Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2020

Séance 5 : La différance territoriale

Séance 5 : La différance territoriale

Exorganologie III Remondialisation, Localités et modernité

Bernard Stiegler

Bernard Stiegler, « Séance 5 : La différance territoriale », dans Michel Blanchut, Victor Chaix (dir.), Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2020 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2020/seance5.html.
version 0, 20/12/2025
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Nous allons commencer. Il est 18 heures. Bonjour. Dans cette séance, je vais commencer à approfondir ce que j'ai appelé la semaine passée la différance territoriale, différance avec un a comme d’habitude. Et donc je poursuis un peu la discussion avec Sarah Baranzoni et Paolo Vignola sur la question du rythme, de la territorialité et de la performativité. Ça va être la première séance où on va véritablement commencer à entrer un petit peu dans la pensée de Watsuji Tetsuro. Mais en même temps, on ne va pas vraiment y entrer complètement puisqu'on va y entrer à travers la préface qu'on a donnée Augustin Bercque qu'on a dû vous envoyer dans la liste, je crois, que Giacomo vous l'a envoyé sur la liste Pharmakon. Pour ceux qui sont sur la liste Pharmakon, s'il y a des gens dans la salle qui ne sont pas sur la liste Pharmakon qui veulent y être. Morton, Nissen, par exemple, que nous accueillons, bonsoir. Voilà. Vous êtes sur la liste de... ? Non, vous n'êtes pas sur la liste. Voilà, donc on va... Il faudra mettre Morton sur la liste. Euh... Voilà, donc on va vraiment commencer à lire un petit peu Watsuji. Je vous redis que le but de lire Watsuji, en fait, c'est surtout de lire Augustin Bercque, voilà, et d'essayer de dialoguer avec la pensée d'Augustin Bercque, ce qu'on n'arrivera pas à faire vraiment, puisqu’il ne reste presque pas de séance, donc c'est juste une ouverture en réalité, une ouverture pour une discussion. Alors je vais redire une chose que j’ai dite pratiquement à chaque début de séance de ce séminaire : il n'y a pas d'exorganisme simple sans exorganisme complexe. C'est une façon de redire dans le langage que j'ai essayé de fabriquer en m'appropriant la terminologie, en m'appropriant et en produisant surtout de la terminologie à partir de la terminologie d'Alfred Lotka, j'essaye de dire autrement ce que dit Simondon lorsqu'il dit qu'il n'y a pas d'individuation psychique, sans individuation collective. Alors, c'est un équivalent, mais ce n’est néanmoins pas la même chose, sinon ça ne serait pas la peine de changer de terminologie. Je pense que les exorganismes complexes, tels que je les définis en tout cas, Simondon ne les thématise pas vraiment. Il tourne un peu autour, mais à ma connaissance en tout cas, il ne les a jamais thématisés. Je rappelle aussi que dire qu'il n'y a pas d'exorganisme simple sans exorganisme complexe, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'être humain sans société, si vous préférez. C'est une manière de le dire comme ça, c’est aussi ce que disent Karl Marx au 19ème siècle, bien sûr, et après lui, Émile Durkheim, et avant eux, bien d'autres, Thomas Hobbes, dont on a un peu parlé ici il y a deux ans, Jean-Jacques Rousseau, dont on n'a encore jamais parlé dans ce séminaire, John Locke, dont je vous parlerai l'année prochaine, qui, en réfléchissant sur ces questions, essaye de légitimer la propriété, par ailleurs. Tout ça renvoyant à la division du travail, d'une manière ou d'une autre. Hobbes décrit le Léviathan comme organisé par la division du travail, même s'il ne le thématise pas comme tel, c'est bien ce qui se passe. La division du travail constituant aussi la constitution de ce que j'appelle les exorganismes complexes inférieurs. Les boulangeries, les cordonneries, les universités, qui sont des exorganismes complexes inférieurs dans un exorganisme complexe supérieur. Tout ça c'est de la division du travail en fait. Les universités de sciences par exemple, les universités de lettres, se divisent le travail pour spécialiser des exorganismes simples qu'on appelle des étudiants ou qu'on appelle des apprentis boulangers etc. et tout ça comme le dit Durkheim dans ce texte c'est la condition de ce qu'il appelle la solidarité organique. Solidarité organique qui est extrêmement menacée. Quelqu'un vient de me demander si j'avais vu Les Misérables, que je n'ai toujours pas vu, mais je pense que ça fait partie du sujet. C'est ce que Durkheim lui-même appelait la question de l'anomie. Nous sommes en plein dans l'anomie aujourd'hui. À l'époque de Durkheim, Durkheim disait que tout cela va produire de l'anomie. Aujourd'hui, on est en plein dans l'anomie c’est-à-dire l’absence de nomos. Alors il y a des sociétés dans lesquelles ce qui est thématisé ce n'est pas la division du travail, qu'elle soit industrielle, artisanale ou autre, c'est plutôt les esprits, les esprits de la Terre ancestrale qui organisent, ce sont plutôt les esprits de la Terre ancestrale qui organisent le nomos, la solidarité organique. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de division du travail dans ces sociétés-là, mais cette division du travail est totalement secondaire par rapport à des divisions qui sont liées à ce que j'appelle là les esprits, pour aller très vite. Il y a aussi ce qui va constituer une solidarité organique de ceux qui ont entendu Moïse, qui lui-même a entendu Dieu lui parler, etc. Qui est Moïse ? Alors je ne vais peut-être pas parler de Moïse, mais de ceux qui l'entendent. Ce sont des nomades. Ce sont des nomades, voilà, esclavagisés en Égypte. Ce que je veux dire, c'est que la question de l'esclavage, elle est ancienne. Elle ne date pas du XVIe siècle. C'est une vieille question, et qu'il faudra en faire une histoire précise de cette question de l'esclavage. En tout cas le monothéisme mosaïque ou le judaïsme, si on préfère, il est fondamentalement lié à l'esclavage, à l'esclavage, aux tribus et au dépassement de ces tribus, au dépassement de la multiplicité des esprits pour arriver à ce que les chrétiens appelleront l'esprit, ce que les juifs appellent le souffle. Les chrétiens, eux, justement, qui appelleront ça l'esprit, l'esprit saint, eh bien, ils transforment la question de la solidarité organique de la division du travail en une question de l'agapè, c'est-à-dire de l'amour. Et c'est comme ça que par exemple une carmélite, nous nous appelons les carmélites des carmélites, mais elles, elles s'appellent aussi les « amatrices de Jésus-Christ ». Et si elles s'appellent comme ça, c'est parce qu'elles sont mariées à Jésus Christ. En tout cas, c'est une rhétorique, voilà, qu'on trouve dans l'ordre des Carmélites, qui est assez impressionnante. Après cette forme de communauté chrétienne qui succède à la communauté mosaïque, qui succède à d'autres formes de communautés, etc. Je ne vous ai pas parlé du Pharaon, des empires, parce qu'en fait, on pourrait en parler pendant des semaines de toutes ces formes. Je survole à toute vitesse une immense complexité, va émerger au XVIIIe siècle, après la constitution de la République des Lettres, à la fin du XVIe siècle, la communauté émancipée de l'esprit des Lumières, de l’ Aufklärung. Communauté émancipée dont nous tous ici présents, je crois, plus ou moins nous nous réclamons. Plus ou moins. Même si nous pouvons dire avec un certain nombre de nos contemporains, puisqu’en ce moment ça se dit pas mal, voilà, l'esprit des Lumières c'est peut-être... c'est peut-être définitivement entré dans le passé, il y a des gens qui disent ça, c'est dangereux de dire ça d'ailleurs, mais en tout cas, même si on est amené à dire ça, de toute façon on vient de ça. Je pense qu'on est tous convaincus que nous avons tous en partage un passage dans l'esprit de l'émancipation des Lumières, qui va conduire à une autre conception de l'unité, qui est l'unité du prolétariat. Donc de Moïse qui dit « unissez-vous derrière celui dont on ne doit pas prononcer le nom ou sous l'autorité ou dans l'entente de la voix de ce que je vous dis moi, qui vous restitue ce que j'ai entendu, de la voix de Dieu, dont je ne donne pas de nom. Nous passons, et ça c'est une communauté unifiée par l'Un, c'est ça que je veux dire, ce n’est pas la multiplicité des esprits, ce n’est pas la multiplicité des tribus, c'est l'Un, c'est l'unification, qui commence donc, disons, 7e, 8e siècle avant Jésus-Christ, en Judée. Il y a d'autres formes ailleurs, en Asie, en Extrême-Orient. Mais je ne vous en parlerai pas, je ne connais pas. Par contre, on en a un tout petit peu parlé, vous vous en souvenez, avec Ishida Hidetaka, puisque les deux premières séances étaient consacrées quand même aux origines bouddhistes de Nishida dont je reparlerai un tout petit peu, pas cette semaine mais la prochaine séance et Bouddha, c'est une forme aussi de l'unification. C'est très important. Il n'y a pas qu’en Occident qu'il y a ce processus d'unification du multiple ou de la diversité, de la multiplicité. Donc au 19e siècle, à la fin du 19e siècle, voilà, les prolétaires de tous les pays s'unissent. En tout cas, il y a un programme de ce type-là qui est censé, disons, remettre la dialectique à l'endroit, la dialectique idéaliste de Hegel qui voulait tout unifier sous l'esprit réalisé sous la forme du savoir absolu, eh bien, cette Association internationale des travailleurs, fondée en 1864 à Londres, avec la collaboration de Karl Marx et de Friedrich Engels, elle substitue une unification du prolétariat. Et elle pose que le prolétariat va s'unir, et comme vous le savez, puisqu'on en a parlé depuis deux ans ici, Marcel Mauss va poser en 1920, quand la Société des Nations va se créer, va dire aux prolétaires unis derrière cette fois-ci les bolchéviques de 1917, puisque là on n'est plus à cette époque-là, on est en 1917, et bien Mauss va leur dire, attention, pourquoi pas le prolétariat uni le monde entier, mais il y aura toujours une question des nationalités qui va se poser au sein de la SDN. Il ne faut pas rejeter la SDN sous prétexte qu'elle parle aux nations et sous prétexte qu'on pourrait aller à l'internationalisation de la lutte des prolétaires. De toute façon, il ne faut pas effacer ce niveau de la localité. Aujourd'hui, le discours du marxisme, disons pour le dire rapidement, est en crise, en totale crise. Le discours des Lumières est aussi en crise. Tout est en crise en fait. Tous les discours sont en crise, absolument tous. De près ou de loin. Moi-même j'ai posé la question au début de ce séminaire lorsque Gilbert Simondon dit : il n'y a pas d'individu psychique sans individuation collective, ce que j’avais traduit à l'instant par il n'y a pas d'exorganismes simples sans exorganismes complexes, la question est où est l'individuation collective ? Et donc vous avez compris, ma réponse elle est très claire, ce sont les exorganismes complexes qui constituent l'individuation collective. Mais il y a une multiplicité d'exorganismes complexes. Par exemple, la maison Suger est un exorganisme complexe. Le séminaire que j'y fais est un exorganisme complexe dans la maison Suger etc. Je ne vais pas développer. Et la question que je pose c'est où est le collectif ? Entre nous là, par exemple, où est le collectif ? Alors, cette question sur laquelle je vais revenir, je répète des choses, et je fais toujours ça, je répète des choses que j'avais déjà dites mais en essayant de les relire un petit peu différemment de la fois précédente. Cette question, où est le collectif ? Où est l'individuation collective ? Où est, comment s'individue-t-elle ? Je vous rappelle que in-dividuer, c'est produire de l'un avec du multiple, in-dividué ça vient de indivision donc c'est l'un, l'individu, ça c'est extrêmement important donc la question de l'un elle est de toute façon là chez Simondon, d'emblée, c'est lui qui la pose et la question du multiple aussi c'est à dire que Simondon c'est une façon de penser qui ne met plus en opposition l'un et le multiple, c'est l'un se multiplie et le multiple s'unifie et ça sont des grandes questions de biologie Maël n'est pas là aujourd'hui il est malade mais il est en ligne mais voilà le vivant c'est d'emblée la question de l'un et du multiple. Alors, je disais à l'instant, où est le collectif ? C'est en rapport avec une autre question que j'ai posée il y a longtemps, qui est la question où sont les eidè ? eidè c'est le pluriel de eidos. Vous vous souvenez que dans Ménon, Socrate dit à Ménon il y a une idée de la vertu, une eidos de l’arété, de la vertu, et vous vous souvenez que Ménon l'envoie promener en lui disant tu te fous de moi tu me parles d'un truc que tu fais semblant de chercher parce que si tu ne connaissais pas déjà tu ne le chercherais pas parce que si tu le cherches et que tu ne le connais pas déjà de toute façon tu ne le trouveras jamais parce que pour pouvoir le trouver, il faut que tu puisses le reconnaître. Donc il faut que tu le connaisses déjà. Donc tu te moques de moi. Vous vous souvenez de ça ? C'est la fameuse aporie de Ménon, qui pour moi est le vrai début de la métaphysique, de ce qui va devenir chez Emmanuel Kant le transcendantal. J'avais essayé de montrer, dans... La technique et le temps, je crois que c'est le deuxième tome La technique et le temps tome 2 page 222-223 ( page 523 Nouvelle édition Fayard)↩︎, j'avais essayé de montrer que Platon va trahir la question, ou plutôt la réponse de Socrate. Platon dans la République, donc vers 380 avant Jésus-Christ, 19 ans après la mort de Socrate, va dire voilà les Idées sont dans le chorismos, sont au-delà, sont séparées de nous dans une sphère que plus tard Aristote appellera la sphère des fixes. Elles sont séparées de nous et ce sont des idéalités existantes. Et ça, on appelle ça le réalisme des idées, qui est la base de l'idéalisme platonicien. Moi ce que j'ai essayé de soutenir ici, c'est que les idées, les eidè, idea, c'est une reformulation de ce qui est au départ eidos. Les eidè, c'est le pluriel d'eidos, c'est la question qui se repose avec Husserl, puisque les Recherches logiques, la première recherche logique de Husserl, c'est ce que Husserl lui-même appelle une eidétique. Il dit je reprends la question qui était posée par Socrate et Platon et il essaye de constituer une eidétique par rapport à laquelle moi-même, alors cette fois-ci je vous parle plus de ni de Husserl, ni de Platon, ni même de Socrate, encore que je vais essayer de vous convaincre que c'est un petit peu ce que dit Socrate en réalité selon moi. Moi-même je dis les eidè sont dans les rétentions tertiaires telles qu'elles constituent en s'accumulant ce que j'appelle la nécromasse noétique et ces rétentions tertiaires elles constituent les squelettes ou les fossiles sur lesquels se basent les exorganismes complexes inférieurs et supérieurs. Dans ce bâtiment par exemple dans lequel nous sommes il y a Pythagore, il y a Archimède. S'il n'y avait pas Pythagore et Archimède, on ne pourrait pas construire des bâtiments comme ça. C'est extrêmement important. Et donc, le monde dans lequel nous vivons, bien avant d'aller à l'école, nous vivons dans un monde qui est configuré par Pythagore, Archimède, Descartes, Husserl même, on ne sait pas qui est Pythagore, ni qui est Archimède, mais on est dans un monde husserlien, un monde hanté par Husserl, un monde hanté par Descartes, un monde hanté par Archimède, etc. Et hanté en un sens très concret, c'est que nous, nous travaillons en ce moment à l’IRI avec des architectes sur des technologies d'ailleurs de construction et qu’est-ce qu’il y a dans ces technologie de construction ? il y a des théorèmes, il y a des algorithmes, il y a des lois, il y a des principes et qui viennent tous de ce savoir dont je suis en train de vous parler que j'appelle la nécromasse noétiques. Et ce que je dis c'est que les eidè ne sont pas dans le ciel de Platon, ne sont pas dans un non-monde de Husserl, puisque Husserl est toujours en train... Husserl qui va quand même finir par dire mais c'est le marbre poli, c'est l'écriture, etc. Ce n’est pas moi qui dis ça, c'est Husserl en fait, L'origine de la géométrie, 1936, conférence, qui n'est pas un livre, voilà, qu'a prononcé Husserl et qui a été la fortune du jeune Jacques Derrida qui avait commencé par dire, je l’avais déjà dit, qu’Husserl était devenu fou. En 1953, il a dit il est devenu complètement dingue, et en 1958, il a dit, non, c'est moi qui suis un imbécile, je n’ai pas compris en fait ce qui se passe. Mais c'est une révolution totale de la phénoménologie. Alors, moi j'essaye de reprendre ça, et de reprendre ça. C’est-à-dire que j’essaye de montrer que ce que vous voyez là ce sont deux divinités grecques elle s'appelle Perséphone lui s'appelle Hadès elle a été enlevée par Hadès qui l'a violée et qui l'a emmené sous terre dans le souterrain dans l'humus et c'est elle qui va suite à un compromis entre Hadès qui est là et Déméter qui est la mère de Perséphone, compromis qui va être arbitré comme toujours par Zeus, c'est à partir de là Perséphone qui va décider ceux dont la mémoire revient de l'Hadès ou pas. C'est elle qui fait ce qu'on appelle les héros en Grèce ancienne. On les appelle aussi les demi-dieux. C'est ceux qui ne sont pas des dieux, qui ne sont pas des immortels, mais comme les immortels, on ne les oublie pas. Et j'ai toujours dit, moi, que Socrate était un tel héros et c’est ce qu’il dit lui-même à la fin de l’Apologie de Socrate. C’est sa dernière parole, il dit : je vais boire la ciguë mais vous n’êtes pas près de m’oublier. Donc je m’en fous complètement de boire la cigüe. IL dit exactement : demain je serai au banquet avec Homère et Orphée. c'est ça qu'il dit, ça veut dire je serai dans l’Hadès rappelé par Perséphone et vous ne m’oublierez jamais, je vais vous hanter, pas simplement comme le taon de la cité, comme il disait quand il était vivant, mais comme le fantôme, l'esprit de la philosophie. L'esprit, non pas immortel, mais incessant, comme dit Maurice Blanchot. Nécessaire, si vous préférez, de la philosophie. C'est la nécessité de l'humus, de la nécromasse noétique. Alors, ça c'est ce que Platon va détruire, systématiquement, et en particulier en transformant l'eidétique qui affecte Socrate, Ménon et Husserl en une théorie des Idées qui s'appelle le Réalisme des idées qui sera formulée dans le livre 7 de La république. Je ne vais pas vous en parler de tout ça parce que ce sont des choses, ce sont des rappels en réalité, c'est des choses dont j'ai beaucoup parlé dans des cours, dans des séminaires antérieurs qui sont tous en ligne donc si vous avez envie d'en savoir plus vous pouvez aller les voir. Par contre je voudrais dire un truc c'est que la nécromasse noétique c'est l'inconscient. Et que, alors l'inconscient c'est pas du tout l'inconscient collectif de Jung dont je suis en train de parler même si je pense qu'il faut lire Jung qui est beaucoup plus important qu'on ne le croit et qui est l'origine de la pensée de Gaston Bachelard et de Gilbert Simondon. Mais par contre je ne suis pas en train de m'aligner sur Jung. Je suis en train de dire par contre qu'il faut reprendre la question de l'individuation de Jung et la question de l'inconscient en passant par ce qu'il appelle les archétypes etc. qui sont très discutables mais qui en même temps parlent de ce que j'appelle le nécromasse noétique. Donc il faut revenir vers Jung.

