Séance 4
Exorganologie III Remondialisation, Localités et modernité
Bernard Stiegler,
« Séance 4 »,
dans
Michel Blanchut,
Victor Chaix (dir.),
Le séminaire Pharmakon en hypertexte :
2020 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures
numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2020/seance4.html.
version 0, 20/12/2025
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Voilà, ça c'est un cas très concret de ce dont nous parlons dans ce séminaire qui pourrait s'appeler, en reprenant un titre d'un livre dont je vais vous parler aujourd'hui, la conscience de lieu, la conscience du lieu qui est un sujet... oh là là ce n’est pas beau la couleur là... qui est un sujet gravement négligé un tout petit peu abordé par Emmanuel Kant dans un livre que je vous recommande de lire, même s'il est à la fois très court et très difficile. Il a pour titre Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée ? Là où Emmanuel Kant cherche à comprendre, c'est une question absolument fondamentale, à comprendre comment il est possible de faire la différence, faire la différence entre quoi, entre quoi et quoi on pourrait dire entre le vrai et le faux, le beau, le lait, tout ça. Sûrement. Mais d'abord, entre la droite et la gauche. Et, enfin, je vous recommande de lire ce petit texte, il doit faire 20 ou 30 pages. Il est extrêmement fascinant. Il est très problématique aussi à mon point de vue, enfin il n'est pas très problématique, il est problématique, c'est-à-dire qu'il faut le lire en essayant de voir ce qui cloche, si je puis me permettre de parler comme ça, dans la langue familière du français, clocher ça veut dire ne pas fonctionner correctement, ne pas aller droit, il y a un truc qui cloche dans ce que dit Kant, à mon avis, dans ce texte. J'ai essayé de dire pourquoi dans le livre qui s'appelle Le temps du cinéma. Et le truc qui cloche, c'est que Kant ne comprend pas que, pour quelle raison, il a besoin, pour s'orienter, d'attraper un objet ? Parce qu'il est dans le noir, il n'a pas de lumière, il ne sait plus où il est, où est la porte, où est la fenêtre. Et donc il a un truc de base, c'est la différence entre la droite et la gauche. Et donc ça s'est inscrit dans son corps, à même son corps. Donc depuis qu'il est tout petit, depuis qu'il est né, tout ce qu'il fait est organisé par cette distinction entre la droite et la gauche. Alors il y a des gens qu'on appelle dyslexiques ou autre, qui ont des problèmes de droite et de gauche, comme vous le savez. Les gauchers, moi par exemple, j'étais gaucher quand j'étais petit et je suis devenu droitier. Je suis un vrai droitier mais en fait je suis ambidextre, je peux écrire des deux mains. Il y en a un autre qui est très connu qui s'appelle Léonard de Vinci. Et sur lequel il... Pardon ? - C'est une bonne référence. Oui mais il y en a plein des références comme ça en fait. Marianne Wolf a travaillé beaucoup sur la compensation de la dyslexie, puisqu'elle est spécialiste, elle soigne des enfants dyslexiques. Et en fait, voilà, elle a fait une histoire de la dyslexie très intéressante. Il faudrait comparer, d'ailleurs, avec l'histoire de l'épilepsie, etc. Bon, je ne vais pas parler de ça. ce que je voulais simplement dire c'est qu'il y a un texte d'Emmanuel Kant qui explique pourquoi nous avons en nous un principe subjectif de différenciation, il l'appelle ça comme ça, et que nous pouvons nous orienter à partir de lui, mais ce qu'il n'arrive pas à expliquer par contre, à mon avis, lui je crois qu'il ne s'en rend pas compte, c'est que pour qu'il puisse faire fonctionner ce principe subjectif de différentiation, il faut qu’il attrape un objet familier dont il sait où il se tient, le lit en l'occurrence, parce qu'il en parle bien entendu, mais il ne voit pas le truc comme la nécessité transcendantale de l'objet, de l'objet artificiel. Et donc il ne comprend pas qu'il a une conscience du lieu, et ce lieu c'est sa chambre, et ce n’est pas la chambre de quelqu'un d'autre. Donc il y range ses affaires, d'une certaine manière. C'est ce qui constitue ce que j'appelle moi un microcosme. Et c'est ce qui constitue la dimension microcosmique du lieu qui lui-même est toujours est inscrit dans ma macrocosme, ma chambre est dans ma maison, la maison n’est peut-être pas la mienne, elle appartient peut-être à quelqu'un qui me la loue par exemple etc. et d'ailleurs c'est intéressant vous arrivez dans une maison, vous déménagez, on vous loue quelque chose de nouveau, vous n'êtes pas propriétaire et pourtant vous appropriez le lieu, c'est intéressant, vous vous l'appropriez, vous pouvez vous approprier un lieu qui n'est pas le vôtre. Comment est-ce possible ? C'est possible parce qu'en fait on est toujours quelque part, on est toujours dans un lieu que l'on s'approprie et évidemment il y a toujours des gens qui disent mais le propriétaire c'est moi j'étais là avant vous. Donc vous n'êtes pas chez vous, je peux vous foutre à la porte. Et vous pouvez vous plaindre d'ailleurs, il y a des lois qui protègent aujourd'hui encore un tout petit peu en France les locataires, pour éviter qu'on les foute dehors comme ça, même si on peut, voilà. Et pourquoi est-ce qu'on ne peut pas vous virer comme ça ? Parce que c'est chez vous, si c’est chez vous on n’a pas le droit de violer votre chez vous. Le chez soi étant la base de l'autonomie au sens des Lumières, je veux dire au sens même pas seulement des Lumières au sens de la philosophie depuis Platon. Le président de l’IRI en est-il le propriétaire ? non, pas du tout. Il y a une loi qui fait que le président n'est pas propriétaire de l'IRI etc. Tout ça, c'est très compliqué et ça pose le problème du droit classique de John Locke. On y reviendra. Mais si j'en parle aujourd'hui dans ces termes, c'est parce que, et comme je l'ai écrit à Paolo Vignola qui est en ligne, je crois, il m'a dit qu'il était en ligne, j'entame une discussion avec Sarah et lui à la suite d'un texte qu'ils m'ont envoyé, qui va être publié dans la Deleuziana bientôt, et je ne suis pas d'accord avec ce texte. Donc je vais essayer de dire pourquoi. Comme je l'ai écrit à Paolo par cet e-mail, je commence une explication qui se terminera peut-être au 22e siècle sans moi. C'est une longue discussion. Elle ne commence pas avec Paolo ou Sarah ou moi. C'est une très ancienne discussion, sur la question du propre, du lieu, de l'origine, etc. etc. où nous sommes à mon avis aujourd'hui extraordinairement bousculés dans nos certitudes par rapport à ces questions et nous avons une tendance à nous rétracter vers ce qu'on sait. Sauf que ce qu'on sait à mon avis est totalement caduc, quel que soit ce que l'on sait. Totalement caduc par rapport aux questions qui se posent aujourd'hui. Et donc on peut convoquer autant qu'on veut, Platon, Héraclite, Derrida, Deleuze, Kant, etc. De toute façon, ils ne suffisent pas. Et il faut se réveiller, comme Kant le propose en 1781 dans la préface à la première édition de la Critique de la raison pure :
Réveillez-vous, moi j'ai été réveillé par David Hume qui m'a dit, qui m'a fait comprendre que sans expérience, il n'y a rien.
Donc je vais essayer de vous parler de l'expérience d'habiter quelque part. Et je vais essayer de vous dire pourquoi cette question-là eh bien elle suppose de parcourir un long chemin où le point de départ c'est par exemple on dit les peuples autochtones du Canada. Si vous avez lu le dernier livre de Naomi Klein, elle dit qu'il faut défendre les droits des peuples autochtones du Canada. C'est-à-dire les indiens. Je suis allé moi dans l'université indienne au Canada, dans le centre du Canada. C'est une université qui est en forme de tipi d'ailleurs. C'est tout à fait étonnant. Elle est en métal, en acier, en verre, etc. Mais elle a une forme de tipi et c'est l'université des peuples autochtones qui ne vont pas à l'université des peuples colonisateurs. Et bon, j'y suis allé, je ne vous dirai pas ce que j'y ai fait, ce que j'y ai vu, on en reparlera si vous le voulez. Mais moi, ce que j'avais envie de dire à ces autochtones, qui ne sont pas autochtones, ce sont des Sibériens, ce sont des migrants. Ce sont des migrants qui ne se sont d'ailleurs pas vraiment sédentarisés, c'est pour ça qu'ils ont des tipis, ils circulent. Par contre, comme tous les nomades, puisqu'ils sont des nomades, ils ont un territoire. Et ça c'est la première chose que je dis à Sarah et à Paolo, il y a toujours du territoire. Ça n'existe pas des hommes sans territoire. Si ça existe, il y en a. Là, par exemple, place Saint-Michel, on appelle cela « homeless ». Ce sont des gens qui sont à la rue, c'est une situation honteuse à laquelle nous avons la fâcheuse et la honteuse tendance à nous habituer. Nous nous habituons à avoir des homeless. Tout comme nous habituons à toutes sortes de choses d'ailleurs par exemple à ce qu'il y ait aujourd'hui des esclaves dont on ne parle pas. On parle beaucoup de l'esclavage mais on ne parle pas des esclaves qu'il y a aujourd'hui. On parle de l'esclavage. On ne parle pas non plus de ce qu'était l'esclavage du peuple juif par exemple qui était un peuple d'esclaves. Je dis ça parce qu'il y a tout un débat en ce moment sur l'Occident, le colonialisme. Il y a toutes sortes de figures de l’esclavage. Dans ce contexte qui est le nôtre aujourd'hui, qui fait à mon avis exploser toutes les catégories, celles de David Hume, celles de John Locke, celles de Kant, celles de Hegel, celles de Marx, celles de Nietzsche, celles de Deleuze et celle des Derrida et de bien d'autres, et de Lacan d'ailleurs. Et je crois que tout le monde cherche à se rétracter sur sa petite boutique : « Ah non, vous pouvez toucher à tout ce que vous voulez mais pas à Lacan, vous pouvez toucher à tout ce que vous voulez mais pas à Derrida, etc. » C'est aussi réactif que «touche pas à mon territoire français » ; c'est le même processus, la même réaction, c'est de la réaction. C'est ce que Gilles Deleuze dans Nietzsche et la philosophie appelait la réactivité. Et cette réactivité, à quoi est-ce qu'elle réagit ? A un processus de déterritorialisation qui, à mon avis, a atteint ses limites. C'est pour ça que je disais, aujourd'hui, on doit apprendre à penser autrement. Lorsque Deleuze, Derrida, tant d'autres, avant eux Heidegger, etc., ont commencé à parler de la mondialisation, de la globalisation, etc. Heidegger ne parle que de ça, le Gestel c'est ça. Et Deleuze, Derrida, Foucault aussi, d'ailleurs, etc., reprennent cette question différemment, et ce sont tous lecteurs de Heidegger qui ont rompu plus ou moins avec Heidegger, et bien il y a un truc qu'ils ne voient pas, c'est la limite de ce qu’on appelle la globalisation. Ils ne voient absolument pas que ça va produire Donald Trump, ils ne voient absolument pas la question de l'anthropocène, ils ne voient rien du tout. Faut être clair, mais rien du tout, sauf un petit peu Guattari, qui fait que Deleuze, un petit peu, reprenant les idées de Guattari, va dire ah oui société de contrôle, dividuelle et donc trois écologies. C'est la seule petite ouverture qui se fait à cause de ce garçon, un peu mélancolique, que devait être Félix Guatarri. Un peu mélancolique sachant très bien soigner sa mélancolie en soignant celle des autres. Alors ayant dit cela juste en improvisant un petit peu mais c'est pour mettre la carte sur la table avant de commencer à jouer donc je joue « tout atout » comme on dit à la belotte. Tout « atout ». Je choisis que toutes les couleurs sont de l'atout. Si vous avez toutes les couleurs plus que moi, vous gagnerez. Mais moi je crois que j'ai beaucoup d'atouts dans mon jeu aujourd'hui. C'est pour ça que je dis tout atout. Je prends tout. Le 7 de trèfle, le 2 de cœur, tout, tout, tout. Tout ça c'est de l'atout. Et je vous invite à lire ce livre que j'affiche là, Slow Democracy, de David Djaïz, avec qui nous allons travailler, et qui d'ailleurs a fait une émission que j'ai pas encore écoutée, mais j'ai vu tout simplement sur la grille de France Culture qu'il était à la grande table aujourd'hui sur France Culture. Moi je l'ai découvert d'ailleurs sur France Culture, sur une autre émission de France Culture. Bon, depuis s’est parlé, on échange beaucoup. Maintenant, il pose une question. Alors que nous, quand je dis « nous », là cette fois-ci je parle de ce qu'on appelle le Collectif internation, puisque maintenant il s'appelle comme ça, que nous, nous ne posons pas, ça a été l'objet d'une grande discussion avec Michal T. à savoir la question de la nation. Nous, nous ne posons pas la question de la nation. Nous posons la question de l'internation. Mais Michal a eu tendance, on a un petit peu ferraillé tous les deux, un petit peu comme je suis en train de le faire maintenant avec Paolo à qui j'en donnerai la parole tout à l'heure s'il veut la Kprendre, on a un petit peu ferraillé avec Michel parce qu'il avait envie de tirer quand même tout vers la question de la nation. Parce qu'on a écrit un livre, il est quasiment fini, dans ce livre il y a un chapitre qui est dédié à la question de l'internation de Marcel Mauss, dont j'ai déjà parlé plusieurs fois ici depuis plusieurs années. Et en fait, Michal K. a surtout parlé de la nation, défense de la nation, etc. Et je lui dis, non, non, on n'est pas en train de défendre la nation, ce n’est pas le sujet, on défend l'internation. Je lui dis, bien sûr, pour qu'il y ait de l'internation, il faut qu'il y ait des nations. Mais c'est à partir de l’internation qu'il faut penser les nations, et pas à partir des nations qu'il faut penser l’internation, ça c’est extrêmement important. C’est ce qu’on appelle depuis René Descartes « l'ordre des questions ». Et c'est aussi ce que j'ai appelé la supériorité de l'exorganisme complexe supérieur. Qu'est-ce qui fait la supériorité, par exemple, du pape sur l'empereur dans le Saint-Empire romain germanique ? C'est une certaine représentation de la valeur, comme disait Nietzsche, de ce qui vaut, et de ce qui vaut et de ce qui vaut absolument. Il faut qu'il y ait une valeur absolue. Et cette valeur absolue, elle est incalculable. L'empereur vaut moins que le pape. Parce que le pape, il vaut par quoi ? Parce qu'il incarne un dogme, voilà, qui est absolument indiscutable. Et incalculable. Dieu. Et Dieu est incalculable. Dieu, Dieu est incalculable. Pour le dire plus précisément dans le langage de la théologie, il est infini. Il y a d'autres formes, par exemple la nation, justement. La nation, c'est-à-dire la nation au sens de l'État-nation, au sens où Djaïz en parle dans ce bouquin-là, eh bien la nation c'est une forme d'exorganisme complexe supérieur, qui n'est supérieur que parce qu'il en réfère à une supranationalité supérieure à la nation elle-même. Qu'est-ce que c'est que ça ? Eh bien c'est la raison. L'origine du mouvement national, il trouve ses sources surtout en France, notamment avec les textes de Jean-Jacques Rousseau, le contrat social, mais il y en a beaucoup d'autres bien entendu, il n'y a pas que Rousseau, mais c'est quand même essentiellement là que ça commence. Et qu'est-ce que dit Rousseau ? Eh bien il dit que la nation c'est un contrat social passé entre des nationaux, des natifs du territoire, qui sont rationnels, qui ont accès à la raison, et qui, parce qu'ils sont rationnels, représentent la souveraineté. Donc c'est ce qu'on appelle la souveraineté du peuple, qui vient balayer tout à coup la souveraineté du roi, qui elle-même avait été légitimée par le droit divin, c'est-à-dire c'était une souveraineté sous condition que le pape n'ait pas excommunié le roi, par exemple. Alors avec des schismes qui se sont produits, l'église anglicane, etc. etc. donc on ne reconnaît plus le pape mais on est quand même divin. Bon, mais à partir du XVIIIe siècle, ce n’est plus la souveraineté divine qui organise la supériorité c'est la souveraineté de la raison et qui organise tout le discours d'Emmanuel Kant dans Qu'est-ce que les Lumières ? Et à quoi répond en 2019 le 23 septembre Greta Thunberg « Comment osez-vous ? ». Je dis ça parce que Emmanuel Kant dit « Ose savoir » fin du XVIIe siècle, début de l'ère anthropocène et Greta Thunberg répond « Comment osez-vous » fin de l'anthropocène, début du XXIe siècle Qu'est-ce qui s'est passé entre les deux ? Voilà ce qui nous intéresse et ce qui nous intéresse là, et bien passe par, c'est ma thèse, si nous voulons comprendre ce qui s'est passé il faut étudier la thermodynamique ; il faut étudier la thermodynamique, il faut étudier l'ontogenèse des êtres vivants, il faut lire Schrödinger et un peu s'intéresser à la cybernétique et à la théorie de l'information. Donc, il faut revenir à des questions qui étaient celles que posait un grand colonialiste qui s'appelait John Locke, mais qui lui ne se considérait pas comme un grand colonialiste, il se considérait comme un grand philosophe du droit. Et on le considère toujours comme un grand philosophe du droit. Mais c'était aussi un grand colonialiste puisqu'il fondait le droit des occidentaux par exemple à s'approprier les terres de ces nomades que sont les indiens. Et il disait mais on a le droit parce qu'en fait ils ne travaillent pas, ce sont des nomades, ils ne construisent rien du tout. Donc on vient leur apporter la supériorité d'une raison qui est encore divine pour John Locke. John Locke lui c'est encore... il est entre les Lumières et le modèle précédent qui était celui disons de l'âge classique de Thomas Hobbes. Et là il faut être précis. Il y a un territoire qui s'appelle l'Amérique du Nord. Sur ce territoire vivent des nomades qui sont en fait des Sibériens qui sont passés 40 000 ans plus tôt par le détroit de Béring qui à ce moment-là était gelé. Ce sont des chamanes, pourquoi ? Pourquoi est-ce que c'est une grande société chamanique ? Eh bien c'est une société chamanique parce que si vous allez en Sibérie, si vous discutez avec les sibériens, vous verrez… d’abord ils vivent dans des tentes eux aussi, ils chassent exactement comme les indiens, en fait ils se ressemblent beaucoup. C'est le même peuple mais ils ont migré. La question du lieu, si on veut essayer de comprendre ce que c'est que l' »avoir lieu », avoir lieu voulant dire d'abord trouver son portefeuille par exemple quand on l'a perdu, quelque chose a eu lieu j'ai perdu mon portefeuille je l'ai retrouvé, tout est bien qui finit bien pendant cinq minutes, enfin un quart d'heure, j'ai cru que tout était mal, qui allait mal finir donc je pensais avoir perdu mon portefeuille dans la rue, je me le suis fait voler. Si on veut poser ces questions comme il faut, il faut savoir qu'il y a des lieux. Ces lieux sont territorialisés. Toujours. Y compris les homeless qui vivent en ce moment à Saint-Michel, ils sont sur un territoire. Et sur ce territoire, ils essaient de construire leur territoire. Avec ce qu'on appelle parfois le génie de la rue. