Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2019

Séance 7 : Une séance pour préparer l’avenir de l’Europe : la remondialisation suppose la constitution de processus de transindividuation de référence

Séance 7 : Une séance pour préparer l’avenir de l’Europe : la remondialisation suppose la constitution de processus de transindividuation de référence

Exorganologie II Remondialisation et internation

Bernard Stiegler

Bernard Stiegler, « Séance 7 : Une séance pour préparer l’avenir de l’Europe : la remondialisation suppose la constitution de processus de transindividuation de référence », dans Michel Blanchut, Victor Chaix (dir.), Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2019 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2019/seance7.html.
version 0, 20/12/2025
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Laurent, dont je sais qu'il est en ligne, je l'ai vu, m'avait posé une question, il y a deux sessions, que voici, il nous l'a renvoyé la semaine dernière mais je n’ai pas eu le temps de la traiter, elle était déjà partie. Il disait ceci, vous avez dit je crois que l'ouvert heideggérien est une déterritorialisation si j'ai bien écouté. Pouvez-vous expliciter ce point ou donner des références à ce sujet ? Je ne vais pas l'expliciter parce que ça serait long, vraiment long, et je n'ai pas le temps, mais je peux donner des références. D'une part, ça renvoie au commentaire de Rainer Maria Rilke dans Pourquoi des poètes entendent la détresse. Et si vous voulez, Laurent ou d'autres gens ici, plus de développement, c'est le séminaire que j'ai fait à Hangzhou ce printemps qui n'est pas en ligne encore, mais je crois qu'il le sera bientôt, et qui va être édité en chinois. Donc je peux vous passer le texte. Donc ça c'était la première chose, on pourra en reparler tout à l'heure, Laurent, si vous voulez. Je sais aussi ou je crois savoir que dans un texte que je n'ai jamais lu ou étudié encore de Heidegger qui s'appelle The Easter, enfin qui est un commentaire du poème, de l'hymne de Hölderlin, le Danube, comme on dit en français. Cette question est aussi abordée mais je ne sais pas comment. Voilà, donc je ne vais pas parler de cela. Par contre si je le mentionne, c'est tout simplement parce que Dan Ross qui est par ailleurs l'auteur du film qui s'appelle The Easter auquel j'avais contribué, m'a vraiment engagé à le lire parce que précisément le lire pose des problèmes de localité paraît-il, me dit Dan Ross, dans des termes proches de ce que j'ai abordé là. Comme vous le savez, ce sont des sujets compliqués. D'ailleurs, je voulais vous montrer aujourd'hui une lettre de Heidegger. Malheureusement, j'ai oublié de scanner, enfin j'ai scanné, mais j'ai oublié de faire une copie d'écran du scan, et du coup je ne l'ai pas pris. Je voulais vous montrer la lettre que Heidegger a adressé au chef allemand du processus de dénazification en 1945 pour expliquer son passage par le national-socialisme, dont il rappelle qu'il n'y est resté que peu de temps, ce qui est tout à fait vrai, mais ce qui n'empêche qu'il y est passé. Je ne vous en parlerai pas aujourd'hui parce que finalement je n’ai pas pris la copie de la lettre, mais peut-être j'en reparlerai dans deux semaines. Si je parle de tout ça, ce n’est pas pour rentrer dans cette mode malsaine d’accabler Heidegger pour ses errances politiques qui vont très loin, selon moi d'ailleurs, qui sont très graves, mais c'est parce que nous allons dans trois jours voir à quel niveau la catastrophe européenne fait revenir toutes ces questions-là. Et si j'en parle aussi c'est parce que le sujet que j'aborde dans ce séminaire et que nous traitons dans Genève 2020 parfois fait un peu peur en se disant voilà ça ressemble un peu à des questions que l'extrême droite agite tout le temps. Je maintiens moi que précisément si l'extrême droite les agite tout le temps c'est parce que nous n'avons pas fait le travail pour les instruire correctement et que du coup elle s’en sert pour les instrumentaliser. C'est le premier point que je voulais dire, on le fera dans le séminaire d'aujourd'hui. Le deuxième concerne Machiavel et ce que j'ai appelé d'une part l'exotranscendance de l'exosomatisation et d'autre part l'immanence. Dans un livre, dans mon dernier livre qui s'appelle Qu'appelle-t-on panser, j'ai commencé à commenter Machiavel, Le prince et le Discours sur la première Décade de Tite-Live. Pour quoi faire ? Mais pour essayer de montrer que Machiavel est le premier qui commence à considérer ce que j'appelle les exorganismes complexes supérieurs dans leur supériorité, mais pas d'un point de vue religieux. Du point de vue du prince, comme il dit. Et ça c'est à mon avis extrêmement important. Je ne suis pas sûr qu'on ait encore vraiment pris la mesure de ce que ça représente de nouveautés. Et tout ça, si je le dis, c'est pour introduire deux éléments de réflexion que je vous livre, tels quels, sans en dire plus. Premièrement, l'enjeu de ce séminaire, c'est de définir précisément ce qui fait la supériorité d'un exorganisme complexe supérieur. C'est pour ça que je lis Marcel Mauss. C'est parce que je considère que c'est ça l'enjeu de l'internation. Nous n'arrivons à construire une internation si jamais il est possible d'y arriver que si nous sommes capables de très clairement énoncer les principes d'une supériorité des exorganismes complexes supérieurs par rapport par exemple à l’infériorité de la plateforme Amazon, si on lit le texte de Franck Pasquale que j'ai cité à plusieurs reprises ici. Donc, le sujet c'est qu'est-ce qui distingue le supérieur de l'inférieur. Mais j'ajoute là, c'est un propos de grande généralité, supérieurs et inférieurs sont relatifs dans le temps. Ce qui est supérieur à une époque peut devenir inférieur à une autre époque. Et que, en même temps, chaque époque absolutise une supériorité. C'est-à-dire, dit, non, elle n'est pas relative dans le temps, elle est absolue, précisément. C'est particulièrement vrai de la théologie, enfin de l'ontothéologie, mais pas seulement. Par exemple, le point de vue laïque des révolutionnaires tente à faire une déification de la justice sociale ou je ne sais quoi, enfin disons à faire des idéalités déifiables et ce qui du coup produit ce que peut-être avec Pierre Le Gendre on pourrait appeler des dogmes. Alors Pierre Legendre posant lui-même qu'on ne peut pas se passer de dogmatique et que donc forcément ce processus... Il faudrait lire Legendre et Schmitt ensemble d'ailleurs sur ces problèmes. Je ne vais pas en parler. On ne peut pas essayer de demander à ces gens de se taire, de se déplacer. Tu veux bien ? Je te remercie parce que c'est un peu pénible. Merci beaucoup. Deuxième remarque générale, cette absolutisation qui se produit comme dogme de la supériorité, disons, et qui est une condition d'adhésion à l'exorganisme complexe supérieur, si ça n'a pas lieu, ce truc-là, l'adhésion ne se fait pas vraiment. Cette adhésion doit devenir quasi inconditionnelle, tout comme on parle de Dieu comme de l'inconditionné et l'inconditionnel dans la théologie. Cette absolutisation, c'est ce qui entre l'immanence et la transcendance dans ce que j'appelle l'exotranscendance. Entre l'immanence, c'est-à-dire je suis sur Terre, dans la contingence, et la transcendance qui se projette au-delà, qui est un au-delà du réel, disons, du réel empirique. Et qui se constitue selon moi, comme en fait la traduction de ce que c'est que l'exotranscendance, l'exotranscendance de l'exosomatisation. Dans ce contexte-là, l'absolutisation qui constitue le dogme de la supériorité, c'est ce qui est à la fois provoqué et inspiré par ce qui arrive avec les nouvelles vagues d'exosomatisation. C'est ce que j'appelle depuis beaucoup plus longtemps le double redoublement épokhal. Ce sont des éléments de généralité mais ce sont des éléments de généralité qui sont à mon point de vue très très important pour arriver à lire le texte de Mauss de façon critique. C'était donc des préalables, maintenant je rentre dans la matière d'aujourd'hui. Et aujourd'hui je vais vous parler, je vais introduire un nouveau concept dans ce séminaire, mais il n'est pas nouveau en fait. Je l'avais introduit il y a 12 ans dans un livre qui s'appelait La Télécratie contre la Démocratie, et c'est le concept de processus de transindividuation de référence. C'est un concept qui nécessite un exposé un peu détaillé, il n'est pas extrêmement complexe, mais néanmoins, il a besoin d'être exposé un peu en détail pour ne pas apparaître comme péremptoire, si je puis dire. Alors, un rappel d'abord, ce que nous faisons ici, c'est que nous essayons de lire Marcel Mauss du point de vue exosomatique, qui n'est pas le sien bien sûr, même s'il a contribué à le faire émerger puisque Marcel Mauss était le professeur de Leroi-Gourhan qui lui-même donne à penser ce qu’il appelle « processus d'extériorisation » et que finalement nous appelons le processus exosomatique d'exosomatisation à partir de Lotka. Du point de vue exosomatique, la grande question quant aux exorganismes, qu'ils soient exorganismes simples comme vous et moi, exorganismes complexes comme ce séminaire, la maison des sciences de l'homme, Paris, etc. Ou exorganismes complexes supérieurs comme Paris qui est une entité juridique et donc supérieure en ce sens-là, ou la France, ou l'Union Européenne, etc. la grande question quant à ces exorganismes, quels qu'ils soient, dans le langage de Simondon on dirait qu'ils soient des individus psychiques ou des individus collectifs, c'est l'investissement. Ces exorganismes sont des processus d'individuation. Et un processus d'individuation ne se produit, quand il s'agit d'un processus d'individuation psychique et collective - je ne parle pas de l'individuation vitale et je ne parle pas de l'individuation physique, l'individuation physique comme la cristallisation chez Simondon ou l'individuation vitale comme l'évolution animale, par exemple, ça ne repose pas sur l'investissement au sens où je veux en parler maintenant. Il y a évidemment de l'instinct, il