si j'y insiste, c'est aussi parce qu'en fait, ça fait assez longtemps que j'en parle, et c'est pour cela que j'ai proposé à l’IRI et avant l’IRI, dans d'autres contextes, de développer ce que j'appelle une recherche contributive, ce que nous pratiquons actuellement en Seine-Saint-Denis notamment avec l'Institut de recherche et d'innovation. Alors cela ayant été dit, le défi qui se présente à nous aujourd'hui après la découverte de la gravité de la pandémie actuelle, et donc je pense que tout le monde est un peu confronté en permanence à cette difficulté qui est que bien sûr c'est extrêmement grave sinon il n'y aurait pas tout ce bazar et en même temps est-ce que c'est vraiment si grave ? Pourquoi tant de bazar finalement il n'y a que quelques milliers de morts ? Tout le monde vous dira dans la rue si vous discutez mais en fait la grippe, enfin bref, vous connaissez tous ces discours ça a été une pollution véritablement pendant plus d'un mois souvent de gens de droite et d'extrême droite mais pas forcément que ces gens-là il y a eu aussi Georgio Agamben qui d'ailleurs est un penseur de l'état d'exception. Bref, c'est le chaos en fait. Nous sommes dans une espèce de situation tout à fait chaotique au sens strict du mot chaotique qui devrait d'ailleurs nous amener à lire ce texte sur la Chaosmose dont Guattari avait produit donc la figure et que je n'ai jamais réussi à trouver parce qu'il est épuisé, je n'arrive pas à la trouver, je n'aime pas aller travailler en bibliothèque. Si quelqu'un l'a d'ailleurs, je serais très preneur de copies. En tout cas, aujourd'hui nous sommes dans un état d'urgence qui nous oblige à tenter de prendre la mesure de ce qui arrive. Alors ce qui arrive dans ce séminaire, nous employons souvent cette expression entre guillemets et en citant Gilles Deleuze, plus ou moins, avec ce fameux énoncé, cette maxime : être digne de ce qui nous arrive. Et bien là nous allons avoir vraiment beaucoup de travail à faire pour être digne de ce qui nous arrive. Parce que ce qui nous arrive, c'est absolument énorme. Et ce qui nous arrive par ailleurs, c'est un kairos, « Ce qui arrive », c'est-à-dire ce qui se présente comme un événement, c'est toujours d'une manière ou d'une autre un kairos. Je vais revenir tout à l'heure sur ce terme, je pense que vous avez sûrement déjà compris pourquoi j'y reviendrai. En tout cas, nous devrions prendre, nous devrions tenter, nous serions enjoints de tenter de prendre la mesure de ce qui arrive. Je dis cela et tout de suite j'ajoute prendre la mesure ou bien prendre la démesure. Je dis cela parce que précisément peut-être que l'état d'exception noétique c'est cette situation dans laquelle on est tout à coup confrontés à une démesure, c'est-à-dire à quelque chose pour quoi on n'a pas d'instrument de mesure, pour quoi on n'a pas de jalon, pour quoi on n'a pas de concept, etc. et qui tout à coup se présente comme le démesuré, qui a un nom en grec aussi, c'est l’hubris, qui est à la fois synonyme de crime, de folie, etc. et qu'on traduit très généralement d'abord par démesure. La démesure, l'hubris, c'est toujours ce qui est mis en scène par la tragédie grecque. Est-ce que nous devrions prendre la mesure ou prendre la démesure de ce qui nous arrive, du kairos, de l'hubris, au sens où nous devrions en prendre conscience. Est-ce que nous devrions tenter de prendre conscience de ce qui nous arrive ? Ce qui est très difficile, je vais y revenir tout à l'heure un peu en détail. Ou bien ne faudrait-il pas tenter de prendre, de faire ce que j'appellerais une prise d'inconscient. Pourquoi est-ce que je dis cela ? Ce n'est pas simplement pour jouer sur les mots, ce n'est même pas du tout pour jouer sur les mots, j'ai horreur de jouer avec les mots. Les mots se jouent de moi, c'est déjà pas mal. La prise d'inconscient ou d'inconscience, ce serait ce qui laisserait l'inconscient être en prise avec la conscience. Comme vous le savez, c'est une question que la psychanalyse étudie. Voilà, on peut dire, c'est peut-être des clichés ce que je vais dire là, ou des choses très légères et très discutables. En réalité, on pourrait dire voilà, quand on va faire une cure psychanalytique, on va essayer de débloquer quelque chose qui vient de l'inconscient. Alors on ajoutera tout de suite, non ça ne vient pas de l'inconscient, ça vient d'un processus de refoulement par quoi ? par la conscience, par le moi, par l'ego et puis après on dira mais non ça ne peut pas être le moi si le moi c'est la conscience en tout cas ça ne peut pas être la conscience qui refoule puisque le refoulement est inconscient etc. et donc ça donne le problème du ça chez Freud et d'abord chez Groddeck. Bon, je ne vais pas vous embêter avec cela, ce que je veux simplement dire, pourquoi est-ce que je souligne ce point ? C'est parce que je pense que dans tout ce dont nous sommes en train de parler, nous avons en fait à des questions d'économie libidinale, d'économie du désir, que depuis plus d'un siècle, nous vivons une soumission de l'économie du désir et donc de l'inconscient lui-même à des processus de pulsionalisation systémique qui court-circuitent tous les processus d'investissement transformant les pulsions en désir justement, en investissement et que c'est un des éléments fondamentaux de l'arrière-plan de notre situation, du chaos dans lequel nous sommes, du kairos de ce qui se présente à nous, c'est le retour du refoulé si je puis dire, mais sur un mode peut-être absolument inconnu de Sigmund Freud et de Jacques Lacan et de quiconque d'ailleurs, c'est l'improbable absolu et dans sa plus grande dangerosité. Si on le dit dans un langage moins lié à ces traditions psychanalytiques ou tragiques, grecques, philosophiques, etc. dans un langage qui serait plus proche par exemple de celui des ingénieurs, que j'affectionne beaucoup, moi j'aime bien le langage des ingénieurs parce qu'il a le mérite d'être à la fois précis et fonctionnel nous vivons un extraordinaire choc de vulnérabilité ; tout à coup nous avons l'impression d'être au-dessus d'un abîme nous avons le vertige parce que nous sentons qu'en dessous de nous il y a une immense vulnérabilité. Ce sol qui nous semblait être de granit, voire d'acier, absolument inamovible, tout à coup c'est comme dans une espèce d'immense tremblement de terre il se creuse et il nous manque. Ce sol semble disparaître et nous découvrons que la plupart de nos systèmes d'alimentation, de soins, même numériques etc. nous sentons bien qu'il y a des dangers de vulnérabilité de par exemple la communication vidéo tellement pratiquée en ce moment en télétravail et autre chose de ce genre là, tout ça est extrêmement vulnérable. Et donc comment est-ce que cette vulnérabilité qui est terriblement anxiogène et donc qui peut provoquer de très mauvaises réactions, nous pouvons en faire de l'action et non pas de la réaction. Comment est-ce que nous pouvons en faire de la puissance ? Eh bien ça suppose de peanser avec un e et avec un a. C'est ce qu'on va essayer de faire, de penser dans cette situation d'état d'exception, d'exception noétique où normalement les conditions ne sont pas réunies pour penser correctement. En principe, on ne pense pas dans l'urgence. Ça m'avait été dit ça il y a plus de 30 ans au collège de philosophie, à une époque où je faisais un séminaire sur l'urgence. Je dis ça parce que la question de l'urgence n'est pas une question tout à fait nouvelle. Patrick Lagadec, sur lequel je travaillais à ce moment-là, avait écrit sur l'urgence qui venait à travers les transformations technologiques en cours. Donc, toutes ces questions ne sont pas nouvelles, mais elles n'ont généralement pas été entendues. Je rappelle aussi que ça fait quelques années que je répète qu'il faut étudier le savoir des médecins urgentistes parce qu'on a beaucoup à apprendre de ces formations spécialisées. Et là, on a plus que jamais, il faut d'une part étudier leur savoir, mais aussi regarder ce qu'ils sont en train de faire. Et qu'ils ne sont pas simplement en train de travailler en état d'urgence, ils le font tout le temps, ils sont en train de travailler en état d'urgence au carré, là où les conditions même du travail en état d'urgence ne sont plus réunies. Alors, excusez-moi je fais un peu long dans cette introduction, face à ce choc de vulnérabilité, cette prise de démesure ou d'inconscience, d'inconscient, cette prise de l'inconscient, cette reprise de l'inconscient dont nous aurions besoin de faire à nouveau l'expérience, j'essaierai de vous parler de La stratégie du choc de Naomi Klein et de la possibilité d'élaborer une alter stratégie du choc. Je rappelle juste pour ceux qui ne connaissent pas ce livre, parce que c'est possible, il y a en fait plein de gens qui en parlent qui ne l'ont jamais lu. D'ailleurs des fois je le dis des gens qui en parlent et je me dis mais ils n'ont pas lu ce livre sinon ils ne diraient pas cela. En tout cas la stratégie du choc de Naomi Klein, ça décrit donc ce qui s'est passé autour de la catastrophe de l'ouragan Katrina en Amérique du Nord, dans les états du sud de l'Amérique du Nord, et ça décrit la manière dont les tenants de ce qu'on appelle l'école de Chicago et du néolibéralisme en ont profité pour faire avancer leur pion, comme on dirait dans un langage familier. Et ce qui nous pend au nez, non seulement ça nous pend au nez, mais c'est déjà en route, il y a une stratégie du choc évidemment, qui est en route en ce moment même avec le choc de la pandémie. Il faut être extrêmement vigilant parce que ce genre de choses peut produire des régressions terrifiantes ; je fais partie de ceux qui croient, et je pense que beaucoup d'entre vous sont comme moi, que c'est précisément cette école de Chicago, cette stratégie du choc, tous ces modèles néolibéraux ou néo-néolibéraux ou libertariens etc. qui ont aggravé énormément la vulnérabilité. Je ne vais pas le développer maintenant, mais on y reviendra certainement la semaine prochaine. Alors sur ces points, je me permets de rappeler que j'ai écrit un livre qui s'appelle État de choc, le sous-titre étant Bêtises et savoir au XXe siècle et dans ce livre j'avais souligné qu'il y a un certain nombre de questions, c'était un livre qui est paru en 2013 je crois, ou 12, un certain nombre de questions fondamentales qu'il faudrait prendre en compte, disais-je à ce moment-là dans ce livre, pour être capable de développer une alternative à la stratégie du choc. Ces questions fondamentales, je ne vais pas les lister, là c'est pas du tout le moment, si ça vous intéresse le livre est en librairie ou en bibliothèque. Ces questions fondamentales, par exemple c'est un discours sur la bêtise, j'avais essayé de montrer qu'il y avait un malentendu entre Derrida et Deleuze sur cette question de la bêtise et beaucoup chez Derrida à cause de Avital Ronell qui a écrit à mon avis un livre extrêmement bête sur la bêtise. Il y avait aussi des problèmes avec ce que j'ai essayé de décrire comme une mésinterprétation de la dialectique du maître et de l'esclave par la philosophie moderne et contemporaine, mais aussi, et c'est plus, c'est directement lié à ce que je disais avant sur la question du désir et de la pulsion. Je pense qu'il y a aussi bien chez Deleuze et Guattari que chez Derrida, chez Lyotard et chez énormément de gens, y compris chez les psychanalystes d'ailleurs, une mécompréhension de ce tournant qu'a pris Freud selon moi à partir de 1920 autour de la question de la pulsion et si j'en parle ici c'est pas pour des raisons d'intérêt intrinsèques de cette question mais c'est parce que la stratégie du choc exploite la pulsion et à partir du moment où on veut combattre la stratégie du choc et pour produire une altère stratégie si je puis dire et bien il faut se mettre au clair sur pourquoi et comment la pulsion a été un objet de mésinterprétation par tant de gens du 20e siècle qui sont nos maîtres, enfin en tout cas ce sont les miens, peut-être pas les vôtres, mais ce sont les miens. Et donc il faut s'expliquer avec eux et courageusement et surtout pas en essayant de les répéter comme des perroquets. Ça c'est extrêmement dangereux.