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'un territoire il est toujours envahi, par exemple de pommes de terre. Je dis par exemple de pommes de terre parce qu'un jour un type traverse l'Atlantique puis ensuite il revient avec des pommes de terre. Tout le monde a entendu parler des fameuses pommes de terre de Parmentier. Tout le monde a mangé en France, vous devez savoir même ceux qui n'étaient pas français ce qu'on appelle le hachis parmentier. Le hachis parmentier c'est une cuisine à base de pommes de terre, de purée et vous savez sans doute que Parmentier est celui qui a fait adopter la pomme de terre par les sujets de Louis XVI. Et pourquoi est-ce que je dis cela ? C'est parce qu'en fait quasiment tout ce que l'on voit comme plantes quelque part a migré avec le vent, avec l'eau, dans les crottes des oiseaux ou dans les cales de bateaux négriers qui revenaient « à vide », comme on dit, parce qu'ils avaient déchargé leur cargaison d'esclaves avec des patates au fond du bateau parce que les armateurs, ils organisaient ce nouveau truc qui commence là et ce qui commence là c'est ce qu'on appelle la globalisation. Elle ne commence pas du tout au 20e siècle ou au 21e siècle, ça commence avec la colonisation actuelle et le premier qui a dit ça c'est Karl Marx. On est dans une époque de gens qui ne lisent plus beaucoup, qui ne sont pas très cultivés. Ce qui fait que c'est difficile parfois de... il faut toujours tout réexpliquer. En tout cas, des territoires natifs, ce sont des fantasmes. Maintenant, ces fantasmes, il faut savoir, c'est très important, ça a été bien expliqué par Étienne Balibar et... j'arrive plus à retrouver son nom, Wallerstein, comme on dit en anglais, en Amérique, un territoire est toujours habité par des migrants qui finissent toujours par croire qu'ils sont dans leur territoire d'origine. Et à ça, il y a des raisons très très précises et très variées et très compliquées. Par exemple, les peuples autochtones dont je vous parlais tout à l'heure, dont parle Naomi Klein, qui dit qu'il faut les défendre, et je suis d'accord avec elle bien entendu, qu'est-ce qui fait que leur territoire, c'est leur territoire ? Ce n'est pas du tout parce qu'ils ont un acte de propriété, c'est parce que leurs morts y sont enterrés. Ce qui fait d’un territoire sa territorialité pour un nomade, c’est là où sont ses morts. Et où il a un droit absolu de revenir. Personne n'a le droit de l'empêcher de revenir sur le territoire de ses ancêtres. Et ça c'est un truc que j'appelle très précisément la nécromasse noétique. Je ne vais pas parler maintenant, j'en ai déjà parlé d'ailleurs et j'en reparlerai plus tard. Mais ce territoire n'appartient pas aux Indiens. D'ailleurs jamais les Indiens n'ont dit qu'il ne leur appartenait. Je pense que les Indiens ont plutôt tendance à penser que le territoire appartient aux bisons, aux loutres, aux aigles, bien plus qu'à eux, ou aux saumons, dont parle Elinor Ostrom. Mais par contre il y a un processus d'appropriation. Et donc les Sibériens qui sont arrivés en Amérique du Nord se sont appropriés l'Amérique. Puis un jour des types sont arrivés avec des bateaux, par hasard d'ailleurs, en plus ils n'avaient même pas voulu venir, et puis ils se sont appropriés ce que s’étaient appropriés ces Indiens, c'était une terre, comme on dit, vierge à cette époque-là. Il n'y avait pas d'êtres humains. Il y a 40 000 ans, en Amérique, il n'y avait pas d'êtres humains. Il n'y avait que des animaux. Donc, les Sibériens sont arrivés, ils ont migré, ils sont allés très loin, ils sont allés jusqu'au sud de l'armée du Sud. Par exemple les Quechuas que vous voyez ce sont des sibériens en fait. Ils ont la peau mate, presque noire, ils sont amazoniens. Donc on se dit ah bah oui c'est des amazoniens c'est normal ils vivent dans la forêt. Mais ce sont des sibériens, ils ne sont pas du tout... ils viennent de Sibérie, depuis longtemps. Les peuples d'origine, ça n'existe pas. Par contre, il y a des peuples qui sont sur un territoire et qui s'y sentent mal. Et comme ils s'y sentent mal, ils commencent à voir des envahisseurs partout. Par exemple, des gens qui viennent d'Afrique en ce moment ou de Syrie Il y a aussi des gens Cochise par exemple qui dit qu'il y a des envahisseurs. Oui ce sont des envahisseurs, ce sont des migrants ce sont des colons américains, enfin des colons anglais et français et espagnols qui sont en général des truands et des prostituées. Puisque vous le savez bien, au départ on envoie ces parias. Ça commence comme ça. Et donc ces parias qui sont chassés d'Angleterre, qu'on envoie dans ce qui va s'appeler plus tard la Nouvelle-Angleterre, et bien ils arrivent chez les indiens et il se trouve que tout aussi parias qu'ils sont, ils ont quand même des fusils. Parce qu'on les a envoyés là-bas, en Amérique, en se disant, c'est très dur là-bas, il y a des tas de microbes, il y a des moustiques, nous, pas question qu'on aille là-bas, par contre, ces putains et ces truands, on les envoie là-bas et on verra ce que ça donne. Ça commence comme ça. Et donc quand Cochise, voire... Enfin, Je dis Cochise, c'est idiot parce que c'est bien avant Cochise. C'est au 15e siècle, donc bien avant ça. Cochise était un grand chef indien, un très grand chef indien. Mais il y en a eu beaucoup, Sitting Bull en particulier. C'est très intéressant de les lire, il faut les lire, ce sont des gens extraordinairement intelligents et fabuleux. Mais pour eux, ces gens-là, c'est des migrants qui viennent leur piquer leur terre, là où il y a leurs ancêtres, etc. Donc ils leur font la guerre et cette guerre dure très longtemps puisqu'elle ne s'est arrêtée qu'à la moitié du 19e siècle donc vous imaginez elle a duré quasiment trois siècles et demi cette guerre et elle s'est terminée par un massacre des indiens. Ce que je veux dire c'est que si on ne commence pas par reprendre tout au début alors on va répéter plein de choses, plein de bêtises et on va dénier des processus fondamentaux. Par exemple ce que disent Balibar et Wallerstein, il y a toujours ce qu'ils appellent un processus d'ethnicité fictive. Ce qui constitue une ethnie c'est la fiction d'un peuple originaire. Pourquoi ? Les indiens, qui sont au 15ème siècle, lorsqu'arrivent les espagnols, les anglais et les français en Amérique, et les portugais, et bien les indiens, eux, ils ont totalement oublié qu'ils sont des Sibériens, évidemment. Ils ne savent d'ailleurs pas du tout ce que c'est que la Sibérie. Et ils parlent de leurs ancêtres. Et qui sont ces ancêtres ? Des esprits. Et ces esprits, d'où viennent-ils ? Eh bien, des morts qui sont enterrés là. Et ils se considèrent évidemment, non pas propriétaires de la terre, parce que ça n'existe pas la propriété pour eux, ils n’en ont rien à foutre, ça ne les intéresse pas du tout. Même si c'est compliqué parce qu'il y a des indiens qui se sédentarisent, les Hopis par exemple, et qu'il y a des guerres entre les sédentaires et les nomades. Je ne veux pas rentrer dans ces détails que je ne connais pas bien, enfin, tout ça est compliqué quand même, très compliqué et en plus les rapports entre les tribus indiennes peuvent être d'une extraordinaire violence. En tout cas ce sont des guerriers, tous sont des guerriers, tous ont cultivé une fiction ethnique qui fait qu'ils ne se considèrent pas propriétaires du lieu mais habitants du lieu et qu'ils ne se considèrent pas propriétaires du lieu, mais habitants du lieu. Et qu'il ne faut pas les chasser, qu'on n'a pas le droit de les chasser. Bien qu'ils ne soient pas propriétaires, parce qu'ils n'ont pas la notion de ce que c'est que la propriété. Cette notion est d'ailleurs arrivée extrêmement tard, y compris en Occident. Les Grecs non plus n'ont pas la notion de la propriété. La propriété, c'est depuis le 17e, le 18e siècle que ça s'est élaboré véritablement, qu’il y a un droit de la propriété, etc. Avant, il n'y a pas de propriété, comme il n’y a pas d’ego par ailleurs ; le moi, au sens où nous nous considérons l’individu, chez les grecs ça n’a pas de sens. Faisons attention de ne pas faire de projection et à ne pas oublier aussi tous ces phénomènes de projection qui sont produits nécessairement, comme l’explique Balibar, par ce qu'il appelle l'ethnicité fictive. Alors Balibar l'explique, mais à mon avis Leroi-Gourhan l’explique beaucoup mieux que Balibar. Parce qu’en fait, Leroi-Gourhan, que Balibar a lu, expliquait très tôt, vous le savez, je l'ai d'ailleurs déjà dit dans ce séminaire, Leroi-Gourhan est arrivé dans le Pacifique. Alors, ce que j'appelle là le Pacifique, c'est les... tous les pays qui longent le Pacifique. Donc, depuis tout en haut, la Sibérie, jusque à Sumatra, etc., enfin là où c'est plus le Pacifique mais disons les limites, en passant par la Chine bien entendu, le Japon, etc. Au départ, Leroi-Gourhan est un spécialiste de ces cultures. Il l'est devenu d'ailleurs, parce qu'au départ il n'était pas du tout évidemment. Il est devenu spécialiste, il a vécu là-bas, il a fait ce qu'on appelle l'ethnographie, l'ethnologie et l'ethnographie. Et qu'est-ce qu'il a mis en évidence ? Eh bien le fait qu'il a fait une archéologie de la Chine et il a montré que la Chine, c'est au départ des milliers d'ethnies. Et qu'il a fallu la terrible main de fer de l'empereur chinois, des empereurs chinois, avec d'ailleurs des luttes avec les mongols, etc. Enfin bon entre islam, le bouddhisme, c’est très compliquée l'histoire de la Chine. Mais ça n'est qu'à partir de ce processus qui a été ultra violent que s'est constitué la Chine. Et je vous montrerai tout à l'heure, si on a le temps, parce que je n’avance pas, là je suis en train d'improviser, je n’ai pas encore commencé mon séminaire maintenant, je vous montrerai tout à l’heure qu’il y a encore beaucoup de traces de cette diversité ethnique en Chine.
Je vous parlais de ce bouquin que je présentais tout à l'heure, Slow Democracy. Je vous recommandais d'écouter l'émission qui a eu lieu il y a quelques semaines et puis peut-être, je pense que celle de ce midi doit être très intéressante, je ne l'ai pas encore écouté, je l'écouterai ce soir. Qu'est-ce que dit David Djaïz, qui est un très jeune garçon, il a 29 ans, il est impressionnant, impressionnant de culture d'ailleurs, culture dans tous les domaines en plus, économie, ingénierie, droit, philo, impressionnant. Eh bien il dit il faut réinventer la nation. Alors je vous disais, nous, ce n’est pas ce qu'on dit. Et j'ai eu un petit problème avec Michal à un moment donné parce que Michal, pour des raisons qui sont d'ailleurs très justifiées, donc je suis pas du tout en train de dire que c'était sans raison, mais il avait tendance à dire on va partir de la nation pour inventer l'internation. Et moi je disais non, il faut toujours partir de qui ? De Dieu, du principe supérieur. Alors nous on n'est plus, moi en tout cas je ne suis plus croyant, il y a des croyants dans la salle mais moi je ne suis pas croyant, je ne pense pas qu'il faille partir de Dieu, je pense qu'il faut partir de la raison. Pour moi, la raison, c'est un principe supérieur de différenciation. C’est aussi pour ça que je vous parlais du texte de Kant, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée. C'est un principe subjectif de différenciation qui doit donner la capacité de faire la différence entre l’inférieur et le supérieur. Oh ce sont des mots dangereux, supérieur et inférieur ! Parce qu'évidemment lorsque... je ne sais pas moi, je vais vous parler d'un jésuite que j'estime énormément, Vieira. Je vous recommande de lire un de ses discours qui est publié je sais plus où, au roi du Portugal. Il revient du Brésil et il dit non, Jésus ce n’est pas ça, on massacre les indiens etc. c’est fabuleux, c’est un défenseur des indiens. Mais il arrive quand même chez les indiens et en leur disant, les garçons, les filles, très bien vous avez vos esprits de la forêt d’Amazonie c’est très bien mais Jésus c’est supérieur. Donc il arrive avec un discours de la supériorité. Karl Marx arrive aussi avec un discours de la supériorité par rapport à ceux qui sont dans l'opium du peuple, voilà, en leur disant votre dieu, ouais, il est sympathique votre dieu Jésus, tout ça, ou celui qui a été révélé à Moïse qui n'est pas un dieu, c'est très bien d'accord mais il y a bien supérieur à ça, il y a la dialectique de Hegel, c'est supérieur, et il faut bien que nous nous foutions dans la tête une bonne fois pour toutes qu'il y a du supérieur. Parce que si on ne veut plus parler de supérieur, alors autant voter Trump tout de suite ou Marine Le Pen. C'est de l'inférieur, mais eux croient qu’il y a du supérieur justement. Et on ne veut pas voter pour eux. Et on les combat à cause de ça. On les combat parce qu'ils disent qu'il y a du supérieur ; et nous on dit qu'il faut les combattre parce qu'on dit qu'il y a du supérieur ? Mais alors on est d'accord avec eux ? Non pas du tout. Ils ne savent pas ce que c'est que le supérieur. Et le supérieur ce n'est pas une substance. Ce n'est pas une incarnation. Ce n’est pas Jésus Christ, ce n’est pas Emmanuel Kant, ce n’est pas Karl Marx, ce n’est pas Mao, le supérieur c’est un rapport. Et ce rapport, il relève de ce que j'appelle depuis quelque temps la néguentropologie. Comme l'entropie est un rapport, il n'y a pas de substance anthropique. Rien n'est substantiellement anthropique. Ça n'existe pas. L'entropie c'est un différentiel d'état. Entre une pièce, comme l'écrit souvent Maël, bon ben, il y a un endroit plus chaud que l'autre, il y a un différentiel d'entropie. Pourquoi ? Parce que s'il y a un endroit qui est plus chaud que l'autre, le plus chaud va vers le plus froid. Et donc, dans ce différentiel d'entropie, tant qu'il y a de la différence, il y a du mouvement, quand il n’y a plus de différence, il n'y a plus de mouvement, ça s’appelle le désordre. Et il n’y a plus d’entropie non plus parce que l’entropie ce n’est pas le désordre c’est le processus d'augmentation du désordre. C'est un processus, voilà. Ce n'est pas une substance. Le supérieur n'est pas une substance. C'est bien pour ça, par exemple que si vous lisez Sitting Bull ou je ne sais qui, vous allez vous dire : il est supérieur ! Il ne parle pas de la supériorité, il ne parle pas de la raison, il n'a jamais lu Emmanuel Kant, etc. Il ne connaît rien de tout ce que je connais, mais moi j'y reconnais une incarnation du supérieur. Et peut-être que lui va y reconnaître, je ne sais pas, dans Jésus-Christ ou dans Emmanuel Kant plus tard une incarnation du supérieur. Par exemple ces indiens qui sont dans cette université des peuples autochtones au centre du Canada que j’ai visités et qui étudient Emmanuel Kant. Donc arrêtons de nous cacher derrière notre petit doigt. Il y a du supérieur, il y a de l'inférieur. Il y a une pharmacologie du supérieur. Et il en va ainsi parce que nous sommes dans un univers en processualité, comme le dit Whitehead, et dans cet univers en processualité, nous sommes des êtres vivants condamnés à disparaître et donc nous cherchons des façons supérieures de durer et il y a un moment où la supériorité de cette durabilité s’appelle Dieu le Père et ce serait évidemment important de parler de la raison pour laquelle c’est « le Père ». Ça, c’était juste pour faire le commentaire de La nation de David Djaïz, je vous recommande de lire le livre, ce n’est pas du tout un truc réactionnaire, ce n’est pas un retour en arrière, c’est une explication de la manière dont à partir de la révolution conservatrice des années70 on a utilisé un certain type de discours pour liquider la nation en tant qu’elle résistait à une globalisation absolue du marché et donc en tant qu’elle résistait à la financiarisation. Donc il remet les points sur les i et il dit maintenant prenons nos responsabilités et réinventons la nation. Alors moi ce n’est pas ce que je dis, ce n’est pas ce que nous disons dans le collectif Internation, on n'est pas du tout parti de ça mais je pense qu'en revanche on a tout intérêt à discuter avec lui parce qu'il représente ce qu’il y a de plus intelligent dans les sciences politiques aujourd’hui.