y a de la finalité, etc. mais ce n'est pas ce que nous appelons de l'investissement. Un exorganisme simple ou complexe évolue sans cesse exosomatiquement sur des plans qui peuvent être très différents. Par exemple, en apprenant à se servir de son biberon. C'est un organe exosomatique un biberon et donc quand le nourrisson apprend à se servir du biberon c'est à dire à abandonner le sein ou à prendre la tétine qui ne le nourrit pas mais qui est un substitut fantasmatique du biberon ou du sein et bien il apprend à se servir d'un organe exosomatique et donc il évolue exosomatiquement. L'éducation c'est ça. Que ce soit intégrer la tétine, intégrer l'écriture et la lecture, ou intégrer l'arithmétique et la géométrie ou l'histoire de France, de toute façon c'est de l'évolution exosomatique, au niveau de l'individu. Des groupes peuvent aussi faire ce qu'on appelle des apprentissages organisationnels. C'est-à-dire, un groupe, le management, par exemple, c'est une technologie de production d'apprentissages organisationnels, apprendre à un atelier à bosser ensemble, etc. Dans ce cas-là, l'évolution exosomatique, elle consiste à produire des organes. C'est-à-dire, par exemple, je sais faire des organes, par exemple des tétines en plastique, mais j'en produis tout à coup 500 000 que je mets sur le marché, je suis dans une usine en Chine, etc. et je multiplie... donc je modifie le paysage exosomatique parce que j'augmente le nombre de tétines, par exemple. Alors, ces organes peuvent être standards mais ils peuvent être aussi nouveaux. Dans ce cas-là, ce n'est pas simplement de la production, c'est de la production inventive. C'est-à-dire que j'invente quelque chose et je le produis. C'est ce que j'appelle aussi la réalisation d'un rêve noétique, dans le bouquin dont je parlais tout à l’heure. Je peux aussi inventer de nouvelles méthodes de production càd je produis les tétines tout à fait différemment des autres et je peux aussi produire de nouvelles organisations par exemple c'est pas simplement les mêmes modèles de production c'est des modèles de motivation, de management, d'investissement justement par exemple le toyotisme invente un nouveau mode de production qui n'est pas « comment je produis des autos mais comment je produis des organismes complexes inférieurs qui sont très très solidaires et très efficaces ». Donc tout ça il faudrait en faire une analyse très très détaillée, je ne vais pas le faire. Des fois je me dis je gagnerais de l'argent si je faisais ce genre de choses parce que le management ça marche très fort, on peut en vendre beaucoup de livres mais je n’ai pas le temps donc je ne m’en occupe pas mais je propose par exemple à les écoles de management de s'emparer du sujet et d'en faire des traités de management. Ça peut rapporter énormément. Taylor, c'est un traité de management. Et ça peut transformer beaucoup de choses. Une telle évolution, telle que je viens de la décrire, le bébé qui apprend à se servir de la tétine ou du biberon, le producteur de tétines et de biberons, le toyotisme pour produire des tétines autrement, etc. Ça suppose des processus d'investissement. Et des processus d'investissement de toutes sortes. Faut que le bébé investisse déjà dans la tétée. Et ce n’est pas toujours simple, on travaille avec des gens qui sont... Si je donne ces exemples-là, en fait, c'est parce que nous travaillons dans une PMI avec des... on essaye de se pencher sur des problèmes de tétée. Au départ c'est comme ça, il s'agit de ce qu'on fait à la clinique contributive. Il faut de l'investissement de toutes sortes et il faut des investissements de toutes sortes, toutes sortes de modèles d'investissement à toutes sortes de niveaux, au niveau des individus, des groupes, etc., des nations même, au niveau de la macroéconomie. Mais ces investissements se distribuent en deux grandes catégories. L'économie libidinale, qui est, disons, on va l'appeler l'économie psychosociale, et l'économie politique, qu'on va aussi appeler l'économie politico-sociale. Ce n’est pas la même chose. L'économie politique, elle passe par exemple par la politique de la monnaie, de l'investissement bancaire, de la propriété industrielle, de toutes sortes de choses comme ça. Tandis que l'économie libidinale, elle passe par les objets transitionnels, par les structures de sublimation, etc. Mais par contre, c'est inséparable. Il ne peut pas y avoir l'un sans l'autre. Alors, économie politique, bien entendu, c'est à partir de Machiavel, justement. Enfin, disons, après Machiavel, quand on va commencer à aller vers... Avant, on ne parle pas d'économie politique. On parle d'oeconomia, de la Trinité etc. et donc avant on est dans une économie ontothéologique ; c’est les sujets dont parle Agamben régulièrement etc. ce dont je vous parle, c'est après la Renaissance et je vais reparler un petit peu de la Renaissance. Notre séance d'aujourd'hui va être consacrée à l'examen des conditions dans lesquelles une économie politique suppose une économie libidinale, d'une part, et d'autre part, il sera consacré à l'examen des rapports entre économie politique et économie libidinale à un très grand niveau de généralité, malheureusement, qui est justement ce que j'appelais tout à l'heure un process processus de transindividuation de référence simulation de référence. Je vais essayer de vous montrer que si on n’a pas un tel processus de transindividuation de référence l'articulation des deux ne peut pas se faire. Et à ce moment-là, on est dans une situation de très grand danger. C'est la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui, malheureusement. Alors, je vous disais tout à l'heure, nous critiquons Marcel Mauss depuis un point de vue exosomatique, j'ajoute le point de vue exosomatique que je défends, c'est un point de vue sur l'économie libidinale. Moi je lis Lotka avec Freud et réciproquement Freud avec Lotka.

Je pose comme thèse première qu’il n’y a pas d’exorganisme simple ou complexe, inférieur ou supérieur sans investissement càd sans économie libidinale, ce que je viens d’exposer à l'instant, mais j'ajoute que, premièrement, il n'y a pas d'économie libidinale sans processus de transindividuation de référence, et deuxièmement, ce processus de transindividuation de référence constitue l’unité d’une économie politique néguanthropique avec un a et un h capable de produire de l’anti-anthropie avec un a et un h. Ça c'est très très important. Le problème d'une économie politique c'est d'être néguanthropique, c'est-à-dire de lutter contre sa propre destruction, premièrement, mais pour qu'elle puisse être vraiment néguanthropique, il faut qu'elle soit anti-anthropique càd qu’elle soit capable de susciter de la contradiction en son propre sein qui va venir la régénérer en permanence dans sa solidarité néguanthropique.

Évidemment si j'insiste sur ce point, c'est parce qu'aujourd'hui je crois qu'on est exactement à l'inverse. On est en train de détruire tous les processus d'anti-anthropie par exemple tous ceux qui ne sont complètement dans la ligne du ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur du CNRS, on les jette, voilà, on les met en dehors du système, c'est-à-dire qu'on empêche la science de fonctionner, parce que la science ne marche qu’à la controverse. Donc si on empêche, aux limites au moins du système, la possibilité que le système travaille dans sa propre contradiction, on détruit le système en fait. C'est plus du tout un système scientifique, c'est plus du tout de la néguanthropie, c'est de l'entropie institutionnelle. C'est-à-dire qu'on fait que le CNRS ou que le ministère se renforce en permanence, c'est très bien connu, ça a été beaucoup étudié, mais à mon avis ça a été mal étudié ; Luhmann par exemple s'est intéressé à ce genre de question, mais je pense que Luhmann se référait à des modèles cybernétiques ou d'entropie qui ne sont pas bons. Je pense par exemple qu'il faut reprendre les travaux de Niklas Luhmann, mais en les critiquant comme on essaie de critiquer Marcel Mauss. Alors, je soutiens que pour tout ça fonctionne, il faut qu'il y ait un processus de transindividuation de référence et je le lie à l'économie libidinale pour que vous voyez tout de suite de quoi je parle. Ce que par exemple Freud, à partir de 1923, appelle le surmoi, Uber Ich, c'est une production du processus de transindividuation de référence. S'il n'y avait pas le processus de transindividuation de référence, il n'y aurait pas de surmoi. Je vous dirai pourquoi tout à l'heure. Enfin, j'essaierai de vous le dire et de vous convaincre. Alors, l'investissement, c'est l'énergie libidinale, qu'elle soit individuelle ou collective, telle qu'elle s'engage dans des processus d'individuation qui rendent possible à la fois la néguanthropie, donc l'organisation et la synchronisation, puisque la néguanthropie c'est de l'organisation et de la synchronisation, et l'anti-anthropie, c'est-à-dire la diachronisation et donc le ressourcement constant du système. Je parle toujours sous le contrôle de ceux qui ont forgé ce concept d'anti-anthropie, Maël ici présent et donc s'il y a des moments où tu penses que ça mériterait une remarque, n'hésite pas à m'interrompre. Je rappelle que je dis néguanthropie et anti-anthropie avec un a et un h. Donc je ne parle pas de la néguentropie au sens de Schrödinger ou de l'anti-entropie même au sens de Giuseppe Longo quand il en parle. J'en parle au sens où nous en parlons ensemble, tous les deux, avec Giuseppe d'ailleurs, au sein de ce qu'on essaye de faire en Seine-St-Denis et donc on essaie d’intégrer ces points de vue de néguanthropie et d’anti-anthropie dans le champ exosomatique et non pas dans le champ endosomatique qui est celui de la biologie. Qu’est-ce que la néguanthropie avec un a et un h ? Et bien c'est ce qui maintient la synchronisation nécessaire à toute métastabilité transindividuelle. Le transindividuel c'est un concept qui vient de Simondon, il n'y a pas d'individuation collective s’il n’y a pas de transindividuel ; il y a une énorme mésinterprétation, je l’a déjà dit mais j’y insiste parce que c'est un gros problème en France et en Italie, de la notion de transindividuel chez Simondon. Si vous lisez par exemple celui qui a écrit « Grammaire des multitudes » comment ça s'appelle ? Paolo Virno, qui a traduit Simondon, le transindividuel chez Paolo Virno, ça n'a à mon avis aucun rapport avec ce que dit Simondon. Le transindividuel chez Virno, ce serait l'avenir communiste. Simondon n'a jamais dit que le transindividuel, c'était l'avenir de je ne sais pas quoi. Simondon dit que le transindividuel, c'est la condition de l’individuation collective. Dès qu’il y a d l’individuation collective il y a du transindividuel. Et comme en France il y a eu d’autres personnes qui ont été influencées par Virno et le courant opéraïsteL'opéraïsme est un courant marxiste italien apparu en 1961 autour de la revue Quaderni RossiOperaio, signifie « ouvrier » en italien. Mario Tronti et Toni Negri en furent les principaux théoriciens.