Par ailleurs, indépendamment de ces commentaires que j'avais fait sur ces grandes questions traditionnelles de la philosophie, la bêtise c'est une vieille question bien entendu, que pose déjà Socrate, que reprend Nietzsche, etc., le maître et l'esclave c'est quasiment tout le marxisme et même bien au-delà du marxisme, l'hégélianisme en général, la pulsion c'est toute la psychanalyse, donc ce sont d'énormes questions. Par ailleurs j'avais essayé de montrer qu'il faut pour faire face à ces questions y introduire ce que j'appelle le double redoublement épokhal c’est-à-dire aussi bien les rapports entre les chocs, je reviens à la question des chocs technologiques, qui sont liés donc à ce que j'appelle le premier temps du double redoublement épokhal et le second temps du double redoublement épokhal qui est lorsque sous l'effet d'un choc technologique, par exemple la révolution industrielle qui advient au début du 19e siècle en France, et bien la noèse va s'emparer de ce choc et le transformer. Par exemple, ça va donner Charles Baudelaire, je ne veux pas faire une liaison évidemment déterministe entre Baudelaire et la révolution industrielle mais la modernité de Baudelaire dont parle tant Walter Benjamin a tout à voir avec cela. Et Benjamin justement lui-même va énormément travailler sur cette question de l'industrie, de la technologie, etc. Deuxième point sur cette catégorie de double redoublement épokhal, aujourd'hui nous vivons un type de double redoublement épokhal très spécial parce qu'en fait il ne se produit pas le deuxième temps du double redoublement épokhal. En fait, il n'est pas un double redoublement. Ce que je veux dire par là c'est que le travail de la noèse ne se fait pas. C'est pour ça que nous avons le sentiment d'être démunis, blanks, comme disait la Blank génération, c'est-à-dire les punks, et nous sommes confrontés à ce qu'on appelle la disruption. Ça s'appelle la disruption, c'est ce que j'essayais de développer dans le livre qui s'appelle comme cela. Et derrière cela il y a une question de la vitesse. J'avais déjà posé ce problème dans la deuxième partie de État de choc, quant à l'innovation, la nécessité de repenser de fond en comble l'université, justement pour développer quoi ? une recherche contributive. Et je l'ai repris tout récemment dans le dernier bouquin qui s'appelle La leçon de Greta Thunberg, où je relie Virilio, Derrida et un certain nombre d'autres sur la question de la vitesse et dans un climat apocalyptique et en lien avec la collapsologie. J'y reviendrai et je reparlerai de la collapsologie, pas aujourd'hui mais la semaine prochaine. Maintenant je vais commencer vraiment cette séance de séminaire sachant qu’avant d'entrer dans la matière à proprement parler, que je voudrais mettre en discussion dans cette séance et à travers le titre qui est ici proposé, je voudrais faire quelques remarques préliminaires.

Alors ces remarques préliminaires, et bien je voudrais, d'abord, je voudrais dans ces remarques préliminaires aborder la question du génie. Vous voyez à la couverture d'un livre ici d'Aristote, L'homme de génie et la mélancolie. En fait, ce n'est pas un livre d'Aristote, c'est un livre peut-être d'Aristote. C'est pour ça qu'on dit normalement le livre de pseudo-Aristote, on est pas du tout sûrs que ce soit lui qui l’a écrit mais c’est un texte aristotélicien, ça c'est très clair, c'est absolument évident. Et je vous dirai tout à l'heure aussi pourquoi le titre même est totalement faux. Voilà, il n'a pas de titre de toute façon ce texte. Dans la tradition, dans ce qu'on appelle la tradition, c'est-à-dire chez les philologues, on l'appelle le problème 30. Voilà, le titre que vous voyez là a été rajouté non pas par PigeaudL’Homme de génie et la Mélancolie Aristote Traduction, présentation et notes de J. Pigeaud Rivages poche↩︎ qui a fait une très bonne traduction, je vous recommande de lire ce petit texte qui est tout petit, ça se lit en une heure enfin ça se lit en une heure d'abord et puis après vous pouvez prendre un siècle pour essayer de réfléchir dessus je vous recommande de le lire il est extrêmement intéressant et je vous recommande l'introduction qui est très très intéressante même si parfois elle est un peu discutable mais peut-être qu'on y reviendra. Donc je vais d'abord vous parler un peu du génie ou disons de ce dont parle ce livre. Ensuite je vous parle, donc je vais faire une remarque sur la question du génie. Ensuite, je ferai une remarque sur l'informatique théorique. Nous avons eu une réunion lundi dernier avec Maël Montevil, Giuseppe Longo et quelques autres amis dont Ana Soto et Carlos Sonnenschein et des gens de l’IRI et de Pharmakon sur les questions d'entropie et d'informatique théorique. Donc, ma deuxième remarque portera là-dessus et aussi sur la théorie des réseaux, la question des relations d'échelle dont je vous ai déjà parlé, des relations d'échelle. Voici une échelle, c'est elle qui structure les relations d'échelle dans tout l'Occident monothéiste, pas simplement chrétien, parce que ça ce n’est pas chrétien à proprement parler, c'est l'Ancien Testament comme l'appellent les chrétiens, ou la Bible disons. Et je vous proposerais que nous réfléchissions sur les relations d'échelle, comme dit Vincent Bontemps, on reprenait l'expression de Gilbert Simondon, et les passages à l'échelle, sachant que les passages à l'échelle en ce moment, pratiquement tous ceux qui essayent d'exploiter le kairos de l'état de choc, de la stratégie du choc, par exemple Zoom, ils essayent de passer à l'échelle. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que la situation actuelle est en train de produire des changements tels que tout à coup des comportements nouveaux émergent à toute vitesse, il faut être capable de suivre. Je pense que tout le monde a perdu l'audio…

C'est intéressant puisque c'est au moment où je parlais des problèmes de passage à l'échelle que ça a décroché, voilà, nous sommes dans des systèmes vulnérables, c'est intéressant. S’en souvenir, de temps en temps, ça peut être anxiogène. Alors, le troisième thème dont je vais vous parler, ça concerne la libido sciendi, telle qu'elle est exposée à plusieurs reprises, en fait, chez saint Augustin, mais en particulier dans La cité de Dieu au livre 14 ; là je vous en présente l'édition originale évidemment ce n’est pas avec celle-là que je travaille donc je ne parlerai pas, je ferai pas un commentaire d'Augustin d'abord j'ai pas de bons textes, j'ai la traduction de Gallimard elle est absolument catastrophique et complètement nulle. Donc voilà, je ne suis pas capable moi de parler correctement de cela d'Augustin. Par contre, je connais la littérature secondaire. Mais j'essaierai de faire un lien entre la question de la libido sciendi d'Augustin et celle que pose Emmanuel Kant, qui n'est pas une question de libido sciendi, mais qui est une question d'affinité transcendantale. Dans la Critique de la raison pure, Emmanuel Kant explique que le travail de la raison, c'est toujours ce qui tente d'établir une relation d'échelle entre l'ego, l'ego transcendantal, c'est-à-dire le moi connaissant, le sujet de la critique de la raison pure, voilà, d'une part et ses catégories, ses facultés noétiques et d'autre part le cosmos, c'est à dire l'unité du tout, la question de la cosmologie. Et donc ce que dit Emmanuel Kant dans la Critique de la raison pure, c'est que voilà l'activité de la raison et à travers ce qu'il décrit d'ailleurs dans la déduction transcendantale de la première édition de la Critique de la raison pure ce qu'il appelle les trois synthèses de l'imagination c'est toujours de mettre en affinité ma localité égotique, mon petit système de représentation en tant que je suis un égo, un égo connaissant, un égo noétique et l'unité de l'univers, du cosmos. Alors il parle de cosmos puisqu'il y a toute une question de cosmologie chez Kant mais il parle aussi d'univers au sens de Newton puisque c'est un newtonien, Emmanuel Kant. J'essaierai de vous dire tout à l'heure pourquoi on ne peut plus pratiquer cette affinité transcendantale comme cela et que du coup ça nous pose des questions de libido sciendi d'un nouveau genre et j'essaierai de vous dire pourquoi la question de la libido sciendi dit est très importante aujourd'hui, en ce moment même et je dirais dans la situation de confinement actuel. Quatrième question, remarque plutôt, elle tournera autour de questions qui sont dans ce livre de John Locke que je ne commenterai pas du tout ici mais qui par contre je vais commenter probablement l'année prochaine dans le séminaire, Inch'Allah, s'il a lieu, si je ne suis pas emporté par le virus par exemple, mais aussi dans le troisième tome de Qu'appelle-t-on penser parce que je vais essayer de revenir sur ce que dit John Locke dans ce livre de la propriété et donc du propre, de ce qu'on appelle le propre, qu'est ce qui m’est propre. Énorme question autour de laquelle Derrida n’a cessé de travailler mais pratiquement à ma connaissance sans jamais citer John Locke, ce que j'ai toujours trouvé un peu étrange. Alors je reviens maintenant, là c'était juste pour vous dire les remarques que je vais faire avant d'entrer dans la matière à proprement parler en espérant que le temps me le permettra.

Donc je reviens maintenant à la question du génie. La première remarque. L'homme de génie et la mélancolie n'est pas un titre d'Aristote, d'abord le livre, il n'est même pas certain qu'il soit d'Aristote. L'homme de génie et la mélancolie, donc que vous voyez là, ce livre en fait il n'y est jamais question de génie, il y est question d'homme d'exception, homme au sens des mâles, des messieurs, pas des dames. Vous le savez, la Grèce est assez phallocratique. Donc la première phrase, je ne sais pas si vous la voyez là, vous ne la connaissez peut-être pas, parle des « hommes d'exception », qui sont devenus des hommes d'exception. Il n’est pas question de génie et pourtant la faute de traduction qui vient de l'éditeur, elle ne vient pas de Pigeaud, c'est un titre qui a été rajouté par l'éditeur pourquoi ? pour vendre en fait il a dû se dire l'éditeur tous les mecs qui se prennent pour des génies vont dire ou qui voudraient devenir des génies vont acheter ce bouquin d'Aristote qui n'est d'ailleurs pas sûr d'être d’Aristote. Bon bref, je pense que cette faute de traduction ou ce caractère un peu frelaté du titre disons, c'est intéressant. C'est intéressant parce que, que veut dire génie ? D'abord, ce n'est pas un mot grec, c'est un mot latin, genius. Génie, un être génial, c'est un être exceptionnel. Et donc, il y a évidemment quelque chose quand même assez fidèle. Ce n'est pas des génies, ce sont des hommes d'exception, mais étant donné qu'un génie est un être exceptionnel en principe, disons qu'on le considère comme ça, finalement ce n'est pas une faute de traduction comme le dirait Maël d'ailleurs, on en parlait tout à l'heure dans une réunion précédente. De toute façon la traduction fait sans arrêt des fautes, enfin pas des fautes mais des choix d'ajouter quelque chose de son cru à la langue traduite donc pourquoi pas après tout et évidemment ce qui est intéressant c'est que dans génie il y a aussi géniteur d'une certaine manière il y a génos, il y a générateur, il y a génération et il y a donc aussi je dirais surtout créateur de bifurcation ; l'homme d'exception est un génie en tant qu'il produit une bifurcation. Maintenant si vous regardez ce dictionnaire de Alain Rey, le dictionnaire historique de la langue française, si vous regardez à Génie, l'article Génie, c'est page 1574, un Genius est d'abord une divinité génératrice qui préside à la naissance de quelqu'un puis la divinité tutélaire de chaque individu. Alors ça veut dire que nous avons un peu comme Socrate avait son daimon, nous aurions dans la vision des divinités de la Rome antique toujours une espèce de dieu qui s'occupe de nous. Bon ça c'est bien connu en réalité. Dans un langage plutôt de conte, on ne parlera pas de dieu mais de fée ou de bonne étoile aussi, etc. On trouve ça encore dans les campagnes, pas seulement dans les campagnes d'ailleurs. Ma bonne étoile s'est occupée de moi. Il y a des gens qui croient à ça encore, beaucoup. Et ça renvoie d'ailleurs aussi à des questions d'horoscope, d'astrologie, tout ce qu'on veut. Ensuite, ça va se transformer, dit Alain Rey. De cette conception animiste, disait-il, le génie sera l'inclination naturelle et à partir de là, ça va devenir le pouvoir intellectuel et moral qui va finir par produire ingenium, caractère inné dont, en fait, disposition naturelle, etc. de l'esprit. Je ne vais pas vous commenter tout ça en détail, ce n'est pas du tout au cœur de ce que je veux vous dire. Par contre, si je souligne ce point, c'est parce que je voudrais que nous réfléchissions à cause de tout cela, à ce que veut dire génie. Vous verrez dans ce bouquin que les hommes d'exception, peritoi andres, ce sont des héros en fait, pour l'essentiel. D'abord c'est Héraclès. Qu'est-ce que c'est que les héros en fait, pour l'essentiel. D'abord c'est Héraclès. Qu'est-ce que c'est que les héros ? Ce sont des demi-dieux, c'est-à-dire ce sont des hommes qui sont devenus quasi divins. Vous vous souvenez peut-être qu'on en parle dans le banquet, mais surtout j'en ai moi beaucoup parlé dans mon premier cours sur Platon qui est en ligne sur pharmakon d'ailleurs je signale à l’IRI qu'on ne peut plus accéder à un certain nombre de choses en ligne et que c'est très embêtant voilà on y reviendra excusez-moi ça me revient tout à coup parce que pour préparer le séminaire j'ai voulu retourner à des choses en ligne et puis finalement on n'y accède plus. Je ferme la parenthèse. Le premier cours que j'avais fait sur Platon, c'est-à-dire sur Ménon il y a dix ans à Epineuil, il était consacré à ce dialogue, le Ménon, et j'y citais les vers de Pindare qui sont cités par Socrate lorsqu'il répond à l’aporie de Ménon et qui parle de Perséphone qui fait revenir les héros, ceux qu'on n'oublie pas. Et vous vous souvenez peut-être que j'avais moi-même dit ceux qu'on n'oublie pas, je les appelais les inoubliables eh bien par exemple ma grand-mère, ma propre grand-mère qui s'appelait Léonie, c'est une inoubliable pour moi, pour moi et pour mes frères et pour toute la famille, comme ma mère est inoubliable. Alors, ce sont des êtres exceptionnels. Ma grand-mère, pour moi, c'est un être... pas pour vous, mais pour moi, c'est un être exceptionnel. Être exceptionnel, d'ailleurs, pourquoi l'être est-il exceptionnel ? C'est parce qu'il va aux limites. Peritoi, c'est lié à peras, ce qui veut dire limite en grec. Donc ceux qui sont