Vous ayant dit tout cela, c'était juste pour resituer ce dont je parle depuis ce qu'on appelle l'histoire de la métaphysique, le début de l'histoire de la métaphysique. Je vais maintenant nous emmener ce soir vers cette dernière page, enfin pas la dernière mais une des dernières de Jacques Derrida, du livre qui s'appelle Chora, dont Giacomo vous a envoyé des copies. On n'a pas scanné l'ensemble du livre parce que c'est interdit et qu'il ne faut pas tuer les éditeurs. Donc si vous pouvez l'acheter, achetez-le. Il est très cher, donc si vous ne pouvez pas l'acheter, volez-le comme on disait autrefois, j'ai pris ça au pied de la lettre, moi, à une époque, quand j'étais jeune. Je vous rappellerai juste que Maspero a fait faillite à cause des mecs comme moi qui allaient piquer des livres chez Maspero. Donc j'ai changé d'avis depuis. Et maintenant je dis lisez Socrate qui dit qu'il faut respecter la loi. On peut la combattre, on peut combattre tous ceux qui vous imposent une loi qu'on trouve inique, mais on doit la respecter. Il faut être légaliste. Et je suis moi dans cette position et je le dis d'ailleurs à mon ami Victor qui fait partie de l'Extinction-rébellion donc je pense que c'est très important ce point-là. Ce qui n'empêche qu'il y a des situations dans lesquelles la loi est devenue illégitime alors là c'est différent. Mais on n'en est pas encore tout à fait là, on n'en est pas très loin à vrai dire, mais malheureusement mais, en tout cas en France, on n'en est pas encore tout à fait là, même si on n'en est pas très loin. Donc ce soir on va parler de Chora. Alors qu'est-ce que dit ici Derrida ? Alors il faut savoir que Chora c'est une conférence en fait que Jacques Derrida a faite en l'honneur de Jean-Pierre Vernant. C'est très important. C'est ce qu'on appelle un recueil d'hommages. C'est une vieille tradition française. C'est hommage à ou comment ça s'appelle ça a un autre nom. Bon, ça a un nom plus ancien, je ne me retrouve pas, peu importe. En tout cas, il y a un moment où la communauté académique salue un grand personnage. Ce grand personnage, là, c'est Jean-Pierre Vernant, auquel d'ailleurs Derrida doit beaucoup, à mon avis. Et Derrida a décidé de s'adresser à Vernant, d'adresser à Vernant une analyse dérapant entre muthos et logos à travers la Chora qui n'est pas un mythe et qui est pourtant comme un mythe comme le dit Platon lui-même dans Timée. Et là, la page que je vous montre, c'est quasiment la fin de la conférence. Qu'est-ce que dit Derrida ? Il dit qu'il est en train de lire la question du Timée ce livre étant le dernier livre de Platon. C'est très important évidemment de savoir ça. C'est là où, selon moi, Platon se rattrape à la branche. Ultimement, il redevient un grand penseur. Parce que j'aime pas du tout le Platon de la République et tout ça. Mais Timée, ça redevient une très grande pensée, selon moi. En tout cas, du Timée, où il est question de Chora, Hegel va dire, et pas simplement du Timée, mais de Platon en général, qui convoque sans arrêt les mythes, le mythe de Perséphone, le mythe de Prométhée, sans arrêt Platon en appelle à la mythologie ; Hegel va dire c’est parce qu’il n’est pas capable d’abstraire c’est-à-dire de vraiment penser encore complètement philosophiquement, et c'est moi qui vais réaliser cette capacité qui s'appelle le savoir absolu. Alors Derrida récuse complètement ça, enfin pas complètement, Derrida est un grand admirateur de Hegel, à juste raison d'ailleurs, moi aussi, et il n'est jamais dans la récusation de Hegel, pur et simple. Mais moi je ne vais pas récuser Hegel, je vais récuser Platon lui-même. Je veux dire par là que Hegel, en fait, il ne fait que poursuivre Platon, en disant ça. Il croit critiquer Platon, en fait il ne fait qu’accentuer, à mon avis, le déraillage Platon. Pourquoi ? pour moi les mythes ne sont pas du tout chez Platon des illustrations pour essayer de faire comprendre par des images là où on n'arrive pas encore à produire de vrais concepts intuitivement des enjeux qui seront plus tard par exemple pensés théoriquement et conceptuellement par exemple par le travail du concept hegelien, ça c'est ce que dit Hegel. Mais c'est aussi ce que d'une certaine manière Platon rend possible, enfin... parce qu'il change de discours en plus sur les mythes Platon. Pour moi le mythe, je ne parle pas simplement chez Platon, mais dans toute la pensée grecque, c'est la pensée tragique. C'est à dire c'est la pensée qui sait que de toute façon le concept ne suffira jamais. Pourquoi ? Parce que le concept est un pharmakon lui-même et que donc il peut toujours se retourner, s'infecter de pansement devenir maladie et que à partir de là il y a quelque chose d'autre qui est sur un autre plan qui est requis et qui est la Chora dans Timée. Alors je ne vais pas vous parler de Chora maintenant, je suis juste en train de vous dire qu'on va vers ça. Alors quel est le rapport avec Watsuji et avec Augustin Berque ? Vous verrez qu'avec Augustin Berque le rapport est extrêmement important parce qu'Augustin Berque il prétend retraduire Chora contre Derrida. Et par ailleurs, Nishida, qu'on a lu avec Hishida, Nishida Kitaro, il dit à un moment donné ce qu'il appelle le lieu c'est ce que Platon appelle la Chora donc vous voyez que toutes ces questions sont extrêmement intimement liées les unes aux autres et donc j'espère que vous comprenez pourquoi nous allons passer par Derrida. Par ailleurs mes spirales que je vous évite là, je vous les épargne pour une fois, c'est une façon de tenter de penser la Chora. Qui n’est ni dedans, ni dehors, ni ceci, ni cela, etc. Et bon, on en reparlera peut-être dans quelques années dans ce séminaire. Alors, ayant dit cela, c'était la première partie de mon introduction au séminaire aujourd'hui. Je vous redis qu'en ce moment ce séminaire se passe rue Suger, au numéro je ne sais plus combien dans la maison Suger, mais en même temps sur cette exosphère là, ce truc que Heidegger appelle le Gestell. Ça se passe là-dessus et ça se passe là-dessus c'est à dire là. Il y a par exemple des gens qui sont là. C'est Paolo et Sarah, je sais que Paolo est là parce que je l'ai vu tout à l'heure. Je crois que Sarah a un cours à heure. Ah non parce qu'on est mercredi. D'ailleurs, nous nous voulons aller là bientôt. Ça ce sont les îles Galapagos. Je ne vous en dis pas plus. Mais on voudrait aller là bientôt. Parce que les îles Galapagos puis Guayaquil qui est en face. On voudrait les relier avec la Corse qui est là. Avec la Croatie qui est là, avec la Croatie qui est là et avec une irlandaise qui est là. Et dans les gens qui sont connectés, il y en a un certain nombre qui sont sur ces territoires-là. Pourquoi ? Parce que nous voulons créer un archipel, nouvelle façon, qu'on panse avec des concepts du XXIe siècle. C'est ce que j'ai appelé panser par soi-même. L'année dernière, panser avec un a, panser par soi-même. Aujourd'hui, nous devons panser le planisphère depuis l'exosphère et en essayant de comprendre comment cette exosphère pourrait nous permettre de réarticuler l'idiome, la multiplicité et la territorialité pour réinventer une localité. Sachant que dans tout ça, ce que nous essayons de panser ce sont des lieux et sachant que des lieux ce ne sont pas des espaces. L'espace c'est une notion cartésienne, le lieu ce n’est pas une notion cartésienne, c'est une notion aristotélicienne par exemple, ou whiteheadienne, nous essayons de penser des lieux qui sont toujours déjà à la fois de l'espace et du temps. Ce qui veut dire pour moi que ce sont toujours déjà des rétentions tertiaires. Et ces rétentions tertiaires sont toujours déjà à la fois territorialisées, exosomatisées, idiomatisées, etc. selon des modalités absolument infiniment variables. Ces modalités constituant la diversalité, ce que j'ai appelé la diversalité dans la biosphère. La biosphère, alors ça ce n’est pas la biosphère, c'est le planisphère. Je n’ai pas de photos de biosphère, mais la biosphère vous savez ce que c'est maintenant ? C'est la pellicule d'environ 30 km d'épaisseur qui est entre la lithosphère et la stratosphère. C'est là où les oiseaux peuvent monter le plus haut et on trouve encore des traces d'animalité. Et puis c'est là où descend l'humus jusqu'au fond de la lithosphère où vous avez des aérobies et des anaérobies qui peuvent descendre très profondément, qui sont des micro-organismes qui sont fondamentaux, qui transforment la nécrosphère en nourriture pour la biosphère. Et comme les vers de terre assistent la nourriture des brins d'herbe qui permettent de nourrir les vaches que nous mangeons, par exemple, Greta Thunberg nous dit qu'il faut arrêter de manger des vaches, les hindouistes aussi disent ça depuis longtemps, je soutiens, moi, que les rats de bibliothèque qu'il y a à la Sorbonne sont des espèces de vers de terre qui me permettent de travailler. Et quand je dis ça c'est avec le plus grand respect pour les vers de terre. Par ailleurs je déterre parfois pour attraper des poissons avec mon fils Augustin qui est un grand pêcheur au lancé. Donc de temps en temps les vers de terre on peut s'en servir pour attraper des cendres ou je ne sais pas quoi je dis cela parce que on peut aussi déterrer les rats de bibliothèque pour leur faire faire autre chose. Bon excusez-moi ces petites élucubrations allégoriques, j'ai mes idées sur le sens de ces allégories mais je vous laisse avoir les vôtres. Ce planisphère que vous voyez là, qu'est-ce qu'il a fait ? Il a aplani l'extrême diversité de la biosphère animale, végétale mais aussi humaine en réduisant la très grande diversité des organisations sociales. Aujourd'hui, pratiquement toutes ces organisations sociales, même au cœur de l'Amazonie, sont branchées sur Internet, ont des groupes électrogènes, etc. Et se sont calées sur quoi ? D'abord sur le calendrier qui n'est plus chrétien, ni juif, ni musulman, ni rien du tout. C'est le calendrier des ordinateurs. C'est-à-dire, c'est le battement mondial des horloges qui en l'occurrence est basé sur le calendrier chrétien. Ce qui est quand même en soi un fait qui mériterait beaucoup de réflexion. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que la localité occidentale qui au départ est cette toute petite partie du monde, vraiment microscopique, enfin c'est comme l'appelait Paul Valéry « le petit cap européen », est en fait une partie de l'Asie, puisque Valéry disait voilà c'est une partie de l'Asie en fait l'Europe, est devenue tout ça. Tout ça en intégrant... Tout est intégré, quasiment tout, avec quand même un truc qui fait que la Chine est peut-être en train de jouer une partition, comme on dit, nouvelle, et qui va faire que peut-être tout ça va changer dans les 20 ans qui viennent. Je ne dis pas peut-être, c'est certain. C'est certain, les routes de la soie, ce n’est pas de la plaisanterie, etc. Bon, la Chine a des problèmes avec un virus, mais en tout cas, vous pouvez être sûr que le repartitionnement du monde est engagé et que c'est la Chine qui va le piloter. Alors, cette extension mondiale d'une localité qui était l'Europe occidentale et qui, à travers la chrétienté, puisque c'est comme ça que ça s'est fait, c'est répandu partout, en apportant donc la libération de l'amour de Jésus-Christ pour les missionnaires ou bien pour les révolutionnaires, par exemple, de 89, l'émancipation au nom des Lumières, etc. C'est ce qu'on appelle l'universel. Ce qu'Aristote appelle le Katholou. Et cet universel, qu'est-ce qu'il a fait ? Il a transformé la localité occidentale en la seule localité légitime. Et si on lit, tout à coup je fais un retour en arrière par rapport à une discussion de la semaine dernière et de la semaine d'avant, Les deux sources de la morale et de la religion, on peut tout à coup se dire, tiens, je suis bergsonien, j'admire Bergson, tout ça, mais quand même, quand on lit là où Bergson décrit ce qu'il appelle la religion ouverte, la société ouverte, on se dit mais c'est drôlement chrétien ce truc-là. Je dis cela parce que ce n'est pas du tout pour faire un reproche à Bergson dans quoi que ce soit, il a son parcours. Je dis cela pour simplement souligner que même des penseurs aussi extraordinairement outillés et vigilants que Henri Bergson, quand on les lit sur ces sujets-là, il faut faire très attention de s'assurer qu'ils ne reproduisent pas finalement des schèmes qui sont peut-être un peu problématique. N'est-il pas un peu problématique de dire par exemple que, voilà, je ne sais pas, il ne dit pas ça Bergson, mais on peut être tenté de penser que quand il parle de société fermée il parle de la société tribale, qui ne serait pas ouverte. Quand on est anthropologue et qu’on a vécu dans une société tribale, je pense que les anthropologues n'acceptent pas ce discours. Heureusement. Je ne dis pas du tout ça pour combattre Bergson. En aucun cas, je suis en train de devenir de plus en plus bergsonien. Je dis ça simplement pour dire que si on emploie le mot société ouverte, impérativement, il faut s'appuyer sur les sciences, sur la physique, sur la chimie, sur la biologie. Ce sont des concepts qui existent, les systèmes ouverts ça existe, et il est impératif de s'appuyer là-dessus. Et si on veut le faire en posant les problèmes comme j'essaye de le faire ici, on n'est pas obligé, mais si on veut le faire comme j'essaye de les poser il faut impérativement passer par Lotka et l'exosomatisation. Pourquoi ? Parce qu'à ce moment-là on va être capable de dire à Bergson, comme Leroi-Gourhan l'avait dit aux archéologue allemands qui légitimaient le nazisme pour fonder la supériorité des aryens – si vous lisez le premier livre d’André Leroi-Gourhan, il écrit contre les archéologues aryens, enfin aryens, les archéologues nazis qui défendent la théorie de la supériorité des Aryens en répondant, mais pas du tout, la force des Aryens c'est d'être dans la plus grande plaine du monde, là où l'accumulation d'humus est la plus importante, là où il y a des fleuves qui l'irriguent tout le temps, et où donc il n'y a pas de sécheresse, pas de désert, pas de ceci, pas de cela, donc il y a une capacité à produire de l'excédent absolument colossale. Il n'y a pas de cyclone, il n'y a pas ce qui se passe dans le monde tropical, dans le monde équatorial, sous l'équateur, etc. Et donc à partir de là, ce n'est pas du tout le génie des Aryens, c'est la situation géographique ultra privilégiée des Européens. Et des Indiens, puisque là on parle de cette bande de terre qui va de, pratiquement, de Brest jusqu'à Delhi, et même un peu plus loin, c'est ça qui est à l'origine de tout cela. Et ça c'est une approche rationnelle, c'est une critique rationnelle du racisme nazi, qui apporte de vraies réponses et qui dit : sur cette base de l'humus, de cette plaine européenne, vont se développer des techniques agricoles qui vont se donner la charrue, les forges, tout ça, et ça va donner une avance technologique. Et c'est pour ça que les Allemands, par exemple, ou les Français ou les Anglais vont par exemple dominer l'Amérique, vont dominer les Indiens, vont dominer ceci, vont dominer cela. Voilà, donc si je suis tellement insistant sur ces questions qui rapportent à ce que j'ai appelé l'autre fois dans la discussion avec Paolo à l'organologie, c'est parce que les enjeux sont ceux-là. Les enjeux c'est de ne pas sombrer dans des naïvetés qui nous amèneraient finalement à substantialiser des formes d'ouverture qui sont pas du tout substantielles, qui sont simplement des conjonctions dynamiques, voilà, liées à des agencements territorialisés, voilà, qui vont générer de la puissance et de la supériorité, y compris de la supériorité historique. Y a aucun doute que l'Europe a une supériorité historique sur le reste du monde au XVIe, au XVIIe siècle, n’y a pas de doute, c'est un fait. Je ne dis pas que c'est un droit, mais c'est un fait. Il y a une supériorité, comme la Chine a eu une supériorité avant, elle est en train de la reconquérir en ce moment, il y a des événements de supériorité. Après, comment on passe d'une supériorité de fait à une supériorité de droit, ça c’est ce que dit Bergson, en maintenant le système ouvert et donc en ne dogmatisant jamais cette supériorité, mais en montrant qu'elle est toujours en dehors du système, parce que c'est ça les systèmes ouverts, ils se nourrissent de leur dehors, donc c'est toujours l'autre la supériorité. Et à ce moment-là, on est protégés un petit peu de la tentation d'hégémonie. Et on revient vers la question du diversel.