Maintenant, nous partons en disant... Enfin, je suis parti, j'ai démarré ce séminaire en disant, il y a maintenant deux mois, quand j'ai fait la première, la deuxième séance avec Hidetaka Ishida, où sont, où est, pardon, où est l'individuation collective ? Je rappelais que je crois que ce en quoi nous sommes tous d'accord dans le groupe qui s'appelle le Collectif Internation, c'est qu'il n'y a pas d'individuation psychique sans individuation collective, donc le collectif est primordial. L'individuation collective est primordiale. Ça c'est ce que dit, c'est ce que nous a appris Gilbert Simonon. Et moi je demandais, mais où est l'individuation collective ? Je l'ai répété à nouveau la semaine dernière, et je répète encore aujourd'hui, et je le répéterai encore les prochaines séances. Où est l'individuation collective ? Quelles sont ses limites ? Poser la question comme ça, c'est mal poser la question. La question ce n'est pas où est l'individuation collective, la question c'est où sont les individuations collectives. Pourquoi ? Parce qu'il y a ce qu'on appelle de la multi-appartenance par exemple étudiée dans ce livre-là, qui est en fait un colloque, qui a été organisé par un vieil ami à moi qui est géographe, s'appelle Luc GwiazdzinskiLuc Gwiazdzinski est géographe et urbaniste, chercheur au laboratoire Pacte (UMR 5194 CNRS) et directeur du master Innovation et territoire (www.masteriter.fr). Il vient de publier L’hybridation des mondes chez Elya Editions. Deux de ses ouvrages sur la ville et le temps ressortent chez Rhuthmos en 2016 : La nuit dernière frontière de la ville et La ville 24h/24».↩︎ et dont le titre est l'hybridation des mondes préface de Theodor Zaldin. C'est un géographe qui a essayé de comprendre. C'est un géographe qui s'intéresse vraiment aux lieux, aux territoires, de manière très précise et qui regarde ce qui s'y passe en géographe, il fait des enquêtes. Il ne lit pas énormément les philosophes, je le regrette, je pense qu'il devrait les lire beaucoup plus, mais en même temps on ne peut pas tout faire. Lui, il va y enquêter. Il a d'ailleurs publié un livre que je n'ai pas trouvé très bon, à vrai dire, mais sur les ronds-points des Gilets jaunes. C'est un géographe qui fait du terrain, beaucoup beaucoup de terrain et de la géographie humaine. Ce qui est posé dans ce bouquin, L’hybridation des mondes, c’est beaucoup plus généralement ce qu'on appelle et depuis fort longtemps la multi-appartenance. Nous sommes multi-appartenants. Par exemple ici nous parlons tous français parce que pour suivre ce séminaire faut parler français puisque je parle en français. Donc que nous soyons français, italien comme Giacomo, polonais comme Michal, etc. Eh bien nous parlons français. Nous pourrions nous mettre à parler en anglais. Moi je me sentirais beaucoup moins à l'aise en anglais. Giacomo plus que moi, il parle très bien l'anglais. Mais on pourrait continuer à converser en anglais. Je serais moins en capacité d'individuer le collectif en anglais qu'en français. Individuer un collectif en français, c'est mon métier maintenant. J'écris des livres et ça sert à ça un livre. Ça sert à individuer un collectif dans une langue. Et pour moi, cette langue, c'est le français. Il m'arrive de faire ça en anglais. Je donne des cours en anglais. Mais c'est toujours plus compliqué. Même si, même si, et bien je me suis aperçu que des idées me venaient quand je faisais des cours en anglais qui ne me seraient jamais venus en français. En fait, je vais vous raconter une anecdote. Un jour, quelqu'un qui s'appelle Sam Weber, vous le connaissez peut-être parce qu'il est fort connu par les spécialistes de Walter Benjamin, c'est lui qui a traduit Benjamin, notamment aux Etats-Unis, c'est aussi un critique, un lecteur et un traducteur de Sigmund Freud, il est très connu en Amérique. Un jour Sam Weber m'a dit « Est-ce que tu ne veux pas venir donner des cours à Chicago ? » Je ne parlais pas l'anglais mais j’ai dit oui et je me suis dit, voilà une bonne occasion d’apprendre l’anglais donc je me suis mis à préparer mes cours avec énormément de difficultés voilà et c'est comme ça que j'ai appris l'anglais que je parle toujours plutôt très mal mais en travaillant comme ça tout à coup je préparais mes cours je me suis dit il y a des idées nouvelles qui apparaissent en anglais que je n’aurais jamais eues en français. Qu’est-ce que c'est que ça ? C'est une migration. Heidegger dirait dans la maison de lettres. Moi j'ai horreur de ce langage. Parce que la maison de lettres chez Heidegger c'est la langue. Mais j'ai migré du français vers l'anglais. Et en migrant j'ai appris des choses ; qu’est-ce que ça veut dire que J’ai appris de choses en anglais ? ça veut dire que j'ai habité l'anglais et que j'ai été habité par l'anglais En tout cas il y a de la multi-appartenance et dans ces multi-appartenance il y a des processus de migration je vous parlerai de la médiance bientôt parce que Augustin Berque en parle, c'est un mot qu'il a construit et qui en fait il a construit d'abord pour traduire Fudo de Watsuji dont j'espère vous parler aujourd'hui mais je crois que malheureusement j’improvise beaucoup trop pour arriver à vous parler de Fudo aujourd'hui mais par contre je vous distribuerai des copies de Fudo puisqu'on en a fait des copies électroniques ; on les fera par venir via le réseau pharmakon. Berque parle de médiance. Et moi en fait depuis hier, parce que tout ça m'est venu hier en réfléchissant à ce séminaire, je parle de migrance. Je parle d'une migrance originaire. Par exemple, nous, les français, qui sommes très fiers d'avoir la grotte de Lascaux chez nous, que longtemps on a cru être la première grotte ornée. Oh, alors après on s'est aperçu, merde, il y en a en Espagne, en Afrique du Nord, et tout ça. Ah, chouette, on a découvert Chauvet ensuite en 1992 ? C'est encore... c'est la plus vieille, c'est nous. Eh ben merde, maintenant il y en a une qu'on vient de découvrir en Australie, elle a 70 000 ans. Oh... Alors c'est les Australiens. Les Australiens ? Les aborigènes d'Australie qui seraient... Non, ne faut pas ça. Nous avons toujours tendance à projeter une supériorité non pas de ce qui va venir plus tard - c'est ça le supérieur, c'est toujours à venir - mais des ancêtres, de l'origine. Nous avons toujours tendance à chercher une origine. Et il n'y a pas d'origine. Il faut se le mettre dans la tête une bonne fois pour toutes. Il n'y a pas d'origine. Il y a de la migrance, il y a des tensions. Qu'est-ce que ça veut dire qu'il y a de la migrance ? Ça veut dire qu'il y a des gens qui sont vivants, qui sont quelque part et ne peuvent pas rester. Il y a le feu, il y a plus d'eau, il y a des barbares qui les envahissent, il y a mille raisons. Ils sont donc obligés de partir. Ils sont persécutés par exemple. Par exemple, ces putains et ces truands d’Angleterre. Ils dont obligés de partir. C'est ça où la prison àvie, où les galères. On leur dit, ben tu vas là-bas, chez les sauvages, et puis bon, ils partent. Ce sont des migrants, ils fuient en fait. Les migrants fuient toujours quelque chose. Mais c'est comme ça que se constituent les bifurcations noétiques. Par exemple, ce qu'on appelle les français, qui au départ étaient les francs, et les francs au départ étaient les gaulois, et les gaulois étaient des celtes, etc. Et en fait, ça n'existe pas les gaulois, les celtes, non, ce sont des mouvements. Ce qui fait que, par exemple, ce qui se passe à Dublin, avec les gaëliques et tout ça, en fait on le trouve au Pays Basque aussi, puisqu'il y a des liens entre les Basques et les Celtes. Ce que je veux dire c'est que dès qu'on cherche à trouver le bon fil on se gourre, parce qu'il n'y a pas le bon fil, il y a des tas de fils. C'est comme dans une toile d'araignée, il y a plein de fils. Il n’y a pas un fil qu’on va tirer et qui va nous expliquer tout, ce n’est pas vrai, ça n’existe pas. Après je pense qu'il y a des fils néanmoins qui sont plus solides que d'autres et autour desquels on peut construire quelque chose. Qu'est-ce que je veux dire ? Je disais il y a de la migrance et la migrance en fait je l'ai introduite pour commenter la multi-appartenance. Si par exemple je vais à Chicago je me mets à enseigner en anglais, je migre vers la langue anglaise, je me mets à appartenir à l'anglais, de près ou de loin. Et d'ailleurs, ça a de l'effet, parce que je suis traduit en anglais, j'ai fait des cours en anglais, il y a des étudiants de Chicago qui ont repris des concepts à moi qu’ils ont anglicisé et ça a eu de l’effet sur le vocabulaire philosophique américain. Donc, tout en n’étant pas du tout anglophone, j'ai quand même de l'effet sur la langue. C'est parce que j'ai migré. Tout comme les migrants ici ont de l'effet. Ils ont énormément d'effet en plus. En général, ce sont les migrants qui ont le plus d'effet sur un territoire. Mais ça, évidemment, ceux qui étaient là avant les Bull ne veut pas le savoir. Par exemple Sitting Bull ne veut pas le savoir, c'est celui qui a combattu le général Custer et qui s'est terminé par un massacre abominable. C’est raconté dans un film que je vous recommande de voir. Mais en fait, c'est un livre, au départ, qui s'appelle Little Big Man. Une histoire fabuleuse. Il y a de la multi-appartenance et cette multi-appartenance elle est toujours générée par ce que je vais appeler maintenant des vecteurs de multi-appartenance. Et ces vecteurs de multi-appartenance il faut en distinguer des catégories. La religion par exemple c'est un vecteur de multi-appartenance. Vous savez qu'il y a des Ouïghours en Chine qui sont persécutés en ce moment, qui sont des musulmans. Il y a aussi des musulmans au Moyen-Orient, il y en a au Proche-Orient, il y en a en Afrique du Nord, en fait il y en a partout des musulmans absolument partout. Vous le savez sans doute, c’est la première religion du monde. Alors les islamophobes qui malheureusement courent les rues aujourd'hui y compris avec cet abominable pseudo philosophe dont j'arrive plus à retrouver le nom qui fait un truc à Caen là Comment s'appelle-t-il ce connard ? Onfray, voilà ce connard, j'adore être vulgaire moi. Connard d'islamophobe. Qu'est-ce qu'ils disent ces gens-là ? Il y a des musulmans dans le monde entier. Ah ! Ils nous envahissent ! Il y a intérêt qu'ils nous envahissent. Et c'est d'ailleurs pour ça qu'on lit Aristote et Platon. C'est parce qu'ils nous ont envahis... Alors, il y a deux types de migrants, il y a les migrants qui fuient et il y a les migrants qui conquièrent. Donc à un moment donné, il y a eu des migrants qui venaient de la Mecque là-bas, qui ont entendu la parole du prophète et qui ont essayé d’inventer une nouvelle religion, pourquoi ? parce qu’ils considéraient que la religion juive et la religion chrétienne étaient dégénérées, avaient perdu l’esprit du monothéisme et donc il voulait réinventer le monothéisme. Ils étaient aussi sincères et convaincus que Vieira qui défend les Indiens auprès du roi du Portugal. Et puis, ben oui, entre le 6e, 7e siècle plutôt et disons le 12e, 13e siècle, oui, ils ont fait du chemin. Ils sont même montés jusqu'en France. C'est d'ailleurs pour ça que si vous allez dans le Limousin, il y a des gens qui ont des noms arabes. Parce qu'ils sont venus jusque-là. Et donc, ça a laissé des traces. Et bien entendu, en Espagne, tout le monde a bien remarqué la place très importante des maures, dans la culture maure, mais aussi du sang maure. Et parfois, en Corse, je dis, mais croyez pas qu'il y a un peu de maures aussi chez vous ? Enfin bon, ça, il faut faire attention, les Corses, ils n'aiment pas trop qu'on leur dise ça. En tout cas, pourquoi est-ce que je vous raconte ça ? C'est parce que la religion est un vecteur. Et donc l'islam c'est le dernier grand vecteur. Je dis le dernier grand vecteur mais il y a plein de grands vecteurs. On en connait nous ici les occidentaux, on connait le judaïsme, le christianisme et l'islam. Mais le bouddhisme aussi c'est un énorme vecteur. Le bouddhisme aussi c’est une très grande religion qui a transformé toute l'Asie. De manière très très compliquée d'ailleurs. Il y a eu une très grande lutte entre bouddhisme et islamisme, enfin ou... ou... ouais... islamisme, oui, puisque... particulièrement en Inde, mais aussi en Chine, ça existe toujours. Et tous ces machins-là, il faut arrêter de dire « droit de l'homme, ça », arrêtons. Il faut regarder l'histoire, il faut étudier ces processus et il faut peut-être aller un petit peu plus loin que les droits de l'homme. Parce que les droits de l'homme c'est très bien, c'est la supériorité de l'être suprême, d'accord ? Mais ça ne connaît pas la thermodynamique, ça n’a jamais lu Schrödinger etc. Je ne dis pas du tout que je ne suis pas pour les droits de l'homme. Mais ce que je veux dire par là, c'est que ça ne peut pas être notre supériorité, ça ne peut pas être notre horizon de supériorité. C'est plutôt aujourd'hui, malheureusement, je vais peut-être vous choquer, mais c'est plutôt notre horizon d’infériorité aujourd’hui ; on mobilise les droits de l’homme quand ne sait plus quoi dire, quand on est complètement paumés et qu'on a plus de concepts, qu’on est nul quoi. Alors la religion c'est un grand vecteur. La langue est un très grand vecteur. Pourquoi je dis ça ? En général ça va avec la religion. Mais pas toujours. Ça va avec la religion, par exemple dans l'islam, vous avez des dogons islamisés, ils parlent l'arabe. Ils ne le parlent pas très bien, ils le parlent en fait pour aller à la mosquée. Quand ils deviennent des dignitaires musulmans, ils l'apprennent. De toute façon, dans les Medersa, etc., on apprend l'arabe, c'est la langue du prophète. Alors, les musulmans apprennent l'arabe. Mais les jésuites, ils apprennent le latin, qu'ils soient portugais, allemands il n'y a pas beaucoup de jésuites en Allemagne mais il n'y en a même pas du tout mais vous voyez ce que je veux dire il y a des jésuites un peu partout sauf en Allemagne parce que c’est un pays très luthérien. Ce que je veux dire, c'est que vous pouvez être jésuite de toutes sortes de nationalités. Par exemple, le pape actuel, il est argentin. Mais il parle le latin. Il lit le latin. Pourquoi ? Parce que ce qui fait l'unité de la religion et sa migrance, c'est-à-dire sa capacité à migrer c’est un livre qu’on appelle la Bible chez les juifs, qu'on appelle les évangiles chez les chrétiens, qu'on appelle le Coran chez les musulmans. Je ne sais plus comment on l’appelle chez les bouddhistes par l'imposition. Mais c’est à travers ces écrits qui circulent que se produisent des territorialisations qui sont d’abord des déterritorialisations et qui font que des croyances s’installent l'imposition… en fait les croyants ne se sentent pas du tout imposer quoi que ce soit, c'est la langue de Dieu, donc ils parlent la langue de Dieu. Alors aujourd'hui, le latin n'est plus la langue de Dieu, François ne fait pas ses discours en latin, mais moi quand j'étais petit, le pape faisait ses discours en latin. Dans les années 50 c'était encore en latin les discours. A l'église, je me souviens très bien, puisque ma grand-mère m'y emmenait de temps en temps, le prêtre officiait en latin. Les fidèles ne comprenaient pas un mot de ce que disait le prêtre. Mais c'était le latin, c'est la langue sacrée. Comme on l'a vu avec Hidetaka, l'autre fois, dans le bouddhisme, il n'y a pas la langue sacrée. Il y a l'écriture sacrée. Et cette écriture est chinoise. Alors les indiens disent, les hindouistes en particulier, nos amis d'Elie sont confrontés à ça, disent, ah non, pas l'écriture chinoise, l'écriture indienne ! Et l'écriture indienne, c'est très ancien. Et la grammaire indienne, je peux vous dire que c'est du balèze, c'est de la culture de l'écriture en Inde, c'est très important. Oui, mais les Chinois disent, c'est très important, mais nous on est supérieurs. Alors pourquoi est-ce qu'ils sont supérieurs ? Boh l’Inde cet espèce de truc, un coup c'est des musulmans, un coup c'est des ceci, un coup c'est des cela. Puis finalement c'est des tas de petits états qui n'arrêtent pas de se faire la guerre, qui se bagarrent tout le temps. Sans arrêt, ça fait des siècles que ça dure, ils se massacrent les uns les autres. Nous en Chine, on a l'empereur. Et on ne se massacre pas les uns les autres. La Chine, elle est derrière son mur, sa fameuse muraille, et elle a son écriture qu'elle a exportée en Corée, au Japon, un peu partout. Et c'est pour ça que Hidetaka, que vous avez vu ici, il peut lire un livre en chinois. Parce que si vous êtes un lettré japonais, évidemment que vous lisez l'écriture chinoise parce que c'est l'écriture des lettrés japonais. C'est assez récent la transformation de l'écriture du chinois ancien en ce qu'on appelle l'écriture japonaise, des kanjis, etc. mais qui est une adaptation récente. Alors tout ça, ce sont des phénomènes de migrance.
Tout à l'heure je vous parlerai de la radio. Alors je vais accélérer, j'arrête d'improviser complètement et je vais accélérer. Je vais essayer de vous parler des rapports entre territoire, migrants et vecteurs de territorialisation, déterritorialisation. Si on ne tient pas les trois, on blablate, on fait de la rhétorique, c'est-à-dire de la sophistique. On va dire par exemple, on part des migrants. Non, on ne peut pas partir des migrants, ils vont quelque part. Ils viennent de quelque part, ils vont de quelque part. Si on ne tient pas compte des territoires qu'ils ont quittés et où ils vont, on blablate. Donc il y a des migrants et il y a des territoires. Et puis ensuite il y a des vecteurs. Malheureusement, il y a des gens pour qui les vecteurs, ce sont des bateaux qui les emmènent depuis l'île de Gorée, au large des Sénégal jusqu'en Amérique et comme esclaves. Il y a aussi ces vecteurs-là. Et ces vecteurs-là s'appellent en plus le christianisme. Parce qu'il y a des tas de gens qui vont dire « mais c'est ça le christianisme » et c'est vrai malheureusement. Donc tout ça est très complexe. Il n'y a pas de choses simples et il va falloir se mettre à travailler ces choses-là de manière extrêmement détaillée et sans arrêt... en arrêtant de répéter toujours la même chose. L'enjeu qui est derrière tout ça, c'est comment on distingue des exorganismes complexes inférieurs des exorganismes complexes supérieurs et comment il y a de la supra-supériorité, si je puis dire. Ce qu'on appelle de la suprématie. Vous avez remarqué que en 1780, je ne sais plus combien, 11, 12 peut-être, je ne me souviens plus très bien, voilà, les révolutionnaires de 89 sont en train de réinventer quoi ? La religion de l'Etre suprême. Donc ils considèrent que la raison, ça ne va peut-être pas beaucoup parler aux paysans d'Épineuil, donc peut-être qu'il faut leur réinventer une divinité. Donc on va appeler ça l'Etre suprême. Alors eux, ils disent « Ah mais c'est la raison ! » Sauf qu'il faut quand même l'incarner et tout ça, il faut des rituels. Ça ne marche pas du tout, comme leur calendrier ne marche pas non plus du tout. Tout ça se casse la figure lamentablement, ce sont des tentatives de construire de nouveaux horizons de suprématie. Et comme j'ai dit dans un texte que j'ai destiné au collectif internation, et bien la suprématie c'est l'argument de ce qu'on appelle les suprématistes. Je ne parle pas de ce grand peintre, comment s'appelle-t-il ? Pardon ? Malevitch. Je ne parle pas de Malevitch, je parle de Donald Trump qui s'appuie sur les suprématistes blancs. Ça mériterait d'ailleurs d'analyser pourquoi ils ont le même nom, le mouvement de Malevitch et ces gens-là. Ça mériterait de regarder de près. Ce n’est jamais anodin quand un mot est le même pour désigner des choses apparemment contraires. Ça s'appelle chez Hegel un Grundwort, un mot spéculatif, on traduit en français, un mot fondamental. Alors, j'essaye de comprendre ce que c'est que la migrance et j'essaye de comprendre comment à travers des processus de migrance se métastabilisent, là je parle la langue de Simondon, parfois, des exorganismes complexes supérieurs. Les jésuites, les esprits des grandes représentations indiennes en Amérique du Nord, le chamanisme des chasseurs de phoques en Sibérie, etc. Comment ça se métastabilise ? Parce qu'à un moment donné ça doit se métastabiliser, sinon on ne saurait même pas que ça existe, ça aurait disparu depuis longtemps. Mais ça ce sont des trucs qui ne disparaissent pas, ça peut durer des siècles, voire des millénaires. Le chamanisme en Sibérie, ça fait au moins 50 000 ans que ça existe. Ça existe toujours. J'y suis allé. Il y a toujours des chamanes en Sibérie. Ça existe toujours. Même après Staline. Il y a des choses que, je crois qu'on trouve partout dans tous ces processus, il y en a d'autres qu'on ne trouve pas partout. Par exemple, la radio, on ne la trouve pas partout. La radio, on la trouve à partir de quand ? 1920. La radio existe avant. Elle est inventée pendant la Première Guerre mondiale, par les armées qui se combattent sur le front de la grande guerre et elle devient civile en 1920 aux Etats-Unis et en 1923 en Europe. La religion, il n'y en a pas partout non plus. Moi je ne suis pas du tout d'accord avec Jean-Pierre Vernant quand il parle de la religion des Grecs. Les Grecs, ils n'ont pas de religion. La religion c’est qui relie dans l’Un. L'islam est une religion, le judaïsme, le christianisme sont des religions, mais le chamanisme par exemple ce n’est pas une religion. Le polythéisme ce n’est pas une religion, c'est une piété, ce n’est pas la même chose. Là-dessus je suis d'accord avec Jean-Luc Nancy, je ne suis pas beaucoup d'accord avec lui sur la religion en général, mais sur ce point-là je suis d'accord avec lui. Donc la religion c'est un truc récent en réalité, ça date d'après, de bien après le néolithique et d'ailleurs comme vous le savez il y a un texte extrêmement important de Freud sur Moïse qui a été repris et commenté par Thomas Mann dans Moïse, je ne sais plus comment il s'appelle en fait, La Loi, un texte petit, je vous recommande de lire, c'est une petite nouvelle de Thomas Mann. Vous la trouverez aux éditions Mille et une nuits à 2 euros je crois, ou 3 euros. C'est un petit texte extraordinaire. Qui montre que, avant le Dieu unique, qui est l'origine de la religion, qu'on trouve aussi dans le bouddhisme, il y a les dieux. Il y a les dieux et ce sont... il y a d'abord les dieux égyptiens et puis il y a le pharaon qui est un être tout à fait à part, un peu comme une abeille dans une ruche, enfin une reine d'abeilles dans une ruche, etc. Et ça n'est que à travers une transformation qui va passer par l'esclavagisation des juifs, des tribus juives. Ce n’est pas moi qui parle comme ça, c'est la Bible. C'est l'esclavagisation des tribus juives qui va conduire à la migrance conduite par Moïse, qui est un guerrier, qui n'est pas juif en plus. Il est égyptien. Ça c'est un sujet de grand conflit entre toutes sortes de commentateurs de Freud, mais Freud, et c'est Freud qui dit ça, ce n’est pas un juif, c'est un égyptien, c'est un enfant adoptif. En plus du couple pharaonique, vous savez on dit souvent Moïse sauvé des eaux. Tout le monde connaît cette expression, il y a un film de Jean Renoir qui s'appelle Boudu sauvé des eaux. C'est une reprise en fait, mais Moïse sauvé des eaux c'est dans la bible et comment est-ce qu'il est sauvé des eaux ? par un personnage pharaonique qui le recueille, il est dans un panier d'osier, il est sur le fleuve, il est en train de se noyer, il est récupéré, il est adopté et donc Freud dit Moïse est un être adoptif, c’est pas un juif, c'est un égyptien adopté mais en tant qu'être adoptif et il va mettre en place un processus de l'adoption qui est à la base du judaïsme. Mais ça je ne vais pas le développer. Alors, la religion ça apparaît tard. L'écriture aussi ça apparaît tard. La radio encore plus tard. Tout ça, ce sont des... Les bateaux qui transportent des gens d'Afrique vers l'Amérique et puis des pommes de terre de l'Amérique vers l'Europe, ça apparaît très tard aussi, avant la radio, 5 siècles avant la radio. Par contre, il y a deux trucs qui apparaissent très tôt dans les processus de migrance. C'est la langue. Et c'est le territoire. Même les homeless de Paris, j'allais dire de Sarcelles, même les homeless de Paris, là, qu'on voit dans la rue, à 150 mètres d'ici, il y en a plein malheureusement, mais ils ont un territoire. Ils doivent habiter un territoire, un territoire inhabitable. La rue est inhabitable. C'est pour ça que ça s'appelle « homeless ». Mais néanmoins, ils doivent y habiter quand même. Et c'est ce qu'ils font. Alors, parfois, ils utilisent des cartons. Dans le pays où habitent maintenant, pays de migrance de Paolo et de Sarah, il y a des favelas. Ce ne sont pas des maisons comme nous les connaissons. Elles ne sont pas en carton, mais elles sont précaires. Des matériaux, ce sont des gens de la rue qui ont construit et puis ça devient des quartiers, etc. Il y a du territoire. Sans territoire, il n’y a rien du tout. Le territoire, par exemple, c'est celui des Touareg, que vous voyez là. Les Touareg, nous les Français, on les connaît tous parce qu'on les appelle les hommes bleus. Ils sont très typiques, ils sont beaux, ils sont magnifiques, ils sont les seigneurs du désert. Ils ont un nom d'ailleurs, je ne sais plus comment on les appelle, ils ont un nom, seigneurial. Ça c'est une représentation du territoire des Touareg, qui malheureusement sont devenus ACMI maintenant. À cause de qui ? À cause de cet autre connard qui s'appelle Bernard-Henri Lévy, qui a réussi à convaincre cette espèce de connard qui s'appelait ça, c'est un délit, excusez-moi, monsieur le président de la république, s'appelait Sarkozy. Je n’ai pas le droit de dire que c'est un connard Sarkozy, bon, il est protégé par la loi. Et ce sont ces deux mecs qui ont inventé l'idée d'envahir la Libye, de détruire la puissance de Kadhafi, et qui ont détruit totalement tout ce qui protégeait jusqu'alors tellement bien, grâce à Kadhafi, le Mali de l'islamisme. Et pas seulement le Mali, mais toute l'Afrique du Nord, sauf l'Egypte. Alors ça c'est une façon de représenter le territoire des Touaregs. Les Touaregs ce sont des nomades, hein. J'en ai vu, moi, j'en ai rencontré dans le sud marocain. Ils sont plus à chameau maintenant, ils ont des Land Rover. Mais ils continuent, ils continuent, ils font toujours des caravanes. Alors ils ont des Kalachnikovs maintenant et ils transportent parce qu'ils font du commerce entre Tombouctou et Ouarzazate. Ça continue à exister, la route du désert existe toujours. Il y a des points d'eau toujours, ils ont toujours besoin de trouver de l'eau. Ce n'est plus des chameaux mais leurs bagnoles ont besoin d'eau, et eux aussi. Et donc ils ont un territoire, sur ce territoire ils circulent, ils circulent entre quoi et quoi ? Des oasis. Et comme vous l'avez peut-être vu dans certaines films par exemple le film qui raconte la conquête par les anglais de Laurence d'Arabie, qui est à l'origine de tout le bordel qu'on voit maintenant d'ailleurs au Moyen-Orient, disons-le en passant, et bien il y a des puits, vous ne pouvez pas y aller. Si vous y allez et qu'il y a un Touareg qui est là et que vous allez prendre de l'eau dans son puits, vous aurez de gros problèmes. Même si les Touaregs sont très hospitaliers, ils vous donneront de l'eau, mais dans certaines conditions, en respectant leur hospitalité, etc. Alors ça c'est une façon de regarder les territoires Touaregs, ça c’en est une autre. C’est pas du tout la même vision, là, on regarde le territoire des Touaregs à partir des Touaregs tandis que là on le regarde à partir de l'Empire Songhaï et de... voilà, de... des forces géopolitiques et comme vous pouvez le voir, eh bien, il y a des intersections. Il y a des intersections entre ces forces et il y a donc des conflits, etc. Mais ce sont des territoires... il y a des territoires... Par exemple, les nomades, ce qu’on appelle les Roms ce sont des nomades, les gitans ce sont des nomades. Et les gitans ils ont toujours eu des problèmes dans l'Europe occidentale à tel point que Husserl lui-même, qui était pourtant quelqu'un de très bien, les considérait comme des gens qui ne faisaient pas partie de la civilisation. Derrida souligne ça dans un texte. Et bien on les a persécutés. Ce que je veux dire par là, c'est qu'il y a des territoires qui sont habités à la fois par des sédentaires et par des nomades. Les sédentaires voient toujours les nomades comme des dangers. Mais les nomades voient toujours aussi les sédentaires comme des gens qui leur ont piqué des droits qu’ils ont, d’accéder à l'eau, tout à coup ils avaient l'habitude d'aller prendre de l'eau à tel endroit, puis d'un seul coup c'est fermé, il y a une barrière et tout. Ils cassent la barrière. Donc les gendarmes arrivent, on arrête la personne, etc. Ce sont des histoires qu'on connaît bien en France. Mais pas seulement en France, à peu près partout.