↩︎ classique autour de Negri, etc. eh bien, une jeune femme très bien par ailleurs a repris cette idée également, j'arrive plus à retrouver son nom. Muriel Combes. Muriel Combes, merci bien. Muriel Combes et Bernard Aspe ont repris ce point de vue et ont popularisé un Simondon qui n'existe pas. C'est un Simondon qui est leur invention, qui est l'invention des opéraïstes italiens. Et ça c'est grave parce que ça fait qu'on ne comprend rien en fait à ce que dit Simondon, quand on reprend ces thèses-là. Ce que dit Simondon c'est que pour qu'il y ait de l’individuation collective il faut qu’il y ait de la métastabilité et la métastabilité c’est une quasi-synchronisation ; ce n’est pas une synchronisation totale sinon ce serait une cristallisation, c'est-à-dire un figement. Donc c'est une quasi-synchronisation qui est tolérante à la diachronisation aux marges. Quant à l'anti-anthropie avec un a et un h, c'est ce qui vient déstabiliser justement cette métastabilité à ses limites et qui y opère des bifurcations. Alors ça peut être des bifurcations, ça peut être ce que j'appelle des petites bifurcations, je reprends l'expression de Leibniz « petite perception », mais donc que je... Ah oui, c'est vrai ? D'accord. Donc il y a des petites bifurcations qui se produisent, qui ne se voient pas au niveau macroscopique mais il y a aussi des bifurcations macroscopiques c'est-à-dire des grosses mutations. Par exemple, tout à coup, une espèce se met à se diviser, à multiplier, à se biodiversifier. Alors là, c'est dans le cadre de l'anti-entropie avec un e, mais dans le cadre de l'anti-anthropie avec un a et un h, par exemple, tout à coup, le dadaïsme produit le surréalisme, Duchamp etc. Donc voilà ça se produit aussi évidemment dans le champ de ce qu'on appelait autrefois l'anthropologie il y a longtemps, très longtemps, on parlait d'anthropologie. Qu'est-ce qu'elles produisent ces bifurcations, les petites ? Elles produisent de la maintenance. Ça c'est ce que tu dis dans un texte que j'ai lu, enfin, tu n’emploies peut-être pas le mot maintenance, mais elles maintiennent le système dans sa capacité à assimiler l'étrangeté, enfin disons l'hétérogénéité, l’exogène – c’est important de souligner que l'exosomatique est entre l'exogène et l'endogène. C'est-à-dire que c'est la membrane, c'est ce que disait déjà Leroi-Gourhan, qui permet d'articuler l'intérieur et l'extérieur. Et donc, l'anti-anthropie de ce point de vue-là, c'est processus de régénération et d’ailleurs en biologie, c’est très important parce que notre corps se régénère absolument en permanence, on ne le sait pas. Je crois que c'est Jean-Claude Ameisen qui a un petit peu popularisé ce truc-là il y a une vingtaine d'années avec ce bouquin qui s'appelle La sculpture du vivant, je crois, un truc comme ça. Mais c'est très important. Nos organes sont en permanence en train de se transformer avec de nouvelles cellules etc. et s'il n'y avait pas ça, il disparaîtrait tout simplement. Alors pourquoi est-ce qu'il faut les régénérer ? Pour produire un avenir dans le devenir. J'y insiste beaucoup, l'avenir est anti-anthropique, le devenir est anthropique. Le bazar chez les Deleuziens, Klosowskiens, etc. avec Nietzsche, c'est qu'ils ne comprennent pas qu'il ne faut pas mélanger avenir et devenir. Nietzsche lui-même ne le comprend pas très bien. Mais Nietzsche c'est normal, il est en fin des 19e, mais nous on est au début du 21e siècle. Donc on n'arrive pas à le comprendre, c'est quand même un peu ennuyeux. Ça veut dire qu’on a dogmatisé Nietzsche, Deleuze et tout ça, il faut arrêter ça. Il faut absolument régénérer aussi ces vieilles machines néguanthropiques. Qu'est-ce que c'est que le devenir thermodynamique ? Parce que c'est d'abord le devenir thermodynamique qui engendre tout ça. Ce n’est pas que ça, c'est aussi le devenir des éléphants du parti socialiste, de l'ENA que veut tuer le président de la République et tout ça, c'est-à-dire tout ce qu'on appelle la sclérose institutionnelle. Et ça nous touche tous aussi, on est tous en permanence confrontés à ce problème, on a toujours tous des réactions qui produisent cela, ce genre de comportement, et bien ça se produit face au flux des accidents qu'est l'entropie. Les accidents, qu'est-ce que c'est les accidents ? En philosophie, les accidents, c'est ce qui advient à une essence de manière contingente, donc ça n'appartient pas à l'essence, enfin c’est la théorie d'Aristote, de l'ontologie d'Aristote. Là, ce dont je parle, c'est les accidents en un sens, c'est dans ce sens-là, mais aussi dans le sens beaucoup plus vaste, de quelque chose qui arrive, qui est complètement inattendu, totalement imprévu. Donc ça a à voir avec la prévision, avec le prévisible et l’imprévisible ; ce qui peut être inattendu, c'est un artefact. Par exemple le smartphone. C'est tout à fait inattendu, ça débarque et dix ans plus tard, la pédopsychiatrie est totalement désorganisée face à ça. Mais c'est... je dirais que la pédopsychiatrie, c'est pas forcément très grave, mais les mères de famille, la parentalité aussi, le système de nourriture du bébé, tout ça, en fait, le plus vital du vital est menacé par ça. Ça c'est de l'inattendu. Et c'est un manque total de lucidité sur la portée des artefacts et de leur dimension pharmacologique qui fait qu'on a laissé ce truc-là se répandre comme ça, sans du tout se poser des questions, ce qui pourrait engendrer, comme le crack engendre des choses, comme la nitroglycérine engendre des choses, et qu’on ne laisse pas tout le monde y accéder comme ça. Je dis ça parce que ce matin j'étais dans une réunion à Mines Télécom et sur ce sujet-là, donc je l'ai très en tête. Ce qui peut être une rencontre inattendue, c'est une maladie par exemple. Tout à coup, tiens, j'attrape la rougeole. Je croyais que ça existait plus, etc. Et paf, je peux avoir de gros problèmes. Ça peut être une tempête, une tempête plus ou moins imprévisible parce que c'est toujours un peu imprévisible, la météo est chaotique donc c'est plus ou moins imprévisible. Ça peut être un migrant qui débarque, c'est un accident un migrant. Pourquoi est-ce que je dis c'est un accident ? C'est pas du tout contre les migrants ce que je dis, vous avez bien compris. C'est parce que, qu'est-ce que j'appelle un accident ici ? C'est ce que l'exorganisme ne sait pas traiter comme du prévisible. Et donc le migrant, s'il est vécu comme migrant, c'est parce qu'il a des comportements imprévisibles, et pas compréhensibles. C'est toute figure de l'altérité, y compris la personne que tout à coup je rencontre et dont je tombe amoureux en plus et que c’est totalement inattendu ; si ce n’était pas inattendu je ne tomberais pas amoureux non plus. C'est très néguanthropique et très anti-anthropique même plutôt. Autrement dit, l'investissement, ça peut être amoureux, ça peut être l'investissement au travail, ça peut être l'investissement religieux qui sont toujours des manières de faire avec l'imprévisible. Les bons responsables d'exorganismes complexes sont des gens qui savent anticiper ce genre de choses, rendre le système résilient, on dit aujourd'hui. Et à travers l'histoire, aujourd'hui ça passe beaucoup par les mathématiques appliquées, même si moi je crois que la manière dont on les pratique aujourd'hui, ça fragilise les systèmes bien plus que ça ne les rend résilients, mais ça on verra après quelques catastrophes comment on y reviendra. Bon, il y a quelques livres qui sont déjà parus, Cathy O'Neill ou des gens comme ça. Quand on va faire des enquêtes sociologiques sur la vie sexuelle et amoureuse dans la jeunesse du 21e siècle, le résultat c'est « y a que la baise et le reste, ça n'existe pas i. C'est un cynisme gravissime mais qui est lié à une destruction de l'investissement et de la sublimation amoureuse. Autrefois c'était une dimension fondamentale au 19e siècle par exemple. Le succès de Stendhal, de Flaubert, tout ça s'inscrit dans cette évidence du caractère fondamental de l'investissement amoureux. Une vie réussie, c'est une vie où il y a eu un investissement amoureux. Plus aujourd'hui. Aujourd'hui, ce n'est pas du tout évident dans la tête de beaucoup de gens, surtout des jeunes gens. L'investissement religieux, évidemment, qui a été pendant au moins 2000 ans en Occident la figure dominante, qui a organisé pratiquement tous les exorganismes et donc tous les processus de transindividuation de référence. Donc cet investissement religieux étant sur une échelle, il y a tout un nuancier d'échelles. L'échelle la plus basse c'est la piété et la foi. Donc je suis pieux et j'ai la foi. Qu'est-ce que ça veut dire que je suis pieux ? Quelle est la différence entre être pieux et avoir la foi ? Je peux avoir la foi mais ne pas assumer ma foi, c'est-à-dire que ne pas être à la hauteur de ma foi, si je suis pieux, j’assume, je fais mes pratiques comme on dit, etc. Mais ça c'est une échelle de base, avoir la foi et être pieux. Et le haut de l'échelle c'est être saint. Ce qui peut conduire à la béatification. Parce que le pape régulièrement, chaque pape, chaque fois béatifie. Mais bon, ça