Ces questions que je pose là relèvent de ce que j'appelle maintenant la néguanthropologie. Et c'est une proposition que je fais aux anthropologues pour essayer de continuer à pratiquer l'archéologie, l'ethnologie, etc. ou l'anthropologie aujourd'hui du quotidien, de la modernité, comme ont tenté de le faire par exemple Marc Auger ou des gens comme ça, en mobilisant les concepts de néguanthropie, d'anti-anthropie avec un a et un h et d'exosomatisation que les anthropologues, alors que ce sont eux qui ont montré cette exosomatisation, bizarrement à part Leroi-Gourhan, il n'y a quasiment aucun qui la théorise. Et il n'y a que ça qui nous permettra de nous débarrasser de Kojève et de ce qu’implique Kojève, à savoir Fukuyama. C'est-à-dire une vision qui est une catastrophe, voilà, de la fin de l'histoire, etc. etc. Mais qui a hanté énormément de monde, y compris les plus grands esprits français du XXe siècle. Et je pense que Kojève est une calamité, c'est un très grand penseur, un très grand lecteur de Hegel, mais ce n’est pas lui la calamité, la calamité ce sont les kojèviens, c'est comme Derrida quand ça produit les derridiens, ou Deleuze quand ça produit les deleuziens. Donc il faut se débarrasser de cette vision dont je vous rappelle que Ishida Hidetaka nous en a reparlé un tout petit peu puisque lui-même a attaqué les sujets dont il nous avait parlé au mois de novembre et au mois de décembre à partir d'un texte de Kojève qui était consacré au snobisme japonais, voilà, dans le sens d'Alexandre Kojève.