exceptionnels, qui sont géniaux, y compris les femmes, surtout les femmes, je dirais, quand on parle d'éducation, les grand-mères et les mères, les tantes aussi, eh bien vont aux limites. Aux limites, parfois au bord de la folie, parfois à la mélancolie, mais aussi aux limites de ce qui fait que personne n'aurait fait quelque chose et que tout à coup la mère ou la grand-mère ou la tante ou je ne sais pas, fait quelque chose que personne n'aurait jamais fait et ça c'est du génie. Et ce génie par quoi est-il produit ? par l’amour que la grand-mère ou la mère ou le proche a pour l’enfant. Quel rapport tout cela a-t-il avec la mélancolie ? Et bien la mélancolie c'est la mort, c'est pas simplement la mort, c'est la mélas kholè, c'est la bile noire, c'est ce qui s'empare de l'être d'exception et ce que nous dit pseudo-Aristote les êtres d'exception ce sont des mélancoliques, tous sont des mélancoliques. Il décrit dans le bouquin que non seulement les demi-dieux par lesquels il commence mais Platon, Socrate, Empédocle c'était tous des mélancoliques, d'ailleurs Empédocle s'est jeté dans un volcan, il s'est suicidé. Donc il y a un rapport à la mort, il y a un processus d'anticipation de la mort qui est fondamental dans cette question. Et d'autre part, il y a un rapport au kairos. Le kairos, donc, c'est l'occasion, c'est ce qui se présente de manière contingente, accidentelle, comme par exemple le virus, le coronavirus. C'est quelque chose qui peut être négatif, toxique, absolument maléfique. Même au Moyen-Âge, on aurait dit que ce virus était une incarnation du malin, du diable. Et en même temps, l'être d'exception, qu'est-ce qu'il va faire ? Il va faire que ce maléfique va devenir bénéfique, que ce qui était toxique va devenir curatif, que ce qui était négatif va devenir positif. Alors ceux qui vont vous tenir un discours de stratégie du choc, néolibéraux, vont vous dire « ben oui, on va fermer les écoles publiques et tout, ça ne marche pas et on va vous produire du marché de l'éducation. C'est ça qu’ils vont appeler le positif. Et nous c'est pas du tout ça qu'on appelle le positif. Nous au contraire c'est ça qu'on appelle le maléfique. Quand je dis ça je ne veux pas dire que je suis contre les écoles privées. J'ai même voulu en créer une. Mais un génie, une exception, c'est ce qui va être capable de s'emparer de quelque chose qui advient, ce qui nous arrive, comme disait Deleuze, et d'en faire quelque chose de bénéfique. Sachant que ce qui est produit bénéfiquement par ce qui advient ici peut être maléfique à côté. Donc il y a une question de localité. Ce que nous tentons de faire avec la PMIProtection Maternelle et Infantile↩︎ Pierre Semard dans notre clinique contributive, qui se réunira demain en état d'urgence d'ailleurs, c'est une tentative de faire de cette espèce de catastrophe qu'est le smartphone, la chance de recommencer à penser collectivement dans un dispositif de recherche contributive et à la limite peut-être de réinventer l'économie libidinale, de réinventer les smartphones, l'informatique théorique et tout ça. C'est ça les enjeux. C'est ça que nous essayons de faire. Donc ce dont je vous parle là, ce n'est pas des choses, des considérations purement spéculatives. Ce sont des choses extrêmement concrètes et ce qu'on essaye de faire à la PMI Pierre Sémard c’est une contre-stratégie du choc. On a commencé bien avant que cette crise ne commence évidemment. Pourquoi est-ce que je vous dis tout cela ? C'est parce que quand je vous ai envoyé un email où je proposais de transformer ce séminaire compte tenu de l'état de choc, compte tenu du kairos, en une sorte de réunion publique, puisque c'est une réunion que j'ai ouverte à d'autres gens qui ne faisaient pas forcément partie de Pharmakon, lorsque j'ai donc proposé de commenter ce texte, je vous rappelle que j'ai refusé de le signer donc j'ai reçu un email de Pablo Servigne qui m'a demandé de signer ce textehttps://www.politis.fr/articles/2020/03/face-a-la-pandemie-retournons-la-strategie-du-choc-en-deferlante-de-solidarite-41528/↩︎. Il m'avait déjà fait signer un autre texte avant. Et quand j'ai lu ce texte, je ne l'ai pas trouvé bon. Et donc j'ai décidé de ne pas le signer. Mais en même temps, j'avais envie de le signer. Je ne suis pas en désaccord avec ce texte bien entendu, tout ce qui est demandé dans ce texte j'y souscris et je voudrais le soutenir. Mais en revanche, je trouvais, je trouve plus que jamais d'ailleurs que ce texte n'est pas du tout à la hauteur de la situation. Et que c'est bien dommage parce que Pablo Servigne en plus a fait tout un travail sur la collapsologie, alors là on est dans une situation collapsologique telle qu'il l’a décrite et bizarrement, je trouve qu'il n'est pas du tout à la hauteur de son propre objet. D'ailleurs, je signale à Victor qui doit être en ligne, qui doit être dans l'assistance là, en ligne, qu'il ne m'a pas envoyé à ma connaissance le texte qui a été finalement publié ; tu m’avais dit qu’il avait été un petit peu transformé. Voilà, donc je le dis juste pour que tu penses à me l'envoyer ou alors j'ai peut-être raté mes mails. En tout cas, j'avais envoyé moi un email, celui-là, enfin le premier, ce n'était pas celui-là, d'ailleurs ça c'est le deuxième. Le premier, c'était un email que j'ai envoyé à Bernard Umbrecht, et que... et j'avais lu un texte de Bernard que je trouvais extrêmement intéressant et c'est lui qui m'avait finalement conduit à en lui répondant à vous mettre tous en copie par macon.fr Genèva 2020 l'association des amis de la génération Thunberg et d'autres pour vous informer que j'avais décidé de répondre au texte de Servigne par ce séminaire qui devient du coup pas simplement un séminaire mais une sorte de réunion d'alter stratégie. Voilà, d'alter stratégie. Et alors dans ce mail, le deuxième mail que je vous ai envoyé en suite, parce que Bernard m'avait répondu, tu peux diffuser largement ce que j'ai écrit autour d'un livre de Karin Mölling qui s'appelle La suprématie de la vie. Voyage dans l'étonnant monde des virus. En fait, ce n’est d’ailleurs pas quelque chose que... Enfin, si Bernard avait écrit une très courte introduction et ensuite a fait une citation extrêmement intéressante d'ailleurs de ce livre. Ce livre a été l'objet d'une discussion entre Bernard et Maël Montévil d'ailleurs parce que Maël est biologiste donc on a eu une espèce de cours de virologie avec Maël autour de cela je rappelle d'ailleurs puisque je viens d'employer le mot virologie que ce séminaire a été aussi déclenché, enfin cette transformation du séminaire a aussi été déclenché par un texte de Giorgio Agamben commenté par Jean-Luc Nancy, auquel a répondu Giorgio Agamben etc. Et tout ça est assez intéressant. Et Zizek aussi, ça m'a été signalé par Dan Ross. Slavoj Zizek a fait une analyse derrière tout ça qui est aussi assez intéressante. J'essaierai de faire en sorte qu'on ait le temps d'en discuter. Je vous proposerai mes propres commentaires et j'espère qu'on aura le temps d'en discuter. En tout cas, dans le mail que je vous avais envoyé, j'avais mis une espèce d'exergue, ce que je n'avais jamais fait dans un mail d'ailleurs. Cette citation du livre de soi-disant Aristote, L'homme de génie et la mélancolie, le mélancolique est l'homme du Kairos. Voilà, alors quand j'ai relu ce mail je me suis dit mais il y a des gens qui vont se dire ceux qui me connaissent un peu ils savent que je suis un mélancolique, je suis même très mélancolique et je me suis dit mais il y a des gens qui pourraient se dire mais Stiegler se prend pour un génie en fait, il fait une projection dans le bouquin d'Aristote exactement ce que je disais tout à l'heure à propos de l'éditeur qui a mis un titre l'homme de génie et la mélancolie, c’est vendeur parce que tous les mélancoliques vont acheter ce bouquin en essayant de se prendre pour des génies et Stiegler est tombé là-dedans. Peut-être, non seulement peut-être, mais même très probablement. Je me suis dit ça, mais en même temps, je me suis dit, alors d'abord, je vais vous dire très franchement, oui, je me prends pour un génie. Il m'est même arrivé deux fois dans ma vie de crier je suis un génie ça m'est arrivé deux fois, je me souviens très bien après avoir écrit des choses mais j'ajoute tout de suite que je pense que nous sommes tous des génies et que c'est ça l'enjeu en fait de ce qui est en train de se... nous sommes tous des génies quand je dis cela, je parle très sérieusement, c'est absolument pas rhétorique, ma façon de penser ce que c'est que le noétique, ce que nous sommes tous plus ou moins, si nous avons la chance de pouvoir cultiver nos capacités noétiques, eh bien nous pouvons les révéler. Si nous n'en avons pas la chance, nous vivons dans un bidonville, nous sommes un... par exemple un intouchable dans un quartier comme on en voit à Delhi, on a beaucoup de mal à révéler ses capacités noétiques quand on vit dns ces conditions-là, quand on vit sur un trottoir, voilà. À Delhi, voilà, il y a des endroits où il faut éviter de ne pas marcher sur les gens quand on veut se déplacer dans la rue. Et ces gens vivent par terre, ils sont presque nus, ils n'ont rien. Ce sont des intouchables. Et bien moi je pose qu'ils ont du génie. Je pose aussi que les gens avec lesquels nous travaillons à Clinique Contributive ont du génie et je pense que les enfants avec lesquels nous travaillons qui ont été très abîmés par les smartphones ont aussi du génie encore malgré ce que le smartphone a pu leur faire et que c'est ça la question de la mélancolie. La question de la mélancolie c'est la question du fait qu'on voit comment des gens qui sont des génies parce qu'ils sont originaux, ce sont des exceptions, on les empêche d'être, d'exprimer ce qu'ils sont et ça nous rend malade. Alors évidemment quand je dis que tous les êtres noétiques sont des êtres d'exception, on pourrait dire dans un langage deleuzien des êtres singuliers. Un être singulier c'est un être d'exception, c'est un être qui n'est pas comparable, il y a quelque chose d'absolument incomparable. Ce que j'ajouterais à cela c'est que si j'aime bien parler non seulement d'exception ou de singularité mais de génie, c'est parce que je pense que nous sommes toujours les génies de nos lieux, de près ou de loin. Et dans le confinement, dans ce qu'on appelle le confinement, nous faisons l'expérience singulière du lieu ou du non-lieu, c'est-à-dire du lieu par défaut. C'est une expérience que j'ai faite très en profondeur pendant cinq ans, en prison. Une prison, c'est un non-lieu. Mais dans certaines circonstances on peut donner lieu au non-lieu et on peut faire que de ce non-lieu eh bien tout à coup quelque chose y a lieu et ce qui a lieu là ouvre une nouvelle localité, une nouvelle époque de la localité même, de ce que c'est que la localité en général. Il n'y a pas de lieu sans génie du lieu et rien ne peut avoir lieu sans génie, avoir lieu, rien ne peut arriver sans génie, c'est-à-dire sans exception, sans singularité. Notre responsabilité c'est d'être géniaux quant aux lieux. Aujourd'hui c'est ça que nous devons faire et d'abord là où nous sommes dans le lieu ou le non-lieu où nous nous trouvons confinés, où nous avons lieu, y compris en disant j'ai lieu c'est ce lieu il est à moi. C'est pour ça que je vous parlais de John Locke tout à l'heure parce qu'il pose cette question-là. J'ai lieu, j'ai un lieu, c'est mon appart, je le loue, c'est une sous-pente pourrie à Saint-Denis, c'est le beau moulin d'Epineuil, c'est une prison, je suis en cellule. Bon, mais c'est chez moi, c'est ma cellule. Enfin, c'est chez moi. C'est là que je suis en tout cas. Et que j'essaye de donner lieu. Avoir lieu, c'est donner lieu. Et derrière ça, il y a une relation nouvelle à établir entre avoir, donner et être. Je dis ça de manière très programmatique, je n'en dirai pas plus mais vous voyez peut-être, en tout cas pour ceux qui ont lu le deuxième traité de la CarolineJohn Locke, Constitutions fondamentales de la Caroline dans Deuxième Traité du gouvernement civil, Paris, Vrin, 1967↩︎, qui est donc le texte de John Locke que j'ai montré tout à l'heure qu'en effet ici peut-être on va essayer de revisiter à partir d'un tel point de vue la question de ce qu'on appelle le propre, Eigentlich comme on dit en allemand dans Sein und Zeit, Eigentlichkeit, l'authenticité, mais ça veut dire la propriété au sens de ce qui m'est propre. Et on va peut-être essayer de creuser quant à la question du droit, parce que le droit moderne est fondé sur le droit de la propriété, par Hobbes et John Locke. On va peut-être essayer de reprendre toutes ces questions d'une stratégie du choc et d'une contre-stratégie du choc qui ne se contenterait pas de prendre une posture d'une gentille alternative à la stratégie du choc mais qui véritablement essaierait de prendre des problèmes comme les prend l'école de Chicago, le néolibéralisme et les transhumanistes, c'est-à-dire en se donnant d'énormes moyens intellectuels pour le faire. Et si nous ne nous mettons pas à cette hauteur-là, c'est foutu. Moi j'essaye dans ce séminaire de contribuer un petit peu à ça en lien avec Plaine Commune, maintenant avec l'État de Genève et la Croatie. Alors, ayant dit cela, je vous parlais de ma mère tout à l'heure, de la mère, pas forcément de la mienne, je parle un peu de la mienne aussi là, je vous ai parlé de ma grand-mère. En Afrique, on dirait aussi la tante, comme vous le savez, les sociétés avunculairesQui a rapport à un oncle ou à une tante.↩︎ c’est très important, une grande partie de l'Afrique est avunculaire. En tout cas, ces figures-là, qui sont des figures du soin, elles prennent lieu, elles sont les génies d'un lieu, les génies féminins d'un lieu, qui est le foyer. Le foyer dont elles sont les Hestia. Hestia c'est la déesse du foyer et elle est représentée chez les grecs d'abord comme celle qui s'occupe du feu. Le feu dont vous découvrirez si vous lisez Bifurquer, qui est un livre qu'on va publier dans deux mois aux Editions Les liens qui libèrent, dans le dernier chapitre signé de Dan Ross vous y verrez que la question du feu qui apparaît il y a à peu près un million d'années chez les êtres humains c'est le point de départ de la question de l'anthropie avec un a et un h, la manière dont l'homme, l'anthropos, produit de l'entropie à sa façon en allumant des feux. Là où les animaux fuient les feux, comme tout le monde l'a appris à l'école primaire, l'homme fait des feux pour se protéger des animaux, mais en même temps il peut produire des feux de forêt, comme il y en a en ce moment, non pas à cause de feu que l'homme allume mais à cause du réchauffement climatique.