c'est des figures très institutionnelles, d'une institution qui ne se porte pas très bien d'ailleurs. Mais ces figures de sainteté, elles sont extrêmement importantes. Saint Bernard, Saint Julien, un certain nombre de ces saints, ils sont des figures fondatrices de la transformation de l'Occident après l'an 1000. C'est extrêmement important. Il crée des ordres monastiques, il crée des nouvelles techniques de soi. Alors après il y a saint Ignace de Loyola, avant il y a saint Augustin, c'est extrêmement important ces figures de la sainteté qui ont du sens dans le monothéisme mais qui n'ont pas de sens chez les grecs. Chez les grecs il n'y a pas de figure de sainteté, je parle des grecs antiques bien entendu, je ne parle pas de la Grèce orthodoxe parce que là au contraire il y a énormément de figures de sainteté, mais dans la Grèce antique, ce n'est pas la figure du saint, c'est la figure du sage. Et donc un saint est un sage, dans la chrétienté, dans l'islam, un saint c’est un sage. Dans la Grèce ancienne, un sage n’est pas un saint. Ça n'a pas de sens, cette notion-là de la sainteté. Il y a l'investissement guerrier, et souvent l'investissement guerrier et l'investissement religieux s'articulent, et ça donne les guerres saintes, par exemple, les fameuses croisades de la chrétienté du Moyen-Age et malheureusement elles sont toujours actives puisque par exemple George Bush avait utilisé ce concept et puis malheureusement on va le voir revenir en Europe dans les années qui viennent à mon avis au galop et comme une catastrophe. Mais souvent ça se combine, religion et guerre, même si la religion, au sens des grandes religions, est quand même là en général plutôt pour faire la paix, c'est-à-dire pour installer une synchronisation, y compris à travers une conquête, par exemple l'islam comme terre de conquête. Mais pour essayer d'instaurer une paix, une paix divine garantie par Dieu, etc. Alors pourquoi une paix ? Parce que pour investir, il faut avoir un minimum de paix. Pour que par exemple dans les trois fonctions de Dumézil sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure, les fonctions symboliques prêtrise etc. et les fonctions travail, agriculture, artisanat etc. puissent fonctionner au mieux, il faut que la fonction des guerriers garantisse la paix donc protège la possibilité de l'investissement externe. Là j'en parle aussi, j'en parle en général, mais j'en parle aussi parce que nous sommes en train de préparer un débat début juillet sur Genève 2020, dont j'ai déjà parlé plusieurs fois ici, avec l'idée de proposer une méthode pour négocier un traité de paix économique à l'échelle planétaire dans l'Anthropocène. Donc voilà, il y a derrière ces considérations un peu théoriques des enjeux très pratiques. Il y a bien sûr ensuite l'investissement économique. L'investissement économique, le fait d'entreprendre, dont Max Weber, je dirais est un des grands descripteurs, Niklas Luhmann aussi bien sûr et beaucoup d'autres. Et c'est le fait d'entreprendre mais c'est aussi le fait d'innover à partir surtout du 19e siècle et d'innover dans un sens anti-anthropique c'est-à-dire d'être capable de faire des ruptures. Mais là ces ruptures peuvent s'avérer extrêmement dangereuses lorsqu'elles sont désencastrées, comme dit Karl Polanyi. Et à ce moment-là, le marché innove en détruisant toutes ses propres conditions de possibilité, c'est-à-dire la société, l'économie libidinale, etc. Bon, je pourrais continuer à parler parce qu'il y en a beaucoup, des formes d'investissement. Je n'ai pas parlé d'investissement scientifique, artistique et tout cela, mais... ou militant. Je pourrais vous parler, par exemple, de ce que c'était que l'investissement des militants communistes au Parti communiste français entre 1965 et 1975. Je l'ai bien connu. Je ne vais pas le faire, on n'a pas le temps, mais ça mériterait qu'on le fasse parce qu'il y a toute une histoire de l’investissement qu'il faut faire. En tout cas, tout ça, ça désigne des engagements et ces engagements, ils sont des engagements dans l'avenir face au devenir, dont l'avenir est une différance avec un a. Et là, je redis différance avec un a voulant dire « différer l'entropie ». Le devenir, c'est l'entropie. L'avenir, c'est ce qu'il cherche à différer l'entropie du devenir. Et donc, c'est une façon de vous rappeler que, ici, j'essaye aussi de réinterpréter Derrida du point de vue exosomatique, qui n'est pas une interprétation derridienne à proprement parler, je suis à la limite de la légalité derridienne en train de faire de l'anti-anthropie contestataire dans la néguanthropie dogmatique et très institutionnalisée et un peu crétinisée à mon avis une grande partie des derridiens - ça c'est pour leur envoyer une petite baffe au passage. Dans la phase terminale du nihilisme, qu'est l'anthropocène, si on reprend la terminologie de Nietzsche, l'anthropocène pour moi c'est la dernière phase du nihilisme et nous sommes maintenant dans la dernière phase de la dernière phase, c'est-à-dire dans ce qu'on dirait par exemple être la phase terminale où en principe le malade ne s'en sortira pas. C’est ce que pense tout le monde, j'entends ça absolument partout maintenant. Et où, ben, il y a des situations quasi miraculeuses. Il y a des gens, on en parlait hier, hein. Il y a des gens dont on dit : c’est fini, c’est terminé et puis, si, ils s’en sortent ; eh bien il faut qu’on essaie de susciter quelque chose de ce type-là, ça, ça demande beaucoup d'investissement. Dans cette phase du nihilisme, phase terminale de l'ère anthropocène à sa phase terminale elle-même, au moment où elle devient vraiment autodestructrice et qui par ailleurs est la phase de la soumission totale au calcul, c'est-à-dire cette figure que je montre très régulièrement dans ce séminaire et qui est celle de, pour moi, l'illustration de ce qu'Heidegger appelle Gestell depuis 1932, puisque la première fois qu'il utilisait ce terme, c'est en 1932 dans un cours sur la technique. La technique de la machine à vapeur. Dans cette phase terminale entièrement soumise au calcul et qui, de ce fait, est dépourvue de toute protention au sens de Husserl, c'est-à-dire de capacité à projeter ensemble des finalités. Je parle de protentions collectives et aussi du fait que les protentions psychiques, elles aussi, tendent à s'effondrer. La psychiatrie avec laquelle je discute beaucoup en ce moment est confrontée à ce truc-là, les gens... le désir, où est le passé ? Ce n'est plus du désir qu'on a à faire, c'est de la pulsion, c'est de l'automatisme, c'est de l'addiction, c'est du mimétisme, mais ça n’a plus rien à voir avec ce qu’on appelait le désir il y a encore 20 ans. Le désir du névrotique par exemple. Dépourvu de toute protention, ça veut dire aussi de toute capacité d'halluciner l'avenir par des rêves. Y compris, j'ai beaucoup insisté dans un livre, parce que les gens ne rêvent plus effectivement, et comme l'a montré Jonathan Crary avec un dispositif de... les smartphones hantent les nuits elles-mêmes et font que le mécanisme onirique ne fonctionne plus. Ce qui est une extrême remise en cause pour la psychanalyse et la psychiatrie d'une façon plus générale. Et vous le savez c'est très très grave, les gens ont besoin de rêver parce qu'il y a eu un procès qui a été fait contre un fabricant de de somnifères qui empêchait les gens de rêver et il y a eu des passages à l'acte criminel nombreux à cause de ça et le fabricant a été véritablement reconnu comme coupable dans cette affaire. Empêcher les gens de rêver, c’est extrêmement grave, ça peut les amener à commettre des transgressions, alors c'est plus de l'anti-anthropie, c'est de la destruction pure et simple, voilà. Donc c'est extrêmement dangereux. Impossibilité donc dans ce stade computationnel du stade terminal du nihilisme de réaliser des rêves, puisque si on ne rêve pas, on ne peut pas les réaliser, ces rêves. Alors qu'est-ce que ça veut dire réaliser les rêves ? Ça veut dire idéaliser une personne qu'on a rencontrée et nouer avec elle un rapport amoureux. Ça c'est très très bien décrit. Il faut qu'il y ait un processus d'idéalisation de la personne, sinon il n'y a pas de rapport amoureux. Après ça s'efface, ça disparaît ; c’est une phase initiale comme on dit. Ouvrir un potentiel exosomatique par une extrapolation technologique à partir d'une idéalité mathématique et tiens, qu'est-ce que je sors là ? J'essaye de montrer qu’une idéalité mathématique ou un champ d'idéalité mathématique, un ensemble, permettent de construire des algorithmes qui vont permettre de développer des choses, car ces algorithmes n'étant pas forcément des algorithmes logiciels comme on les connaît aujourd'hui, mais ça peut être des algorithmes qui s'incarnent dans une machine, c'est une équation qui va se fonctionnaliser, qui va donner une fonction de transformation, etc. Ça c'est la réalisation d’un rêve, l’idéalisation est produite par un rêve, un rêve noétique, le rêve dont parle Paul Valéry très souvent, qui faisait des mathématiques en rêvant, il en parle dans son livre sur les rêves, et qui pense que le rêve, Valéry pense que le rêve est absolument indispensable aux mathématiques, et c'est tout à fait évident. Ce que je disais l'autre fois de Desanti passe aussi par-là, même si Desanti ne l'a pas thématisé comme ça. Bon, je pourrais là aussi donner beaucoup d'autres exemples, mais je ne vais pas le faire. Dans cette phase terminale du nihilisme, donc, l'investissement est ruiné. Il est ruiné parce que, d'une part, ça vous le savez, j'en ai beaucoup parlé par ailleurs dans les dix années précédentes, il a été remplacé par la spéculation. Les règles du fonctionnement des marchés financiers font qu'aujourd'hui, il n'y a presque plus d'investissement, il n'y a pratiquement que de la spéculation, ce qui est souvent anti-investissement, ce qui souvent empêche l'investissement. Mais d'autre part, et je dirais surtout, c'est parce que l'investissement sous toutes ses formes, depuis l'investissement du bébé dans le sein de sa mère, de la personne qui tombe