Alors revenons à la question de l'individuation. Nous sommes un groupe d'environ 40 personnes ou 50, avec ceux qui sont en ligne. Nous sommes en train de nous individuer collectivement. Pour le moment, c'est moi qui rythme les individuations collectives par mes propositions. Mais nous nous individuons en nous co-individuant et en nous transindividuant, nous nous individuons diversement. Chacun s'individue différemment de l'autre ici dans cette salle et ceux qui sont en ligne dans leur localité. Je soutiens, moi, que nous sommes tous des localités. Je soutiens qu'un individu psychique, c'est déjà une localité. Qu'est-ce qui fait que l'individu psychique est un individu psychique ? Si vous avez bien lu Gilbert Simondon, vous savez qu'il a un milieu associé, qui lui est associé, qui n'est pas le milieu associé dont il est question dans du mode d’existence des objets techniques mais le milieu associé dont il est question dans L’individuation à la lumière des notions de forme et d'information, à savoir la mémoire. Simondon dit : un individu psychique a quelque chose qui lui est associé, c'est sa mémoire, c'est son milieu associé, qu'il transporte partout avec lui-même, mais qui est son milieu. Cette mémoire, alors qu'est-ce qu'elle est chez Simondon exactement ? est-ce qu’elle est intégralement dans le système nerveux ? est-ce qu’elle est aussi dans les agendas ? Il n’en parle pas. Ça n’a pas l’air de l’effleurer. En même temps, c’est un enjeu fondamental de Imagination et invention Bon, je ne veux pas en parler moi, c’est un sujet extrêmement compliqué mais par contre ce que je veux dire c'est que ma mémoire, je vous ai parlé de mon portefeuille l'autre fois, que je ne trouvais pas ma mémoire c'est aussi mon portefeuille, c'est mon sac, c'est mon agenda, c'est mon smartphone aujourd'hui ma mémoire est hors de moi. Je ne sais pas ce que Simondon en pense très précisément mais en tout cas, moi, ce que j’en pense c’est qu’elle est hors de moi. Et beaucoup plus hors de moi que dans mon cerveau. Ma mémoire, y compris moi qui la perd la mémoire, eh bien j'ai ce machin qui la garde pour moi et c'est ma mémoire, c'est mon smartphone. C'est mon organe exosomatique de mémoire additionnelle qui peut-être me sera un jour mis dans le cerveau à l'université où enseigne notre très cher ami Peter Lemmens qui travaille avec le laboratoire de neurotechnologie qui essaye de développer des technologies comme ça. Je ferme cette parenthèse. A partir du moment où ma mémoire est comme ça elle passe par l'exosphère dont je vous parlais tout à l'heure, donc ma mémoire elle est autour du monde en fait aussi, mais elle est aussi territorialisée, c'est-à-dire qu'elle s'active en fonction de là où je suis. Et par exemple, je sais aussi que Colette est en ligne, Colette elle est à Marseille, à Marseille, on ne voit pas les choses comme à Paris. Et c'est heureux. Je pourrais le dire aussi qu'à Paris, on ne voit pas les choses comme à Marseille. Et c'est heureux aussi. Nous appartenons toujours, en tant que nous sommes noodiversifiés, à des territorialités, y compris de passage. Nous avons des territorialités de passage. Il y a quelqu'un que Colette, d'ailleurs, trop aime beaucoup, qui est Victor Segalen, dont je vous ai déjà parlé, qui est un panseur avec un a, qui poétise son rapport très particulier au territoire de marin, puisque c'est un marin. La noodiversité passe toujours par une participation à l'individuation collective selon les sociétés, par exemple par une cosmologie comme celle-ci00 :48 :12↩︎, alors qu'on peut éventuellement transformer si on est anthropologue, en une cosmologie comme celle-là00 :48 :25↩︎. Ce n’est pas la même Donc, ce n’est pas la même d'ailleurs, mais voilà, ça, c’est plutôt compliqué à interpréter. Il faut faire partie d'une société, ou être un anthropologue très, très informé. Mais après, on peut faire des choses comme ça. Voilà, ces cosmologies étant, qu'est-ce que c'est qu'une cosmologie ? si vous avez lu Lévy-Bruhl eh bien c'est ce qu'il appelle un « dispositif de participation ». Il y a un jeune enfin jeune il est plus si jeune que ça maintenant un philosophe autrichien qui s'appelle Erich Hörl, qui a été le patron de Yuk Hui d'ailleurs et qui a fait travailler Yuk sur l'anthropologie contemporaine, qui a beaucoup spéculé sur ce livre de Lucien Lévy-Bruhl et beaucoup d'autres livres de Lévy-Bruhl qui a développé sur la participation pour essayer de penser l'individuation au sens de Simondon en intégrant ces ressources-là qui viennent disons des sociétés dans lesquelles on se co-individue à travers une cosmologie à travers laquelle on active une nécromasse noétique. La nécromasse noétique, si on revient chez les grecs comme là, elle se tient en fait entre d'une part les morts, les âmes qui errent dans l'Hadès, et qui sont en fait l'expérience humaine accumulée dans l'Hadès et les dieux qui sont au-dessus et donc qui constituent des confins. Il y a des dieux qui s'appellent dikè, c'est la justice en fait. Tous ces dieux grecs ce sont des incarnations des jalons de la civilisation. La justice, la honte, etc. Tous ces dieux incarnent le courage, la témérité chez les grecs et chez les romains. Et nous, les mortels, nous sommes entre les dieux là-haut qui sont, qui jalonnent et qui nous donnent les valeurs immortelles, ce sont des immortels, et les mortels qui nous laissent la trace de leur expérience de ne pas être immortel et d'être condamnés à la technicité. Cela étant, ce que je soutiens c'est que dans tous les cas que l'on soit dans un espace noétique cosmologique comme l'étaient les grecs ou les Baruyas ou les sociétés qui ont étudié les Lévy-Bruhl, ou qu'on n'y soit pas, nous ne sommes plus dans le cosmologique, dans l'exosphère on n'est plus dans le cosmologique. Dans tous les cas nous sommes exposés à la différance territoriale. Il y a une différance territoriale. Cette différance territoriale eh bien par exemple si vous allez à Guayaquil ou si vous allez à Paris ou si vous allez à Rome ou à Gênes vous êtes affecté« Je vis en Sicile, mais je passe tous les mois d’août et de septembre en Ecosse (…) je me reconnecte immédiatement à la mentalité, à la langue, au pays. Nous sommes faits de roche et de pluie ». Jim Kerr chanteur de Simple Minds.↩︎ par un esprit du lieu qui s'appelle la ville et qui va peut-être faire que vous n'allez plus jamais quitter cette ville-là. Vous allez vous y installer. Et je me sens bien ici. Je suis à Lisbonne. Je découvre cette extraordinaire ville de Lisbonne. Je n'ai pas envie de partir. J'achète un appartement. Je laisse tout tomber. Et je deviens un migrant qui se territorialise, qui s'installe, qui se sédentarise à Lisbonne. Et à ce moment-là, la territorialité de Lisbonne, qui va entrer en écho avec la différance idiomatique de Lisbonne, c'est-à-dire avec cette magnifique langue du Portugal qu'on entend mieux au Brésil, d'une certaine manière. En tout cas, moi c'est toujours le sentiment que j'ai eu quand je suis allé au Brésil, j'entendais quelque chose de la langue portugaise que je n'entendais pas au Portugal, et dont vous savez peut-être, parce qu'il y a eu tout un livre qui a été écrit là-dessus, que le portugais contemporain qu'on parle au Portugal est en fait aujourd'hui sous l'influence du portugais brésilien, et que c'est le portugais brésilien qui aujourd'hui est devenu en fait la référence. Je dis ça, toi qui es au Brésil, t'as peut-être pas le même point de vue, mais c'est ce que disent beaucoup, beaucoup de linguistes, en tout cas qui sont spécialistes, qui sont des lusophones, comme on les appelle. Cette différence territoriale, vous ne pouvez pas l'éprouver indépendamment d'une différence idiomatique, y compris si vous ne parlez pas le portugais, ce qui est mon cas, mais vous ne le parlez pas mais vous l'entendez et ça vous affecte. Je vais vous raconter une histoire que j'ai déjà racontée mais jamais dans ce séminaire. Un compositeur qui s'appelle Georges Aperghis, qui était le fils d'une bourgeoisie marxiste et qui a malheureusement subi le coup d'état des colonels en 1967 à Athènes, donc qui a dû quitter la Grèce en urgence, comme ses parents. Il y en a qui n'ont pas pu partir, comme Xenakis, par exemple, qui s'est retrouvé emprisonné sur une île... Voilà, parce que les colonels c'était vraiment des fachos quoi, ils ont assassiné plein de gens, ils ont emprisonné plein de gens. Enfin, Georges Aperghis lui est parti, il était tout jeune encore, il avait fait l'école des beaux-arts d’Athènes et il a choisi de venir à Paris pour aller aux beaux-arts de Paris. Parce qu'à cette époque-là, Paris était encore une grande ville de l'art moderne. Et donc il voulait étudier l'art, l'architecture à Paris. Et puis, il ne parlait pas un mot de français. Et pratiquement dans les premiers jours qu'il était à Paris, m’a-t-il dit, il est allé écouter une pièce de théâtre, dans un théâtre qui est le théâtre du Châtelet, enfin pas le théâtre du Châtelet, celui qui est en face, comment il s'appelle ? Le théâtre de la Ville, voilà, c'est ça. Il est allé au théâtre de la Ville, il ne comprenait rien, il ne parlait pas français mais il était enchanté d'entendre ce qu'il entendait m’a-t-il dit, et c'est comme ça qu'il est devenu musicien parce qu'en fait il a décidé de faire entendre aux français la musique du français que lui entendait parce qu'il ne parlait pas français et vous avez bien remarqué que quand vous entendez une... je sais pas moi... du japonais, du chinois, de l'arabe, de l'allemand, que vous ne parlez pas la langue, vous entendez des choses que l'allemand n'entend pas lui. Alors il les entend en fait, mais pas du tout comme vous. Il ne les entend pas musicalement, il les entend idiomatiquement. Mais Aperghis, c'est comme ça qu'il est devenu musicien. Petit à petit, il s'est dit voilà je vais faire une musique tout à fait nouvelle et effectivement il est devenu un grand musicien, c'est un musicien important maintenant, nous avons produit à l'Ircam deux pièces de lui quand on était ensemble à l'Ircam c'est un musicien très important voilà.