Alors, le territoire c’est la base du processus d'individuation collective où se produit l'individuation collective, toujours sur un territoire, pas forcément mon territoire mais toujours en relation avec un territoire et une langue ; par exemple la langue de cette femme qui est ce qu'on appelle en Afrique une griotte parce qu'on croit qu'il n'y a que des hommes qui sont griots, pas vrai du tout en Afrique on est beaucoup moins phallocrate qu'en France contrairement à ce qu'on croit. Ça c'est une griotte. C'est-à-dire que c'est une femme qui vient dans un certain nombre d'événements, qui parle. En l'occurrence, elle fait des complaintes, elles sont plus ou moins chantées. Donc souvent la langue qui circule, qui est le vecteur de la multi-appartenance, cette circulation, elle se fait souvent à travers aussi la musique. En Afrique, c'est fondamentalement à travers la musique. Et le rythme. Je dis ça parce que l'article auquel je suis en train de répondre en ce moment de Sarah et de Paolo parle du rythme. Il faut aller voir de près l’histoire du rythme. Cette griotte-là, elle utilise le rythme, c'est à dire qu'elle raconte quelque chose plus ou moins en le chantant sur une base tambourinée. Elle a un instrument de musique, elle en a même plusieurs et elle est accompagnée par des gens qui rythment le truc. Ça c'est une modalité. Il y a d'autres modalités, j'y reviendrai tout à l'heure, et je reviendrai tout à l'heure sur le rythme. Alors, il y a par ailleurs ce qu'on ne trouve pas partout. Moi je soutiens que la parole on la trouve partout. Où que vous alliez dans le monde, en Sibérie, en Amazonie, chez Xi Jinping, chez Donald Trump, il y a de la parole. Et il y a du territoire. S’il n'y a pas de parole et s’il n'y a pas de territoire, il n'y a rien du tout, il ne se passe rien. Donc il faut d'abord penser ce que c'est que la parole et le territoire, mais il faut aussi penser, dans certains pays, ce que c'est que les esprits de la forêt. Vous les trouverez si vous allez à Kyoto dans une forêt au nord de Kyoto. Au Japon, les villes sont généralement entourées de collines, ces collines sont couvertes de forêts, ces forêts sont sacrées et interdites. Et dans ces collines sacrées et interdites, vous avez des esprits de la forêt. Et vous ne pouvez pas y aller comme ça. Tout l'imaginaire de Miyazaki que vous voyez dans ses films, par exemple la princesse Mononoké etc., c'est nourri par tout ça ; le japon au départ ce n’est pas bouddhiste et pas shintoïste ce n’est pas le japon au départ c'est un peuple très ancien qui est dans une société qui est donc fondée sur la culture des esprits de la forêt, au départ. Vous avez d'autres qui ont des dieux par exemple les grecs (une représentation parcellaire du panthéon grec) et ça n'est que récemment grosso modo autour du septième siècle avant Jésus-Christ et ce qui est tout à fait formidable c'est que ce qui se passe en Europe se passe aussi en Asie à peu près au même moment. Ce que je veux dire par là, c'est que vous le savez, hein, vous en êtes aperçu, Confucius apparaît à peu près au même moment qu'apparaissent les présocratiques, voilà. Et que, il se passe, c'est extraordinaire de voir cette convergence... alors qu'il n'y a aucune communication entre les deux. Là, il n'y en a pas. Il n'y a pas du tout, du tout de circulation, il n'y a pas d'échange. Ce sont deux mondes civilisés tout à fait séparés. Eh bien, ils produisent comme ça des espèces de sagesse ancienne, impressionnant ! Et il y a une unification qui va se produire, qui va conduire à l'Empire d’Alexandre à l’ouest de l’Indus et à l’Empire chinois à l'Est de l'Indus. Et Alexandre va arriver jusqu'à l'Indus, c'est pour ça que je parle de l'Indus. Et qu'est-ce que ça va produire tout ça ? Le monothéisme. Mais le monothéisme, que vous voyez là représenté par Bruegel à travers la fameuse tour de Babel... je ne sais pas comment appeler ça, allégorie ? peut-être, allégorie de la tour de Babel, commence par la babélisation. Donc, le territoire commence par l'idiomatisation. Autrement dit, vous ne pouvez pas séparer le territoire et l'idiome. Et la langue, en fait, c'est l'idiome. C'est à partir du concept d'idiome qu'il faut penser la langue. D'idiome, ça veut dire d'idiotie. Et je vous recommande de lire l'Idiot de Dostoïevski, parce que l'idiotie, chez Dostoïevski, c'est pas simplement la langue, ce n’est pas simplement le bégaiement de Moïse, c’est très important parce que Moïse c'est un être qui est idiot idiomatiquement, il bégaye. C'est quand même incroyable ça, que Moïse bégaye et qu'il y ait si peu de réflexion sur... Et pourquoi est-ce qu'il bégaye ? Comment ça se fait que c'est un bègue qui révèle l'état de la loi ? C'est quand même incroyable ! Pourquoi il n'y a pas plus de travail là-dessus ? C'est parce qu'il y a des théologiens qui ne veulent pas revenir sur leur dogme. Il y a de la quasi-cause là-dedans. C'est peut-être moins l'unification que la rythmisation de l'idiome par le bégaiement. Moi j'ai des amis bègues. C'est toujours compliqué quand on est bègue et la façon dont ces amis ont surmonté leur bégaiement, c'est comme la façon dont Léonard de Vinci surmonte sa dyslexie, Dostoïevski, son haut-mal, c'est-à-dire son épilepsie, etc. Et ça, dans le langage pour moi de Deleuze, ça renvoie à la quasi-causalité, la quasi-causation du défaut. Qu'est-ce que c'est que Babel ? C'est le défaut de langue. Il n'y a pas de langue. Il y a des langues. Mais la langue n'existe pas. Et pourquoi est-ce qu'il faut un Dieu ? C'est parce qu’il y a des langues, il n’y a pas la langue de Dieu. N’écoutez pas les fabricants d’idoles etc. C’est comme ça que commence la Bible. N'écoutez pas tout cela. Il y a Dieu, mais vous ne le verrez jamais. Il ne faut pas le nommer. Il est au-delà de la diversité des langues et jamais il n'y aura une seule langue. Jamais. En tout cas, pas sur Terre. Il y a de la babélisation. Et cette babélisation, alors ça c'est une babélisation allégorique, ce que je vous montre là, ce tableau de Bruegel, mais après il faut la regarder de près. Qu'est-ce que c'est que la babélisation ? Ben ça, par exemple, c'est une carte de la francophonie : 54 États et gouvernements membres de la francophonie. C'est la très grande fierté des français. Vous vous rendez compte ? Malgré les anglais qui nous ont piqué la langue diplomatique, Leibniz parlait français et tout ça. Pourquoi ? Parce que le latin a été remplacé par le français. Les grands êtres cultivés du 18e siècle, ils parlent français. Ils parlent français parce qu'à cette époque-là, les Lumières, la République des Lettres ont fait que le latin... oui on continue à parler latin, bien entendu, Leibnitz écrit en latin, mais on se met à parler la langue diplomatique des français. Et alors les français en sont extrêmement fiers. Donc régulièrement vous avez ce genre de présentation, bah oui, il y a encore, vous voyez, quand même, plus que la moitié de l'Amérique du Nord parle français. Si vous regardez cette carte, c'est complètement faux en réalité. Ça veut dire simplement que dans ce pays, le Canada, il y a des gens qui parlent français. Il y en a très peu en réalité. Il y en a au Québec, il y a des anglophones qui parlent un peu le français parce que c’est une certaine obligation, il y a des lois, mais il y a quand même, voilà, si vous allez à Toronto, il n'y a pas grand monde qui parle français. Bon, mais là, vous allez en voir partout. Alors, cela dit, on voit à peine les Antilles, il y a Madagascar ; il y a une partie de l’Afrique qui est en train de s’angliciser quand même à toute vitesse. Et puis il y avait des pays où autrefois on parlait très bien français, l'Italie par exemple. Moi, il n'y a encore pas très longtemps, il y a 30 ans, 35 ans, quand j'allais en Italie, je parlais en français. Les jeunes italiens parlent français. Il y en a encore qui parlent français, mais très peu. On parle anglais maintenant. Moi, quand je vais faire une conférence en Italie, on me demande de parler en anglais. Qu'est-ce que je veux dire ? Il y a des vecteurs, les territoires et les langues. Ce sont des choses qu'on n'éliminera jamais. Il n'y a pas d'humanité sans territoire et sans langue. Y compris le territoire d'un homeless qui n'est pas chez lui, on lui dit t'es pas chez toi ? Ben lui il dit si je suis chez moi. Je connais la rue bien mieux que toi en plus. Mais... Y a une précarité. Vous voyez ce que voulait éliminer Locke c'était la précarité. Il voulait éterniser la propriété. Par le travail. Vous allez travailler sur un territoire, il vous appartiendra éternellement, etc. Il était dans un truc monothéiste. Et puis la thermodynamique est apparue, elle a dit mais rien n'appartient à rien du tout, parce que même l'univers en totalité est précaire. Donc arrêtez de chercher des trucs comme ça, des entités. Non, en plus il n'y a pas d'entités, ce ne sont pas des substances, ce sont des rapports. Donc il faut se mettre à penser en termes de rapports. C'est pour ça qu'il faut lire Whitehead, c'est parce qu'il pose ce genre de questions. Et Simondon. Maintenant, la langue, on peut se la représenter comme ça, elle est territorialisée plus ou moins mais elle est territorialisée toujours comme ça ; qu'est-ce que c'est que ça ? c'est la langue chinoise sauf que vous le voyez et je pourrais vous montrer ici aussi d'ailleurs alors là vous voyez pas mais il y a aussi la suisse, la belgique et le Luxembourg ; vous savez très bien que les belges ne parlent pas le français tout à fait comme les français et ne parle pas le français comme les canadiens et vous savez très bien que les sénégalais parlent pas le français comme les belges. Pourquoi ? C'est parce que les langues s'idiomatisent. Elles sont toujours déjà en train de se rediviser. Il y a une langue, on va dire, il y a le français, oui, mais le français ça n’existe pas, il y a le français de tel endroit, il y a le chinois par exemple de Pékin, il y a le chinois de Canton, il y a le chinois de Wu, etc. etc. Et tout ça en fait c'est pas du tout les mêmes. Moi je le savais mais quand je... par exemple mon ami, vous connaissez, certains d'entre vous connaissent bien que ça s'appelle Yuk Hui, ce qui se dit pas du tout comme ça en chinois, en chinois c'est Chuju. Donc au début on me disait Chuju, je ne comprenais pas, on me parlait d'un mec qui s'appelait Chuju. En fait il était à côté de moi le mec, on me parlait de lui, mais je ne comprenais pas parce qu'on le prononçait comme va devait être prononcé en chinois. Après je travaille beaucoup avec Chuju, en fait Yuk Hui en français, quand on l'explique dans notre phonétisation et un jour on m'a dit mais vous savez, Yuk, enfin Chuju, on ne comprend pas très bien ce qu'il dit. Il a un accent cantonais pas possible, il fait des fautes de chinois. Nous on ne parle pas le chinois comme ça. J'étais tout à fait stupéfait. C'est-à-dire qu'il y a une différenciation linguistique très importante en Chine, bien plus importante que par exemple les petites différences qu'on peut encore trouver en France. Enfin en France, elles ont été quand même largement éliminées par François 1er et tant d'autres, et Jules Ferry, etc. Donc, en tout cas, en Chine, il y a ça, mais en fait, c'est beaucoup plus détaillé que ça. Ça, c'est les grands dialectes chinois. Il y en a beaucoup plus que ça, mais ce n'est pas vrai que de la Chine. En Italie, vous avez toujours une dialectisation très importante de l'italien, oui, c'est l'italien, mais c'est l'italien de Sardaigne, c'est l'italien de Sicile, c'est l'italien de... etc. etc. Mais en fait, ça se divise tout le temps. Et donc, il y a des singularités, là-dedans, incommensurables. Si ça s’appelle idiomatique c’est parce que ça vient du grec, idios ça veut dire singulier c'est à dire pas comparable et c'est pour ça que ce qu'on appelle un idiot c’est quelqu'un qu'on peut comparer à personne d'autre se comportent pas comme les autres c'est un idiot mais l'idiot c'est aussi Epiméthée, Epiméthée ça veut dire idiot en grec mais EPIMETHEE c'est aussi le nom de la collection créée par Jean Hyppolyte de la philosophie la plus spéculative, la plus intéressante qu'il soit. Et c'est ce que disent les grecs aussi. Epiméthée devient à la fin finalement le plus sage. L'idiot devient le plus sage. Alors, ça ce sont des questions de migrance. Et ce que je soutiens, c'est qu'il faut étudier la différance idiomatique - je l'écris avec un a. J'ai déjà parlé de cette différance idiomatique ici maintes fois, bien entendu. Il faut étudier cette différance idiomatique avec toutes ses tensions internes qu'elle a et qui sont non-substantialisables, il n'y a pas le français, ça n'existe pas. Quelqu'un qui a très bien compris ça, c'est Marcel Proust. Si vous lisez tout ce qu'écrit Marcel Proust sur le français, le français de sa bonne, le français de Norpois, etc. Il a très bien dit que le français ça n'existe pas. Le français c'est un processus qu'il faut faire apparaître supérieurement. Et pour faire apparaître supérieurement le français dans sa processualité, il faut écouter ce qu'il y a de supérieur dans les fautes de « Françoise », comme dit Proust. Puisque Proust dit, voilà, Françoise, c’est sa bonne, faisait plein de fautes de français. Mais en fait, il y avait un génie là-dedans, dit-il. Et c'est dans ce génie que se produisait la supériorité de la langue française et moi, ma responsabilité d’écrivain – il ne le dit pas mais c’est ce qu’il fait - c’est d’honorer ce génie c’est-à-dire le supérioriser si je puis dire. Ce n’est pas de dire c'est comme ça qu'il faut parler français. Jamais Proust n'aurait dit ça à quiconque parce qu’il ne parle pas que de Françoise, il parle aussi des gens qui vendent des légumes au marché, il parle des paysans, etc. Alors c'est ce que j'essaye de décrire depuis longtemps, ça fait 40 ans que j'ai produit cette figure (idiotexte), c'est comme ça que je la regarde. Et comme on va y revenir peut-être tout à l'heure si j'ai le temps, eh bien on verra que dans cette... Enfin non, tout de suite, on voit tout de suite qu'il n'y a pas d'origine. Vous voyez bien qu'il n'y a aucune origine là-dedans. Non seulement il n'y a pas d'origine, par exemple ces spires-là elles commencent on ne sait pas pourquoi, mais il n’y a pas d’origine. Ça commence là mais ce n’est pas une origine. Pourquoi ça commence là ? On n'en sait rien. C'est un accident. Ce n'est pas une origine. Et puis, il n'y a pas de fin. Et il n'y aura pas de fin. Quand je dis il n’y aura pas de fin si vous prenez un tout petit peu au sérieux la théorie de l’expansion de l'univers, l'univers, il refroidit indéfiniment, mais indéfiniment, il n'y a pas de fond. Origines et fins, c'est des trucs, c'est des constructions mentales d'esprits étroits qui sont des esprits qu'on dirait de physique macroscopique. C'est-à-dire, voilà, oui, cette table a un début et une fin, elle pèse tant de kilos mais quand on fait de la mécanique quantique par exemple, on ne peut plus résonner dans ces catégories là, ça ne marche pas du tout. Nous il faut qu'on arrive sur ces questions de langues, de territoires à aussi aller un petit peu plus loin, comme les physiciens qui se sont mis à faire de la physique quantique, ou comme les relativistes qui se sont mis à repenser l'espace et le temps tout à fait autrement. Il faut qu'on commence à arrêter de répéter toujours la même chose.