amoureuse, ou de l'entrepreneur décrit par Max Weber qui s'engage à réaliser la parole de Jésus-Christ en développement de capitalisme du nord, capitalisme du 17e, 18e siècle, eh bien ça, ça suppose des appareils de production d'économie libidinale qui ont été ruinés, qui ont été détruits par exemple par le court-circuit de la parentalité qu'on analyse sur le smartphone. Mais c'est vrai, ce qui est vrai du smartphone et de la relation mère-enfant est vrai d'absolument toutes les couches de production de l'économie libidinale de tous les appareils, y compris les appareils, bien entendu, et surtout qui produisent du processus de trans-indigestion de référence. Et s'il en va ainsi, c'est d'abord parce qu'il y a une stratégie de développement du capitalisme qu'on a appelée Consumer Capitalism pendant à peu près un siècle, qui vise à court-circuiter toutes les instances de transformation de la pulsion en libido et en investissement, puisque c'est ça la libido, c'est la transformation de la pulsion en investissement. Ça a été remplacé par les industries culturelles, par tous ces dispositifs que Adorno et Horkheimer ont critiqués et qui aujourd'hui sont devenus les big data et les algorithmes des réseaux sociaux et toutes ces choses-là. Ça c'est un état de fait, mais il y a par ailleurs ce que je vais appeler un état de non-droit, qui est le fait que toutes les théories de l'économie libidinale, de ce que c'est que la libido, ont évité, ont contourné le problème de penser l'exosomatisation. Malgré le fait que Freud en a régulièrement parlé, je n’arrête pas de le dire, dès une lettre de 1897 à Wilhelm Fliess, et surtout dans le Malaise dans la culture, où il en parle en long, en large et en travers, et en même temps je ne connais aucun psychanalyste, aucun théoricien de la psychanalyse qui ait travaillé cette question, ce qui est quand même incroyable. C'est incroyable, alors maintenant on voit les psychanalystes totalement paumés, démunis avec toutes ces technologies, mais n'étant pas du tout en mesure actuellement de se ressaisir parce qu'ils ne prennent pas les bons problèmes. Les bons problèmes, c'est qu'il faut reprendre les théories de la psychanalyse, il faut les critiquer. Il faut obliger la théorie psychanalytique et la clinique psychanalytique, la pratique psychanalytique, à intégrer la question de l'exosomatisation. Freud était tout près de le faire à mon avis, mais il ne l'a pas fait. Tout ça conduit à quoi ? A ce que j'appelle la déséconomie libidinale, ou encore le capitalisme pulsionnel. Pour tenter de transformer cet état de fait qui est absolument ruineux et totalement fatal, qui risque d'être absolument fatal à la forme de vie supérieure humaine ou animale, eh bien je pense qu'il faut faire une histoire de l'investissement. Il faut voir comment l'investissement évolue à travers le temps, à travers tout ce qu'on peut commencer à tracer, disons, depuis le Paléolithique supérieur un tout petit peu, en reconstituant des choses avec les sociétés chamaniques, etc. Parce qu'on suppose que le Paléolithique supérieur, c'est le début du chamanisme, en fait. Et puis après, surtout à partir de l'archéologie, les grandes formes depuis le Néolithique, etc. Il faut reconstituer toute cette histoire pour voir comment il y a une évolution fonctionnelle liée à l'évolution exosomatique. C'est ce que je crois en tout cas, c'est ce que je prétends. Et comment à partir de là on peut en tirer des conséquences pour la suite. Et comment on peut essayer de corriger la trajectoire actuelle qui est absolument catastrophique. Et là je voudrais insister sur un point évidemment assez fondamental, pour des raisons très variées d'ailleurs, c'est que faire une histoire de l'investissement, c'est faire une histoire de la vérité. Quand je dis une histoire de la vérité, je ne veux pas dire simplement la vérité au sens de la aléthéia ou de la veritas, c'est-à-dire la notion occidentale de la vérité. Il y a aussi une vérité en Chine, il y a une vérité en Afrique, il y a une vérité dans toutes les sociétés humaines. Et cette vérité ne se présente pas comme une vérité démonstrative, apodictique, comme chez les Grecs, ce que les Romains reprendront, puis les Européens. En Chine, par exemple, il y a une vérité géométrique qui n’est pas apodictique mais c’est une vérité quand même et c’est au nom de la vérité que Confucius, par exemple, va penser le fonctionnement de l’Empire parce que les fonctionnaires chinois, bien connus, dont je tiens à vous redire quand même, parce que je manque jamais une occasion de le rappeler, que c'est la Chine qui a permis à des paysans de devenir Premier ministre, c'est pas les conquêtes démocratiques de l'Occident, c'est Confucius, c'est toute cette tradition qui ouvrait des concours, ouvrait à n'importe qui et qui faisait que n'importe quel chinois qui se présentait, s'il était meilleur que les autres, il pouvait devenir un mandarin et finalement il pouvait finir ministre de l'empereur. C'est arrivé. Il faut ajouter d'ailleurs que si c'était le cas, il fallait qu'il soit aussi musicien, poète et peintre. Ça c'est intéressant quand même. Les chinois avaient quand même une certaine conception je dirais de la cohérence de l'empire qui... voilà... Alors c'est plus comme ça aujourd'hui hein... Mais en même temps il y a des gens en Chine qui essayent de réactiver cette tradition. Des gens avec qui je travaille. Comme l'école d'art de Hangzhou par exemple. Et je vais vous parler de la Chine dans un petit moment. Il y a donc une histoire de la vérité qui est selon moi très liée à l'histoire de l'investissement et la vérité, elle a une fonction. De même que Whitehead dit que la raison a une fonction et cette fonction c'est de produire des bifurcations dans un univers qui est processuel et qui est donc en permanence en train de se transformer, donc il faut pouvoir bifurquer tout le temps, à tout moment, et c'est la fonction de la raison, dit Whitehead. C'est très très important ça. Je ne comprends pas que personne ne commente ces propos de Whitehead. La vérité a une autre fonction. Enfin, la raison qui produit des schèmes véritatifs qui ne sont pas forcément logiques et apodictiques, qui peuvent être chamaniques, surnaturels, ordaliques, théologiques, etc. La vérité, c'est une fonction qui n'est pas forcément produite selon les canons de l'Occident. Moi, je ne suis pas ethnocentré du tout sur ces questions-là, mais par contre qui produit toujours ce que Derrida appelle une métempéricitéQui est au-delà de l'empirisme, de l'expérience.↩︎. C'est-à-dire que la vérité, c'est ce qui, à travers toute la transformation du devenir, les accidents, etc., maintient sa structure. Donc elle est métastable en fait. Mais d'une robustesse métastable extraordinairement résiliente. La vérité, ainsi conçue comme fonction, c'est ce qui vient garantir les investissements. Par exemple, je veux me marier, je passe devant le curé ou devant le maire et je dis oui et c'est un serment. Alors si c'est un serment consacré par le prêtre, eh bien c'est devant Dieu. Si ce n'est pas le cas, c'est devant la République. Ça veut dire que si je casse le truc, je divorce, je passe devant un juge et le juge va établir la vérité des faits etc. dans le divorce c'est sous les auspices de la vérité ; c'est pareil pour… il y a deux jours on était avec une grande banque privée et une grande banque publique qui a discuté de comptabilité, il y a besoin de comptabilité parce qu'en économie il y a besoin de ce qu'on appelle la certification des comptes et la certification des comptes elle est faite par exemple par le bureau Veritas, enfin pas des comptes, la certification de la qualité de construction par exemple, ou la certification des comptes qui, elle, est faite par les experts en comptabilité, ce qu'on appelle les commissaires aux comptes, etc. Et s'il n'y a pas ça, il ne peut pas y avoir d'économie. Ce qui veut dire que la fonction de la vérité, c'est aussi de maintenir la confiance dans le système. Si on n'arrive pas à maintenir la confiance dans le système, c'est-à-dire s'il n'y a pas de reconnaissance de chacun à sa place, oui le juge est bien un juge, le maire est bien un maire, ma femme est bien ma femme, ma femme n'est plus ma femme, etc. Et bien le système ne peut plus marcher. Aujourd’hui on est dans la confusion la plus totale par rapport à ; ça n'y a plus de reconnaissance des juges, il n'y a plus de reconnaissance des élus, il n'y a plus de reconnaissance des parents, il n'y a plus de reconnaissance des enfants. On en est vraiment à ce point-là. Le paysage est absolument apocalyptique. Pour que ça fonctionne, cela, il faut que les investissements se déploient localement. Alors là je reviens vers les sujets qui font toujours un petit peu peur à notre ami Paolo. Je dis localement, pourquoi ? Parce que la sublimation, qui est la condition de l'investissement en fait, la sublimation telle que Freud la reconsidère en 1923, il l'avait déjà considérée dans l'introduction à la psychanalyse et tout ça, mais il y revient en 1923 et il lui donne des nouvelles définitions, la sublimation. Il a des idées beaucoup plus précises à mon avis à ce moment-là sur ce que c'est que la sublimation. Eh bien la sublimation, elle est la condition de l'investissement. Pour que je puisse investir, il faut que je sublime et ça veut dire que ma sublimation va me permettre de sacrifier le présent. Sublimer c'est sacrifier le présent à une promesse de l'avenir. Cette promesse de l'avenir c'est la promesse d'une bifurcation dans le devenir. C'est-à-dire que je vais pouvoir m'individuer dans le devenir parce que je vais transformer le devenir. Je ne vais pas le subir, je vais l'agir, mais ça c’est local. Ça ne peut jamais se produire en dehors d'une localité, ça se produit dans un contexte qui est un contexte géographique, affectif, économique, social, juridique, etc. etc. religieux, et quand il y a une religion, ou magique quand il n'y a pas de religion, avant la religion, et laïque et athée quand on est dans le monde actuel, etc.