Alors ce que je veux vous dire c'est qu'il y a des tas de manières pour la différence idiomatique d'être là, vous êtes par exemple à Rio de Janeiro ou à Lisbonne, vous ne parlez pas un mot de portugais, mais le portugais vous affecte complètement. Il vous rentre dedans, il vous transforme, vous n'en apercevez même pas. Mais pour que ça se produise, il faut une différance exosomatique. Une différence avec un a. Cette différance exosomatique avec un a, comme je l'ai dit l'autre fois, elle procède du défaut d'origine, c'est-à-dire de la condamnation de Prométhée à souffrir jusqu'à la fin des temps. Cette souffrance que vous voyez là étant rien d'autre que la représentation, ça c'est une représentation évidemment moderne du 17ème siècle, je crois que c'est Raphaël, c'est une représentation de quoi ? De la mélancolie. Et la mélancolie qu'est-ce que c'est ? Et bien c'est ce qu'on appelle parfois avec Heidegger la thanatologie. Et si vous avez lu Sein und Zeit, Être et Temps de Heidegger, et bien vous savez que pour Heidegger, la thanatologie, il ne dit pas la mélancolie lui, il ne dit même pas la thanatologie, il dit « l'être vers la mort, Sein zum Tod ». Il dit : ça c'est la temporalité. C'est ce qui constitue la temporalité. Ce que j'essaye de dire, c'est qu’un lieu, c'est là où quelque chose a lieu. C'est ce que Sarah appelle une performativité, de l'avoir lieu. Mais cet avoir lieu, pour qu'il ait lieu, il lui faut des conditions territoriales, idiomatiques et exosomatiques. Et j'avais essayé de montrer la semaine dernière que ce dont parle Edouard Glissant, sur lequel je vais revenir dans un instant, ça part de ça, ce que je vous montre là. Ça, qu'est-ce que c'est ? C'est la vallée du Mississippi. Et cette vallée du Mississippi, c'est la migration des esclaves du Sud qui remonte vers le Nord jusqu'à Chicago, là où s'est passée une très grande manifestation de Martin Luther King. Et cette remontée vers le Nord, elle remonte aussi avec des instruments de musique mais aussi des radios et des gramophones. J'ai écrit mon premier texte, c'était dédié à... enfin mon premier texte pour l’Ircam était dédié au gramophone de Charlie Parker. C'est comme ça que j'ai connu Peter Szendi. Ce dont je parle là, c'est en 1985. Voilà. J'avais essayé de montrer que Charlie Parker, ce n’est pas d'abord un saxophone, c'est d'abord un phonographe et une radio. Et le jazz. Ça c’est ce que j'appelle la migrance. Pourquoi ? Parce que des chants d'esclaves, dans des chants de coton, transforment ce chant en blues qui lui-même va devenir le jazz et le jazz va transformer le monde entier. Parce que le jazz a transformé toute la musique, y compris celle de Boulez, qui n'a jamais voulu l'accepter, mais c'est une réalité. Il n'a jamais voulu l'accepter. Ça a contaminé absolument tout. La rythmique boulézienne, si le jazz n'était pas rentré, elle n'existerait pas comme elle a existé. Mais ça, il ne s'en rend pas compte, parce qu'il ne se rend pas compte qu’il y a une nécromasse noétique et qu’il est pris dedans, il est hanté par des figures, même s’il ne les reconnaît pas, elles le hantent quand même.

Alors ce que j'essaie de cerner à travers tout cela, tout en posant que ce qui se développe là et qui est une individuation collective extrêmement importante qui constitue pour moi la musique la plus puissante du XXe siècle, le jazz, vous n'êtes pas obligé d'être d'accord avec moi, mais moi je pense que c'est le jazz la musique la plus puissante du XXe siècle. C'est aussi ce qui peut désindividuer, et non pas individuer. Et ça, c'est ce que et Adorno, qui ne dira que des bêtises sur le jazz d'ailleurs à ce moment-là. Il changera d'avis plus tard, il s'est repenti 20 ans après, et Edouard Glissant, admettront, ou poseront, mais tout à fait différemment. Glissant il l'admet, juste en passant. Il dit aux Antilles, la radio ce n’est pas forcément ce qu'il y a de mieux quoi. Ce n’est pas forcément ce qui produit ce qu'il y a de mieux. Donc, à la différance territoriale, la différence idiomatique et la différence exosomatique, il faut rajouter la pharmacologie. Ces trois différences se nouent entre elles pour produire une pharmacologie qui peut être positive. Coco de Charlie Parker, par exemple, je vous recommande d'écouter ça, c'est un des trucs les plus stupéfiants qu'on puisse imaginer et qui peut produire aussi, je ne vais pas donner de nom parce que je n’ai pas envie de m'en prendre à des victimes faciles. C'est ça qui pour moi constitue la logique du lieu de Nishida Kitaro, le Fudo de Watsuji et l’écoumène la relation onto-géographique de l'humanité à l'étendue terrestre↩︎ d’Augustin Berque ou encore la conscience de lieu de Alberto Magnaghi. Voilà, toutes références que je vais reconvoquer dans les dernières séances. En fait, comme je l'ai dit tout à l'heure, j'essaye d'engager un dialogue avec le géographe devenu philosophe qu'est Augustin Berque. Un dialogue qui sera difficile parce que c'est un homme difficile mais aussi parce qu'on va s'attaquer à des questions difficiles. La Chora c'est très très difficile.

Alors je voudrais d'abord partir de la géographie parce que je m'adresse à un géographe. La géographie pour moi ça commence là. Ça certains d'entre vous l'ont déjà vu, c'est le bas-relief de la grotte de Bédolinahttps://fr.wikipedia.org/wiki/Rocher_1_de_Bedolina↩︎ en Italie, qui remonte à l'époque de la sédentarisation, qui a été gravée dans la paroi d'une grotte, donc étant surplomb dans une falaise en fait, la falaise de Bédolina, et ce que vous voyez là, c'est la plaine qui est en bas. J'ai découvert ça moi grâce à un historien de la géographie qui s'appelle Christian Jacob et qui a écrit un livre qui s'appelle l'Empire des cartes. Alors justement la géographie c'est la cartographie, mais pour qu'il y ait de la cartographie il faut de la graphie. Ce que je veux dire par là c'est que si on est géographe et qu'on ne commence pas par se poser le problème de savoir ce que c'est que le graphène et son statut ontologique, eh bien il y a forcément un truc qui ne va pas tourner très rond. Et c'est justement là qu'il y a un problème entre Berque et Derrida. Et que à mon avis Berque ne considère pas suffisamment, avec suffisamment d'humilité, Derrida. Il envoie promener Derrida comme ça, en montrant des choses qui sont parfois discutables chez Derrida, bien entendu, mais ça lui permet finalement de s'en débarrasser, de ne pas trop le lire attentivement. Il ne le commente pas vraiment. Il l'évacue. Et c'est une grave erreur à mon avis. Pourquoi est-ce que c'est une grave erreur ? C'est parce que la question c’est les traces. Là, je reviens vers un texte d'Edouard Glissant qui est l'introduction à une poétique du divers. Qu'est-ce que dit Edouard Glissant ici ? D'abord il parle du migrant. Il parle de plusieurs types de migrants. Il y a les migrants qui sont disons les envahisseurs qui viennent d'Europe. Il y a aussi les migrants qui sont migrés de force, qui sont les esclaves qui viennent d'Afrique Dans tous les cas, le migrant, dit-il, qu'il soit un esclave ou un esclavagiste, si je puis dire, et bien, il recompose par traces une langue et des arts qu'on pourrait dire valables pour tous. Alors ça, ce n'est pas pour l'esclavagiste qu'il le dit, c'est pour l'esclave. C'est pour celui qui précisément va quoi ? Qu'est-ce qu'il va produire ? Le jazz. Le jazz dont il est question ici. Voilà. Comme la musique de jazz. C'est de ça dont parle Edouard Glissant. Mais si vous voulez comprendre Glissant, il faut comprendre le jazz. Et si vous voulez comprendre le jazz, il ne faut pas s'intéresser simplement au saxophone ou au blues, ou s'intéresser au phonographe et à la radio. C'est-à-dire au processus d'exosomatisation qui permet de produire quoi ? Des traces. Les traces qui sont produites là, qui sont des traces qui vont faire que par exemple, Billie Holiday, femme de ménage, va devenir Billie Holiday. Parce que Billie Holiday, au départ, si vous avez lu son livre, qui s'appelle Lady Day, elle fait le ménage, comme la plupart des femmes noires aux Etats-Unis à cette époque-là. Pas toutes, mais la plupart. Et elle fait le ménage, et en faisant le ménage, qu'est-ce qu'elle fait ? Elle écoute la radio. Et en écoutant la radio, elle apprend les standards, elle les chante, et puis un jour quelqu’un l’entend et lui dit : mais tu as une voix du tonnerre ! et elle devient la maîtresse Lester Young et une des plus grandes chanteuses de l'histoire de la musique avec une voix absolument incroyable, une voix cassée qui n'a rien à voir avec les canots occidentaux mais qui fait qui émeuthttps://www.youtube.com/watch?v=-DGY9HvChXk↩︎. Ce qui rend possible le jazz, c'est l'enregistrement des traces. Charlie Parker ne lit pas de partitions, il ne veut pas apprendre à les lire, il refuse, sa mère veut l'envoyer à Lincoln College, qui est un collège spécialement fait pour les noirs et où on fait de musique et on apprend à lire la partition et lui il n'en a rien à foutre des partitions. Ce qu'il veut c'est écouter Lester Young, comprendre et donc qu'est-ce qu'il fait avec... il a un phonographe, il décompose les notes de Lester Young sur son saxophone qu’il a acheté d’occasion avec du sparadrap au marché aux puces parce qu’il n’a pas beaucoup d’argent, son père s'est barré, sa mère elle aussi fait des ménages etc... Il n'a pas beaucoup d'argent et pendant qu'il fait ça en 1937 à Kansas City, c'est décrit très précisément dans un livre qui s'appelle Bird par un écrivain qui est un critique de... pas un critique, c'est l'historiographe de Charlie Parker qui s'appelle Ross Russell, et bien au moment où Charlie Parker fait ça, Bela Bartók fait la même chose avec les musiques de Transylvanie, parce qu'il dit à l'oreille je ne peux pas transcrire, c'est beaucoup trop compliqué. Donc grâce à Thomas Edison, c'est en toutes lettres, c'est un article, c'est un entretien qu'il a donné à la radio de Budapest, grâce à Thomas Edison je peux ralentir le plateau pour décomposer et finalement transcrire tout ça et c'est ça qui est à l'origine de ma musique. Il explique ça et Ross Russell explique que quand Charlie Parker écoutait Lester Young, il ralentissait exactement la même chose que Bartók la même année. C'est absolument incroyable. Absolument incroyable. Ça c'est grâce à Peter Szendi. Parce qu'un jour Szendi m'a dit « tu devrais lire ce truc de Bartók ». Et ça, c’est résumé dans De la misère symbolique.