- Il y a des langues qui disparaissent. Ah ben évidemment qu'il y a des langues qui disparaissent. Elles n'ont pas une fin. Justement pas. Elles disparaissent. Elles n'ont pas de fin. C'est comme l'inspiration du départ. Oui, bien sûr, mais là, d'accord. Je vous pose une question. Quand est-ce que commence l'animal ? Si vraiment vous voulez répondre à la question je vous souhaite du courage. Pardon ? Oui mais la néguentropie ce n’est pas une contradiction de l'entropie. La néguentropie c'est la réalité de l'entropie pour un être vivant. Et c'est précisément ce que Derrida appelle la différance.
D'ailleurs je vous recommande de lire le bouquin qui est paru il y a un an qui s'appelle La vie la mort
La Vie la mort. Séminaire (1975-1976), édition établie par Pascale-Anne Brault et Peggy Kamuf, Paris, Seuil, coll. « Bibliothèque Derrida », 2019.↩︎, qui est le séminaire qu'il a fait là-dessus, où il explique ça vraiment en détail. Donc non, mais ce que je dis c'est arrêtons de nous dire que ça commence comme une table commence par exemple cette table là commence ici et là ça arrête, c'est une autre table. Non ça ne marche pas comme ça du tout ni la physique, ni la biologie, ni les idiomes et rien n'est comme ça. Et quant aux langues qui disparaissent, il y a un bouquin formidable qui a été écrit par un Australien, extraordinaire. Alors je ne me souviens plus de son nom malheureusement, j'en parle un tout petit peu dans mon dernier livre. Voilà, il a recensé des milliers de langues dont certaines sont parlées par trois personnes. Ce sont les derniers qui parlent ces langues. Ce sont des langues australiennes. Mais elles ne disparaissent pas, puisque lui il en parle. Donc elles continuent à travailler comme des... c'est ce que j'appelle la nécromasse noétique. Donc elles viennent hanter ceux qui parlent. Ils ne savent plus parler, mais elles parlent encore. Et c'est ça ce que répondent les Hopis à Benjamin Lee Whorf qui lui disent mais tu n'as rien compris à ce que c'est que la langue. Ce n'est pas nous qui parlons, c’est les ancêtres. Nous croyons que nous parlons. Eux aussi, ils croient qu'ils parlent. Mais ils disent au fond, on sait très bien que ce n'est pas nous qui parlons, c'est les ancêtres. Donc non, ça ne disparaît pas comme ça. Il se passe quelque chose dans l'entropie et dans la néguentropie à partir du moment où survient le défaut d'origine tel que les grecs l'ont représenté ici. Ce que vous voyez ici, vous le connaissez, c'est le supplice de Prométhée. Tout le monde sait que là, Héphaïstos est en train de l’enchaîner, il va aller l’exposer à la montagne et l’attacher sur son rocher pour que le vautour ou l'aigle, selon les versions, vienne lui bouffer son foie. Mais ce qui est intéressant, regardez bien, c'est ça. Vous avez bien vu ce tableau-là. C'est une représentation qui n'est pas standard du supplice de Prométhée. Parce que vous y voyez Hermès au coin. Il est bizarre d'ailleurs cet Hermès, il se marre, il rigole de voir ce supplicié, il a le nez un peu rouge, on a l'impression qu'il va faire un tour au bistrot de temps en temps, enfin souvent même. Il a une drôle de tête, il est presque bachique, on croirait Bacchus. C'est peut-être un peu un Hermès bachique et donc cet Hermès peut-être qu'il faudrait le faire communiquer avec Bacchus via Dionysos en fait parce que Bacchus en fait c'est Dionysos. D'accord ? Je laisse ce truc, c'est un sujet de discussion que j'ai avec ma fille Barbara Stiegler et on a du mal à se comprendre. En tout cas si je vous en parle c’est parce que ce que représente ce tableau dont j’ai oublié le nom de celui qui l'a peint, c'est la deuxième partie du mythe de Prométhée et d'Épiméthée raconté dans Protagoras. La deuxième partie, c'est Hermès arrive. Qu'est-ce que dit Hermès ? Vous allez vous faire la guerre, tous là, entre vous parce que vous avez des armes, vous ne savez pas comment il faut les utiliser, vous n'avez pas de loi, tout ça, vous allez massacrer les uns les autres. Zeus s'est inquiété, il a dit ils vont disparaître, donc il ne faut pas qu'ils disparaissent, donc il faut leur donner une loi. Et qu'est-ce que c'est que cette loi ? C'est l'écriture comme pouvoir d'interprétation. Qu’est ce que ça veut dire ? l’écriture comme pouvoir d’interprétation avec la technique vont venir se territorialiser dans des lois. Parce que ces lois sont les lois de la cité. Où il y a des autochtones, à Athènes, les enfants d'Athéna et d'Erichthonios. Enfin Erichthonios c'est le premier Athénien. Donc là c'est la fonctionnalisation par les Grecs qui sont allés très loin dans la critique de la fiction mais qui quand même ne se passent pas de cette fiction-là. Il y a de l'autochtone, il y a des métèques, il y a ceci, il y a cela. Mais il y a aussi quand même, c'est très important, des lois de l'hospitalité et puis il y a des esclaves, bien entendu. Puisque les grecs ce sont quand même d'abord des guerriers, ce ne sont pas d'abord des philosophes ou des architectes ou des artistes, ce sont des guerriers. De quoi vivent-ils ? D'aller attaquer les voisins, piquer les hommes et les femmes et les enfants, tuer les hommes, réduire les enfants et les femmes en esclavage et faire grandir les enfants, les élever. Parce que vous avez peut-être remarqué, si vous avez lu le Ménon, que l'esclave de Ménon sait lire et qu'il est même cultivé. Donc ils vont à l'école ces esclaves. Eh oui, ce sont des esclaves des maisonnées. Ils appartiennent à la maisonnée et on les élève. etc. Alors Qu'est-ce que l'idiome ? C'est ce qui n'arrivera jamais à ces très jolis animaux. Ce sont des petits renards dont je vous ai d'ailleurs parlé dans un autre séminaire il y a deux trois ans. C'est à dire que l'idiome qui arrive avec la technique, c'est ça que nous dit ce tableau, mais c'est aussi ce que nous dit Babel. Je n'ai pas le temps d'en parler, mais... Qu'est-ce que c'est que la babélisation ? Il n'y a pas de langue unique, vous ne parlez jamais la langue... Mais ça veut dire aussi que vous avez un savoir, ce savoir c'est un savoir de la technique vous êtes condamné à travailler, en fait c’est la même chose mais raconté différemment entre le monothéisme et le polythéisme grec des tragiques ; je vais pas développer j'en ai déjà parlé autrefois d'ailleurs mais ce que je voudrais dire par contre c'est que ce qu'on appelle l'individuation collective au sens de Gilbert Simondon ça n'est pas la manière dont ces deux petits renards vivent ensemble ils sont frères et sœurs ou frères et frères ou sœurs et sœurs, ils forment une meute. Mais la meute ce n’est pas l'individuation collective. Là ils ne forment pas une meute, mais ils vont rentrer dans une meute. Enfin les renards non, mais les loups oui, ça ce sont des renards. Les loups oui, ils rentrent dans une meute. Et une meute ça n'est absolument pas une individuation collective. Quand vous entendez dans ce qu'on appelle maintenant les écoles de guerre économique, par exemple vous en avez une à Jouy-en-Josas, ça s'appelle HEC, parce que maintenant on vous dit, on fait de vous des guerriers de la guerre économique, et bien vous pouvez entendre régulièrement qu'il faut apprendre à chasser en meute. Mais par exemple, les guerriers qui chassaient, c'était des guerriers, qui chassaient le mammouth, ils ne chassaient pas du tout en meute, ils chassaient en tribus, pas du tout des meutes les tribus. Une meute, ça ne s'individue pas collectivement, ça s'individue génétiquement. Tandis qu'une tribu, ça s'individue collectivement. C'est-à-dire à travers quoi ? A travers un langage. Les indiens, à toutes les sociétés, les chamanes de Sibérie, les Nambicuaras d'Amazonie, ils parlent, ils s'individuent collectivement en parlant avec ce problème, cet extraordinaire problème qui m'a toujours complètement obsédé qui est cet animal que vous voyez là. Vous la connaissez ? Vous avez entendu parler d’elle ? Quelqu'un la connaît ? C'est Washoe, c'est une femelle, guenon, extraordinaire, qui parlait en signes. Et non seulement elle a appris à signer, comme vous le voyez là, et vous la voyez là aussi, alors là vous la voyez, elle réfléchit. On croirait que, ce n’est pas tout à fait le penseur de Rodin, mais elle est là, elle est... Oh putain ! Oh c'est compliqué les trucs des humains. Madame Gardner est en train d'expliquer ce que c'est qu'un chapeau. Ça c'est une histoire tout à fait vraie. Ce sont les Gardner qui sont des primatologues, qui sont devenus des primatologues, qui ont adopté Washoe, que vous voyez là. Ils ont appris, parce qu'ils ont fait une... c'était des psychologues américains au départ. Ils ont fait l'hypothèse qu’un chimpanzé c'est tellement bien outillé sur le plan neurologique on pourrait lui apprendre à parler et donc ils ont dit puisque c'est comme ça on va prendre une jeune femelle guenon on va l'élever on va lui apprendre à signer et il lui a appris ; alors elle ne signait pas comme un homme, un être humain sourd-muet qui pratique le langage des signes peut signer parce que quelqu'un qui pratique le langage des signes peut signer La critique de la raison pure. Washoe n'écrira pas à mon avis La critique de la raison pure. Mais en revanche elle savait, elle avait 600 mots, c'est quand même pas mal, et elle les a appris à ses petits parce qu'elle vivait en captivité relative, elle était en liberté en fait mais elle était en liberté chez des gens, donc elle était tait « homeless » un peu chez les gens et elle s'est approprié les gens, elle s'est approprié... moi j'ai eu, moi-même j'ai eu une guenon, je sais très bien comment les guenons s'approprient l'espace, je peux vous dire que ce n'est pas évident d'élever des singes mais... parce que c'est extrêmement dynamique un singe. C'est très fort en plus. Parce que si Washoe vous fout une baffe, ça vous tue en fait. Donc les singes ont des ligatures de muscles tout à fait différentes des êtres humains. Donc le principe d'Archimède marche très bien. Donc il vous donne un coup de poing dans la figure et il vous tue. Il vous défonce la tête. C'est très puissant les singes. En tout cas, Washoe a appris à signer et elle a appris à ses petits à signer. Alors si maintenant vous enlevez tout l'environnement expérimental, le laboratoire qui est la famille Gardner, les petits arrêtent de signer etc. Washoe aussi. C'est ce qu'on appelle un animal domestique. Les animaux domestiques ce ne sont pas des animaux du tout comme des animaux de la forêt. Ça c'est très important et ça c'est ce qu'oublient toujours les gens qui parlent de Washoe parce que moi je me suis beaucoup intéressé à Washoe, j'ai beaucoup discuté avec un type qui est devenu maintenant le patron du Collège de France qui s'appelle Alain Prochiantz et qui avait en tête et comme objectif autrefois de transformer un chimpanzé en homme. Et je prenais ça très au sérieux. Je prenais ça très au sérieux parce que je pense que ce n'est pas du tout une absurdité. Mais ce n'est pas de ça dont je vais vous parler. Ce que je veux simplement vous dire, c'est qu’il y a toujours des cas limites. C'est aussi pour ça que je vous disais ça ne finit jamais, ça ne commence jamais. Est-ce que Washoe est un homme ? Un jour, Joëlle Proust, que je déteste, qui est une philosophe soi-disant cognitiviste à la noix, un computationaliste, m'a dit, mais ce que tu racontes, les singes savent faire ça. Je lui ai dit, bah oui, je sais très bien. D'abord, j'ai eu un singe, et moi, je considère que ma guenon faisait partie de l'espèce humaine. Parce que l’espèce humaine, c'est pas un truc qui est jalonné comme s'il n'y a pas une frontière où là commence l'espèce humaine. C'est pas du tout comme ça que ça se passe. Les animaux domestiques sont très humanisés et ils se comportent pas du tout comme des animaux sauvages, mais pas du tout. Et ils sont désanimalisés d’une certaine manière et ça c'est ce que je crois que Derrida n'a pas compris, voilà, qu'il n'a jamais vraiment sérieusement questionné parce que je ne suis pas sûr qu'il ait vraiment étudié la primatologie et tous ces machins-là. En tout cas, ce qui survient à un moment donné c'est l'objet transitionnel, qui va faire que cette relation que vous voyez entre Mme Gardner, j'ai oublié son prénom, et Washoe, que vous voyez là, qui passe par un chapeau, qui pourrait être un objet transitionnel, là c'est tout à fait exceptionnel, c'est un cas très particulier de laboratoire, mais après ça va devenir la règle. La façon dont la mère élève son petit, la mère élève son enfant, comme on dit, on ne dit pas le petit, on dit l'enfant, passe toujours par un objet traditionnel. Alors cet objet traditionnel, chez les griots africains, enfin dans le pays des griots africains, n'est pas le même tout à fait qu’ici à Paris, même si on va à Saint-Denis où il y a des gens qui viennent du monde des griots africains et on en rencontre nous à la clinique contributive, enfin il y a des mixages qui se font, tout ça se... voilà. Et justement qu'est-ce que c'est qui est caractéristique des objets traditionnels ? Ben c'est qu'on les échange. Parce que l'objet traditionnel ce n’est pas simplement le doudou du petit enfant. C'est ce que dit Winnicott, on oublie toujours de le dire, il ajoute mais tous les objets en fait qui sont objets de culture sont des objets traditionnels. Et il y a des objets traditionnels pour adultes. Les marchandises elles-mêmes en tant qu'elles sont fétichisées sont des formes d'objets traditionnels. Et donc, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'ils circulent. Il y a donc une migrance des objets. Alors, si vous avez suivi ce que je disais par rapport aux Grecs, il y a une migrance des objets, il y a une migrance des bébés, il y a une migrance des femmes. Parfois c'est des femmes et des bébés qu'on va voler, on est des grands guerriers, on passe de l'autre côté de la montagne comme disent les mythes et on attaque, on tue tout le monde et on embarque les femmes et enfants, on en fait des esclaves ou des épouses. Parce que très souvent c'est comme ça que ça se termine aussi. Et dans d'autres sociétés, vous n'allez pas attaquer les voisins et tout ça, mais vous échangez 10 tonnes de maïs contre ta femme. Et si vous allez dans le sud de Maroc, on va vous dire, oh, elle est belle ta femme, 40 chameaux. Ça, c'est une plaisanterie, les Marocains, ou des gazelles. Ce que je veux dire par là, c'est que le commerce c'est de la migrance. Et que dès qu'il y a commerce, et commerce ça commence par ce qui se passe là, c'est un commerce. Commerce voulant dire au départ, commerce au départ ça veut dire discuter. Le doux commerce des amants, ça veut dire, ce n’est pas simplement faire l'amour et tout, c'est se parler, c'est Roméo qui dit à Juliette combien il l'aime, etc. C'est le doux commerce des amoureux. Tout ça, il faut abandonner John Locke, la Bible, la physique newtonienne, tous ces machins. Il faut le repenser avec la thermodynamique et ce que j'essaie d'appeler moi la néguentropologie. Et ça passe par l'objet transitionnel et par le fait que, ben oui, vous avez des gens par exemple qui ne sont pas là depuis très longtemps, ça ne fait que 40 000 ans qu'ils sont là, c'est les indiens de l'Amérique du Nord. Il y en a d'autres, ça ne fait que 10 ans qu'ils sont là, c’est les noirs américains du sud de l’Amérique, qui ont remonté le Mississipi en jouant du blues et qui sont arrivés à Chicago et qui sont dans le ghetto noir de Chicago, là où il y a eu de terribles émeutes et où Martin Luther King a mobilisé ce qui est devenu ensuite ce qu'on a appelé les Black Panthers que j'ai très bien connus parce que moi j'avais beaucoup d'amis ici qui étaient des musiciens de jazz émigrés, qui avaient fui les États-Unis, comme Archie Shepp, qui était communiste par ailleurs, qui étaient tous liés aux Black Panthers et ils étaient menacés de mort. Je les ai très bien connus parce que j’habitais tout près d’ici et je logeais beaucoup ces musiciens chez moi.