Alors il faut souligner que nous qui sommes confinés dans nos foyers, nous sommes, si on parle dans la langue de la mythologie grecque, chez Hestia. Nous avons oublié le sens du mot foyer, d'abord parce que maintenant il n'y a plus... à Paris par exemple, vous ne pouvez plus faire de feu, c'est interdit de faire de feu dans votre cheminée. Voilà, vous devez avoir un chauffage central, un chauffage électrique, un chauffage... mais en tout cas pas de feu, c'est interdit. On a oublié ce que c'est intuitivement, ce que c'est que la consomption, la consumation du bois ou du charbon, etc. Quand j'étais petit, chez ma grand-mère, elle se chauffait au charbon encore. C'était aussi l'époque où d'ailleurs souvent des gens mouraient à cause du gaz qui est produit par ce charbon. En tout cas, Hestia qui s'occupe du foyer, ma grand-mère s'occupait du foyer, elle fait couple avec Hermès. Pourquoi est-ce que je vous parle tout à coup d'Hermès qui est un homme, lui ? Hestia est une femme. Alors, Hermès ce n'est pas le mari d’Hestia. Hermès est un dieu qui est le dieu du dehors. Le dieu du dehors, c'est-à-dire aussi le dieu de l'interprétation. Pour ceux qui sont venus à Epineuil pendant l'académie d'été, vous vous souvenez qu'il y a cinq ans, Axel Anderson avait prononcé cette conférence qui est en ligne, vous pouvez la trouver, elle est sur YouTubehttps://www.youtube.com/watch?v=WUvj1W7u2QI↩︎ où il nous avait parlé de l'oubli de cette figure d’Hestia et d'Hermès ; je vous recommande d'aller en fait il y a son texte en français en ligne parce que la vidéo c'est un peu difficile parce que Axel est suédois il parle avec un accent suédois parfois on a du mal à comprendre ce qu'il dit par contre son texte est en français donc on le trouve très facilement, je vous recommande de le lirehttps://www.kritiklabbet.se/wp-content/uploads/2017/08/Epineuil-2017_Axel-Andersson.pdf↩︎. En tout cas, ce que je suis en train d'essayer de vous dire, c'est qu'un lieu, il y a un génie du lieu et puis il y a un génie du dehors du lieu et le génie du lieu accueille le génie du dehors du lieu. Pourquoi est-ce que..., il y a un génie du lieu, le lieu dans lequel on peut se retrouver confiné, le foyer, eh bien aujourd'hui, voilà comment nous le vivons. Il y a plein de trucs, là vous voyez, tablettes, smartphones, ordinateurs, tout ça, et bon, ça n'a pas l'air d'aller, cette dame n'a pas l'air d'être très bien. Elle est confrontée, comme dit le petit chapeau au spleen qui est un terme qui employait beaucoup Charles Baudelaire comme vous vous en souvenez sans doute. Et qu'est-ce qui… Pourquoi est-ce que je vous parle de cela ? Pourquoi tout à coup est-ce que je fais apparaître ces écrans et tout ça ? D'abord parce que moi je vous apparais, vous qui êtes en principe confinés dans vos foyers plus ou moins, je vous apparais sur un écran. Donc comme dans la situation de cette dame-là, j'espère que je ne vous fais pas avoir le mal-être dont elle souffre. Et qu'est-ce que j'essaye de jouer comme rôle dans cela ? Eh bien j'essaye d'être Hermès. Il y a toujours dans la localité du foyer dont Hestia est un génie, Hestia c'est une déesse qui était représentée par un foyer qui se trouvait à Athènes par exemple dans pratiquement toutes les villes, il y avait un temple d'Hestia, etc. qui célébrait donc les foyers. Hestia est toujours en relation avec Hermès. Hermès, dont vous avez, j'en ai souvent parlé, vous le remarquez à nouveau, bien remarqué qu'il a un sceptre, un caducée comme on l'appelle en grec, et que ce caducée il est entouré de deux serpents. Ces deux serpents rappellent énormément le serpent d'Asclépios qui est un pharmacien et un médecin donc Hermès soigne par l'interprétation, c'est un interprète, il vole aussi, il a des ailes, il a des pieds ailés, et il circule en permanence, c'est aussi le dieu des voleurs, et il vole au sens aussi de ceux qui volent, il dérobe. D'ailleurs, il a volé un troupeau à son frère Apollon, etc. C'est une figure extraordinairement paradoxale, Hermès. Parce que par ailleurs il est l'envoyé de Zeus, donc de la loi. Tout ça doit être revisité aujourd'hui à partir de l'expérience qui est la nôtre de cette espèce d'état de choc que nous vivons dont les smartphones, tablettes, ordinateurs et tout ça sont une espèce d'éléments de base et dont nous disons nous à l’IRI : il faut maintenant refaire de l'informatique théorique pour repenser complètement les architectures et les modes de fonctionnement même de ces dispositifs là pour essayer de ré... non pas pour faire revenir Hermès et Hestia nous ne sommes pas des grecs nous ne sommes pas des tragiques mais par contre pour nous remémorer, pour faire l’anamnèse de tout ce qui se jouait là, ce que tente de faire Axel Anderson dans cet enregistrement, et pourquoi faire ? Pour renouer avec ce que, par exemple, quand je suis allé chez Paolo Vignola, dans cette ville-là, Albenga, une région du nord de l'Italie et bien j'ai visité un foyer qui est le foyer des parents de Paolo Vignola et vraiment j'avais le sentiment d'être dans un lieu avec un génie du lieu porté par le père aussi bien que par la mère d'ailleurs de Paolo. Et je pense que ça c'est fondamental. Ça c'est fondamental parce que ça c'est la condition d'une manière ou d'une autre comme chez les Grecs, comme chez les Chinois, comme chez l'Africain du subsaharien ou de l'Afrique du Nord etc. c'est la condition pour que se produise un processus de génération génial qui engendre des exceptions, des êtres d'exception dont nous avons absolument besoin pourquoi ? parce que nous devons bifurquer, si nous voulons lutter contre l'entropie par exemple celle que produit le virus nous devons être capables de bifurquer. Dans toutes les questions auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui, la question est toujours celle de la bifurcation. Alors évidemment nous ne bifurquons que par intermittence, de temps en temps. En des lieux qui sont par essence intimes, dans le secret de cette intimité, le génie peut produire tout à coup quelque chose qui a affaire avec ce que j'appelle moi le poisson volant, c'est-à-dire on peut sortir de son lieu en étant visité par un « Hermès », alors chez les chrétiens ça serait plutôt par l'archange Gabriel ou je ne sais qui, et tout à coup quelque chose se passe, c'est-à-dire qu'on accueille l'étranger. Je vous rappelle que l'archange Gabriel, il annonce la venue d'un enfant qui n'a pas de père, en tout cas c'est comme ça que je le lis avec Paolo Pasolini, et qu'il dit à Joseph, n'abandonne pas cet enfant, ce n’est pas le tien, mais éduque-le quand même, accueille-le. Ici l'archange Gabriel a évidemment tout à voir avec Hermès même si ce n'est pas du tout les mêmes enjeux. Il y a des intimités de toutes sortes. Dans ce livre, Pseudo Aristote parle d'un ? qui est parti dans le désert, il parle de des figures prophétiques, il y a des lieux, des intimités qui sont le désert en totalité et ce sont les intimités des prophètes. Là tout à coup le génie du lieu devient le prophète, devient un prophète et il est dans une intimité immense et il est capable de prophétiser cette immensité c'est ça le sens de quoi ? et bien de ce que je vais appeler le nomadisme. Pourquoi est-ce que je parle du nomadisme ? je m'adresse à Paolo et à Sarah pour continuer à commenter les réflexions que m'ont inspiré l'article qu'ils ont publié dans la Deleuziana il y a un mois ou deux. Ici, je vous parle du nomadisme parce que je suis revenu pour préparer cette session et réfléchir un petit peu en prenant du recul, je suis revenu vers un texte qui s'appelle La désorientation, c'est le tome 2 de La technique et le temps où je parlais des questions de différence idiomatique, de pensée nomade, c'est une expression de Gilles Deleuze, la pensée nomade, et de l’aterritorialité. Je vous dis cela parce que j'ai un débat aujourd'hui en particulier avec Paolo sur la question de la possibilité ou pas de penser le local sans le territoire et personnellement je pense qu'on ne peut pas penser le local sans le territoire, ça ne veut pas dire qu'on arraisonne le local au territoire. Donc, le débat que j'ai en ce moment avec Paolo, c'est de dire, et avec Sarah, c'est de dire qu'il n'y a pas de localité sans territoire. Ça ne veut pas dire qu'une localité est forcément liée à un territoire dont je serais natif, etc. Non, ce que ça veut dire par contre, c'est qu'il y a un rapport à la territorialité aussi, à la terre aussi. C'est-à-dire à ce qu'on appelle aujourd'hui la biosphère ou Gaïa. Et que ça, il ne faut pas se contenter de ce que disait Deleuze et Guattari à leur époque, parce qu'à leur époque, c'était leur époque, mais nous ne nous sommes pas dans la même époque. Ça ne veut pas dire qu'il faut les oublier, mais ça veut dire qu'il faut aller avec eux plus loin. Et là, il faut le faire en discutant aussi avec Lyotard. Une question d'ailleurs que j'ai reprise dans État de choc. Lyotard posait qu’il y avait deux écritures, une bonne écriture et une mauvaise écriture et par exemple il disait que la télégraphie était une écriture qui empêchait le processus de l'écriture elle-même et qu'il fallait y résister. Je n'ai jamais été d'accord avec ce point de vue-là. Moi je soutiens que l'écriture est toujours une télégraphie, c'est ce que je voulais rappeler ici. Et bon, je ne vais pas commenter cela, on n'a pas le temps, mais outre cela, je parlais de ce qu’anticipait André Leroi-Gourhan ; il anticipait beaucoup les problèmes dont nous parlons aujourd'hui et moi je les anticipais en commentant les anticipations de Leroi-Gourhan en 1992. Donc ces problèmes il y a très longtemps qu'ils sont posés, il y a très longtemps qu'on fait du déni par rapport à ces problèmes et je pense que maintenant le déni c'est fini, il faut qu'on passe à autre chose.

Alors de quoi parlait Deleuze lorsqu'il parlait de nomadisation et je redis ce que j'avais dit l'autre fois à Paolo et Sarah : un nomade a un territoire bien entendu, d'ailleurs le premier qui l'avait dit c'était Deleuze lui-même, un nomade circule sur son territoire, ce n'est pas du tout sans territoire un nomade. Ce que Deleuze appelle la pensée nomade, c'est une pensée qui se libère d'un certain type de rapport sédentaire au territoire et qui est la condition de la différance noétique. Cette différance noétique cependant est toujours, c'est ce que je soutiens, une différence idiomatique. C'est-à-dire que par exemple, comme je l'avais déjà cité au début de ce séminaire Martin Buber dit et d'ailleurs c'est quelqu'un qui m'avait parlé de ça en équateur, je connaissais pas moi cette expression de Martin Buber qui parlait de la bible portative, voilà le prophète par exemple nomade, enfin dans le désert, qui pratique un nomadisme, je dirais, à la limite, eh bien il transporte avec lui sa langue, il transporte avec lui un idiome, et cet idiome, il a déjà en tant que tel une territorialité, même si c'est une territorialité déterritorialisée, justement. Par quoi ? Par la Bible, par le livre, par la télégraphie, je dirais à Jean-François Lyotard. Si je vous parle de tout cela, qui peut paraître des retours en arrière sur de vieilles questions, c'est parce que ces questions sont au cœur de ce que nous avons dit. Et là, j'aborde un troisième sujet maintenant. Ou un deuxième sujet, non c'est la deuxième remarque pardonnez-moi.