Alors, si je dis cela c'est parce que ce qui fait un territoire c'est toujours un idiome qui se répand dans un humus qui fait remonter des esprits de l'humus en passant par des instruments exosomatiques. Que ce soit des télescopes, des saxophones, des charrues, le truc du chaman, enfin les instruments du chaman, ou la maison Suger, qui est un instrument qui nous permet de jouer ce séminaire. Et si on veut penser les migrants, il faut penser tout ça. Pourquoi ? Parce que ce qui fait qu'on migre, ce sont les instruments. C'est parce qu'à un moment donné, par exemple, il y a à peu près 40 000 ans on va se mettre à pouvoir tirer des flèches à 350 km/h., et qui donc peuvent percer le cuir d’un animal y compris un mammouth ou ce genre d'animaux là, c'est à cause de ça qu'on va migrer. Parce que comme le disait Paul Virilio, voilà nous sommes dromologiques, c'est à dire que nous nous déplaçons et nous nous déplaçons à mesure que nos techniques nous permettent de nous déplacer. Alors de mille manières, avec un arc qui permet de tirer une flèche à 350 km heure, donc d'attraper une gazelle même si elle court à 100 km heure. Elle court un petit peu moins vite, c'est le guépard qui court à 100 km heure, c'est l'animal qui court le plus vite. Mais ça peut être aussi une boussole qui va nous permettre… elle ne nous permet pas d'aller plus vite elle nous permet d'aller plus loin, plus longtemps, en ne perdant pas notre chemin, etc. Les territoires sont constitués par ces trois dimensions là. Et la géographie c'est ce qui étudie les traces sur les territoires. Et c'est pour cela que Berque va lire Watsuji chez qui il va trouver un nouvel élan de la géographie si je puis dire. Alors il faudrait li Magnaghi aussi qui parallèlement à tout ça, écrit, il y a quelques années Le projet local, qu'il faut repenser les tensions et les contradictions sociales qui étaient pensées jusqu'alors, surtout depuis le 19e siècle, comme essentiellement liées à la conscience de classe et donc à la lutte des classes, comme une nouvelle pensée des consciences de lieu. Alors, est-ce que ça veut dire la lutte des lieux, c'est-à-dire le retour aux guerres tribales, industrielles, entre la Chine et Trump, etc. ? Ben, malheureusement, c'est très vraisemblable. Et ce n'est pas ça que dit Magnaghi, au contraire, il redéveloppe une conscience de lieu, de lieux ouverts comme il le dit là en maintenant un juste équilibre entre ouverture et fermeture. Ah tiens, alors il veut fermer le lieu ? bah bien sûr qu'il veut fermer ; il n'est pas question de laisser rentrer dans le lieu des trucs qui vont détruire totalement ce que le territoire a décidé de faire comme étant un de ses marqueurs fondamentaux. Il n'est pas question de laisser, de détruire ça par n'importe quelle entrée. Donc il faut, il y a des frontières bien entendu. La question c'est de savoir si elles sont ouvertes ou fermées. Et la question c'est de savoir aussi jusqu'à quel point elles peuvent être fermées. Il pose ces questions, Magnaghi, je pense qu'il les pose courageusement, je ne suis pas toujours complètement convaincu par ce qu'il dit, parce que je trouve parfois un peu trop imprudent avec des sujets dangereux comme ceux de l'identité par exemple. Mais par contre, je pense qu'il pose une question qu'avait déjà posée avant lui Ignace MeyersonLes fonctions psychologiques et les œuvres Ignace Meyerson Albin MIchel↩︎, mais dans des termes totalement différents lorsqu'il disait que les fonctions psychologiques sont d'abord dans les œuvres, et les œuvres ce sont d’abord les environnements – par exemple, la ville Paris, c’est une accumulation d’œuvres qu'on peut voir comme de gens qu'on n'aime pas beaucoup. Le baron Haussmann, moi je ne l'aime pas beaucoup, le baron Haussmann. Même si avoir un appartement haussmannien, c'est le rêve de beaucoup de gens à Paris. Ce n'est pas mon truc, moi les appartements haussmanniennes je n’aime pas trop mais il y a beaucoup de gens qui disent : ah, les moulures haussmanniennes, les cheminées haussmanniennes... Bref, ce que je veux dire par là, c'est que c'est marqué, ce n’est d’ailleurs pas pour rien que c'est la première ou deuxième destination mondiale du tourisme, Paris. C'est plein d'œuvres. Ça œuvre et ça ouvre parce que les œuvres ouvrent. Donc ce que dit Meyerson c’est que s’il faut ouvrir la localité c’est par les œuvres. Mais ce que dit Magnaghi et ce que je dis, moi, c'est que les œuvres... Enfin, Magnaghi ne dit pas ça. Magnaghi, qu'est-ce qu'il dit ? Il dit « les œuvres œuvrent en se territorialisant ». Moi, je soutiens que se territorialiser, ça veut toujours dire se déterritorialiser en même temps. Se territorialiser, c'est par exemple créer un lien entre un village et un autre village C'est donc déterritorialiser les deux villages et créer une nouvelle territorialité à une nouvelle échelle de localité. C’est l’échelle qui est en jeu ici. Aujourd'hui ça passe par les routes, ça passe par les algorithmes, ça passe par des normes de comptabilité, ça passe par des circuits d'échange d'étudiants, ça passe par toutes sortes de choses. Mais ça n'est pas pensé. Pourquoi est-ce que ce n’est pas pensé ? Parce que la localité n'est pas pensée. Et elle n'est pas pensée pour deux raisons principales : premièrement parce c’est un sujet de conflit entre physiciens, biologistes et théoriciens de l’information qui utilisent des concepts totalement différents et qui n'arrivent pas à s'entendre entre eux. Donc c'est un grand conflit épistémologique de l'amplitude, je dirais, de relativité générale et physique quantique. Je pense que ça fait partie de ce genre de machins. Et d'ailleurs ça passe par et la physique quantique et la théorie de la relativité. Et l'autre raison c'est que la localité, c'est le romantisme allemand, c'est la régression fasciste et tout ça, ça fout la trouille à tout le monde. Eh bien, moi je dis, avec un pape, n'ayez pas peur de la localité. N'ayez pas peur parce que de toute façon le seul moyen de débarrasser, ce qui est, à mon avis très improbable, de débarrasser la terre de son intoxication, celle que dénonce Greta Thunberg etc. c'est de repenser la localité et en faisant en créant des localités ouvertes, ce que j'appelais tout à l'heure des archipels à l'échelle exosphérique.

Alors, je soutiens que dans ce livre de Meyerson qui faut lire, très important, ce qui est en jeu derrière c'est la cohérence territoriale, le territoire, il y a un territoire qui s'appelle la biosphère, c'est la Terre, le territoire. Et sur cette Terre, il y a des territoires qui se divisent, comme on l'a vu, un planisphère tout à l'heure, qui correspondent à des pouvoirs économiques, des pouvoirs politiques, des civilisations, etc. qui ont tendance à s'imposer à d'autres, donc c'est des conflits. Mais il y a toujours du territoire, à commencer par la Terre, la Terre en tant que Terre qui constitue la base de la biosphère. La déterritorialisation se produisant par exemple comme ça. Ça c'est une stèle, c'est du grec ancien. Comme vous le voyez, il est encore ancien, il doit dater du VIe siècle parce que les mots ne sont pas encore séparés. Donc il n'y a pas encore la séparation dont parle Clémence Ramnoux. Je vous signale en passant que les œuvres complètes de Clémence Ramnoux viennent d'être publiées. C'est assez intéressant, Clémence Ramnoux c'est une très grande figure de la pensée de l'Antiquité. Et ce n’est pas très cher, ça doit coûter 40 euros. C’est en lisant Clémence Ramnoux que j'ai découvert l'importance de la séparation des mots dans les phrases. Au départ, les Grecs ne séparaient pas les mots. Ça, c'est l'origine d’une déterritorialisation, qui va être à l'origine de la Grande Grèce, puis de l'Empire d'Alexandre et puis finalement de tout ce qui est ce qu'on appelle l'Occident. C'est une technologie de déterritorialisation mais c'est aussi une technologie de territorialisation. C'est un pharmakon qui produit toujours la chose et le contraire de la chose et il faut tenir les deux. Faire de la pharmacologie c'est tenir les deux.

Nous, nous sommes en ce moment ici dans ce séminaire, nous nous sommes articulés maintenant avec deux grands projets qui sont l'internation dont on a beaucoup parlé cette année et aussi le territoire apprenant contributif de Plaine Commune que voici ; c'est un territoire Plaine Commune c'est un territoire sur lequel il y a 138 nationalités. Donc le territoire c'est toujours ouvert, il y a une très grande diversité. Dans ce territoire-là, il y a d'autres territoires où il y a moins de diversité, c'est pas la même, il y a d'autres formes de diversité. Les territoires sont toujours plus ou moins diversifiés pour une raison très simple, c'est que si ce n'était pas le cas, il disparaîtrait. Parce que ce sont des systèmes ouverts, c'est-à-dire vivants, et pour qu'un système reste vivant, il faut qu'il reste ouvert. Quand il se ferme, il s'asphyxie, il meurt. Alors il peut mourir en 10 000 ans parfois, parfois en 50 ans. À notre époque, il a tendance à mourir beaucoup plus rapidement donc l’ouverture est fondamentale. Il y a des territoires fermés qu'on maintient ouverts de manière artificielle, comme on maintenait en vie des gens dans les hôpitaux. Moi, ma grand-mère, elle a été maintenue en vie pendant six mois, et un jour, on a exigé de l'hôpital qu'on la débranche parce qu'elle était, voilà, elle a été maintenue de manière tout à fait artificielle en vie, et elle ne le voulait pas. Comme elle était chrétienne elle refusait de demander qu'on la débranche. Parce que c'était un suicide. Donc c'est nous qui avons demandé qu’on arrête. Je dis cela parce qu'il y a des territoires qui sont aussi maintenus comme ça. Toutes sortes de territoires. C'est un peu les territoires des misérables. Et ça tourne très mal et on les maintient pour diverses raisons dans des conditions extraordinairement dangereuses. Ce territoire sur lequel nous travaillons, nous y travaillons comme territoire et nous l'avons appelé « territoire apprenant contributif ». C'est un territoire et c'est un rapport à la territorialité, c'est-à-dire à la proximité, au voisinage et il faut absolument travailler cette question en tant que telle. Donc c'est pour pouvoir accompagner ces travaux qui se font sur ce territoire et sur d'autres territoires qu'on est en train d'essayer de développer ailleurs maintenant que ce séminaire est en train de se pencher sur qui... (Ça c'est Erastosthène. C'est le premier géographe, c'est pour ça que je vous le montre. C'est le premier à avoir véritablement théorisé la Terre, la graphie, la cartographie, etc. Il a une belle tête).