Ce que je voudrais dire c'est qu'à travers l'objet traditionnel, l'objet de commerce, la langue, ce que j'appelais tout à l'heure les vecteurs, tout ce qui produit de la migrance, il se produit de l'ouverture. Et toute société est ouverte, tout comme tout être vivant est ce que l'on appelle un système ouvert. Quand une société se ferme, elle meurt. Ça arrive, elle disparaît. Et voilà, il y a des sociétés qui s'effondrent. Alors est-ce qu'il faut reprendre les thèses de Diamond ou pas, laissons tomber ça. Mais ce qui fait que ça se maintient, par exemple les Apaches, les Sioux, etc. à vivre ensemble, c'est parce qu’ils sont plus ou moins ouverts. Alors parfois l'ouverture, ça passe par des guerres terribles, mais c'est une façon d'ouvrir aussi. Voilà, d'aller faire la guerre. Autrefois, Kojin Karatani, qui est un grand penseur japonais, très important, spécialiste d’Emmanuel Kant et de Karl Marx, mais aussi de la culture japonaise, a expliqué qu'autrefois il n'y avait que la guerre pour ouvrir. Que la guerre ! C'est assez récent la disparition du fait que les rapports sont essentiellement guerriers. Quoi qu'il en soit, tout ça commence par l'objet traditionnel, et si vous avez bien suivi ce que je disais tout à l'heure, l'objet de transitionnel apparaît avec le défaut d'origine, qui est quoi ? Prométhée. Le vol par Prométhée du feu chez Héphaïstos, qui ensuite va l'enchaîner, etc., donné aux mortels. Et ce que les mortels récupèrent, c'est un objet de transitionnel qui entre les mains de Zeus et la force de Zeus mais entre les mains des mortels devient un pharmakon et si vous avez bien lu, j'espère que vous l'avez lu, Jeu et réalité de Donald Winnicott c'est la première page, il dit : l'enfant est addict de l'objet transitionnel et la mère suffisamment bonne c'est celle qui va peu à peu le détacher de son objet transitionnel, va lui faire abandonner cet objet transitionnel. Et pourquoi faire ? Pour devenir addict d'un autre objet transitionnel. Et c'est pour ça qu'il est possible pour Gregory Bateson de dire que quand les alcooliques anonymes disent qu'il faut abandonner l'alcool pour s'attacher à un autre, à un substitut de l'alcool, c'est-à-dire à une autre passion c'est « addicted » en anglais. Mais « addicted » ça ne veut pas dire à ce moment-là « intoxiqué » ça veut dire « attaché ». Et il faut penser l'attachement ici avec John Bowlby qui explique par ailleurs que par exemple si vous voulez jouer un très mauvais tour à une poule, vous lui prenez ses poussins. Regardez ce qui se passe. Elle va mourir, elle va mourir, elle va passer sa vie à chercher ses poussins et elle va mourir de soif, de faim. Elle est absolument attachée à ses petits. Et elle mourra si vous lui enlevez ses petits. Elle sera mangée par le renard ou par le chat. C'est vraiment comme ça que ça se passe. Bowlby a fait des expériences comme ça. A l'inverse, si vous enlevez la mère aux petits, pareil, ils vont mourir. Il y a une relation d'attachement mais la différence fondamentale avec washoe ou avec ces renardeaux c'est que même si washoe a des capacités c'est que là il y a une capacité de détachement, de lysis dit Socrate dans ce texte, Phédon, ce dialogue là où il va mourir. Socrate dit tout à la fin de sa vie, il faut, la sagesse c'est la lysis, le détachement. Pas avoir peur de mourir, il faut être détaché, y compris de la vie. A un moment donné il faut être détaché de la vie. Si on doit choisir entre la vérité et la vie, il faut choisir la vérité. Vous vous souvenez, dans son procès, il dit « Non, je ne me dédirai pas parce que je vous mentirais si je me dédisais. Donc je meurs. » Voilà. Il n'y a pas le choix. Moi, je ne peux pas mentir, ça ce n’est pas possible. Le seul truc à quoi il faut rester absolument attaché, c'est la vérité. Mais la vie, non, la vie ça ne vaut pas la vérité. Pourquoi ? Parce que la vérité ça ne finit jamais. Ça disparaît, ça disparaît, mais ça réapparaît, ça revient toujours. C'est d'ailleurs comme ça que termine L'apologie de Socrate. Il dit : je reviendrai. Il ne dit pas ça exactement comme ça. Alors je vous parle de l'ouverture et vous vous en souvenez nous avons accueilli ici Hidetaka Ishida au mois de novembre pour parler du Japon. Et de quoi avons-nous parlé à propos du Japon ? de ce que nous, les Occidentaux, appelons « l'ouverture du Japon ». Alors, est-ce que ça veut dire c’est qu’avant le Japon était fermé ? Pas du tout ! Ça veut simplement dire que les japonais, quand ils ont vu débarquer les portugais au XVIe siècle, ben ils se sont dit, on n'est pas près de s'en débarrasser de ceux-là. Donc ça a pris un certain temps pour que finalement l’Ere Meiji décide d'adopter la modernisation des occidentaux qui n’étaient plus seulement des portugais parce qu'entre temps, via la Chine, les occidentaux étaient arrivés, ils avaient mené la guerre de l'opium en Chine, qui est une honte absolue. Il faut quand même savoir que les Occidentaux ont commis des crimes abominables en Chine. Abominables ! Mon ex-beau-père me dit toujours, pourvu que les Chinois, que Xi Jinping ait un peu oublié la guerre de l'opium. Parce que si jamais il va nous faire payer la note, ça va être très cher. La guerre de l'opium c'est comme on a intoxiqué les chinois. On a généralisé la dépendance à l'opium, etc. Gérald Moore travaille là-dessus. En tout cas, au moment où cette très grande figure philosophique du Japon qui s'appelle Fukuzawa écrit ce livreL’appel à l’étude Fukuzawa Yukichi 1872 réédité en 2019 Aux Belles Lettres↩︎ et le publie, c'est vers 1870, et bien le Japon a décidé de s'ouvrir entre guillemets, mais s'ouvrir, il était déjà ouvert bien entendu, il n'était pas fermé, mais il s'ouvre à quelque chose de nouveau. Cette nouveauté c'est les migrants, les envahisseurs, les portugais, les français, les allemands, les anglais, parce qu'en Chine, en Asie, il y a eu tout le monde, tous les occidentaux sont venus piller les asiatiques. Et à un moment donné, les japonais disent, il faut absolument qu'on se transforme, parce que là, avec leurs armes, leurs techniques, leur écriture, on est foutu. Donc il faut qu'on récupère ce qu'ils font et qu'on devienne meilleur qu'eux. C'est ce qui va se passer d'ailleurs, je ne sais pas s'ils vont se souvenir, mais il y a des gens ici qui doivent s'en souvenir. Dans les années 80, le Japon, moi j'enseignais déjà à l'université de Compiègne, tous les étudiants voulaient apprendre le japonais comme en ce moment tout le monde veut apprendre le chinois parce qu'à ce moment-là le japon à travers un ministère qui s'appelle le MITI qui est d'ailleurs une configuration qui a été quand même inventée par le japon de la deuxième guerre mondiale, l'Etat autrement dit, avait construit une politique extraordinaire où il piquait les marchés de l'automobile, de l'électroménager, de l'informatique et tout ça aux américains et aux européens. Et donc ça a très bien marché leur truc. Très bien marché et aujourd'hui le Japon c'est toujours, je crois que c'est toujours la deuxième puissance, non peut-être la troisième maintenant. Enfin c'est une des plus grandes puissances du monde, alors que c'est une île, finalement. En tout cas, lui a joué un rôle extrêmement important là-dedans. Il a voulu ouvrir le Japon à quoi ? A ce qu'il appelle lui-même l'Aufklärung. Il est considéré comme l'Aufklärer du Japon. Il y a toutes sortes d'ouvertures. Alors là, c'est l'Appel à l'étude. Les animaux aussi sont des systèmes ouverts, mais pas comme nous. C'est pour ça que je vous montre un roman que j'ai adoré, de Jack London. Vous avez peut-être lu L'appel de la forêt. Là, c'est l'Appel à l'étude. Alors, nous, les êtres exosomatiques, nous devons étudier. Alors, étudier avec Fukuzawa éventuellement en lisant Kant, etc., qu'il est en train d'introduire au Japon, ou bien étudier avec Sitting Bull ou je ne sais pas qui, ou Bouddha, etc. Mais il faut étudier. Il y a toutes sortes de façons d'étudier. Par exemple, une école initiatique, dans une société initiatique, chamanique ou magique, c'est une étude. Ça fait partie de... c'est une étude. C'est une étude de soi-même, des autres, etc. C'est pas du tout l'étude au sens où Fukuzawa parle de l'étude là ou au sens où on parle du scoleion chez les grecs ou de l'otium chez les romains etc. Mais c'est quand même l'étude. Les hommes étudient. Je n’ai pas retrouvé une photo que je voulais vous montrer. Je voulais vous montrer un indien Dakota qui apprend à son enfant à chasser. Enfin à tirer à l'arc. Il étudie l'arc. Alors vous savez au Japon d'ailleurs, au Japon et en Chine, enfin surtout au Japon, l'arc c'est beaucoup plus que tirer à l'arc. Pour les japonais, le tir à l'arc c'est une sagesse. C'est toute une culture extrêmement importante, un mode de vie qui s'est articulé avec le zen, voilà, donc le zen, l'arc, la sainte humilité, tout ça ce sont des... mais c'est de l'étude. Donc nous, les êtres exosomatiques, nous devons étudier pour nous ouvrir. Les loups, eux, ils sont appelés aussi, pas par l'étude, ils sont appelés par la forêt, la meute des loups. Et c'est magnifique, mais ce n’est pas la même chose. On ne chasse pas en meute. Les êtres humains ne chassent pas en meute. Les êtres humains doivent étudier les loups et les chimpanzés d'ailleurs, et les fourmis et tout, pour imaginer des nouvelles façons d'être ensemble, des nouveaux processus d'individuation collective. Mais on ne s'individue pas comme les loups, parce que les loups ne s'individuent pas collectivement. Ils forment des meutes, ce n’est pas du tout la même chose. Alors, on va bientôt revenir. Quelqu'un m'a proposé de faire un séminaire sur Jacob van Uexküll et je reviendrai bientôt sur ces questions-là.
Alors, maintenant, pourquoi est-ce que je vous parlais de Jack London ? Jack London, vous l'avez sûrement lu. J'espère que vous avez lu ce roman magnifique. Un roman qu'on peut faire lire aux adolescents mais que même adultes on peut trouver magnifique. C'est un très grand écrivain, Jack London, qui parle de l'appel de la forêt. Mais vous avez aussi entendu parler certainement de Henry David Thoreau, Walden ou La vie dans les bois. Il est devenu très à la mode depuis une dizaine d'années. Les néolibéraux essayent d'en faire une figure, le néolibéralisme, etc. L'individualisme absolu, quoi. C'est un penseur très intéressant, hein. Lui, ce n’est pas L'appel de la forêt, mais c'est la vie dans les bois. C'est une figure intéressante à lire de manière critique, puisqu’aujourd’hui on a une tendance à... Et si on allait vivre dans les cabanes en fait, dans les bois et tout ça... Il y a des tendances comme ça en ce moment. Il faut les étudier. Ce sont des régressions pour moi. Mais en même temps ce sont des régressions qu'il faut considérer avec beaucoup de... Non seulement de respect mais d'admiration. Parce que Robinson, tout ça, toutes ces figures qui ont construit énormément l'imaginaire du 18ème siècle, sont fondamentales dans notre imaginaire contemporain. Donc si on ne va pas voir tout ça, avec précision et avec exigence, on rate des éléments fondamentaux de notre histoire. Mais avec prudence. Sans se laisser rouler dans la farine pour parler vulgairement comme j'adore le faire. Et là, il faut lire Bergson. Il faut lire ce texte parce que Bergson remet les points sur les i. Dans ce livre-là, je le dis pour ceux qui ne voient pas, il s'agit des Deux sources de la morale et de la religion où, à un moment donné, Bergson parle des sociétés ouvertes. Est-ce qu'il faut être d'accord avec Bergson ? Ma réponse est non. Parce que je pense que son concept d'ouverture est quand même un petit peu discutable, voire ethnocentrique. En gros, l'ouverture, c'est le monothéisme, dans ce livre de Bergson. Et ça, pour moi, c'est très problématique, parce que je pense que Sitting Bull est largement aussi ouvert que les chrétiens, à mon avis, même beaucoup plus, quand je le lis. Je dis Sitting Bull, ce n'est pas lui, lui en fait dont je voudrais vous parler, mais je parle de lui, Sitting Bull c'est le grand chef indien qui a combattu jusqu'à la fin le général je sais plus comment. Pardon ? Curtis, exactement, merci. Il y a, dès qu'on voyage un peu, dès qu'on va dans des capacités d'ouverture. Chez les Sibériens par exemple. Incroyable ! Ouverture ! Mais ce n’est pas la même que nous ! Parce que quand on vit dans les glaces, on ne s’ouvre pas de la même manière que quand on vit place Saint-Michel à côté du Chat qui pêche. C'est pas du tout le même type d'ouverture. Mais c'est de l'ouverture tout autant. Et là-dessus, je pense que ce que dit Bergson mérite d'être relu attentivement. Par contre, il faut critiquer Bergson avec Bergson. Pourquoi ? Parce que Bergson dit de toute façon, tout ça, ça commence par quoi ? Par l'intelligence fabricatrice. Bergson dit, tant que vous n'aurez pas compris que l'être humain est un être exosomatique, il n'emploie pas le mot, il ne le connait pas puisqu'il a été employé par Lotka15 ans après ce livre là mais c'est ce qu'il décrit ; tant que vous n'aurez pas compris que l'homme est un être exosomatique qui a des organes artificiels, que du coup il doit organiser des communautés artificielles, des villes, des tribus, voilà, et que tout ça est absolument artificiel eh bien vous ne comprendrez rien à ce qui se passe parmi les êtres humains. Alors, pour moi, pour qu'il y ait de l'ouverture, il faut qu'il y ait un port. En voici un, vous ne le reconnaissez certainement pas. Il est magnifique, ce tableau, et ce port aussi est magnifique. C'est un des plus grands ports de toute l'histoire de l'humanité. Il s'appelle Amsterdam. Pour qu'il y ait un port, pour qu'on puisse s'ouvrir collectivement, je veux dire, parce que l'ouverture ce n’est pas une question d'ouverture d'individus psychiques, ça c'est une autre affaire, c'est une question très importante, mais c'est d'abord une ouverture collective le problème, c'est de ça dont parle Bergson. Bergson dit on s'ouvre collectivement, il y a des grandes ouvertures nouvelles, des nouvelles façons de s'ouvrir qui passent toujours par des individus et là je pense qu’il a raison mais je ne vais pas le développer. C’est par des individus et des nouvelles techniques dont ces individus s'emparent, selon moi. En tout cas, ce port d'Amsterdam... Ce port qui s'est transformé, ça aussi, c'est le même port, ce que je vous montre là. Ça c'est Amsterdam au 17e siècle, ça c'est Amsterdam aujourd'hui (un paysage de conteneurs !). Ce n’est pas pris exactement du même endroit mais c'est grosso modo à peu près le même endroit. Ça a changé quand même. Donc c'est plus tout à fait le même port. Ce que je suis en train d'essayer de vous dire en vous disant que c'est plus tout à fait le même port c'est qu'un port qui d'abord c’est un fjord ou c'est une baie protégée au départ. Il y a ce qu'on appelle des ports naturels. Ce port-là, il est très aménagé. Les néerlandais, qui ont quand même été les rois de la Ligue Hanséatique, donc ils ont été quand même les rois du monde à une époque, c'était les plus puissants colonisateurs, commerçants, etc. Des marins extraordinaires, voilà. Ils ont énormément aménagé ce port, voilà. Et puis aujourd'hui il est aménagé comme cela. Ça ne ressemble plus du tout du tout au port du 17e siècle, ou du 18e siècle, ni même du 20e siècle. Tout ça, ça se transforme. Ce que je veux dire par là, c'est qu’il ne faut pas instancier, dire c’est le port la solution, non, ce n’est pas vrai. Au Sahara, les ports ce ne sont plus du tout les mêmes. En fait ce ne sont pas des ports ce sont des oasis, c'est là qu'on trouve des chameaux etc. Bref il y a toujours une porte puisque le port c'est ce qui ouvre le commerce à un territoire et en fait c'est une porte. Donc le port c'est comme ça qu'on se représente l'ouverture, le commerce, tout ça. Oui bien sûr, mais il y a des gens, les Touaregs, ils ne savent pas ce que c'est qu'un port, ils n'en ont jamais vu. Mais ils ont des portes. Mais pour qu'il y ait des portes, il faut qu’il y ait des supports, la porte est supportée par un territoire. Si vous n’avez pas de portes et de territoire vous n’aurez jamais d’ouverture et pour que cette ouverture s’ouvre il faut du langage et de la technique. Et cette technique, elle peut transformer vos portes. Par exemple, là, vous voyez le port d'Amsterdam totalement transformé. Il n'y a plus aucun rapport. Et les gens qui ont compris le commerce d'aujourd'hui, s'ils n'ont pas compris ce que c'est qu'un conteneur, ils ont disparu, en fait. Ils ont tous disparu. Nous, nous avons été initiés par Christian Fauré à ces questions. Quand je dis nous, je parle d'Ars Industrialis. Alors tout ça, ça change beaucoup. Et à un moment donné, ça a changé en particulier à la fin du XVe siècle. Et ça a donné ça. Ce que je vous montre là, c'est le premier voyage de Christophe Colomb. C'est là où il est arrivé en Amérique et c'est comme ça que le malheur est arrivé aux ancêtres de Sitting Bull et de tant de gens qui venaient de Sibérie, à ces migrants qui ont vu débarquer d'autres migrants mais ces migrants qui sont arrivés, ils sont arrivés avec des bateaux, des canons, des bibles évidemment, des boussoles, toutes sortes de choses et ils ont massacré tout ça. Tout en disant qu'ils n'étaient pas là pour les massacrer mais pour les tirer vers la supériorité. Ce qui n'était pas tout à fait faux. Si vous lisez Vieira, vous verrez que ce n’était pas tout à fait faux non plus et si d'ailleurs vous allez en Amérique latine aujourd'hui vous verrez que le christianisme s’est transformé alors si vous allez au brésil c'est waouh ! Donc vous avez aujourd'hui un christianisme avec des idoles enfin bon c'est un syncrétisme religieux absolument incroyable voilà et qui comme le disent parfois les Sud-Américains, c'est la première industrie d'Amérique Latine. Parce que c'est en Amérique latine qu'on fabrique le plus d'églises et ce sont des business extraordinairement juteux et qui contrôlent tout en fait. Bolsonaro est appuyé là-dessus d'ailleurs fondamentalement. Voilà. Si on ne pense pas toutes ces choses-là ensemble, et en voyant bien que rien ne s'explique par les bateaux de Christophe Colomb, rien ne s'explique par la langue de Christophe Colomb, rien ne s'explique par la couronne d'Espagne qui a armé les bateaux de Christophe Colomb, donc par le territoire, rien ne s'explique par une chose, ça s'explique toujours par des tas de facteurs. Parmi ces tas de facteurs, il y en a qui sont des vecteurs, ce que j'appelle des vecteurs de migrance. Et parmi ces vecteurs, il y en a deux que vous trouverez toujours, plus un, c'est le territoire et la langue, plus un, l'objet transitionnel, c'est-à-dire la technique. Parce que la mère parle pour accompagner l'objet traditionnel. Pardon ? - On n'a pas compris le dernier vecteur. C'est la technique. C'est la technique, c'est à dire l'objet, enfin je l'ai appelé l'objet transitionnel, mais en fait c'est la technique. Si vous lisez bien Winnicott, c'est la technique l'objet transitionnel, c'est l'objet détachable. C'est l'objet exosomatique que vous pouvez échanger, etc.