Et tout ça, ça a pour but de sacrifier à l'infini dans la différance avec un a. La différance avec un a, ce que Derrida appelle la différance sans e, c'est un sacrifice du présent en vue d'un avenir qui est une promesse. Ça, c'est ce que Derrida lui-même avait essayé de tenter, comme précisément la promesse mais en n'intégrant jamais ce que je dis sur l'entropie, l’exosomatisation etc. ce qui fait que je crois que son discours est resté quand même extrêmement abstrait et qu'il faut le reprendre pour le concrétiser aujourd'hui. Si on avait le temps on discuterait aussi des thèses de Gerald Moore sur le sacrifice parce que là je viens d'employer un mot quand même très important, le mot sacrifice. Le sacrifice était pratiquement le premier objet de l'anthropologie à la fin du 19e siècle. Durkheim, Mauss, tout ça, sont des théoriciens du sacrifice. Et le sacrifice est très compliqué à penser. Georges Bataille est aussi un penseur du sacrifice. Gerald Moore a écrit sur toutes ces questions et là, je l’invite, il n’est pas là mais je lui en reparlerai, Gerald a fait un rapport entre sacrifice et sublimation. La sublimation c'est un sacrifice. Tout à l'heure je parlais de petites bifurcations et des grandes bifurcations. Les sacrifices comme celui de Jésus-Christ, comme les sacrifices humains, comme les sacrifices ritualisés, y compris de tuer un bouc-émissaire, c'est-à-dire un pharmakos, à la place par exemple de... comment s'appelle le fils d'Abraham, Isaac, voilà, tout ça ce sont des grandes figures absolument solennelles du sacrifice, plus que solennel, monumental, cosmique quasiment, mais il y a du petit sacrifice en permanence. Chaque fois que je produis de l'économie libidinale et donc que je sublime des choses, je sacrifie le présent à l'avenir. Et donc il y a des toutes petites formes de sacrifices. Et moi je crois qu'aujourd'hui il faut connecter les deux. Alors, tout ça, pour que ça fonctionne, il faut le scalabiliser, le mettre sur des échelles. Ces échelles sont des apprentissages, par exemple, à l'intégration de l'idéal du moi de mon père, à travers l'identification primaire du bébé qui ensuite va devenir l'intériorisation du surmoi à travers cette identification etc etc puis ensuite une intégration du surmoi qui va consister à transgresser le surmoi par exemple parce que souvent les ceux qui intègrent le mieux le surmoi eh bien ils le transgressent voilà par exemple ils deviennent juristes et ils disent on va remettre en cause le droit on va remettre en cause le droit, on va remettre en cause l'art, on va remettre en cause les mathématiques, on va remettre en cause tout en fait. On va remettre en cause son père, le président de la république, etc. Autrement dit, pour que le surmoi fonctionne, il faut que sans arrêt il s'auto-transgresse en fait. La figure idéale de ça c'est Antigone, c'est ce qu'a montré Hegel. Antigone respecte la loi beaucoup plus que Créon parce qu'elle transgresse la loi de Créon. Et ça c'est absolument fondamental et ce n’est pas un hasard évidemment s'il Sophocle dans ce texte mais en rapport la loi écrite comme il l'appelle et la loi divine parce qu'on a affaire au sacré c'est à dire au sacrifice. Et elle se sacrifie. Donc là tout ça doit être repensé aujourd'hui. Il faut relire aussi La phénoménologie de l'esprit de Hegel etc. depuis ce point de vue-là et pas depuis le point de vue d’Alexandre Kojève qui est un point de vue très intéressant mais à mon avis totalement daté. Il faut exemple, ça mériterait de se pencher sur qu'est-ce que c'est que l'opéra de Pékin ? Comme vous le voyez, dans l'opéra de Pékin, la figure centrale là, c'est un combattant. Pourquoi est-il là ce combattant ? il sublime, il va se sacrifier ; il se bat pour quoi ? Pour protéger l'empereur. Ça c'est la figure sublimatoire de l'économie libidinale chinoise, dans l'Empire chinois, selon moi. Tandis que ça c'est la figure occidentale de l'Opéra de Paris, qui est une figure tout à fait différente, avec une angélisation de corps féminins infantiles c'est-à-dire admirer des jeunes filles presque nues, etc., etc., se transforme en un processus de sublimation angélique, voilà, et qui est évidemment un deal avec le diable, avec, voilà, le diachronique qui se présente dans la chrétienté souvent comme le diabolique. Et pour qu'il y ait du symbole, il faut qu'il y ait de la diabole, exactement comme pour qu'il y ait du surmoi, il faut qu'il y ait de la transgression du surmoi. Et donc ces grandes scènes dramatiques, disons, appelons-les comme ça, d'art dramatique que sont l’Opera de Pékin, l’Opéra de Paris, la comédie française, le théâtre de Versailles, enfin je dis ça parce qu’évidemment vous savez bien c'est le grand siècle qui produit ces figures en France en tout cas. Il y a des dimensions un peu différentes en Italie mais aussi très très importantes etc. tout ça trouvant par ailleurs sa source en histoire du théâtre en Grèce mais qui est une histoire très différente de l'histoire de la représentation en Asie qu'elle soit chinoise, indienne, japonaise, etc. Dans tous les cas, tout ça, ce sont des dispositifs qui instituent du somptuaire pour produire quoi ? Des processus de transindividuation de référence. Alors qu'est-ce que j'appelle comme ça ? Eh bien, je vais y revenir tout à l'heure, je vais vous le dire tout à l'heure. Mais avant de le dire, je vais essayer de rentrer un tout petit peu dans une histoire de l'investissement récente, enfin récente, en repartant du 15e siècle. Au 15e siècle, en Occident, je ne les connais pas assez les autres sociétés - j'essaye un petit peu de le faire, mais il y a vraiment beaucoup de travail. Moi je passe par Toynbee, mais c'est de la deuxième main bien sûr, pour essayer de sortir de l'Occident - donc au 15e siècle, en Occident, se produit une immense bifurcation. C'est-à-dire qu'il y a une mutation exosomatique qui est l'équivalent de la production d'une nouvelle espèce, voire d'un nouveau genre de... Voilà, on passe, je sais pas moi, des amphibiens aux vertébrés terrestres ou je ne sais pas quoi. Qu'est-ce que c'est que cette immense bifurcation ? Immense bifurcation ! C'est l'origine de la grande transformation de Polanyi, et ça commence au XVe siècle. Et ça commence par quoi ? Par ce qu'on appelle les grandes découvertes. Par exemple, c'est ce que ceux qui vont inventer le capitalisme, qui sont les armateurs qui vont armer des bateaux pour commencer à aller commercer, alors de Venise jusqu'en Inde en passant, en affrontant les pirates, les tempêtes, etc. Puis ensuite entre l'Europe occidentale et l'Amérique, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Brésil et tout cela, il y a des gens qui vont se mettre à investir, mais en fait c'est un investissement qui devient déjà spéculatif, dans ce qu'ils appellent la grande aventure. La grande aventure, on en voit dans les contes d'Andersen des histoires comme ça, des familles ruinées, papa a mis sa fortune dans un bateau, le bateau a coulé, a été capturé par les pirates, on a tout paumé. Ça c'est la grande aventure, c'est comme si on jouait au poker avec les bateaux. Ça a structuré énormément l'économie à partir du 15e siècle. Les hollandais, enfin tous ces pays maritimes, la ligue hanséatique et tout ça, étaient énormément orientés là-dessus. Les hollandais étaient des très très grands risqueurs, si je puis dire, sur les mers, les mers qui étaient l'inconnu total. Mais pourquoi est-ce que c'est arrivé ? Eh bien c'est parce qu'il est arrivé, donc, les fameuses grandes découvertes, c'est-à-dire la cartographie, la boussole, enfin un certain nombre de choses comme ça, sur lesquelles je vais revenir dans un instant. A partir de là, l'investissement, ça devient non plus l'investissement dans la vie de Jésus-Christ, l'imitation de Jésus-Christ, toutes ces choses-là, ou je ne sais pas quoi, Mahomet ou écouter Yahvé et pratiquer la règle de la synagogue, c'est l'investissement dans le risque. Et là-dessus, il faut lire un livre de Peter Sloterdijk qui est vraiment un de ses meilleurs livres à mon avis, en tout cas pour ceux que j'ai lus, parce qu'il y en a plein que je n'ai pas lus, qui est Le Palais de Cristal, où il décrit comment se constitue le capitalisme à travers une gestion du calcul assuranciel, dans la prise de risque, de la distribution des risques et comment tout ça vise à éliminer les risques en les externalisant. Et ça c'est un point que je tiens à dire d'ailleurs en particulier à Olivier, pour ce qui concerne le groupe économie de la recherche contributive, on parle des externalisations négatives, par exemple le cyanure qu'on met dans les rivières, tous ces machins très connus, mais on ne parle pas assez de l'externalisation des risques. Et de là, ce qu'on appelle la socialisation des risques après coup, mais en fait qui est produite absolument en permanence par les structures d'organisation. Et ça, c'est extrêmement grave. Parce que du coup, comme les gens ne sont plus sanctionnés, quand ils prennent des risques, en fait c'est d'autres qui les payent, ils ne sont plus sanctionnés, donc ils font n'importe quoi. Et à partir de là, ils prennent des risques absolument inconsidérés et que nous nous payons, y compris les mômes qui sont intoxiqués par les smartphones, c'est une prise de risque absolument inconsidérée pour moi. Je ferme la parenthèse, mais je pense que c'est extrêmement important. Jusqu'à cette époque-là, jusqu'à ce qu'apparaisse la grande aventure, le commerce international qui se constitue à partir de ce moment-là vraiment parce que jusqu'alors c'était un commerce qui restait régional à quelques exceptions près, la route de la soie etc. jusqu'à la renaissance autrement dit, l'investissement signifiait toujours à la fois la fidélité, c'est à dire la consécration de liens, de liens qu'on ne pouvait pas trancher soit parce qu'on trahissait un serment devant Dieu, soit parce qu'on trahissait l'honneur. Et que, quand on n'était pas dans des sociétés monothéistes avec serment devant Dieu, il y avait un code de l'honneur et de la honte. Et on n'était plus quelqu'un. Si on trahissait ça, on était terminé. On était lessivé sur le plan social, on n'avait plus aucun crédit et on ne pouvait plus exister si je puis dire socialement. Donc tout ça jusqu'à la Renaissance ça repose beaucoup sur la foi ou sur l'honneur et sur la guerre c'est à dire sur le courage jusqu'à la Renaissance. Après la Renaissance vont commencer à apparaître des mercenaires, c'est là que va commencer à apparaître la guerre comme un business, comme les autres, etc. Mais avant la guerre, c'était l'engagement d'une des trois fonctions, de ce que Dumézil appelle les trois fonctions. Si on ne comprend pas la différence de ce qui précède et ce qui succède de la Renaissance sur ce plan de l'investissement, on ne comprend rien à l'histoire de l'investissement. Donc ça c'est une question fondamentale. Et on ne comprend rien non plus du coup, par exemple, aux positions religieuses du pape, des imams, du judaïsme, etc. par rapport à l'exosomatisation contemporaine, à des questions comme ça. Et qui sont des questions extrêmement importantes par exemple sur la procréation, sur la procréation, comment on dit, la PMA ou des choses comme ça ou la GPA surtout. A partir de la Renaissance la guerre a commencé à changer de forme, elle a commencé à devenir d'une part de mercenaires, guerre professionnelle disons. Avant ce n'était pas une guerre professionnelle, c'était une classe, ça s'appelait les nobles, les seigneurs, etc. Alors qu'ils pouvaient emmener leurs serfs et tout ça, mais c'était leur gens, c'était leur maisonnée, comme on disait parfois. A partir de la Renaissance, la guerre est devenue économique. Ça ne commence pas avec le