Donc ce que je vais vous montrer, ce n'est pas Erastosthène. On va commencer maintenant à lire non pas encore Fudo, c'est à dire Watsuji, mais l'introduction, pardon, la préface qu'en a faite Augustin Bercque. Alors qu'est-ce que nous dit Augustin Berque d'abord, au tout début de la préface, il nous dit qui est Watsuji ; c'est un philosophe japonais qui est issu de l'école de Kyoto et de Nishida Kitaro, etc. mais qui a la différence de Nishida Kitaro est parti en Allemagne. Il est devenu germanophone et qui a étudié à l'époque où Heidegger enseignait et qui donc a connu le Heidegger de Être et temps et qui est extrêmement marqué par Être et temps. C'est essentiellement Être et temps, Heidegger, chez lui. Mais par ailleurs, comme le dit Berque, il a beaucoup voyagé, il a traversé des tas de pays, d'Asie, de la Chine et l'Inde, d'Arabie, d'Egypte et de Méditerranée, et donc l'Europe aussi centrale, enfin l'Europe... Comment on l'appelle ? La Mitteleuropa, disons, de l'Allemagne. Alors qu'est-ce que va nous dire Berque ? Eh bien il va nous dire que Watsuji reprend Heidegger mais il le critique. Enfin disons, est-ce que le mot critique est adapté ? Peut-être pas. En tout cas, il l'altère, il y ajoute des choses. Et en particulier, il dit la Weltgeschichtlichkeit, le Dasein, enfin tous ces concepts qui constituent ce qu'on traduit en français par « être là » ou « existence du dasein », c'est constitué pas simplement par l'histoire mais par le milieu. C'est le milieu qui incarne l'histoire. Là je cite littéralement Berque et lui-même paraphrase Watsuji :

*C'est le milieu qui incarne l'histoire et en dehors de cette concrète incarnation, l'être n'est qu'une abstraction 

Donc ça c'est une critique de Heidegger faite par un japonais. C'est une critique positive, il revendique Heidegger, il défend Heidegger, mais en disant que Heidegger ça ne suffit pas. Il faut le penser à partir du concept de milieu. Ensuite, ce que va nous montrer dans sa préface Berque, c'est que Watsuji est en contradiction avec lui-même. Le premier chapitre, qui est le seul que nous lirons, si nous le lisons d'ailleurs, parce que je ne suis pas sûr qu'on va arriver au bout, le premier chapitre de Fudo, c'est ce que dit Berque là. C'est ce qui développe ce que Berque résume de manière très claire d'ailleurs, et en insistant d'ailleurs sur le fait de l'exception sur le fait que chez Watsuji on tient compte des caractères exceptionnels de ce qu'il appelle ici l'exception nippone c'est à dire que chaque milieu est exceptionnel, incomparable aux autres, singulier on pourrait dire. Donc ça Berque dit premier chapitre extraordinaire mais après quand on lit la suite, c'est-à-dire quand on lit la manière dont Watsuji a décliné en visitant toutes sortes de pays, d'Afrique, de Chine, d'Europe centrale, de la Méditerranée, etc. Eh bien en fait, il abandonne tout ça, il retourne à ce qu'il appelle un déterminisme, à ce que Berque appelle ici un déterminisme environnemental. Alors, comment se fait-il qu'un type comme Watsuji, qui explique dans un chapitre, premier chapitre de son livre, qu'il ne faut surtout pas avoir une vision déterministe du milieu, dès le deuxième chapitre, entre dans une pratique déterministe de son propre discours. Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Pour moi c'est très clair, ça veut dire qu'il y a quelque chose qui n'est pas accompli dans son travail, qu'il y a un problème, voilà, qui n'est pas encore correctement traité. Alors, je soutiens, moi, que Berque va essayer de traiter ce problème, il va prétendre apporter des réponses à ce problème, donc il va prétendre faire du concept de Fudo quelque chose de plus robuste que ce qu'a fait Watsuji , ce qui est normal, quand on enchaîne sur un auteur scientifique, philosophique, on prétend aller plus loin que lui, sinon ça n'a aucun intérêt. Et en particulier pour se débarrasser de ce déterminisme qu'il appelle une méprise grossière, là en prenant un exemple particulier. Mais je vais essayer de vous montrer que Berque lui-même n'est pas à l'abri de la même contradiction. Enfin, ce n’est pas la même contradiction, mais c'est une autre contradiction. Et cette contradiction chez Berque, par quoi passe-t-elle ? Bon, là, il redit la même chose que ce qu'il y avait avant, mais en développant un peu plus. Je ne vais pas m'y attarder, on n'a plus le temps. Cette contradiction, de quoi vient-elle ? du fait que Berque lui-même, parce que là je soutiens qu'il y a aussi une contradiction chez Berque, ne comprend pas vraiment la portée de la rétention tertiaire. Il ne comprend pas ce que c'est que la rétention tertiaire. Alors là il critique, il prend un exemple chez Watsuji qui dit « c'est le désert qui engendrait les prophètes ». Alors ça ce n’est pas une nouveauté, le prophète monothéiste. Je ne sais pas si cela dit s'il existe des prophètes en dehors du monothéisme, je n’en suis pas sûr. En tout cas le prophète du judaïsme, le prophète mosaïque, il s'est dit beaucoup, voilà, c'est le désert qui engendrait les prophètes. Régis Debray a dit presque la même chose en ajoutant « et le livre ». C'est déjà plus intéressant parce que c'est une territorialité qui est traversée par quoi ? Par l'alphabet, un nouveau type d'alphabet. C'est plus intéressant. C'est ce que disait déjà, je l'ai cité l'autre fois, Martin Buber. En tout cas, ce que je soutiens, moi, c'est que ce qui fait que le désert peut produire, enfin peut produire, peut participer à l'émergence du monothéisme, c'est en effet qu'il y a l'écriture des tables de la loi. C'est-à-dire que c'est un désert qui est traversé par des nomades, mais ces nomades écrivent. Et ils écrivent d'une nouvelle manière. Ils n'écrivent pas exactement comme les Égyptiens, ils écrivent comme leurs ancêtres en fait depuis déjà longtemps à vrai dire, puisque dès 1200-1300 av. Jésus-Christ il y a déjà ces formes d'écriture, les phéniciens etc. qui font apparaître ce qui va surgir d'un seul coup au même moment en Judée et en Grèce qui sont à 400 km ou 500 km de distance, c'est absolument impressionnant au même moment deux formes d'écriture qui surgissent, deux sociétés qui se constituent, une qui écrit la Bible et les commentaires de la Bible et qui fonde la synagogue etc. La synagogue étant quoi ? la communauté, sunagogè. Et les grecs qui, pareil, alors qui sont aussi des nomades, les grecs ce sont des barbares qui sont venus du Caucase etc. qui sont des terribles guerriers, qui massacrent les gens et qui en l'espace de très peu de temps vont devenir de barbares, la plus grande civilisation de l'époque, et qui vont dénoncer les barbares. Pourquoi ? Parce qu'au même moment eux ils vont utiliser la même écriture qui vont... la grande différence entre les deux vous le savez, entre l'hébreu, l'écriture de l'hébreu et l'écriture du grec, l'hébreu est consonantique, écrit de manière consonantique, le grec écrit de manière vocalique. C'est très différent d'ailleurs, il y a eu tout un tas de spéculations sur Yahvé etc…. mais au même moment, l'écriture de la Bible c'est le 7ème siècle avant Jésus-Christ. Et c'est dans un royaume, le royaume de David, ça surgit et au même moment qu'est-ce que vous avez ? Maiandrios, si on en croit la légende, que reprend et que commente largement Vernant, qui dit : je dépose la loi au milieu, la loi est écrite, elle appartient à tout le monde, je la mets là. Il y a un texte extraordinaire de Vernant là-dessus, et qui constitue non pas la sunagogè mais l'agora et le bouleutérion. Ça ce sont deux territoires. Un, c'est un désert. C'est le désert où les pauvres palestiniens aujourd'hui sont enfermés de manière honteuse. Et l'autre c'est... ce n’est pas un désert, c'est un rocher. C'est le Péloponnèse où il n'y a que des cailloux, quoi. Des cailloux, quelques oliviers et des chèvres sauvages. Ce sont deux pays désertiques et déshérités. Mais ils vont devenir les pays les plus puissants. Alors pas de la même manière. Mais, et comment ça se fait-il ? C'est parce qu'il y a la traversée d'un territoire par ce que j'appelais l'autre fois des vecteurs exosomatiques et des idiomes. Et c'est... alors vous vous souvenez peut-être que l'année dernière, au début du séminaire de l'année dernière, j'avais présenté le nœud borroméen de Jacques Lacan, mais j'avais essayé de montrer que c'était trois anneaux différents que j'essayais de nouer moi-même, c'est ce que j'appelais, les nœuds de l'organologie générale. Ben voilà, j'y suis revenu là, sur un registre qui passe par la différence territoriale. Il reproche beaucoup Berque à Watsuji de produire un réductionnisme concernant la « supériorité occidentale de la science occidentale », de ce que il appelle l'esprit scientifique moderne, il reproche beaucoup à Watsuji de dire que si les européens ont pu comme Copernic, Kepler, Newton, en arriver à cette cosmologie qui est devenue une astronomie et une astrophysique, s’Ils se sont débarrassés précisément des cosmologies au sens, disons, ancien, au sens des lieux, et qu'ils ont réussi à acquérir une puissance scientifique telle qu'ils ont géré cette industrie, ces armées etc. et qu’ils ont dominé le monde, Watsuji dit que c'est parce que finalement il y avait des régularités des phénomènes naturels en Europe. Mais ça c'est intéressant parce que ça rappelle ce que je disais tout à l'heure de ce que disait Leroi-Gourhan quand il disait que les Aryens ne sont pas les plus intelligents, c'est parce qu'ils ont des saisons régulières, il pleut au printemps, en été, le blé pousse et on peut le moissonner, etc. Ils peuvent accueillir. Alors là, Berque lui reproche de dire ça, moi aussi je lui reproche de dire ça en réalité. Et Leroi-Gourhan n'aurait jamais dit que l'esprit scientifique surgit de ça. Ce que dit Leroi-Gourhan c'est que la situation géographique permet aux Européens de quoi faire ? De développer une civilisation qui va en particulier développer l'écriture, les instruments d'observation, etc. Et c'est comme ça, par cette articulation entre territoire et ce qu'on appelle les territoires tempérés en fait, techniques exosomatiques et idiomes, les transmissions des idiomes, que va se constituer la civilisation européenne.

Alors ce qu'on verra la semaine prochaine c'est que, parce que je vais bientôt m'arrêter maintenant, c'est que Watsuji, si l'on en croit ici Berque en tout cas, essaye d'articuler ce qu'il appelle ici le moi. Bon, moi je n'aurais pas dit le moi parce que ce n'est pas le moi, c'est l'individu psychique ce qui n'est pas tout à fait la même chose que le moi. Et en plus, il y a un nom japonais qu'il va nous révéler à la page suivante. Mais en tout cas, il dit le moi, le nous et le milieu. Et là, il y a quelque chose qui n'est pas instancié, c'est l'exosomatisation. Alors c'est d'autant plus étonnant que... Je ne vais pas commenter ça aujourd'hui mais je voulais vous montrer quelque chose ; comme vous le voyez ici Augustin Berque dit qu'il est un lecteur d'André Leroi-Gourhan et que donc André Leroi-Gourhan a développé ce qu'il appelle lui-même ici, l'extériorisation. Il reprend ce que dit Leroi-Gourhan ; il dit que Leroi-Gourhan pose que l'espèce humaine est apparue par le processus d'extérioration. C'est ce que moi j'appelle maintenant l'exosomatisation. Et ce que va dire Berque, j'y reviendrai la prochaine fois, ce que va dire Berque c'est que l'exosomatisation de Leroi-Gourhan, elle va produire une opposition entre l'anthropique avec un a et un h, enfin ce n’est pas lui qui dit ça, lui il ne dit pas l'anthropique, il dit disons la technique d'un côté et d'autre part ce qu'il appelle l'humanisation par le symbole. Et vous verrez qu'il a tendance à opposer les deux, alors qu'à mon avis ils ne peuvent pas du tout s'opposer, mais qu'au contraire il faut les recomposer. Ceci constituant ce qu'il appelle lui le corps médial ou la médiance, qui est sa manière de traduire fudo en français. on va s'arrêter là bon c'est là qu'il oppose voilà c'est ça que je cherchais la technique et le symbole : la première anthropise tandis que la seconde le second humanise donc il met l'anthropie du côté de la technique et la néguanthropologie, enfin ce que j'appelle la néguanthropologie ou l'anti-anthropie au sens où on le dit avec Maël du côté du symbolique. Et je pense que c'est tout à fait erroné de raisonner comme ça, que d'abord chez Leroi-Gourhan c'est pas du tout comme ça que ça se présente, et qu'en tout cas nous on ne peut pas à partir du moment en particulier où on a intégré que la question c'est l'exosomatisation, on ne peut pas faire une opposition comme ça entre le technique et le symbolique. Et il faut... Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas ? Et ça c'est interne, ça va générer une contradiction chez Berque lui- même ; si on dit que ce qui m’environne c’est le milieu, que ce milieu est constitué par l'extériorisation et que donc il est technique et que c'est lui qui constitue la médiance, on contredit ce que vient de dire Berque. Donc il y a quelque chose qui ne tourne pas rond là-dedans et ce que j'essaierai de vous montrer si j'en ai le temps c'est qu'en fait ça vient d'une mauvaise lecture de Derrida, c'est-à-dire d'un rejet des questions que Derrida pose autour de la Chora. Mais ça, on le verra la prochaine fois. Là, il faut que je m'arrête, parce qu'il est 19h30 et il faut qu'on ait le temps de discuter. On a jusqu'à 20h30. Oui, oui. Non mais on va... En fait, pour tout dire, j'ai une infection dentaire et je l'ai très mal. Donc je ne vais peut-être pas aller jusqu'à 20h30. Voilà. Donc on peut ouvrir la discussion.