Vous vous souvenez peut-être maintenant que j'avais présenté les interventions de Hidetaka Ishida la première fois au mois de novembre en citant cette phrase qui est une phrase qui introduisait sa conférence de 2002 à l'université de Paris 7 dans le département de François Julien dans lequel il disait : « nous sommes internationaux depuis que nous sommes nationaux ». Qui est ce nous ? Les académiques du monde entier dans lesquels je crois qu’Hidetaka se reconnaît mais en tant que japonais et donc en tant que japonais venant faire ici un séminaire sur les nations, Fukuzawa, Nishida, Watsuji, tout ce qui va conduire au nationalisme ou à l’ultra-nationalisme qui est une plaie comme le nazisme pour les Allemands, c’est une plaie pour tous les japonais, c’est dur à porter cette histoire. Il commence en disant : « nous sommes internationaux depuis que nous sommes nationaux » ; il ne dit tout bêtement qu’on ne peut pas être dans l’international s’il n’y a pas de nation. Pour qu’il y ait un espace international il faut qu’il y ait des nations ; « … alors que la question de l’universel serait sans doute aussi vieille que la philosophie… ». Qu’est-ce qu’il est en train de dire ? Il y a une histoire de l’universel. L’universel d’Aristote, puisque c'est Aristote qui parle le premier d’universel. Platon ne parle pas d'universel. C’est Aristote qui parle d’universel ; Katholou, c’est Aristote, c’est la métaphysique d'Aristote. Ça apparaît avec la logique d’Aristote disons l'ontologie d'Aristote dirait plutôt Heidegger, donc Hidetaka qui est extrêmement cultivé, je suis souvent impressionné de voir combien il connaît bien mieux la philosophie occidentale que bien des philosophes soi-disant des philosophes occidentaux. Voilà, on voit ça très souvent en Asie, des gens qui travaillent beaucoup, les asiatiques, il dit : « la question de l’universel serait sans doute aussi vieille que la philosophie… » mais la nation c'est beaucoup plus récent. « Qu'est-ce qui se passerait, ajoute-t-il, si cet universel était quelque chose d'historique ? » Alors ça c'est une question que nous devons nous poser parce que nous réfléchissons à une internation qui dépasserait le concept historique de nation mais qui réinventerait le concept non pas historique mais avenir de localité. Il n'existe pas ce concept encore aujourd'hui. La localité n'existe pas. Je vous l'ai dit la semaine dernière, elle existe chez Aristote sous le nom de tode ti, ce que vois ici, l'étant ici présent face à moi. Mais c'est pas du tout la localité comme je vous en parle. La localité dont je vous parle, elle passe par, j'y reviens, Sadi Carnot, Thompson, Clausius, Boltzmann, Schrödinger, etc. Si vous ne mobilisez pas ça, vous ne comprenez pas de quoi je parle. Ce n'est pas la localité au sens banal du mot. C'est la localité telle qu'elle a une histoire philosophique et scientifique qu'on n'a plus le droit d'ignorer. C'est irresponsable cette ignorance. Pourquoi est-ce que je cite à nouveau ce texte de Ishida ? Parce qu'il dit : qu'est ce qui se passerait si cet universel était quelque chose d'historique. Et bien si je vous dis ça c'est parce que maintenant nous allons commencer à lire Watsuji qui est un philosophe japonais qui a étudié avec Heidegger dans les années 1920, qui a suivi les cours, qui a vu paraître Être et temps en allemand, qui était germaniste, qui était germanophone et qui ensuite a repris Nishida avec Heidegger et qui a fait une nouvelle pensée et cette nouvelle pensée, qui a joué un rôle très important au Japon, elle est à l'origine de la mésologie d'Augustin Berque et c'est pour ça que je vous en parle aussi. Augustin Berque c'est un japonologue. Il a vécu au Japon, il a essentiellement étudié le Japon, comme son père avait étudié l'Egypte d'ailleurs, je crois, un peu dans le même style. Son père était déjà un très grand chercheur et il a donc développé une nouvelle géographie qui en fait a changé de nom qui s'appelle la Mésologie en passant par Watsuji. On va essayer de comprendre Watsuji pour essayer de dialoguer avec Augustin Berque. Enfin, pas avec lui, mais avec sa pensée. Lui, je pense qu'il ne dialoguera pas avec nous, ça ne l'intéresse plus du tout ce genre de dialogue. Alors, je dois redire, je crois que je l'avais déjà dit la semaine dernière, excusez-moi, maintenant on commence à lire Watsuji, on va s’orienter plutôt vers Watsuji. La semaine prochaine on ira vraiment à Watsuji et j'ai apporté des copies pour que tout le monde puisse le lire un peu. L'introduction d’Augustin Berque et le premier chapitre de Fudo de Watsuji. Ça se lit... J'ai surligné, j'ai souligné, donc vous pouvez sauter des pages que je n’ai pas surligné ou souligné si c'est juste pour suivre ce que je vais dire dans ce séminaire. Watsuji donc enchaîne après Nishida avec Heidegger. Et qu'est-ce qu'il découvre chez Heidegger ? Ce que Heidegger appelle Geschichtelichkeit. C'est-à-dire la question de l'histoire. Qu'est-ce qu'avait apporté Nishida ? Le lieu. Vous vous souvenez ? Le livre, le point de départ de Nishida Kitaro, c'est Logique du lieu. Nishida, c'est celui qui pose la question du lieu et depuis une tradition bouddhiste. En passant par Emmanuel Kant, parce que c'était un philosophe très cultivé de la philosophie occidentale je veux dire. Mais il ne connaît pas Heidegger. Il connaît Husserl, mais il ne connaît pas Heidegger. Peut-être qu'il le connaît, mais en tout cas, il ne l'intègre pas. Tandis que Watsuji, lui, il va en Allemagne, il rencontre Heidegger, il va suivre ses cours. Et qu'est-ce qu'il va faire ? Il va dire, dans le lieu, il faut introduire le temps. Et le temps, c'est l'histoire. Il faut penser l’histoire, il faut poser la question de la localité non pas à partir de l'espace c'est-à-dire du territoire, y compris à la façon dont les nazis ont parlé d'un espace vital, c'est-à-dire d'un territoire qu'il faut conquérir, etc. Je dis ça parce qu'au Japon, il y a eu une démarche semblable qui a conduit au massacre de Nankin, 350 000 morts, etc. Donc voilà, vous vous rappelez quand même tout ça, derrière ces questions très lourdes de terribles comportements guerriers. Mais Watsuji, lui, il arrive en disant mais ce n’est pas seulement l'espace et c'est même surtout, c'est d'abord le temps et l'histoire qu'il faut essayer de penser. Alors moi je vais essayer de relire Watsuji, enfin de lire plutôt Watsuji avec vous, comme une occasion de relire Heidegger. Et de revisiter chez Heidegger deux questions fondamentales, qui je crois sont constitutives de la pensée de Heidegger, mais complètement catastrophiques, l'une plus que l'autre. La première c'est la biologie. Heidegger part de la biologie. Je redis ce que je dis souvent, c'est qu'Heidegger était mathématicien, il connaissait bien les sciences, il respectait les sciences, il les lisait. Contrairement à ce que disent les ignorants, il avait fait des études de mathématiques et par ailleurs il s'intéressait beaucoup à la biologie ; il a fait un séminaire sur la biologie et il s’opposait à une vision biologisante de la biologie, en disant que ce n'est jamais depuis l'intérieur de la biologie qu'on pourra penser la biologie. Alors ça c'est un truc très classique chez Heidegger, et c'est ce qui l'amènera à un moment donné à dire : la science ne pense pas. On va laisser de côté ce problème, qui est un énorme problème. Mais par contre, ce que je voudrais vous dire moi, c'est que si Heidegger n'arrive pas à penser, selon moi, à la biologie correctement, ce qui ne veut pas dire que je suis contre ce qu'il dit par rapport à la biologie, je ne suis ni pour ni contre à vrai dire, je pense qu'il faut le lire, l’interpréter et le transformer mais en tout cas il y a quelque chose qu’il ne pense pas c'est la localité de Schrödinger. Il l'ignore totalement. Or pour moi, c'est la base de la scientificité de la biologie. La scientificité de la biologie, ce n’est pas la lutte pour la vie, ce n’est pas l'évolution des espèces, c'est tout ça bien entendu, mais c'est surtout le fait qu'une nouvelle localité se constitue avec le vivant, qui n'est pas une localité d'un ordre local, une concentration de minerais à tel endroit pour telle ou telle raison, qui fait qu'effectivement, il y a moins d'entropie parce qu'il y a plus de concentration. Ça, Maël vous en parlera peut-être un jour, peut-être qu'un jour tu pourrais intervenir dans ce séminaire pour parler de ça. Ce que je crois, c'est qu’il faut panser la biologie avec un a un peu comme il faut panser la philosophie. Et je crois qu'il faut panser la biologie avec Georges Canguilhem, donc il faut lire Heidegger avec Canguilhem, en disant ce que dit Canguilhem, c'est-à-dire que la biologie c'est une dimension de l'être, de l'être humain, en tant qu'il est exosomatique. Ça, c'est pas du tout ce que dit Canguilhem, enfin, c'est ce qu'il dit, à mon avis, mais il ne le dit pas du tout comme ça. Et c'est là, je le répète tout le temps maintenant, qu'il est proche de Whitehead, c'est-à-dire que la raison, le savoir en général, a une fonction, c’est une fonction de lutter contre l’entropie. Un point c’est tout. Arrêtez de nous casser les oreilles avec des trucs métaphysiques, s’il y a une métaphysique qui vaut le coup, c'est cette métaphysique là, mais le reste, c'est dépassé. Parfaitement dépassé. Alors ça, c'est des questions qu'on abordera bientôt. On va en discuter la semaine prochaine, Maël et moi, avec Anna Soto et Carlos. On en reparlera ensuite avec Giuseppe Longo à la fin du mois de février. Et puis on en reparlera à la Sorbonne le 22 et le 23 mai avec l'association des amis de la génération Thunberg et les jeunes générations avec lesquelles nous pensons qu'il faut discuter. Parce que c'est de ça qu'ils le disent. Ils disent écoutez Greta Thunberg. Greta Thunberg dit écoutez les scientifiques. Ben on va essayer de faire discuter les scientifiques et la génération Thunberg et pour poser des questions actuelles, pas des questions du 18e siècle. Voilà. Mais aussi pour essayer de mobiliser les philosophes à se... Les philosophes et tant d'autres, à se... à s'impliquer dans ces processus.
Alors ayant dit cela je pense qu'il faut poser, comme tout à l'heure j'ai dit il y a une différance avec un a idiomatique, et bien maintenant je vais dire qu'il y a une différance avec un a territorial. Qu'est-ce que je veux dire ? Le territoire il est habité. Que le territoire soit habité, ça veut dire qu'il est parcouru, transformé, construit, modifié, etc. Il est protégé, il est défendu avec des armes. Par exemple, les puits dont je parlais tout à l'heure auxquels les Touaregs vont à un moment donné prendre de l'eau. Et il ne faut pas aller leur prendre de l'eau comme ça. Voilà, il y a tout... Si vous voulez aller boire, avec tout, dans leur puits, il y a des protocoles, et si vous ne respectez pas les protocoles, ils vous zigouilleront. C'est leur survie qui est en jeu de toute façon, donc voilà. Ils ne vous laisseront pas approcher d'un puits comme ça et ils ont bien raison. Ce sont des hommes du désert mais ils ont transformé le désert, ils l'ont rendu habitable, ils y ont aménagé des lieux, des refuges, etc. Et tout à l'heure je vous montrais le port d'Amsterdam avec ses conteneurs aujourd'hui, je vous l'ai montré au 17e siècle, j'aurais pu vous montrer ce qu'étaient autrefois les cartes anciennes, très anciennes, à l'époque où il n'y avait pas ce port, voilà. Ça se transforme en permanence un territoire. Simplement, il y en a qui se transforment extrêmement vite. Aujourd'hui, c'est foudroyant. Si vous allez en Chine tous les ans, c'est une Chine différente que vous découvrez. C'est ce que je fais tous les ans depuis 6 ans. Et puis, vous avez des territoires qui se transforment en Amazonie et dans son tome 2 de... je ne sais plus comment ça s'appelle... Anthropologie Structurale, Lévi-Strauss a expliqué, voilà, il dit : il y a des peuples à histoire lente, ils transforment leur territoire lentement. Très lentement. A notre échelle c'est très lent. Mais à l'échelle de ce que André Leroi-Gourhan appelle la dérive génétique c’est extrêmement rapide. A l’échelle de ce que Lotka appelle l'exosomatisation c'est extrêmement rapide. La vitesse à laquelle, par exemple, les indiens d'Amérique, qui sont en fait des Sibériens, se sont emparés de toute l'Amérique du Nord alors qu'ils arrivaient de Sibérie et qu'ils ont totalement transformé l'Amérique du Nord, ça se voit pas, ils n’ont pas construit des Tours Trump, des machins comme ça mais par contre ils se sont mis à chasser les bisons, a totalement transformé la faune, ils ont domestiqué des animaux, ils ont domestiqué des chiens, des loups qui sont devenus des chiens avec lesquels etc. donc ils ont tout transformé. L'homme est un grand prédateur doté d'organes exosomatiques et ils ont ajouté en tant que chamane, attention, il ne faut pas détruire tous les saumons, pas tuer tous les bisons, etc. Donc il faut être en rapport avec, ils n’appellent pas ça les esprits de la forêt, ce que nous nous appellerions la nature, mais cette nature, elle est habitée par des forces. Voilà. Alors, tout ça, ça produit de la différance territoriale. Et j'essaierai, le 3 mars, nous accueillerons Ludovic Duhem et nous introduirons trois acteurs, Augustin Berque, qu'il connaît bien mieux que moi, il travaille avec lui. Alberto Magnaghi, qui est un urbaniste italien dont je vous ai déjà parlé et que j'ai commencé à lire. J'ai lu deux bouquins de lui, donc je commence à connaître un peu. Et quelqu'un que je ne connais pas du tout mais qui a une très grande importance, qui est Peter Berg, qui est un Californien qui a posé il y a déjà pas mal d'années, une cinquantaine d'années, le problème de la destruction de la Californie par le modèle de développement américain dent et de la réinvention de la Californie et il a développé toute une théorie de ce qu'il appelle la biorégion. Qu'est ce que c'est qu'une région durable ? J’ai lu des trucs mais je ne connais pas bien ; j'ai tendance à penser que je ne suis pas très convaincu, enfin disons que je suis assez méfiant de ce que dit Peter Berg. Je pense que ce que dit Alberto Magnaghi, que je vous recommande de lire, donc je vous recommande deux livres qui sont publiés en français, un qui s'appelle Le projet local et l'autre s'appelle La conscience du lieu. Je vous recommande de lire ça, c'est extrêmement intéressant, ça se lit très bien. Je ne suis pas non plus toujours... il y a des choses qui parfois me posent un peu problème, mais je vous recommande vraiment de lire ça, et on en parlera à partir du 3 mars avec Ludovic Duhem, tout sera consacré ensuite à ces choses-là. D'ici là, on va lire Watsuji. Et ce que je voudrais dire pour terminer, c'est que ma position dans cette affaire, c'est qu'on ne peut pas neutraliser le territoire. Il n'y a aucun lieu qui existe sans territoire, même si c'est un territoire dans lequel on vient d'arriver. Quand on vient d'arriver sur un territoire, je ne sais pas, on est migrant, on vient d'arriver, on va s'en emparer de ce territoire. Alors s'en emparer, ça ne veut pas dire qu'on va tout prendre et tout ça, non, non, s'en emparer, ça veut dire qu'on va y trouver une place, on va y créer des liens, on va essayer de trouver d’autres migrants comme nous qu’on connais, par exemple une famille, on va essayer de trouver un job. Voilà, mais on va se territorialiser. Mais il n'y a pas de migrants sans territorialisation. Ce qui est important c'est de bien comprendre qu'il n'y a aucun territoire final, à commencer par la Judée, une façon de rappeler que je suis archi contre l'appropriation de la Palestine par Israël, voilà, je tiens à le redire fermement parce que c'est l'horizon du sujet dont on parle. Et les Palestiniens ne peuvent pas dire non plus, c’est notre territoire on a toujours été là, ce n’est pas vrai. Pour pouvoir sortir de ces terrifiantes mécompréhensions qui ne peuvent conduire qu’au meurtre et à la catastrophe, à la guerre mondiale à laquelle on est en train de courir quand même, eh bien il n'y a qu'une solution, c'est de réinventer le rapport au territoire. Il ne faut surtout pas dire, et là je m’adresse à Paolo, qu’il n’y a pas de territoire, ce n’est pas vrai, ce n’est pas responsable de dire ça, il y a toujours du territoire même pour un esclave qui vient d'arriver quelque part. Et je vais vous en parler un tout petit peu.
Alors je ne vais pas poursuivre en détail ce que je voulais vous dire parce que je n'ai pas fini. Ce que j'aurais aimé vous dire c'est qu'aujourd'hui il y a des territoires qui sont court-circuités, par exemple, par les conteneurs et qui font, vous le savez bien, vous consommez des pulls qui sont fabriqués je ne sais pas où, des haricots verts qui sont cultivés au Kenya, que les Kenyans n'ont plus de quoi manger, que vous consommez des haricots verts dont 90% du prix c'est du pétrole entre l'engrais qu'on a utilisé, le transport du haricot vert, et puis c'est vrai de pratiquement tout ce qu’on consomme aujourd’hui et ça il faut arrêter parce que c'est pas possible. Et ça veut dire qu'il faut reterritorialiser. Il faut être clair et net. C'est ça l'enjeu. Et c'est l'enjeu numéro un en plus. Si on ne réduit pas la déterritorialisation absurde dans laquelle on est entrés, c'est fini. Le truc est foutu. Et il faut pour ça repenser la différance territoriale avec un a. Repenser ce que j'appellerais l'internation des nations et des territoires. Parce qu'il n'y a pas que des nations, il y a encore des tas de territoires qui ne sont pas des nations. Et la nation, moi je ne suis pas du tout d'accord avec Marcel Mauss quand il dit que la nation c'est la forme la plus achevée du territoire. Pas du tout, je ne crois pas ça du tout. Il n’y a pas de nation Touareg mais ls Touaregs ça existe. Alors maintenant ils sont chez ACMI, pas tous mais presque tous. Pourquoi ? Parce que justement on n'a pas compris ces problèmes-là. Alors cela étant, ce que je voudrais dire pour terminer c'est qu’il y a toutes sortes de territoires. Moi il y a un territoire que j'ai bien connu, c'est le territoire du blues. Vous le voyez là. Ici, toute cette partie-là, c'est la partie esclavagiste des États-Unis. L'Alabama, enfin tout le sud. La Nouvelle-Orléans, la Floride et tout ça. C'est tout ce que vous voyez dans Autant n'emporte le vent. Vous avez les sudistes là, et puis au-dessus, vous avez les nordistes. Ce qu'on appelle les Yankees à l'époque. Donc ceux du nord sont contre l'esclavage pour des raisons qu'il faudrait expliquer. Je n'ai pas d'explication personnellement, il faudrait que je me documente. Ceux du sud sont pour l'esclavage parce que leur richesse entre guillemets repose là-dessus. Et c'est là que naît le blues. Voilà c'est là que naît le blues, mais le blues va migrer. Il commence là, à la Nouvelle Orléans. Il va donner d'ailleurs ce qu'on appelle le jazz, parce que le blues ce n’est pas le jazz. Le blues c'est le chant des esclaves dans les champs de coton. Et après ça va devenir le jazz. Pour que ça devienne le jazz que vous voyez là, ça c'est le jazz de Kansas City, de Charlie Parker. Mais il faut que ça remonte. Pour que ça arrive jusqu'à Charlie Parker, il faut que ça soit remonté jusqu'à Chicago. Souvent les gens disent que c'est la capitale du jazz. Et puis ensuite, à Chicago, vous avez Coleman Hawkins, des gens comme ça, le Swing, Lester Young, vous avez... Et puis ensuite, ça va arriver à Kansas City, dans le Kansas. Et donc ça va produire lui, Charlie Parker. Bourré d'héroïne. Vous voyez là, il est complètement stone. Il ne marche qu'à l'héroïne. Il en est mort. Ce qui fait Charlie Parker, c'est le blues, la radio et l'héroïne. Et puis bien entendu le saxophone. Je vous redis un truc, c'est que l'héroïne, c'est un pharmakon. Moi je marche aux Opiacés aujourd'hui. Je prends du Tramadol, c'est beaucoup moins dangereux que l'héroïne, mais c'est quand même très dangereux. Et ce que je veux dire par là, c'est qu'il n'y a rien de bien ou de mal. Il y a le mal. Je ne dis pas que le bien n’existe pas ou que le mal n’existe pas. Charlie Parker sans l’héroïne je ne suis sûr que ça n’aurait jamais donné Charlie Parker. Coltrane pareil. Coltrane est mort aussi d'overdose, un peu plus vieux que Charlie Parker. Là c'est une improvisation, je n'avais pas du tout l’intention de parler d’héroïne mais ce que je voulais vous dire surtout c’est que là vous avez un micro et que le jazz il naît du micro, du micro de radio et du micro d'enregistrement. C'est l'industrie du disque et l'industrie de la radio qui va d'ailleurs être utilisé. Charlie Parker il va travailler pour l'armée américaine. Il va être financé par l'armée américaine parce que, pour que les boys qui sont au front et beaucoup sont noirs en Europe, qui vont se faire casser la gueule dans le débarquement, pour les chauffer, on va utiliser Charlie Parker, on va utiliser le jazz. Pas encore l'héroïne, à l'époque c'est des amphétamines. Ce que je veux dire par là, c'est que c'est ça un territoire. Un territoire, c'est, il y a des migrant qui débarquent là, ils ne sont pas venus de leur plein gré, on les a amenés de force, on les a esclavagisés, ils ont remonté la vallée du Mississippi, ils sont allés jusqu'à Chicago, ils se sont emparés de la radio, du disque, ils ont transformé la face de l'Amérique, ils ont transformé l'histoire de la musique. Moi j'ai dit un jour à Pierre Boulez qui était fou de rage, le plus grand musicien du XXe siècle, c'est Charlie Parker. Il était fou de rage parce qu'il considérait que c'était lui le plus grand musicien du XXe siècle. Et en plus il détestait Charlie Parker. Donc voilà. On va s'arrêter là. Alors je vous recommande de lire ce texte que vous... ça ne parle pas de ce dont je viens de vous parler mais par contre ça parle d'un... enfin je vous recommande de le lire, c'est un texte d'un philosophe de... de... de l'université de Strasbourg, qui s'appelle Mickaël Labbé sur la ville aujourd'hui, et sur l'esprit de la forêt. L'appel de la forêt. Il dit, bon, c'est très bien de vouloir faire des cabanes là-bas, à Nantes et tout, d'accord, mais peut-être que ce serait bien quand même d'aller voir ce qui se passe dans les banlieues, par exemple de Paris. C'est ce que nous faisons. Donc j'étais ravi de lire ça parce que je me suis dit, bon, enfin, un mec a les pieds sur terre. Bon, il y a bien sûr, il faut défendre la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, mais il y a quand même des millions gens qui vivent dans quartiers urbains qu’il faudrait réurbaniser voilà. Ça c’est La conscience du lieu que je vous demande de lire si vous avez un peu de temps et puis ça c'est Chora qui est un texte de Jacques Derrida que nous lirons aussi. Il dit de la Chora que c'est la logique autre que la logique du Logos, la Chora n'est ni sensible ni intelligible et bien c'est un peu comme l'entropie et c'est aussi un petit peu comme mes spirales. Voilà, donc moi, quand j'ai lu... alors, Chora, j'ai découvert la Chora dans le Timée de Platon. Chora, le bouquin de Derrida c'est très tardif, c’est les années 90 donc j’ai lu le bouquin de Derrida bien après, 20 ans après avoir lu Platon, mais quand j'ai lu le Timée de Platon, j'ai essayé de penser la Chora avec mes spirales. Ce que je présente comme des spirales, c'est ce qui est l'enjeu de Timée de Platon selon moi.