capitalisme, la guerre économique. Ça commence avec le XVe siècle. C'est-à-dire avec une nouvelle forme du commerce international qui n'est pas encore le capitalisme au sens, en tout cas, consacré par Max Weber puis par Karl Marx. On pourrait dire que c'est une forme de capitalisme. Il y a des gens qui disent ça et pourquoi pas, je n’ai pas d'avis tranché sur la question. Mais en tout cas, la guerre devient économique et l'économie devient essentiellement la constante relance de l'exosomatisation. Et ça, ça commence dès le XVe siècle, avec ce qu'on va appeler la construction de la République des Lettres, qui elle-même va engendrer la philosophie des Lumières, la Aufklärung, et finalement qui va conduire à quoi ? et bien à la destruction créatrice. Et ça c'est ce que vont déplorer Adorno et Horkheimer en disant mais tout le projet des Lumières a été renversé. La raison a été mise au service de la rationalisation qui est elle-même mise au service de la destruction. Et évidemment ça, c’est théorisé par Schumpeter qui en fait la base de la théorie économique du capitalisme. Mais si on veut comprendre ça et ses limites, les limites de ça, le premier qui a énoncé les limites de ça, c'était l'assistant de Schumpeter lui-même, c'est-à-dire Georgescu-Rögen, il y a déjà maintenant presque 50 ans. Si on veut comprendre ça, il faut comprendre comment on est arrivé de la guerre tout court à la guerre économique et comment tout ça a transformé l'investissement, comment l'investissement est devenu de la spéculation, sinon on n'y comprend rien du tout. Et cette destruction créatrice est devenue une guerre économique mais c'est aussi devenu une guerre temporelle et spirituelle contre tout ce qui est vieux et démodé. Je cite là des théoriciens du marketing, je n’ai pas eu le temps de rechercher, je l'avais cité dans un autre de mes livres, qui disait : c'est en 1950 à peu près aux Etats-Unis, ce sont des théoriciens... à quoi servent les entreprises de publicité, et la 5e Av. à New-York etc. Ils disent on est là pour détruire tout ce qui est vieux et démodé. C'est-à-dire faire que la mode change absolument en permanence, qu'on est en perpétuel relance de la destruction créatrice. Et donc c'est totalement lié à Schumpeter. Et c'est ce qui produit l'anthropocène dans sa phase ultime et sa phase terminale au sens médical du terme. Vous avez entendu ça certainement, je l'ai d'ailleurs moi-même mentionné deux fois dans ce séminaire, 15% des pulls ne sont portés qu'une fois, ils sont en nylon, c'est-à-dire en pétrole. Ils sont fabriqués très souvent dans le sud-est asiatique, ils sont transportés en bateau ou en avion. Ils sont vendus 10 à 15 euros dans des machins dans les zones commerciales et ils finissent à la poubelle, et ils ne sont pas biodégradables. Donc c'est une catastrophe totale. Toute la chaîne est catastrophique. Absolument tout. Sauf pour celui qui a pris l'argent en passant, bien entendu. C'est de l’import-export. C’est la suite de ce qui a commencé au 15e siècle, mais à une échelle absolument apocalyptique, qui a détruit entre temps les filatures du Nord-Pas-de-Calais, etc. qui a transformé l'exploitation des laines de moutons en exploitation de pétrole, qui produit un CO2 pas possible, et qui produit une énorme frustration pour les jeunes gens, souvent des jeunes filles qui portent ces habits une seule fois et puis après poubelle ou carton. Ça c'est absolument catastrophique et ça concerne énormément de produits de la destruction créatrice. C'est ce que j'ai appelé la destruction destructrice. C'est-à-dire que c'est le stade où la destruction ne devient plus du tout créatrice mais purement destructrice. Alors cela dit, que veut dire faire la guerre à tout ce qui est vieux et démodé ? Ce qui devient le slogan des agences de publicité des années 50 aux Etats-Unis et principalement à l'époque c'est New York, plus maintenant. Eh bien c'est faire la guerre à ce que j'ai appelé il y a deux ou trois semaines l'humus noétique. Parce que ce qui est vieux et démodé c'est en fait ce qui s'accumule comme les traces des morts, de tout ce qui est mort, les livres par exemple de la bibliothèque d'ici, de la maison Suger, tout ce qui est ce qu'on appelle, à tort ou à raison, je n'aime pas du tout qu'on l'appelle comme ça le patrimoine, enfin tout ce qui constitue, disons les bases matérielles de ce que Gilbert Simonin appelait le fonds pré-individuel, à partir duquel on peut s'individuer, et ce que toi tu appelles l'histoire, l'historicité du vivant. Donc l'historicité du vivant dans le monde vivant, elle est encodée, elle est d'abord conservée dans les gènes et dans, je dirais, le matériel cellulaire du vivant, mais dans le vivant noétique que nous sommes, c'est-à-dire dans le vivant exosomatique, elle est dans l'exosomatisation. Et donc si on détruit l'exosomatisation à mesure qu'on la produit, parce que c'est ça la réalité de ce que je suis en train de vous décrire, on détruit la noèse elle-même et c’est ce qui est en train de se produire. Alors ça veut dire que Rainer Maria Rilke en a beaucoup parlé au début du 20e siècle, ça veut dire que cette transformation, je vous recommande de lire Les sonnets à Orphée qui sont absolument extraordinaires, cette transformation elle détruit l'honneur des morts. Qu'est-ce que c'est que ce que j'appelle l'honneur des morts ? Les morts il faut les honorer. Et pour les honorer, il y a mille façons de les honorer. Ici en France, aux Etats-Unis aussi, il y a le jour des morts, qui s'appelle Halloween maintenant, mais qui autrefois s'appelait la Toussaint. On honorait tous les saints quel que soit leur prénom, on allait au cimetière pour mettre des fleurs sur leur tombe quand c'était des pratiques, disons, de la mémoire familiale. Mais il y a d'autres manières d'honorer les morts, qui est, par exemple, de continuer à lire Jacques Derrida sans répéter comme un crétin ce qu'il disait à la lettre, par exemple. Je considère que c’est comme ça qu’on peut honorer la mémoire de Jacques Derrida. Et en fait, faire la cuisine c'est aussi honorer les morts. C'est le savoir, l'accumulation de l'humus noétique. C'est ce qui constitue du savoir. Alors, l'exosomatisation a un rapport à la mort tout à fait spécifique. D'ailleurs je suis en train de lire, je dois vous dire, La vie et la mort de Jacques Derrida, qui est un texte sur la biologie qui est très très intéressant. Je l'avais déjà lu il y a très longtemps mais là il est reparu et je lis la publication. Et je pense que la mort telle qu'en parle Hegel par exemple, c'est la mort noétique, c'est-à-dire c'est la mort de celui qui honore ses morts. Ce n’est pas la mort de celui qui va laisser le cadavre pourrir, voilà. Et ce qui est encore ce que font un certain nombre de singes, et pas tous, puisque mes amis primatologues me disent il y a des conduites funéraires chez certaine singes, mais bon, je reste à convaincre. Il y a, de toute façon chez les grands singes des comportements qui sont très très à la limite de la noésis. Donc moi ça ne me dérange pas du tout. J'ai déjà dit d'ailleurs de mettre le singe, en tout cas le grand singe, dans le genre humain. Ça ne me dérange pas du tout. Je pense que ce n'est pas un problème, parce que de toute façon le problème ce n’est pas le corps vivant c’est les organes artificiels.

Alors, qu'est-ce que c'est que cette singulière relation à la mort et aux morts qui apparaît avec la noésis. Et bien c'est complètement lié au fait que, précisément, le rapport à la prédation et à la défense passe par les organes exosomatiques. Et que ces organes exosomatiques, qui sont des organes... Qu'est-ce que c'est ça ?B. Stiegler projette une image de pointes et d’éclats de silex↩︎ Ce sont des outils ou ce sont des armes ? C'est tout le problème. Ce sont des outils et des armes. Ce sont des armes et des outils. Et ces armes et ces outils, ce qui sont là, par exemple, ceux-là, ce sont des outils du chasseur. C'est très clairement des outils de chasseur. Là, non. Ce sont plutôt des outils d'artisan, ça. Ou de ce que le chasseur va faire en tant qu’artisan, ça sert à tanner la peau, ce sont des grattoirs... Pour autant qu'on est capable de les reconstituer. Le chasseur qui utilise ça, je crois moi qu'il n'est pas encore un guerrier. Je veux dire par là qu'il n'y a pas encore, à mon avis, je me trompe peut-être, peut-être que des archéologues, peut-être que Jean-Paul Demoule me dirait tu te trompes, ce n’est pas si clair, etc. Je n’en sais rien. Mais moi je crois que ce ne sont pas encore des guerriers, c'est-à-dire que je crois qu'il n'y a pas encore eu une constitution, de ce qui va arriver à la production de la fonction de guerrier càd à la hiérarchisation sociale en classe pour parler dans un langage qui n’est pas celui de Dumézil mais de Marx. Mais ce que je veux, si je vous en parle, c'est parce que ce que j'essaie de montrer, c'est que si on ne pense pas l’exosomatisation, on ne peut pas penser à la hiérarchisation. Il va y avoir hiérarchisation à un moment donné, pourquoi ? Parce que ce truc-là peut être à la fois un outil et une arme ; à partir de là il me permet de tuer mon père – ou mon frère, c’est un enjeu de la Bible. Ce que je veux dire en disant qu’il me permet de tuer mon père ou mon frère, d’abord c’est que cette question c’est un enjeu de la Bible. Ce que vous voyez là c’est Caïn et Abel et qu’est ce que vous voyez ? un frère qui tue son frère, Caïn qui tue Abel et de l'autre côté, vous voyez ce sont des agriculteurs. Ça c'est à partir du néolithique. Ils apportent quoi ? Gerbe de blé ici et c'est magnifique cette gerbe de blé ici. Donc c'est le cultivateur et là c'est l'éleveur. Donc c'est le néolithique. On a transformé, il y a quelque chose qui s'est produit. La société est entrée dans le néolithique, il y a une différenciation qui est en train de s'opérer entre les prêtres, les guerriers et les autres, c'est-à-dire cultivateurs, artisans, etc. Et le guerrier, qui est-ce ? et bien c'est celui qui a le droit d'utiliser ça (cf. note 3) pour tuer ses semblables. Pas le chasseur. Le chasseur, s'il tue un de ses semblables, il va passer... il va être jugé pour crime. C'était extrêmement important. Pour essayer de penser ça, il faut donc reprendre ces questions de DumézilLes dieux souverains des Indo-Européens NRF Gallimard↩︎. Ça ne veut pas dire reprendre Dumézil à son propre compte. Moi je le lis beaucoup Jean-Paul Demoule qui critique énormément la théorie de Dumézil sur les Indo-Européens et la théorie des trois fonctions. Je crois qu'autant la théorie des Indo-Européens est très contestable, autant je pense qu'il est difficile de faire l'impasse sur la théorie des trois fonctions de Dumézil. Et peut-être qu'il faut la repenser en totalité. Je n'ai lu que ce livre-là de Dumézil, donc je ne suis pas capable de vous en parler vraiment. Mais si j'en parle par contre c'est parce que c'est à partir de ces moments, à partir de l'établissement de ces rapports sociaux, qu'on les appelle classes sociales ou trifonctionnalités, que va être rendu possible le passage des sociétés non intégrées aux sociétés intégrées. On en avait parlé l'autre fois avec Marcel Mauss. Vous vous souvenez, Marcel Mauss au début de son texte, il dit il faut distinguer entre les sociétés polysegmentaires, c'est à dire les tribus ou les clans qui se rassemblent dans une ethnie mais qui sont pas liées les uns aux autres et qui peuvent aller très aux limites de ce qu'il fait l'ethnie, et les sociétés intégrées qui vont, elles, par contre avoir un pouvoir central, une synchronisation très forte etc., un droit codifié, et qui, elles, vont être très exigeantes sur l'intégration fonctionnelle, par exemple, et la hiérarchisation des sociétés.