Discussion

01 :36 :13 (Discussion partiellement revue)

Qu'est-ce que c'est que la dialectique ? Et bien au départ justement c’est la dialogique c'est-à-dire que la dialectique de Socrate, ce n'est pas du tout la dialectique ni de Platon ni de Hegel, c'est le dialogue tout simplement. C'est de dire que tout se joue dans le dialogue. Dans un dialogue qui peut être en vis-à-vis, comme c'est ce que défend Socrate, il faut être il faut... dit, il faut être en face à face, dans la franchise du dialogue, etc. Mais si on lit Bakhtine, par exemple, ben non, ça peut être aussi dans la lecture, 300 ans plus tard, de Rabelais, Bakhtine« Le dialogisme de Bakhtine c’est ce que j’appelle la nécromasse noétique » 01 :37 :54↩︎ fait revenir... enfin, 300... 500 ans ou 400 ans, fait revenir Rabelais, etc. Et c'est ce que dit aussi Sénèque, en tout cas tel que l'interprète, Foucault. C'est-à-dire que le dialogisme il peut se faire dans les livres, dans les lettres pas nécessairement en vis-à-vis. Bon. Contrairement à ce que l’on prétend tout le temps Socrate ce serait la parole contre l'écriture. Ce n’est pas vrai du tout. C'est... d'abord, Socrate n'a jamais dit ça, et même s'il a toujours prévenu contre l'écriture, il n'a jamais dit ça. C'est une invention des derridiens, pas de Derrida. Et d'autre part, c'est logiquement ou dialogiquement si je puis dire, voilà, c'est pas du tout enfermé dans la parole le dialogique. C'est dans l'écriture et si c'est dans l'écriture c'est dans l'exosomatisation etc. Et là on peut revenir avec Derrida et dire que de toute façon la parole est toujours déjà de l'écriture et donc de l'exosomatisation. Et donc le sujet c'est l'exosomatisation.

La dialectique c'est d'abord le dialogisme de Socrate, puis c'est la dialectique de Phèdre. La dialectique de Phèdre, c'est le moment où, là au début de Phèdre, enfin ce n’est pas au début, c'est à la moitié à peu près, Socrate discute avec Phèdre et lui dit tu es bien d'accord avec moi que, par exemple, on peut parler et dire des bêtises et donc ce n’est pas parce qu'on parle qu'on dit forcément des bêtises mais toujours il y a des gens qui en parlant disent des bêtises et que donc le problème ce n’est pas la parole c'est la bêtise. Enfin il ne dit pas ça mais vous comprenez ce que je veux dire. Il dit de la même manière tu es d'accord avec moi qu'il y a des gens qui font des livres, des bons livres et qu’il y a des gens qui font de mauvais livres et que la question ce n’est pas le livre, ce n’est pas l’écriture et c'est là qu'ils disent c'est la dialectique. C'est à dire c'est la capacité que l'on a à contenir l'écrit par la puissance dialectique de l'analyse et de la synthèse. Ça c'est extrêmement important, c'est la première fois dans l'histoire de la philosophie qu'on pose, ça sera, ça va structurer à partir de là toute l'histoire de la philosophie, il y a des énoncés synthétiques, il y a des énoncés analytiques, il y a des jugements analytiques, il y a des jugements synthétiques, ce ne sont pas les mêmes types de jugements, mais en dernier recours il faut les articuler pour raisonner ; si on ne tient pas les deux on est dans le n’importe quoi. Moi je soutiens, et il y a sûrement des gens qui ne sont pas d'accord, ça peut se discuter, que l'entendement kantien c'est la puissance analytique et la raison kantienne c'est la puissance synthétique. Ayant posé ça, et ayant ajouté que ce qui va rendre possible la puissance analytique et la puissance synthétique de Platon par exemple, dans Phèdre, c'est le fait qu'il écrit, et là je m'appuie sur Jean-Pierre Vernant, je m'appuie sur Clémence Ramnoux justement etc. c'est parce que j'ai un rapport écrit à ma propre parole que je peux analyser ma propre parole ou la parole d'un autre. C'est parce que je peux comparer, parce que je peux tertiariser, c'est-à-dire mettre ça sous la forme d'une rétention tertiaire, c'est-à-dire transformer le temps de la parole dans l'espace du texte que je peux critiquer, donc analyser, distinguer, Krinein, au sens de distinguer. Ça c'est la dialectique je dirais deuxième version. La troisième version c'est la version qui va s'accomplir vraiment chez Hegel, qui va devenir la dialectique qui va résoudre les contradictions. C'est tout à fait autre chose. Pas du tout ce que disait Platon dans Phèdre. Par contre c'est ce qu'il tente de construire dans la République. C'est-à-dire, et il ne le fait pas, c'est Hegel qui va le faire vraiment. Mais c'est ce qui va se développer dans la République. Et ensuite Hegel va le développer et Kojève va le reprendre et Fukuyama va dire finalement l'histoire s'arrête quoi. Ça pour moi c'est une catastrophe. Maintenant qu'est-ce que dit Derrida sur chora et qu'est-ce que dit chora à mon avis sans même passer par Derrida sur tout ça ? Timée remet en cause toutes les constructions précédentes c'est pour ça que je dis que c'est un très très grand dialogue de Platon, majeur, il remet tout en cause, il revient vers du tragique, c'est-à-dire de l'indécidable. Et ce qu'on verra un petit peu la semaine prochaine, c'est que Derrida montre que... Enfin, en tout cas, Derrida... Il ne faut pas que j'aille trop vite là, mais je crois que Derrida tente de montrer que la Chora, c'est la matrice de ce que j'appelle une supplémentarité élémentaire. Qu'est-ce que je veux dire par là ? Si vous dites que chez les êtres humains, le supplément au sens de l'artifice, quoi, de la variabilité idiomatique, des singularités, etc., qui sont liées à l'artificiel et non pas au biologique disons, et à l'espèce. Si vous êtes d'accord pour dire, je crois qu'il y a beaucoup de gens qui sont un peu d'accord pour dire ça, que l’homme se caractérise par son artificialité, ça veut dire que l’homme est essentiellement supplémentaire au sens derridien puisque le supplément c'est ce qui décrit cette artificialité chez Derrida. Mais comme il est essentiellement supplémentaire, ça veut dire qu'il est élémentairement supplémentaire. C'est-à-dire que son élément, c'est le supplément. Sauf que comme l'élément de l'homme est le supplément et que les suppléments sont tous différents, il n'y a pas d'élément de l'homme. C'est-à-dire que l'homme est toujours en train de construire un élément qui s'avère toujours supplémentaire et qu'il est toujours en train de devoir le... Moi j'appelle ça la pharmacologie. Ce n'est pas au sens de Derrida. Ce n'est pas exactement ce qu'il dit. Je le dis en m’appuyant sur lui mais ce n’est pas exactement ce qu’il dit. Ce que je crois, c'est que dans Chora, il essaye d'identifier la matrice du défaut d'origine qui produit ça. Ce que j'appelle le défaut d'origine, c'est-à-dire la mélancolie de Prométhée, pour moi. Il essaye de faire ça. Alors Derrida, il est toujours d’une extraordinaire prudence, c'est-à-dire extrêmement scrupuleux, il ne se permet jamais d'avancer quelque chose de manière péremptoire, et donc il ne le dit pas. Mais j'essaierai de vous montrer que c'est ce vers quoi il tend. Mais ça on le verra la semaine prochaine. Moi je ne crois pas... Alors, d'abord Derrda il est comme Heidegger, il déconstruit la métaphysique et déconstruire la métaphysique, ça ne veut jamais dire la rejeter. Jamais, jamais, jamais. On ne peut pas rejeter la dialectique hégélienne, c'est un moment purement génial de la philosophie. Mais par contre, on ne peut pas être hégélien et on ne peut pas être dialecticien. On doit passer par la dialectique pour pouvoir, par exemple, aller vers le supplément. Georges Bataille disait la même chose par rapport aux religieux. Georges Bataille était athée, mais il disait que si on ne passe pas par l'expérience du mystique, du théologique, etc., on ne peut pas aller au-delà. Donc, et ça pour moi, moi j'appelle ça l’atranscendantal, l'apostrophe. Vous passez par le transcendantal pour ne plus être enfermé dedans. Donc je crois que c'est ça l'enjeu de la Chora, en tout cas pour Derrida et aussi pour moi. Je crois que c'est aussi ce autour de quoi essaye de tourner Platon et qu'il n'y parvient pas. Pourquoi est-ce que je crois qu'il essaye de... qu'il tourne autour de ça. C'est parce qu'il essaye de revenir à son point de départ, comme très souvent les philosophes à la fin de leur vie. Il essaye de revenir à son point de départ, de reconsidérer tout ce qu'il a parcouru. Mais qu'est-ce que c'est que son point de départ ? C'est Socrate. Alors qui est Socrate ? C'est un présocratique Socrate. Le Socrate socratique c'est Platon, mais Socrate c’est pas du tout un socratique, c'est un présocratique, c'est un tragique. Lui il est dans la culture de Perséphone, du pharmakon, je l'ai déjà dit mille fois ici mais je le redis parce que je ne me prive jamais du plaisir de le dire. Le dernier mot de Socrate c'est « Va sacrifier un coq à Asclépios ». Asclépios c'est qui ? C'est le dieu du serpent. Qu'est-ce que c'est que le serpent ? C'est le pharmakon chez les grecs. Donc voilà, il est pharmacologique et il ne peut pas mourir sans honorer le dieu du pharmakon. Parce qu'on dit toujours que c'est le dieu des médecins Asclépios, ce n’est pas vrai. C'est le dieu des pharmaciens qui sont aussi des médecins, à cette époque-là, médecin et pharmacien c’est la même chose. Comme le chaman il fait à la fois la médecine et il produit, il travaille les herbes et il les prescrit. Et c'est d'ailleurs pour ça que si vous voyez une voiture de médecin en France, vous avez le caducée, voilà le serpent, et si vous allez à la pharmacie c'est aussi le serpent. Parce que le serpent c'est le pharmakon, c'est le poison qui peut devenir remède. Donc voilà ce que je pense, c'est que Platon revient vers, à travers la Chora, revient vers le Socrate du début. Mais ça redevient du coup absolument aporétique. Et moi je dis mystagogique. Pourquoi ? Parce que j'essaye de reconstruire une pensée du mystagogique ou du mystère pour essayer de penser le mystique de Bergson. Qui est un mystique qui n'est pas nécessairement religieux mais qui est au-delà du calcul, au-delà de toute démonstration etc.…