J'aborde la deuxième remarque sur l'informatique théorique. Inscrire la différance noétique dans une différence idiomatique à travers la question des exceptions qui sont les génies qui permettent de produire des bifurcations et qui constituent la résilience d'un système c'est poser des questions pour élaborer une nouvelle informatique théorique qui serait basée sur les questions liées à l'entropiehttps://youtu.be/2dou1ImHTFI?si=zkXmG-nZlAFJhaqC Faire vivre la pensée de Bernard Stiegler Guiseppe Longo↩︎, ce qui n'est absolument pas le cas du modèle de la machine de Turing. Lundi dernier, donc comme je vous l'ai déjà dit d'ailleurs, nous avons eu avec Maël Montevil, Giuseppe Longo, Ana Soto, Carlos Sonnenschein et quelques autres, Vincent Puig, Yves-Marie Ossone, etc. un échange autour des enjeux de l'informatique théorique abordé du point de vue de la théorie de l'anti-entropie de Bailly, Longo et Montevil et aussi du point de vue de ce que moi j'appelle la néguanthropologie et de ce que j'appelle l'anti-anthropie avec un a et un h, que je tente d'élaborer dans ce séminaire d'ailleurs. Ce séminaire est fait pour ça. À cette occasion, nous avons parlé de la machine de Turing. Voici une représentation. Nous avons aussi parlé, j'ai parlé moi de l'analyse que Jean Lassègue en a proposé dans un livre qui s'appelle Turing aux Belles Lettres et j'ai souligné moi-même qu'il fallait reprendre d'une certaine manière les analyses de Jean Lassègue mais qu'il fallait les reprendre d'un point de vue qui n'est pas celui de Jean Lassègue, à savoir en repartant d'Alfred Lotka, de Whitehead et de Georges Canguilhem. Je ne vais pas vous parler de ça, si ça vous intéresse d'ailleurs, c'était enregistré, donc on peut donner accès à cet enregistrement pour ceux qui s'intéresseraient. C'est une discussion très intéressante, on a parlé de beaucoup de choses d'ailleurs, un peu en désordre à vrai dire. Mais après cette réunion, Giuseppe Longo m'a envoyé une lettre, pardon, m'a envoyé un message qui était accompagné de ce qu'il a publié en 2008 qui est une lettre à Alan Turing. En fait, il a fait ça dans le cadre d'une demande qui a été faite par Thierry Marchais, plusieurs auteurs qui connaissent bien Turing. Et dans cette lettre qu'il adresse à Alan Turing, qui est mort en 1953, non 1954, et donc Turing évidemment est au paradis, comme l'a dit Giuseppe, il a donc écrit au paradis, il dit à Turing qu'il va lui parler de quelque chose dont Turing ne pouvait pas le prévoir. C'est le processus de réticulation qui relie entre elle des milliards de machines de Turing. Alors vous avez entendu certainement comme moi aujourd'hui aux informations qu'il y a 3 milliards de confinés aujourd'hui dans le monde. Mais vous savez peut-être aussi qu'il y a 3 milliards de propriétaires de smartphones. Est-ce que ce sont exactement les mêmes ou pas je ne sais pas. Il y a sûrement des tas de gens qui n'ont pas de smartphone parmi les confinés en Inde, les intouchables dont je vous parlais tout à l'heure par exemple, eux ils n'ont pas de smartphones, les pauvres, mais il y a surement une très forte intersection entre les trois milliards de confinés et les trois milliards de propriétaires de smartphones. Ce sont les gens qui sont reliés par ce dont parle Giuseppe dans cette lettre à Alan Turing. Et dans cette lettrehttps://www.amazon.fr/Lettres-Alan-[Turing](https://fr.wikipedia.org/wiki/Alan_Turing)-Jean-Marc-L%C3%A9vy-Leblond/dp/2362800970↩︎, à la fin de la lettre, il dit que cette réalité nouvelle que Turing ne pouvait pas prévoir, qu'il n'a pas prévu, pose des problèmes tout à fait nouveaux, des questions tout à fait nouvelles. En particulier, on perd le sens de la variation, dit-il, avec la production de moyennes, le moyennage, moyennage au sens de l'action de moyenner, de faire des moyennes, de noyer dans des comportements moyens toutes sortes de gens à travers les réseaux et de quoi faire ? alors ça il ne le dit pas mais c'est moi qui l'ajoute, de détruire les exceptions, c'est-à-dire de détruire les possibilités de bifurcation. Par exemple, les biologistes qui développent des modèles qui ne sont pas dans les intérêts immédiats d'industries pharmaceutiques en termes de virologie, mais qui travaillent sur des questions qui sont liées directement à la pandémie actuelle et que l'on a écarté, pourquoi ? Parce qu'ils ne correspondent pas à la langue de bois de l'administration de la recherche par l'Agence nationale de la recherche. Ça c'est extrêmement grave et c'est de ça dont il s'agit dans ce que dit Giuseppe, d'ailleurs il parle par ailleurs d'un texte que j'avais moi-même commenté, je crois même que c'est moi qui lui ai fait lire, qui s'appelle The End of Theory de Chris Anderson et sur lequel il a écrit un texte qui est paru il n'y a pas trop longtemps vous le trouverez sur son site tout ça est tout à fait accessible.

Alors je résume ce que me disait Giuseppe dans ses mails et dans cet article et je vous lis maintenant ce que je lui ai répondu donc je vous lis à la lettre la réponse que je lui ai faite mardi depuis il m'a répondu je lui a nouveau répondu je vais vous épargner tout ça mais par contre je vous en parle là parce que parce que c'est important pour ce dont nous nous occupons et ce dont je vous parlerai aussi la semaine prochaine donc voilà ce que j'ai écrit : la réticulation est une question nouvelle et fondamentale qui pose en particulier la question de la fonction du calcul, non pas du point de vue mathématique, fonction c'est un terme de mathématiques mais là j'en parle pas en mathématicien, j'en parle en épistémologue du double point de vue épistémique et épistémologique et j'ajoute entre parenthèses double dimension épistémique et épistémologique qui constitue je crois la méthode que toujours Georges Canguilhem a adopté par exemple dans La connaissance de la vie page 108-109. je vous y renvoie parce que Georges Canguilhem qui était un épistémologue mais aussi un biologiste et un médecin il parlait science il parlait vraiment comme un scientifique et comme un philosophe des sciences mais il renvoyait toujours aussi à des éléments d'épistémè, en l'occurrence d'idéologie. En effet, épistémique, et je reprends un terme là qui a été forgé par Michel Foucault en 1966, je crois que chez Canguilhem, qui était le directeur de thèse de Foucault, c'était le maître de Michel Foucault. L'épistémique chez Canguilhem, qu'est-ce que c'est ? C'est l'idéologie. C'est ce qui constitue l'idéologie. Et aujourd'hui, notre idéologie, qui est l'idéologie de quoi ? De la stratégie du choc, du néolibéralisme, du transhumanisme, des libertariens. Eh bien cette idéologie elle s'impose dans le monde entier aujourd'hui. Pourquoi ? Parce qu'elle est efficace, elle est extraordinairement efficace. Elle est mise en œuvre de manière machinique, c'est-à-dire que tous les gens qui utilisent des smartphones, des tablettes, des ordinateurs et tout ça, se sont soumis à cette idéologie d'une certaine manière, c'est ce que je soutiensVoir Les nouveaux serfs de l’économie Yanis Varoufakis Les Liens qui Libèrent Dans ce livre visionnaire, l’auteur montre comment les propriétaires de la grande technologie sont devenus les seigneurs féodaux du monde – remplaçant le capitalisme par un système fondamentalement nouveau qui asservit nos esprits, défie la démocratie et réécrit les règles du pouvoir mondial. Malgré sa dimension tentaculaire, il est aujourd'hui urgent de le contrecarrer et de le renverser, et de mettre en lumière la révolution dont nous avons besoin pour échapper à notre prison numérique.↩︎. Elle est donc soutenue de manière factuelle et constante parce que ça marche, donc les gens vous disent, ah oui c'est peut-être une idéologie mais ça marche et donc elle est légitimée fonctionnellement sachant que face à ça, la puissance publique, le politique, est totalement délégitimé. Alors quand vous voyez par exemple un article, je crois que c'est dans un blog de Mediapart qui a diffusé « Nous ne sommes pas des héros, nous sommes des pros » ce sont des médecins ou des infirmiers qui ont écrit ça, ils sont en train de répondre justement à ce modèle néolibéral en disant non, non, non, on n'est pas des héros, on n'est pas des soldats, on est des gens qui... nous sommes des gens qui font leur travail, nous prenons soin des gens et tout ce que vous dites sur l'hôpital, que c'est inefficace, qu'il faut le fermer, qu'il faut confier tout ça au privé, c'est pas vrai du tout et nous le prouvons. Voilà, c'est ça dont je suis en train de vous parler. Alors pour moi ce processus épistémique qui est une idéologie du calcul qui est très efficace, c'est une catastrophe noétique. C'est une catastrophe noétique pourquoi ? Ça c'est la question, non plus épistémique mais épistémologique. Du point de vue des facultés ou des fonctions noétiques et de leur jeu, au sens kantien, faculté c'est un mot qu'emploie Emmanuel Kant et qui désigne toujours deux types de facultés, vous le trouverez très bien exposé d'ailleurs par Gilles Deleuze dans son livre sur Emmanuel Kant il y a les facultés inférieures et les facultés supérieures, les facultés qui sont d'abord les facultés inférieures, l'imagination, l'intuition, l'entendement et la raison, dans les facultés supérieures, elles jouent différemment les unes par rapport aux autres. Par exemple, dans la faculté du jugement esthétique, qui est exposée dans le livre qui s'appelle La critique du jugement, la faculté de l'entendement joue avec l'imagination d'une manière totalement différente de ce qui est décrit dans La critique de la raison pure, où là c'est la faculté de connaître et non pas de juger esthétiquement qui est en jeu. Ce que j'essaye de montrer moi c'est que chez Emmanuel Kant, mais ceux qui me connaissent l'ont déjà entendu dire ça mille fois, il y a une irréductibilité de la raison à l'entendement et réciproquement. Et ce que j'essaie de montrer c'est que le cognitivisme et le computationnalisme cherchent à liquider cette différence entre raison et entendement mais aussi intuition et imagination au bénéfice d'un entendement automatisé qui contrôle absolument tout et qui se traduit en quoi ? En business en fait puisque ce contrôle automatisé il est quantifié de part en part et il permet de tout transformer en un marché. Alors j'ajoute parce que je n’ai pas fini ça c'est toujours ma réponse à... excusez-moi je suis toujours dans ma réponse à Giuseppe Longo et donc je continue en lui disant ceci ici un dialogue avec Francisco Varela est indispensable. Varela avait l'habitude d'introduire sa théorie de l'autopoïèsehttps://encrypted-tbn0.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcRBP2wT9hVcMPOhCaeGhnTt1lhftq_3lDsucA&s Un dessin de Punch modifié par Varela pour illustrer la pensée comme un système complexe auto-adaptatif auto-organisateur chez un martin-pêcheur et un observateur qui interprète le système d’un point de vue cognitiviste car il pense que dans le cerveau de l’oiseau il existe la représentation de la loi de la diffraction de Snell (Varela, 1989, p. 82↩︎ par cette image pardon cette image qui comme le dit la légende que vous voyez là décrit d'un côté un martin pêcheur vous le voyez ici ce martin pêcheur veut attraper un poisson qui se trouve ici et Francisco que j'ai très bien connu j'ai travaillé avec lui disait voilà les cognitivistes bêta, ce sont ceux qui croient que le martin-pêcheur est en train de calculer la diffraction. Et donc, c'est le cognitiviste qui dit, regardez ce que fait le martin-pêcheur, il est en train de calculer la diffraction. En fait, cette diffraction est appelée la loi de la réfraction de Snell. J'ai vu, moi, Varela présenter ça au début des années 90, plusieurs reprises en utilisant ce schéma. Mais moi, ce que je vois dans ce schéma, ce n'est pas ce que voyait Francisco Varela. Ce n'est pas seulement ça. Je suis tout à fait d'accord avec lui pour dire que le martin-pêcheur ne calcule pas, le martin-pêcheur a engrammé de manière endosomatique via son génome, sa réplication, son autogenèse etc. un comportement et cette endosomatisation qui se transmet dans la génération, dans le génome, dans l'ADN, via l'ADN de l'espèce des martin-pêcheurs fait qu'effectivement il est capable d'attraper un poisson et de calculer entre guillemets la réfraction en l'occurrence sans faire le moindre calcul en réalité parce qu'il a un comportement psychomoteur qu’on va appeler instinctif qui lui permet d'attraper des poissons. Il se trouve qu'en face de chez moi, il y a un étang, il y a des martin-pêcheurs. Je vois ça en permanence, en fait, comment pêchent des martin-pêcheurs. Mais en revanche, ce que je crois, c'est que contrairement à ce que peut donner à penser la remarque de Francisco, le fait que le cognitiviste voit ça comme un calcul, ce n'est pas simplement qu'il est un peu bêta et qu'il s'imagine qu'il y a une représentation dans l'esprit du martin-pêcheur qui lui fait dire ça. Non, c'est parce que chez les êtres humains, eh bien, on « agit » pour attraper un poisson. Par exemple, quand on est un être humain, quand on n'est pas un martin-pêcheur, on utilise une ligne de pêche, un harpon, un arc, une barque, etc. Éventuellement, un calcul de réfraction ou un autre type de calcul, par exemple un calcul de sonar qui va attraper un banc de poisson de maquereaux. Comme vous le savez sans doute aujourd'hui en Bretagne, on pêche les maquereaux comme ça, ce qui d'ailleurs est un massacre halieutique absolument scandaleux et pour ça on va avoir des bibliothèques, avant des bibliothèques on a des systèmes de comptage, des corps tatoués des sorciers, ensuite des bouliers, des abaques, des règles à calcul et tout ça jusqu'au smartphone, voilà, qui fait qu'on sait plus compter parce qu'on utilise un smartphone pour compter à notre place. Ce que je veux dire par là, c'est que ce que Varela oublie, c'est que l'être humain n'est pas du tout autopoïétique comme le martin-pêcheur, il est hétéropoïétique. Il est hétéropoïétique parce qu'il est exosomatique. Je pense que cette question, c'est aussi la question qui n'est pas prise en charge par le modèle de la machine dite de Turing qui d'ailleurs… je ne vais pas commenter ce que nous apprend Jean Lassègue qui est que aucun ordinateur n'est une machine de Turing en réalité et que jamais Turing n'a dit que les ordinateurs étaient des machines de Turing. Enfin ça je ne vais pas le commenter mais on y reviendra peut-être