Je vous parlais tout à l'heure de Charlie Parker et de la radio, de la vallée du Mississipi, en ce moment même je m’adresse régulièrement à Sarah et à Paolo et je sais que Paolo est en ligne, il est en ligne grâce à ce truc-là. Ce truc-là, c'est ce que je vous ai présenté plusieurs fois l'année dernière en disant que c'est le Gestell de Heidegger qu’ Heidegger n'arrive pas à penser parce qu'il n'a pas réussi à penser la cybernétique selon moi parce que comme il ne pense pas la localité de la biologie il n’arrive pas à faire une critique de la théorie de l'information, de la théorie de l'entropie, de la cybernétique et du coup voilà Heidegger ne peut pas nous suffire. Nous essayons de faire ça. C'est un petit peu ce que j'essaye de faire avec Yuk mais avec des voies très différentes de Yuk. C’est comme ça que je représente le Gestell de Heidegger mais c’est aussi avec le Gestell tel que vous le voyez là qu’on est en communication avec Paolo qu’avec Colette Tron qu’avec pas mal de gens, puisqu'il y a des gens qui sont en ligne en ce moment, et ça passe par ce truc-là. Donc ça, qu'est-ce que c'est ? C'est une autre localité. C'est pas du tout la délocalisation. Oui, ça produit la délocalisation, mais une délocalisation produit toujours une relocalisation et une re-territorialisation. Ça ça s’appelle la biosphère qui est devenue la technosphère telle que la définit Vernadsky. Et c'est une localité dans le système solaire, qui est lui-même une localité dans la galaxie, qui est elle-même une localité dans l'ensemble de galaxies, qui elle-même, cet ensemble de galaxies, est une localité dans l'univers, etc., etc., qui est différenciée. Donc, la localité, c’est des choses compliquées, il faut prendre en compte toutes ces dimensions-là. On est philosophes, on ne peut pas faire de philosophie si on ne tient pas compte des mathématiques, de la physique et de la biologie. La philosophie, c'est ce qui prend au sérieux les scientifiques. Voilà. Donc, j'ai terminé avec Charlie Parker parce que l'article de Paolo et Sarah parle du rythme. Et le rythme, ils le font passer aussi par les esclaves, dont je vous ai parlé aussi. Charlie Parker c'est un fils d'esclave, un enfant d'esclave, un petit-fils d'esclave. Mais la rythmologie, si on veut en parler, il faut parler de tout ce dont j'ai parlé. De tous ces vecteurs, de tous ces processus. Et en particulier, essayer de comprendre comment les territoires, le territoire de Christophe Colomb, il passe par des caravelles, le territoire de Charlie Parker, il passe par la radio, notre territoire à nous, il passe par Skype ou Zoom qu'on commence à utiliser, qui n'est pas home. Voilà. Et donc intégrons tous ces trucs-là. Si on ne les intègre pas, pour moi, on ne travaille pas sérieusement. Voilà, je m'arrête là et je vous laisse la parole. Pardon d'avoir été très long. Mais merci de votre patience. Ah oui, il y a un truc que j'ai oublié de vous montrer. Excusez-moi, j'ai juste une seconde. C'est un journal que je lis régulièrement, que je ne veux pas vous dire qu’il faut que vous le lisiez. Certains d'entre nous doivent le lire. Ça s'appelle En Commun. Je ne sais pas si vous voyez, c'est le journal de Plaine- Communes. Je le lis parce que j'y interviens dans ce territoire, donc si on veut intervenir dans un territoire, la moindre des choses, c'est de regarder ce qu'il raconte. Alors qu'est-ce qu’il raconte ce territoire ? eh bien, il dit : nous sommes un territoire où vivent 138 nationalités ; alors ça c’est nouveau parce que jusqu’à hier, je dis 144 nationalités. Et aujourd'hui c'est 138. Alors je ne sais pas d'où ils sortent leurs chiffres, mais ça change tout le temps en fait. Parfois c'est 430 000 habitants, parfois c'est 415 000. Si vous regardez ce numéro, vous verrez Diversité en partage, un territoire de la diversité, nous, nous parlons de noodiversité, pour que la noodiversité soit partagée, il faut qu'il y ait un territoire. Et ce qu'on essaye de faire, c'est que ce territoire de Plaine commune, eh bien, soit noodiversifié et non pas détruit par les promoteurs. Plaine-commune c’est le territoire d'atterrissage principal des migrants du monde entier. C'est pour ça qu'il y a 138 nationalités. Maintenant, j'étais à Stuttgart il y a 2 semaines, je parle de tout ça, et j'explique, parce que j'ai une conférence devant des universitaires de Stuttgart, et je leur explique tout ça, ils me disent : mais nous aussi on a 140 nationalités et donc nous sommes candidats pour faire un territoire laboratoire avec l'ONU, c'est comme ça que voilà. Parce qu'on a à peu près la même diversité de population, etc. donc on est partant parce qu'en plus on entre dans une énorme crise économique, Mercedes ne sait pas faire de moteurs électriques, donc on est cuit, voilà. Parce que Stuttgart c’est Mercédès. C'est l'ensemble du sujet dont nous essayons de parler.
Oui, je crois que Paolo veut parler. Bonjour Paolo. Là ? Vous m'entendez ? Oui, on vous entend très bien. Oui.
Discussion
- Bon, je voudrais, je ne sais pas si, je ne veux pas réagir à ce que vous avez dit, mais je voudrais simplement, disons, clarifier un point. Et ce point c'est que nous n'avons jamais écrit qu'il n'y a pas de territoire pour que la localité puisse se développer sans rapport avec le territoire. Notre effort a été celui de distinguer la localité du territoire, du lieu et des autres choses. Nous avons utilisé le mot territoire plusieurs fois mais toujours en les posant en rapport avec la localité. Donc je trouve vraiment... je ne peux pas comprendre vraiment la critique sur ce point-là. Après, je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce que vous avez dit à propos des idiomes et à propos du territoire. Pouvons-nous en essayer de montrer les rapports entre les rythmes et la localité, justement pour vous montrer comment le rythme peut être conçu, comme, et j'utilise un vocabulaire, notre vocabulaire, le vocabulaire que nous partageons, les rythmes peuvent être vus comme, disons, une... Aujourd'hui vous avez parlé des supériorités. Je crois que les rythmes, dans ces poèmes-là, dans « Come out red white » et « Antonio Benitez-Orfo », les rythmes, c'est justement ce qui transforme un défaut idiomatique dans une expression. Et cette expression-là a tout à faire à voir avec les territoires. Par exemple, quand Manuel Cuell, et nous l'avons cité dans l'article, parle de l'impossibilité pour les jeunes de Barbados, que c'est l'île où ils vivent, la possibilité pour les gens de Barbados de parler, de décrire les phénomènes naturels de son propre territoire. Là, il y a un défaut idiomatique et comme Albert Freud dit, que pour faire face à ce défaut-là, les rythmes réorganisent l'anglais, parce que ces gens-là parlent anglais, réorganisent l'anglais, c'est-à-dire qu'ils déterritorialisent et reterritorialisent l'anglais, justement pour pouvoir exprimer ce qu'il y a dans le territoire. Donc il y a comme une sorte, disons, de rapport par défaut entre l'idiome et le rythme, toujours dans un territoire. Donc je peux comprendre par vous, vous avez vu, disons, cette absence du territoire dans notre article, parce que le territoire, pour nous, c'est une condition, une possibilité, quelque chose pour avoir lieu, disons. Donc, je voudrais comprendre mieux, parce que peut-être que nous avons utilisé des expressions qui court-circuitent le discours.
Alors, merci beaucoup Paolo. Aujourd'hui, c'est ce que j'avais écrit, c'est ce que je vous ai dit tout à l'heure en commençant. Je commence à discuter avec vous. Donc, je n'ai pas du tout exposé encore les termes de la discussion. Et ce que je ferai, par contre, si vous voulez, la semaine prochaine, enfin, je ne sais pas, la semaine prochaine, je vous dirai pourquoi il y a quelque chose qui me pose vraiment problème. Donc je citerai, on discutera sur les citations, je le ferai comme ça, parce que là, je n'ai pas fait de citation précise. Si vous voulez, grosso modo, c'est ce que je pense, mais c'était aussi le cas dans les textes qu'on a écrits ensemble sur l'internation et la localité. Là où on est un petit peu en désaccord, quand même, vous avez dit tout à l'heure, nous ne disons pas qu'il n'y a pas de territoire, nous disons que la localité, ça n'est pas le territoire. Et là, on n'est pas d'accord. Moi, je dis qu'une localité, c'est constitué d'un territoire, d'une langue et de techniques. Excusez-moi, je termine juste. Cette langue, vous m'entendez. Je parlerai peut-être un jour d'un roman de Jean Giono qui est extraordinaire, qui s'appelle L'Iris... Non, je ne retrouve plus. Peu importe, mais c'est un truc dans lequel... où Giono parle d'un village où tous les gens ont eu la langue arrachée parce qu'ils étaient des protestants, donc c'est les catholiques qui leur ont arraché la langue et en fait ils jouent tous de l'harmonica. Donc il n'y a plus de langue, mais il y a une langue, ça s’appelle la musique. En fait il y a un territoire. La localité, c'est toujours le territoire, la langue et la technique. Maintenant, quel territoire ? C'est un territoire dans lequel je viens d'arriver, ou je suis là depuis 40 000 ans, mes ancêtres sont là, mais il y a toujours le territoire. Il ne faut pas le suivre.
- Oui, j'ai voulu dire seulement que nous, la localité, il n'y a pas de localité sans les territoires. Pour nous c'est ça. C'est-à-dire que les territoires, c'est la condition de possibilité parce qu'il y a la localité. Après, la localité se compose avec les territoires, avec la langue et avec des techniques. Donc, peut-être que c'est une forme différente d'interpréter le verbe être, c'est-à-dire que être pour moi dans ce discours-là, ça veut dire l'identité, c'est-à-dire localité, la localité c'est le territoire et le territoire, je ne peux pas le dire parce que je vois qu'il y a un reste de la localité qui s'est isolé. La localité c'est un territoire avec des autres components. Les territoires ce n'est pas de la localité. Il faut quelque chose d'autre. Il faut un mouvement, il faut un rapport parce que les territoires expriment quelque chose.
Oui, je suis d'accord. Je ne parle pas d’« être » comme vous le savez, je parle d'il-y-a. C'est d'ailleurs pour ça que Nishida m'intéresse. Nishida, je parle de Nishida Kitaro, pas de l’il-y-a que Heidegger va reprendre, « es gibt » en Allemand. Maintenant, j'ai commencé tout à l'heure, vous l'avez remarqué, en posant pourquoi la localité, c'est ce qui lutte contre l'entropie. Nous ne parlons pas de la localité en général. Tout à l'heure je disais à Maël, voilà, une concentration minerai de fer, c'est... ça ce n’est pas une localité pour moi. C'est une différenciation physique dans un ordre physique. C'est pas du tout la même chose. Par exemple, Mars qui tourne avec nous autour du Soleil et tout ça, ce n’est pas une localité au sens où j’en parle moi. Une localité c’est là où quelque chose a lieu. C’est ça que vous dites. Mais moi je vous dis : ça c’est de la néguentropie. C'est de la lutte contre l'entropie. Et du coup, j'ai commencé tout à l'heure en disant l'entropie ça n'existe pas. C'est un rapport. Donc il n’y a pas de substantialité. Mais dans ce rapport, c’est le rapport entre le territoire, l'idiome et la technique. Donc il y a de la localité s'il y a du territoire, de l'idiome et de la technique. S'il n'y a pas de territoire, il n'y a pas de localité. Tout simplement. Donc c'est pour ça que je ne vous dis pas que le territoire c'est de la localité, ni que la localité c'est le territoire, je n’emploie pas le verbe « être ». Justement je parle de l’ « il-y-a », c’est pour ça que j'avais cité dans la première séance, mais je crois que vous n'y étiez pas, ce que dit Nishida Kitaro, il appelle ça la « prédication de la terre ». Il a écrit une logique du lieu dans laquelle il y a des prédicats, ces prédicats ne sont pas des prédicats de l’être, ce sont des prédicats de l'il-y-a. Donc c'est ultra important par rapport à ce que vous faites. Ensuite, quant au rythme, il y a une histoire du rythme et cette histoire elle est organologique. C'est pour ça que j’ai parlé de Charlie Parker, parce que vous vous référez à des poètes, bon je les respecte tout à fait, mais l'histoire du rythme en Caraïbe, je connais bien les Caraïbes, j'y suis allé. Quelqu'un, je connaissais bien, il est maintenant mort du diabète. Comment s'appelle-t-il ? Tu le connais ? Un grand musicien qui joue du clavier, tout ça, antillais. Théolonus. Comment ? Théolonus Paul. Non, non, pardon. Un musicien qui est mort tout récemment, enfin, très grand musicien antillais qui a fait des trucs fabuleux. Voilà, la Caraïbe c'est des rythmes bien entendu et c'est des rythmes musicaux, poétiques, évidemment. C'est aussi pour ça que j'ai parlé de la griote, parce que voilà, les griots, c'est des gens qui sont des... c'est de la rythmique. Mais en Amérique du Nord, parce que ce n’est pas dans la Caraïbe que tout ça va se transformer, c'est dans l'Amérique du Nord. La Caraïbe c'est encore beaucoup trop européen, c'est hispano-français ou anglais. Mais l'Amérique du Nord ce n’est pas européen, c'est l'Amérique du Nord. Et c'est là que ça va se transformer. Ben justement, tu parlais de taillement doucement, hier j'ai pris un taxi, il y avait un truc de taillement doucement. J'écoutais la basse et la rythmique, incroyable. Ça, ça vient de Charlie Parker. Il y a une histoire de cette rythmique et par où est-ce qu'elle passe ? Par la radio. Pas par le livre. Par la radio. Après si par exemple vous lisez d'ailleurs je l'ai rappelé ici Édouard Glissant il part du jazz. C'est d'abord du jazz dont parle Édouard Glissant. Et après il va vers la poésie, etc. Mais au départ, il commence par le jazz. Et c'est fondamental. Pourquoi est-ce que c'est fondamental ? C'est parce que ces êtres humains qui ont été arrachés à l'Afrique, ont réintroduit l'Afrique. C'est aussi pour ça que je disais tout à l'heure qu’elle n'a pas disparu l'Afrique. Elle est ressortie, mais pas à Kansas City par la radio, c'est-à-dire par les technologies de ces blancs. Ils se sont réappropriés. Et ça, c'est de la quasi-causalité. C’est pour ça que je suis un peu emmerdant, désolé mais, parce que c’est de l'organologie pour moi cette question. Et en plus j'en ai beaucoup parlé sous l'angle de l'organologie musicale. Et donc je n'ai pas vu dans ces discours que vous aviez, ou que surtout les gens vous citiez, il n'y a pas d’organologie pour moi. Donc il n’y a pas de territoire et il n’y a pas d’organologie, il n’y a pas de technique. Il y a du langage, mais ça ne suffit pas pour moi le langage. C'est mon sentiment.
- Oui, c'est vrai qu'il n'y a pas d'organologie dans le discours que nous avons fait. Ça, c'est vrai, mais cela fait partie d'un autre texte que j'ai écrit, que d'ailleurs j'avais proposé quand vous étiez ici. J'avais donné une petite généalogie organologique. Mais ce n’est pas dans ce texte-là. Il sortira dans un... parce que je suis tout à fait conscient, nous sommes tout à fait conscients, disons, de la dimension organologique qui accompagne tout ce que c'est là. Mais vous savez qu'il n'y a pas de...
Pardon, si je vous dis ça, c'est parce que nous discutons avec Haché Ndembe. Ouais. Avec, comment s'appelle-t-il, cet économiste du Sénégal, Fedouine Sahar. C'est un ami d’Achille Mbembe. Moi, ça fait très très longtemps que je discute avec l'Afrique, mais bien avant de faire de la philosophie, parce que j'ai été éduqué par un Africain, un malien. C'est lui qui m'a fait découvrir le jazz, il avait cinq ans plus que moi, il s'est occupé de moi beaucoup. Très très longtemps que je parle de ça. Mais si, quand je lis Achille Mbembe que j'admire beaucoup, il zappe ces questions et ça le fragilise. Or il mène une guerre, une lutte, c'est une guerre conceptuelle qu'il mène, qui est fondamentale. Il a fait un truc tout récemment sur le site AOC où il a parlé du postcolonial, parce qu'il a été assimilé au postcolonial et au décolonial et tout ça. Il l'explique, il dit très bien, mais moi j'ai aucun rapport avec ça. Il attaque les gens qui font de la dénégation sur ces questions. Mais en même temps il les défend très mal, parce qu'il ne mobilise pas les concepts qui feraient mal justement. Il faut de nouvelles armes, comme disait Gilles Deleuze, il faut les fabriquer ces nouvelles armes. Donc, moi, Glissant pour moi c'est fondamental, Mbembe aussi, beaucoup d'autres qui sont dans cette... ce sillage, mais... je pense qu'il faut ajouter des choses et les embêter avec ça, aussi pour lutter contre le postcolonial. Pas au sens de Mbembe, mais parce qu'il y a quand même des bêtises, en Amérique latine en particulier, il le dit d'ailleurs, surtout en Amérique latine, bon, il y a des bêtises qui sont, bon, pour de bonnes raisons au départ, hein, c'est devenu, et tout comme en Inde, on travaille avec … en Inde, bon, ben, ils souffrent énormément de cette bêtise, voilà, parce que c'est instrumentalisé par Modi en général. Donc il faut faire très attention, ça peut mal tourner ces trucs-là. Et c'est pour ça que je suis un peu chiant. Je m'excuse mais je pense qu'il faut être très rigoureux sur ces sujets-là. Donc voilà, c'est pour ça que je suis un peu casse-pieds.
- Nous sommes dans une situation de Nuit debout. Nous faisons des critiques très fortes sur la pensée des Colombiens. Nous avons découvert qu'il y a des penseurs ex-décoloniaux, c'est-à-dire qu'ils n'ont compris, disons, ils n'ont compris la limite de ces pensées-là.
Ça, ça m'intéresse beaucoup. Si vous pouvez m'indiquer des références, ça m'intéresse beaucoup. Je ne les connais pas, mais... d'accord.
- Je ne sais pas si c'est traduit en anglais, je dois le vérifier, mais il y a un penseur qui s'appelle Castro Gómez. Il vient de publier un livre, il fait une critique énorme de toute la pensée décoloniale.