plus tard. Ce que je crois, c'est qu'il s'agit au contraire de penser l'hétéropoïèse si on veut produire une alter stratégie du choc, parce que l'hétéropoïèse c'est ce qui essaye de penser l'exosomatisation. Et qu'est-ce que c'est que les chocs ? Ce sont des chocs exosomatiques, d'abord, toujours produits par une perturbation, une technique nouvelle apparaît qui va nous perturber, va faire que l'on va changer complètement notre rapport par exemple à la forêt, etc. que par exemple on va créer des migrations de virus qui sont chassés de leurs porteurs et qui vont trouver de nouveaux porteurs et par exemple on va provoquer le coronavirus. La migration du coronavirus à l'échelle planétaire en l'espace de quelques semaines, moins d'un mois, et qui atteint l'ensemble de la planète. Et tout ça est évidemment lié à des avions, à des conteneurs, à énormément de choses, et donc à un choc exosomatique. Si on ne prend pas le problème de l'exosomatisation comme point de départ, on est foutu. On n'arrivera jamais à produire une autre vision du choc qui serait alter stratégique par rapport au modèle néolibéral. Alors ça, ça supposerait aussi, évidemment, de repenser en profondeur l'entropie, la néguentropie et de procéder à ce que j'appelle un travail de réveil anti-anthropique mais avec un a et un h pour sortir des sommeils dogmatiques dont parlait Kant, vous vous souvenez que dans sa préface Kant explique que c'est David Hume qui l'a sorti de son sommeil dogmatique. Le sommeil dogmatique, c'est ce que lui avait enseigné Wolf, élève de Leibniz. Et l'empirisme de Hume a obligé Kant à changer de point de vue. Nous, nous avons à sortir du sommeil dogmatique du XXe siècle. C'est extrêmement important, je le dis pour les philosophes, mais aussi pour les économistes, pour les informaticiens qui font de l'informatique théorique, pour tout le monde en réalité, pour moi d'abord. Et donc ça requiert ce que j'appelle une nouvelle critique et cette nouvelle critique que j'appelle aussi parfois une hyper critique, ça reprend Emmanuel Kant, les problèmes d'Emmanuel Kant, comme Lyotard avait tenté de le faire d'ailleurs, parce que je pense que Lyotard a fait des choses très importantes avec Kant, mais en intégrant des points que Lyotard n'a pas vraiment intégrés même s'il a essayé d'ailleurs, l'entropie et l'exosomatisation. Il a essayé sur ces deux plans-là. En fait j'en ai beaucoup parlé avec lui donc je connais assez bien le sujet. Ce que je soutiens c'est qu’aujourd’hui, l’enjeu de tout ça c’est une nouvelle informatique théorique. C'est d'ailleurs pour ça que l'IRI a créé en 2012 le Digital Studies Network dont Paolo et Sarah font d'ailleurs partie à Guayaquil et dont le but est d'abord de développer des Digital Studies qui soient alternatives et qui permettent de quoi faire ? de repenser les smartphones, les tablettes, les ordinateurs qui font que cette dame qu'on voyait tout à l'heure est stressée dans son confinement et que nous aussi on peut l'être et que nous devons réinventer tous ces trucs pour que ça réarticule Hestia et Hermès là où nous avons le génie de nos lieux. Que ces lieux soient chez nous, notre quartier, le réseau, Zoom quand on fait un séminaire, etc. Si on avait le temps, je vous aurais dit pourquoi, mais je ne vais pas le faire. Il faudrait lire ici Karl Popper, qui en particulier, chapitre 3Une épistémologie sans sujet connaissant in La connaissance objective K. Popper↩︎, qui s'appelle, je ne me souviens plus du titre, où il essaye de préciser ce qu'il appelle les trois mondes. Il dit, il y a trois mondes distincts, le monde physique, le monde mental et ce qu'il appelle le monde des contenus de pensée. Là il reprend d'ailleurs des questions de Frege. Frege a essayé de montrer qu'un contenu de pensée ce n’est pas ce qui est dans la tête de quelqu'un qui pense, non, un contenu de pensée ça existe en soi, voilà comme disait Platon dans le ciel des idées. Alors moi je suis pas du tout platonicien mais par contre je pense que ce dont parle Karl Popper« Ma seconde thèse, c’est que l’étude propre à l’épistémologie est celle des problèmes et des situation de problème scientifiques, des conjectures scientifiques (…) des discussions scientifiques, des arguments critiques et du rôle joué par les preuves dans l’argumentation, par conséquent, des revues et livres scientifiques ainsi que de expérimentations et de leur évaluation dans les débats scientifiques ; en bref, ma seconde thèse est que l’étude du troisième monde, largement autonome, de la connaissance objective est d’une importance décisive pour l’épistémologie » La connaissance objective K. Popper Aubier 1991↩︎ ici c'est ce que moi j'appelle la nécromasse noétique des rétentions tertiaires et des rétentions tertiaires hypomnésiques et que nous devons aujourd'hui comprendre que la réticulation dont je discutais avec Giuseppe Longo eh bien elle réticule cette nécromasse noétique et que c'est ça la condition de la pensée, du génie du lieu etc. C'est comme ça qu'Hermès s'articule avec Hestia, c'est comme ça que les lieux sont reliés les uns aux autres et qu'on peut créer ce que nous tentons d'appeler en ce moment une internation. Alors si je signale ces points c'est parce qu’en continuité avec ce que j'avais dit dans les séances précédentes de ce séminaire, il pose des problèmes que je voulais aborder en passant par Watsuji et Augustin Berque que pour le moment je mets à l'arrière-plan mais peut-être que j'y reviendrai d'ici à l'été parce qu'on va essayer de prolonger, on va voir ces séances un petit peu plus longtemps que prévu. Et deuxièmement, donc il constitue - pour moi, on en discutera, vous ne serez peut-être pas du tout d'accord - mais il constitue ce qui devraient être les points fondamentaux d’une alter stratégie du choc qu'il faudrait prendre le temps d'élaborer maintenant, tant qu'on est dans cette situation un petit peu particulière, sur laquelle je reviendrai, de suspens, nous sommes tous en épokhè en ce moment, à cause de ce confinement qui touche presque la moitié de l'humanité. Et en attendant de revenir à la normale, comme on dit, mais c'est peut-être une erreur de dire « de revenir à la normale » en tout cas si on lit cet article du MIT de la revue du MIT de Gideon Lichfieldhttps://www.technologyreview.com/2020/03/17/905264/coronavirus-pandemic-social-distancing-18-months/↩︎ et bien lui il dit on ne reviendra jamais à la normale. Qu'est-ce que ça veut dire on ne reviendra jamais à la normale ? lisez l'article, je l'ai lu mais je n’ai rien préparé là-dessus. C'est un élément de documentation que je vous donne pour simplement vous dire que bon peut-être que jamais on ne retournera au stade précédent et d'ailleurs d'une certaine manière il est souhaitable de ne jamais y retourner parce que tout le monde souligne qu’on recommence à avoir le fond de l'eau à Venise, qu'il y a beaucoup moins de CO2 en ce moment dans l'atmosphère etc. Bon, je ne dis pas qu'il faut du coup maintenir cet état de blocage et de paralysie mais de toute façon l'état antérieur il a engendré cette pandémie donc il ne faut pas revenir à la normale, il faut produire quelque chose de nouveau et donc pour ça créer, en ayant du courage et du génie et beaucoup de capacité de valoriser ce que chacun d'entre nous a de singulier et d'exceptionnel pour tenir, pour assurer nos résiliences, voilà, puisque c'est bien le sujet effectivement la résilience en ce moment et il faut que nous soyons capables de soutenir une alter stratégie du choc que donc Pablo Servigne et ses amis appellent « un retournement de la stratégie du choc en déferlante de solidarité » que je considère moi pas du tout suffisant comme problématisation mais on y reviendra. J'essaierai de vous commenter ce texte un peu plus précisément la semaine prochaine. Je ne le ferai pas aujourd'hui.

Alors, j'ai encore besoin d'un peu de temps. Je m'excuse. J'espère que vous n'êtes pas trop fatigués de m'écouter. Je voudrais revenir maintenant. Il faudrait préciser d'abord ce que l’on appelle la stratégie du choc , il faudrait peut-être un peu commenter ce texte de Naomi Klein d’ailleurs dont le titre là aussi, et la traduction française du titre, est un petit peu trompeuse cette traduction parce qu'elle parle pas de stratégie du choc exactement, Naomi Klein, elle parle d'une doctrine et c'est très important la différence. Une doctrine, qu'est-ce que c'est qu'une doctrine ? La doctrine c'est ce qui constitue les doctes. Les doctes ce sont ceux qui savent une doctrine et qui la pratiquent. Par exemple les docteurs qui aujourd'hui sont les médecins mais autrefois ce n'étaient pas les médecins c'était les clercs c'est à dire les religieux. Les docteurs de l'université de Bologne par exemple c'était des religieux. Ils avaient accès à des éléments d'interprétation d'un dogme qui était lui-même constituant d'une doctrine qui à cette époque-là a été produite par le pape. Et c'est de là que vient le mot docteur. Pourquoi est-ce que je dis ça ? C'est parce que ce qui est en jeu derrière tout ça, c'est le savoir. Ce n'est pas une simple question de stratégie ou de guerre, comme dirait le président Macron. C'est une question de savoir. Et aujourd'hui, la question, c'est que le savoir a été détruit. Et c'est pour ça que je vous ramène maintenant, avec vous, vers la question de la libido sciendi. Pourquoi ? Nous sommes confinés, nous sommes confinés plus ou moins, moi je ne suis pas trop parce que je peux sortir dans la campagne et tout ça donc ça va pas trop mal pour ce qui me concerne mais j'imagine qu'il y a plein de gens pour qui c'est très pénible comme le disait juste avant le démarrage de cette session, nos amis de Marseille, Colette et Claude, dans les quartiers nord de Marseille, rester enfermés dans ces petits apparts qui ne sont vraiment pas très bien, c'est super dur. Donc selon qu'on habite dans 120 m², 40 m², 15 m², ce n'est pas pareil le confinement. En tout cas, dans le confinement, dans tous les cas, je recommande de pratiquer la libido sciendi. C'est ce que j'ai fait pendant 5 ans de prison, là où j'étais confiné, alors là dans 9 m². Et qu'est-ce que c'est que la libido sciendi ? Et bien pour moi c'est ce qui est provoqué par l'affinité transcendantale dont je parlais déjà tout à l'heure en me référant à ce livreCritique de la raison pure Kant↩︎. L'affinité transcendantale, par moment, on a le sentiment peut-être pas de l'atteindre, ça serait vraiment une expérience mystique, totalement au bord du délire. Mais d'être à portée de la main. Je vous ai dit tout à l'heure, il m'est arrivé deux fois d'écrire, effectivement, deux fois j'ai crié, je suis un génie. Une fois c'était en prison et une autre fois c'était ici à Epineuil, à la place même où je me tiens. C'est parce que j'avais un sentiment d'affinité transcendantale. J'avais le sentiment que tout à coup, mon travail, tout à coup, était en une espèce d'écho extrêmement fort avec ce qui se passe, avec le monde. Cela étant, alors ça, ça donne un sentiment de plénitude et qui chez Spinoza a un autre nom et qui s'appelle la joie. Cela étant, et c'est très important cette question de la joie chez Spinoza, on peut aussi interpréter la joie avec Augustin justement ou avec beaucoup d'autres d'ailleurs. Ça n'appartient pas au monothéisme la question majeure. Mais bon, ayant dit cela, Emmanuel Kant lorsqu'il parle de l'affinité transcendantale, eh bien il en parle à partir de Newton, comme je vous le disais tout à l'heure. Qu'est-ce que ça veut dire parler à partir de Newton ? Ça veut dire parler à partir d'une conception du cosmos qui est identique à lui-même, invariable, éternelle, et qui entre en unité harmonieuse avec ma propre unité, de mon expérience à travers l'intuition, de mes concepts à travers l'entendement, de mes idées à travers la raison et cette harmonie entre mon intuition, mon entendement et ma raison étant conditionnée par les capacités de mon imagination qui produit dans la deuxième critique dans La critique de la raison pure ce que Kant appelle des schèmes. Je précise que chez Kant lui-même, même s'il y a cette harmonie, terme évidemment qu'on trouve chez Leibniz, mais aussi chez les Grecs bien sûr, cette harmonie chez Kant est toujours inachevée. Elle est fondamentalement inachevée et pourquoi ? Même dans le point de vue newtonien qui est le sien, eh bien parce que quant au jugement esthétique et moral il y a quelque chose qui reste indéterminable par les concepts et là où ce sont les idées de la raison qui deviennent la référence mais sans base empirique. Et c'est pourquoi dans la Critique du jugement, ce dont il est question, c'est de ce que Kant appelle le sublime. C'est-à-dire que c'est plus que sensible. Je sens par exemple, en faisant l'expérience du sublime, du caractère sublime d'une tempête etc. Je sens l'immensité qui dépasse tout concept, qui dépasse tous mes concepts et que mon imagination fait jouer avec des concepts mais d'une manière libre dit Kant. Cette liberté c'est ce dont je fais l'expérience dans l'expérience esthétique, du beau ou de l'art, voilà, de la création et c'est aussi l'expérience du sublime dans le déchaînement de la puissance du cosmos. Cette expérience-là, c'est une expérience que j'appellerais mystagogique. Elle est mystagogique chez Kant, pourquoi ? Parce que Kant dit : jamais l'entendement ne peut réussir à dépasser le caractère purement réflexif de ce jugement. Réflexif ici ça veut dire subjectif et je ne peux pas l'objectiver, c'est-à-dire que je ne peux jamais prouver que j'ai raison de dire par exemple que tel paysage est beau ou telle œuvre d'art est une œuvre d'art. Et cette expérience mystagogique, parce que mystérieuse, parce que jamais je ne peux prouver, elle est évidemment toujours au bord de l'expérience mystique. Ici en passant, je précise que Jean-François Lyotard avait beaucoup travaillé cette question, y compris d'abord du point de vue de la question de l'art qui était la sienne, puisque le grand livre, le premier grand livre de Jean-François Lyotard est consacré à des questions d'esthétique, c'est le livre qui s'appelle Discours figure voilà et dans ce livre, mais surtout après dans Le différend, il disait que l'expérience artistique du XXe siècle, ce n'est pas l'expérience du beau, c'est l'expérience du sublime. Je dis ça juste parce que derrière tout cela il y a des questions d'esthétique contemporaine qui sont très importantes mais je ne vais pas développer.

Quant à nous, au XXIe siècle, dans notre situation de confinement et d'expérience des limites actuelles qui sont les expériences de ce que la collapsologie décrit comme l'inéluctable caractère de l'effondrement, ou de l'effondrement n'étant pas l'effondrement dernier, ce sont des effondrements dont parle Servigne, c'est pas d'un effondrement définitif et total, il ne dit pas du tout ça, c'est ce que lui fait dire Jean-Baptiste Malet, mais c'est pas du tout ça que disent Servigne et Stevens dans leur livre en tout cas cette expérience-là qui n'a pas été une expérience de Lyotard qui n'a pas été une expérience de Deleuze ni de Derrida par contre qu’a anticipé à mon avis Heidegger c'est pour ça qu'il faut continuer à lire Heidegger absolument et bien elle passe par la ruine de l'expérience. Je vous parlais de l'intuition et de Kant, Kant dit il ne peut pas y avoir de raison qui ne passe pas par les données de l'expérience à travers l'intuition, dit Kant, l'entendement qui produit les concepts, l'imagination qui fournit des schèmes à la raison qui apporte des idées. C'est ça qui est l'expérience de pe/ansée avec un e et avec un a. Mais nous, notre expérience est ruinée. C'est-à-dire que nous ne pouvons pas faire l'expérience dont parle Kant pour des raisons dont ailleurs parlait très bien Hölderlin, et il y a le commentaire de Philippe Lacoue-Labarthe sur Hölderlin à cet égard, qui a été d'ailleurs aussi repris par Jean-François Lyotard. Mais celui qui a le premier vraiment parlé de la ruine de l'expérience après Hölderlin, et sur un mode qui n'est pas romantique, mais plutôt à la fois marxiste et baroque, c'est Walter Benjamin, dans un texte qui s'appelle « Expérience et pauvreté » que je vous recommande de lire ou de relire, qui se trouve dans le deuxième volume des Essais chez Folio, et dans lequel, alors là je l'ai annoté beaucoup, ce qui est en vert c'est mes propres notes, ce sont mes commentaires, Je parle des philo-boomers, c'est moi ça le philo-boomer, je suis un boomer, je suis de la génération du baby boomer, j'essaye de faire de la philosophie et comme tous les philo-boomers, je voue, à l'exception de certains comme Jacques Rancière, une immense admiration à Walter Benjamin. Et je soutiens que pour ma part, ce ne sont peut-être pas les mêmes motifs par exemple pour Agamben, Benjamin est le premier à avoir posé la question de la technique, véritablement comme elle doit être posée, du choc, de l'innervation, de ce qu'il appelle l'innervation, de l'exception, etc. Et il nous faut relire Benjamin aujourd'hui. Ça ne veut pas dire qu'il nous faille nous aligner sur le discours de Benjamin parce que dans mon commentaire de ce texte vous verrez si vous lisez ce commentaire qu'il y a des moments où je m'écarte de ce que dit Walter Benjamin. Bon, mais ça je ne vais pas vous en parler aujourd'hui, on en reparlera peut-être dans la discussion ou la semaine prochaine ou dans une autre séance. En tout cas, dans ce texte, ça c'est le début, Benjamin parle d'une ruine de l'expérience. Il écrit ceci, le cours de l'expérience a chuté. Vous voyez là, le cours de l'expérience a chuté. Pour ceux qui ont lu ce que dit Paul Valéry, ça doit être à peu près vingt ans plus tard, quinze ans plus tard, Paul Valéry dans Regards sur le monde actuel, il parle de la chute de la valeur esprit. C'est pour ça que j'ai écrit « Comparer avec Valéry et la valeur esprit ». Là il y a des choses vraiment qui se rapprochent. L'esprit pour Valéry s'écroule mais Benjamin dit quinze ans plus tôt « c'est parce que l'expérience s'écroule ». Alors de quoi est-ce qu'il parle comme chute de l'expérience ? Il parle de ceux qui sont revenus de la guerre de 14 et qui ont vécu cela et qui ont vécu l'impossibilité de communiquer. Alors s'il avait le pauvre Benyamin, heureusement pour lui il n'a pas connu Auschwitz, il est mort avant la révélation exacte de ce qui se passait dans les camps de la mort. Mais bon, il aurait évidemment certainement discuté, s'il avait été en vie, avec Primo Levi et ceux qui sont revenus des camps. Je pense aussi à ceux qui sont revenus de la guerre d'Algérie. Pour ceux qui connaissent bien Alain Rennais, qui ont vu Muriel, ça raconte l'histoire aussi d'un soldat qui revient de la guerre d'Algérie. Il ne parle plus. Il ne peut plus parler. Alors nous, nous avons l'expérience de générations qui ne font pas d'expérience. Par exemple, quand on travaille avec Marie-Claude Bossière à la clinique contributive nous travaillons avec des enfants qui n'ont plus l'expérience de la troisième dimension de l'espace. Ça c'est le sujet de ce qu'il s'agit de repenser à partir d'Emmanuel Kant mais en allant au-delà d'Emmanuel Kant. Ça c'est ce qui va conduire d'ailleurs Lyotard je crois à se poser la question de l'entropie mais je pense qu'il va en manquer la question. J'en parlerai dans le troisième tome de Qu'appelle-t-on panser. Et s’il en manquera la question, si pour une raison très précise, c'est parce qu'il ne verra pas, selon moi, que prendre en charge vraiment la question de l'entropie, ça suppose de reconsidérer en totalité les facultés kantiennes, les facultés inférieures aussi bien que les facultés supérieures et les trois critiques, la critique de raison pure, la critique de raison pratique et la critique du jugement. Et ça suppose par ailleurs de se poser la question comment une affinité transcendantale est-elle possible lorsque l'univers s'avère être un mouvement constant de dissipation ? Est-ce que ce n'est pas ce dont il s'agit secrètement et mystagogiquement ou mystiquement d'ailleurs dans le fameux fragment de Pascal que nous a transmis Bernard Umbrecht sur le divertissement. Vous vous en souvenez de ce fragment dans lequel Pascal dit : nous avons tous besoin d'être divertis. Pourquoi est-ce que nous avons tous besoin d'être divertis ? Eh bien parce que ce qu'il appelle notre condition misérable c'est d'être soumis à l'entropie. Alors pour lui, pour Blaise Pascal, l'entropie ça n'existe pas, c'est un concept qui n'existe pas. Mais c'est un nom du péché si vous voulez, d'une certaine manière, de la corruption et du fait qu’inéluctablement, même si par intermittence nous pouvons parfois aller à la rencontre d'Hermès grâce au génie du lieu qui dépasse le lieu, en règle générale nous retombons parfois très bas, par exemple comme 89,6% des allemands qui votent Hitler en 1934 donc et je pense que c'est ça dont parle Pascal, mais ça c'est une question d'entropie pour moi. Ce que je veux dire par là c'est que la question qui se pose avec la dissipation d'énergie qu'est l'entropie et tout ce qui fait que du coup l'univers n'est plus du tout l'univers de Newton, il est en constante transformation, il n'y a plus aucune stabilité, etc. fait que nous sommes confrontés à une tout autre question de l'affinité transcendantale. Est-ce qu'une affinité transcendantale est encore possible ? Avec quoi ? Avec la flèche du temps. Puisque c'est ça en fait la conséquence de l'entropie du point de vue du rapport entre l'espace et le temps qui est la grande question de Hölderlin que revisite Lacoue-Labarthe puis Lyotard et bien nous devons inscrire la flèche du temps et nous devons nous demander est-ce qu'il est possible de produire une contreflèche du temps non plus en adéquation avec la flèche du temps parce qu'être en adéquation avec la flèche du temps c'est mourir non, d'être en adéquation avec l'anti-anthropie avec une anti-anthropie qui est une contreflèche du temps, c'est pas moi qui dis ça c'est Maël Montévil qui a sorti ça lundi dernier. Et là j'étais vraiment dans la joie. Qu'est-ce que c'est que cette contreflèche du temps ? C'est ce dont je parlais au début de ce séminaire. C'est l'avenir en tant qu'il produit une bifurcation dans le devenir dont il se différencie en produisant un contre mouvement de la différance avec un a de Derrida. Une libido sciendi est possible à ces conditions là aujourd'hui et ça suppose une nouvelle pensée du lieu et des lieux c'est à dire de la multiplicité des lieux et des liens entre les lieux. Du cosmos autrement dit que forment les lieux dans leur noodiversité qui est une cosmo-diversité. La base de la libido sciendi dit c'est la différance avec un a mais quelle différance avec un a ? c'est une question que je visite depuis presque 30 ans même plus que 30 ans ; il y a la différance avec un a vitale, il y a la différance avec un a idiomatique que j'appelle aussi noétique. Qu'est-ce que ça signifie ? Ça signifie la possibilité, à partir de quelques constats, de produire quelques maximes. De quoi je parle quand je parle des constats ? Je fais des constats qui sont par exemple le monde refroidit indéfiniment et irréversiblement. C'est un constat que je fais sur la foi, disons, de Edwin Hubble et de ce qui a été admis aujourd'hui comme étant homogène par ailleurs avec la théorie du Big Bang. Je fais un autre constat, c'est que le monde localement se réchauffe, en tout cas dans la biosphère. Troisièmement, ce réchauffement génère un désordre, c'est-à-dire une entropie paradoxale, anthropie avec un a et un h, ce qui est paradoxal, et qui produit par exemple des perturbations phénologiques. Alors là aussi j'emploie une terminologie de Maël. On discute beaucoup, Maël et moi, donc petit à petit j’adopte son vocabulaire, la phénologie c’est ce qui décrit, Maël en parlerait beaucoup mieux que moi, le fait que, par exemple, pour qu'il y ait bourgeonnement il faut qu'il y ait des conditions de luminance, des conditions de température etc. Mais s'il y a bourgeonnement il y a un déclenchement du côté de la vie animale des insectes etc. de larves par exemple et tout ça si c’est décalé par rapport à la normalité de tout ce que le savoir accumulé par le vivant à travers l'évolution de la biosphère depuis 4 milliards d'années avait emmagasiné parce que l'entropisation accélère un certain nombre de processus et bien il va y avoir un massacre des larves donc massacre des oiseaux parce qu'il n'y a plus de larves à manger donc il n'y a plus d’oiseaux, bref toutes ces questions qui relèvent de ce qu’on appelle la perte de biodiversité et qui sont la catastrophe contre laquelle s'élèvent à très juste titre notre amie Greta Thunberg et la génération qu'elle a soulevée derrière. Alors, ça ce sont des constats. Quel genre de maximes peut-on en tirer ? Je prends le mot maximes au sens des stoïciens, de Kant, bref des philosophes. Où on pose chez les philosophes en termes de philosophie morale qu'il faut des maximes de vie. Qu'est-ce qu'on fait dans un contexte comme celui-là ? Il faut apprendre à repenser toutes les façons de vivre en se disant que de toute façon le soleil refroidit, que de toute façon tout ce qui commence a toujours une fin, etc. Et que donc il va falloir apprendre à cultiver la différance avec un a dans une localité précaire qui s'appelle la biosphère et que peut-être que la durée de la vie dans la biosphère est réduite considérablement par rapport par exemple à ce que disait Lyotard dans cette fable post-moderne comme il l'a appelé dans Moralités postmodernes et où il parle de la mort du soleil il dit bah il va falloir que le soleil refroidissant est-ce qu'il est possible que l'espèce humaine quitte la planète Terre, et non seulement la planète Terre, mais le système solaire, change d'étoile, c'est toute une espèce de petite fable qu'il essaye de faire dans le sillage d'ailleurs de Patience dans l'Azur de Hubert Reeves que j'avais moi-même commenté dans ma thèse. Il dit qu'il reste un certain temps disponible, il va falloir partir, bouger, etc. Aujourd'hui, ce qu'on se dit c'est qu'il reste beaucoup moins de temps, mais de toute façon c'était un temps limité. Donc qualitativement, c'est le même problème. Quantitativement, ce n'est pas le même, parce qu'il reste beaucoup moins de temps. Alors, est-ce que là, on peut séparer quantité et qualité ? Évidemment, non. Mais ce que je veux dire par là, c'est que nous avons à réinventer une morale. Une morale qui passe par des textes dont je ne dirais pas que ce seraient des bases de cette morale. Moi j'aurais plutôt tendance à les critiquer. Par exemple, ce texte-là, c'est un ancien ami à moi, quand je dis ancien, c'est toujours mon ami, mais il est mort. Il s'appelle Roger Laporte, c'était un ami de Maurice Blanchot. Il avait écrit ce texte qui s'appelle « Tout doit s'effacer, tout s’effacera », c’est en fait une citation de Maurice Blanchot et où il est question de « l'effroyablement ancien », comme vous le voyez ici, et où Maurice Blanchot essaye de constituer, parce que Maurice Blanchot lui était à mon avis très imprégné de la question de l'entropie. Il en parle très peu, il en parle parfois. Maurice Blanchot contrairement à ce que beaucoup d'ânes croient, était cultivé scientifiquement tout comme Heidegger. Il s'intéressait beaucoup à la science et à la technique. Et ça se voit dans certains livres en particulier, dans L'entretien infini. Et donc il assigne à la littérature, ce qu'il appelle plutôt l'écriture, une... Je ne sais pas comment appeler ça. Est-ce que je pourrais appeler ça une fonction ? Non, Blanchot ne l'accepterait pas. Bon, un destin, peut-être. En tout cas, un lieu. L'écriture a lieu et a son lieu, dit-il. Et ce lieu, c'est ce lieu de tout doit s'effacer, tout s'effacera. Alors, il appelle ça l'exigence d'écrire. (…) l'exigence infinie de l'effacement qu'écrire a lieu et a son lieu : telle serait la loi, commente Roger Laporte, qui, contre toute attente, s'imposerait à l'écrivain ». Bon, est-ce qu'on doit revenir ? Je dois revenir, oui, je reviens sans arrêt à Maurice Blanchot. Ceux qui connaissent mes travaux savent que, pratiquement dans tous les livres, je reparle toujours de Blanchot. Est-ce que par ailleurs, il faut le reprendre comme cela ? Je n'en suis pas tout à fait sûr. Je veux dire par là qu'il ne s'agit pas de... Par exemple, il y a des gens que j'estime beaucoup grâce auxquels j’ai découvert la figure de Florian, ce sont ceux qui publient cette revue qui s'appelle l'Impansable avec un a, c'est grâce à eux, c'est à cause d'eux que j'ai écrit Qu'appelle-t-on panser ? avec un a. Ils sont derrière Blanchot et moi je ne me satisfais pas de ce qu'ils disent parce qu'ils sont dans une libido sciendi si je puis dire de l'époque anthropique où voilà on écrit mais moi ça ne m’intéresse pas d'écrire, moi ce qui m'intéresse c'est de m'occuper des mômes de la clinique contributive, j'écris pour ça, je n’écris pas pour écrire alors je ne dis pas d'ailleurs que Blanchot faisait ça parce que Blanchot comme vous le savez sans doute outre qu'il a eu un passé politique un peu sulfureux. Il a été membre des Croix de Feu etc. Ensuite il s'est engagé dans la guerre d'Algérie pour l'indépendance de l'Algérie, pour la protection du FLN etc. Donc contrairement à ce que beaucoup de gens croient, Blanchot était impliqué dans le monde politique. D'ailleurs il a manifesté en 68 etc. Mais ce que je veux dire en tout cas c'est qu'il nous faut apprendre à relire Blanchot dans un contexte qui ne peut pas se contenir dans un « blanchotisme » qui transformerait la libido sciendi en une exigence d'écrire, comme disait Blanchot et ça, ça suppose de revenir vers Hestia parce que je dirais que le Blanchot de l'exigence d'écrire si on le lit un peu superficiellement c'est un Hermès sans Hestia c'est un Hermès où il n'y a plus d'Hestia. Je pense qu'il faut une Hestia et qu’il nous faut revenir à cela en lisant d'ailleurs Blanchot en particulier ce texte qui s'appelle sur un changement d'époque où il est très proche de ces questions-là. Alors à quoi tout cela nous mènerait-il ? À ce que j'appelle une écologie de l'esprit qui est aussi une écologie des traces où il s'agirait d'apprendre à vivre et à mourir dans l'incertitude du délai et à garder confiance dans cette incertitude-là, à vivre dans l'incertain, dans l'indéterminé, au sens où on parle aussi à Ana Soto et Carlos Sonnenschein en biologie, et je dirais en gardant confiance comme dit la fée des lilas. Si vous avez du temps disponible, allez donc voir le film de Jacques Demy sur Peau d’âne. Peau d’âne est un texte très important à mon avis. Garder confiance ou la libido sciendi ne peut nous sauver que si elle ne se contente pas d'elle-même mais qu'elle commence par prendre soin d'elle-même. Elle ne se contente pas d'elle-même sinon elle devient une libido sciendi au sens de saint Augustin, c'est-à-dire qu'elle se coupe de ce... Alors ce que Augustin, lui, a appelé Dieu, ça ce n'est pas mon langage, moi j'appelle ça plutôt la clinique contributive par exemple, disons la biosphère, voilà. La biosphère qui est un tout, Dieu désigne un tout, toujours, voilà, c'est le tout. Bon ben disons, moi j'appelle ça la biosphère. Et évidemment pour pouvoir prendre soin de la biosphère, c'est-à-dire des autres, et donc de l'étranger, et donc aussi d’Hermès puisque Hermès c'est aussi l'étranger, c'est l'hôtellerie, c'est la circulation, etc. Il faut commencer par prendre soin de soi. Donc il faut apprendre à se soigner. Nous en parlerons bientôt d'ailleurs à la Clinique Contributive dans un séminaire qui sera consacré à la capacité d'être seul. C'est un texte de Donald Winnicott, mais on reparlera de tout ça à l'époque du confinement. Voilà, je n'en dis pas plus. Et il faut essayer de prendre soin de soi pour pouvoir soigner les autres et de prendre soin de soi en soignant les autres. C'est d'ailleurs une chose que dit aussi Saint-Augustin. Mais nous, nous lisons plutôt avec Winnicott et Bateson et puis pas mal d'autres d'ailleurs aussi. Là, il y a évidemment un certain nombre de questions. Tout ce que je suis en train de vous dire, c'est le programme de ce que nous appelons la recherche contributive. Il y a la question de la tentation d'une libido dominandi, ça c'est l'enjeu du livre 14 de La cité de Dieu, dont on ne se débarrasse jamais, on a toujours tendance à vouloir dominer, d'abord à vouloir se dominer, ce qui est une illusion, on ne se domine jamais vraiment, et surtout à vouloir dominer les autres, et il faut toujours savoir que de toute façon on n'y échappera jamais à cette tendance, ou à cette tentation, comme dit plutôt Augustin. Il faut savoir aussi que la libido sciendi c'est la curiosité. Le mot curieux est un mot curieux. Pourquoi ? Parce qu'il vient de cura, donc qui veut dire soin, Sorge en allemand. Et les incurieux ce sont ceux qui ne prennent pas soin. Et en même temps la curiosité c'est celle de Pandora. C'est-à-dire, c'est ce qui est, disons, ce qui déclenche tous les maux. On trouve d'ailleurs cette curiosité chez Ève aussi, mais ce n'est plus celle de Pandora, c'est le serpent. C'est le serpent qui vient tenter Ève. Alors, j'ai pris cette sculpture parce que bon, ça nous change les habituelles représentations du péché originel et je la trouve très intéressante cette sculpture, mais je ne vais pas commenter. Et ça conduit à Faust qui est un curieux, et derrière la curiosité de Faust qui est un scientifique mais aussi une sorte d'ingénieur, il y a le diable. Dans la mythologie de la Renaissance, de ce Faust que Goethe reprendra et si Goethe reprend cela, c'est quand ? C'est au moment même où les lumières sont en train de donner romantisme allemand et la révolution industrielle. C'est à dire ce qui va totalement transformer la science en faisant que ce qui était l’otium va devenir le negotium et que finalement vous trouvez du pognon pour faire de la recherche aujourd'hui, si on vous finance et si un labo vous donne raison, c'est que vous travaillez pour son business model, non pas pour la science. Et ça c'est ce qu'il faut changer. C'est ce qu'il faut changer, comment ? En travaillant au niveau de ce que nous appelons dans ce livre l'internation, auquel nous nous référons avec Michal Krzyikawski en particulier, en passant par évidemment Marcel Mauss, ça je l'ai souvent dit, mais également un débat qui a eu avec Einstein, on en a beaucoup parlé dans ce livre, Einstein qui proposait de créer une internationale de la science et nous pensons qu'il faut reprendre ce projet-là. Et d'une science intraitable, incorruptible et qui par contre ne refuse évidemment pas du tout de travailler avec le monde industriel et économique pour faire des vaccins, il faut des investissements etc. Mais qui par contre n'est jamais commandé ni par Xi Jinping ni par Bill Gates ou je ne sais qui, mais qui n'est pas commandé justement et qui s'auto-commande, qui se prescrit. Alors, j'aurais voulu vous parler du propre et de Locke. Je ne vais pas le faire. Je vais juste vous dire que voilà, dans un film que j'affectionne énormément et que vous avez sûrement vu qui est un film pour moi absolument génial qui s'appelle Un tramway nommé désir. À un moment donné il y a cette scène où Stanley voilà dit à Blanche ce n’est pas mon territoire. Stanley a un territoire, Stanley c'est une sorte de bête c'est une... il va violer cette femme il va la rendre folle c'est vraiment un type abominable et en même temps c'est un réaliste, c'est lui l'Amérique et elle, l'héritière de la maison à colonnades elle représente aussi Hollywood, le rêve et le délire. J'ai toujours considéré que ce film de Cazan, Elia Cazan, était un film tout à fait exceptionnel quant à la compréhension de ce que c'est que l'Amérique et de ce qui s'y joue. Si je vous disais cela, c'est parce que je voulais citer cette réplique de Stan, ce n’est pas mon territoire. Stan incarne la vulgarité, la brutalité et il a un territoire. Il dit ce dont tu parles là ce n’est pas mon territoire, je m'en fous. Nous sommes confrontés à ce discours du territoire qu'on trouve en Amérique aujourd'hui dans le Tea Party et les électeurs de Trump, mais en même temps nous devons penser le territoire. Nous devons repenser le territoire dans un état de choc qui est en train de venir à travers les Civic techs qui sont en train de produire quoi ? Ce que j'appelle un exorganisme complexe supérieur computationnel. Je dis ça en commentant un texte qui a été écrit par Jaron Lanier et Glen Weyl. Je ne sais pas qui est ce monsieur-là, mais Jaron Lanier je le connais. C'est quelqu'un qui est à l'origine d'une machine extrêmement importante qui est ce qu'on appelle la station Sun. C'est un des grands gourous de l'informatique théorique de la Silicon Valley, mais c'est quelqu'un qu'il faut toujours prendre assez au sérieux. Et donc il dit que les Civic techs sont en train de permettre, en se référant à Taïwan, de permettre de faire face à la pandémie, mais derrière tout ça il y a beaucoup plus que cela. Et pour moi il y a un immense danger et une immense vraie question qui est que la stratégie du choc ça va être de nous faire passer dans un exorganisme complexe supéeur planétaire et entièrement computationnel avec deux modèles, le modèle de la Silicon Valley et le modèle de Xi JinpingVoir Les nouveaux serfs de l’économie Yanis Varoufakis Les Liens qui Libèrent Trad. Française 2024↩︎. Il est absolument urgent de prendre ces questions très au sérieux et de sortir de cet infernal alternatif qui revient au même. Voilà, et ça, ça suppose de faire de l'informatique théorique. Je vais m'arrêter là, je n’avais pas tout à fait fini, mais ça fait deux heures que je parle, donc je m'arrête et je suis à votre disposition si vous désirez prendre la parole et je vais quitter le partage d'écran voilà la parole est à vous.

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