Pour que ceci se produise, autrement dit, pour qu'on puisse produire des exorganismes complexes supérieurs intégrés, c'est de ça dont parle Marcel Mauss, sans avoir forcément encore réalisé la nation, la nation au sens de Mauss, ce que Mauss appelle la nation, c'est la nation moderne, disons, du 19e siècle, ce n’est pas la nation au sens général, il le dit très expressément. Pour bien penser tout ça, il faut revenir sur la question de la différence entre supérieur et inférieur, et de la différance avec un a, par la loi et par le surmoi entre l'arme - ça c'est une arme, c'est un couteau et c'est le couteau avec lequel Abraham s'apprête à sacrifier Isaac - et la loi qui va se transformer par la révélation divine, par ce qui va conduire à la société mosaïque en fait, et qui va fonder ce que ici Sigmund Freud essaye de penser dans Totem et Tabou, et qui est donc le rapport entre le droit et la transgression qu'il a introduit. Alors je ne peux pas rentrer dans le détail de Totem et Tabou, j’avais écrit un article là-dessus il y a très longtemps. Ce que décrit là Freud, qu'il appelle le premier code de droit, donc les règles du tabou, etc., l'interdit de l'inceste, enfin tout ce qui va constituer finalement la figure de l'organisation des rapports sexuels, tels qu'ils vont en fait introduire une hiérarchie, enfin une loi. Il dit au départ, c'est peut-être lié à l'invention d'une nouvelle arme. Alors moi j'ai essayé de montrer que ce qu'il n'a pas compris c'est que ce n'est pas lié à l'invention d'une nouvelle arme, c'est lié à l'apparition de l'arme en tant que telle, c'est-à-dire de l'organe exosomatique qui, comme il peut être utilisé à la fois comme un outil et comme une arme, rend possible le crime. J'essaye de montrer cela. Si nous voulons... Alors pourquoi est-ce que je prends tous ces chemins sinueux pour aller vers le processus de transindividuation de référence, c'est parce que notre objectif pour Genève 2020, c'est d'essayer de penser une internation qui se constituerait comme une nouvelle supériorité d'un exorganisme complexe planétaire en fait, que cette supériorité je soutiens qu'elle doit être basée sur un processus de transindividuation de référence et je soutiens que pour essayer de constituer un nouveau processus de transindividuation de référence il faut reprendre toutes les questions à leur base. Qu'est-ce que la loi ? Qu'est-ce que l'investissement ? Qu'est-ce que la guerre ? Qu'est-ce que l'économie ? Et au début du XXIe siècle, à la fin de l'anthropocène, comment est-ce qu'on peut essayer de refonder tout cela ? Vous allez me dire mais c'est vraiment de la folie de se poser des questions pareilles parce que c'est refonder tout en fait. Eh bien oui, il faut tout refonder. Si on n'est pas prêt à ça, c'est foutu. Donc il faut être absolument prêt à ça et il faut être prêt à le faire très concrètement en essayant de développer des instituts de gestion contributive parce que c'est ça qu'on essaie de faire à Plaine Commune et nous nous pensons que ça peut s'étendre sur toutes sortes de territoires, dans toutes sortes de régions très différentes des régions par exemple que nous nous connaissons en Occident. Je regarde l'heure parce que je suis comme fait très en retard. Alors après les découvertes dont je parlais tout à l'heure, les grandes découvertes, techniques d'abord, boussole, poudre à canon, papier caractère mobile, caravelle, astrolabe, horloge avant tout cela etc. Bon je ne vais pas détailler, bien entendu c'est bien connu. Qui conduira l'imprimerie ? Alors je ne dis pas qu'il y a un déterminisme qui va faire que ça va conduire à l'imprimerie, non ce n'est pas un déterminisme, par contre c'est une logique exosomatique. Il y a des conditions exosomatiques qui vont faire qu’à un moment donné l'imprimerie devient possible. Et qui va aussi conduire à la géographie de Mercator. Parce que, évidemment, tout ce que je dis sur la possibilité de la navigation, c'est aussi lié à un changement de la cartographie qui est extrêmement important et qui va être produit par des rapports entre géographie, géométrie, physique, etc. et qui va produire ce qu'on appelle les cosmographies de Mercator. Tout ça menant à Copernic, Kepler, Galilée, tout ça. Après donc ces grandes découvertes qui sont techniques, géographiques, l'Amérique, etc. mais aussi scientifiques évidemment, et aussi techniques, puisque la science moderne, comme dit Heidegger, va finir par engendrer la technologie moderne, et tout ça va devenir un système presque indécomposable. Mais ce sont aussi des découvertes ecclésiales. L'Église réformée, c'est une découverte pour moi, une découverte ecclésiale, c'est une nouvelle organisation sociale, c'est une découverte comment faire une nouvelle foi, voilà, qui est à l'origine, si on en croit en tout cas Max Weber du capitalisme, mais aussi des découvertes philosophiques. Quand Descartes pose, voilà, je pars de l'ego, c'est une découverte philosophique absolument incroyable qui va changer absolument tout avec une puissance absolument remarquable ce qui veut pas dire qu'elle est vraie dans l'absolu elle est vraie relativement c'est un moment de ce qu'Heidegger appelle l'histoire de l'être ou l'histoire de la vérité mais aussi des découvertes économiques du coup, voilà, qui vont résulter de tout ça et David Hume un siècle plus tard va produire une théorie de l'entreprise, la production de filature par exemple etc. Donc la philosophie va se mettre à se mêler d'économie et évidemment des découvertes juridiques, Machiavel, Hobbes, Locke etc. Et encore beaucoup d'autres choses dont je n’ai pas le temps de parler comme par exemple la statistique enfin toutes ces choses ou que je ne connais pas. Et bien à partir de là se déclenche la réaction en chaîne, qu'on situe à ce moment-là, et qui va conduire finalement à La grande transformation de Karl Polanyi. Ce que je soutiens, et maintenant je rentre vraiment dans le sujet d’aujourd’hui, c’est que si on veut penser tout cela on a besoin d'un nouveau concept. Ce nouveau concept, je l'avais donc introduit dans un livre qui s'appelle La télécratie contre la démocratie en 2007, que j'avais écrit pendant une campagne électorale qui était celle des élections présidentielles en France, où Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal étaient en compétition, et que j'ai écrit trois ans après un autre livre qui s'appelait Constituer l'Europe que j'avais lui-même écrit dans une campagne électorale qui était sur la Constitution européenne, le référendum pour la Constitution européenne, auquel j'étais moi-même totalement opposé. Alors, je vais me permettre, je vous demande pardon, de me citer un peu, parce qu'il y a des moments, voilà, il y a des trucs qui fonctionnent. Autant reprendre le travail qui a déjà été fait, et peut-être le réactiver et le remettre dans le contexte contemporain, avec 10 ans ou 12 ans de retard, parce qu'en 2007, c'était il y a 12 ans. J'y écrivais ceci : il faut repenser la place des nations dans le déclin de la forme nationale. Qu'est-ce que ça veut dire ? Il y a un déclin de la forme nationale, qui est annoncé depuis très longtemps par des gens de droite, comme ce qu'on appelle les déclinistes par exemple en France, Nicolas Baverez par exemple, qui est un... euh... un essayiste de droite, ou bien, par exemple, par les opéraïstes qui disent depuis très longtemps, voilà, la forme « Etat nationale » est totalement obsolète, etc., etc. Il y a donc un déclin. Et dans ce déclin, qui est un fait, moi je ne conteste pas du tout ça, et c'est un fait sur lequel on ne reviendra jamais, donc il n'est pas question de reconstituer la nation, en aucun cas. Dans ce déclin, il reste qu'il y a des nations. Par exemple, la France organise des élections régulièrement, il y a un droit de vote en France, c'est un droit national, il reste, il y a des nations, les juges sont nationaux, donc elles sont là ces nations, qu'est-ce qu'on en fait dans le déclin ? Le déclin du national ne signifie pas la disparition du national, en aucun cas, et encore moins la vanité du national. Le national c'est l'humus noétique, c'est la forme ultime qu'a pris l'humus noétique en Europe. Et même aux Etats-Unis, puisque les Etats-Unis ont fait un... Comment on appelle ça ? Un truc devant la nation. Là, je ne me souviens plus, la grande déclaration annuelle du président des Etats-Unis. C'est une adresse à la nation. Non, non, je ne parle pas du patriote. L'adresse à la nation. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je ne sais pas. C'est ça, l'état de l'union. C'est ça, vous avez raison, c'est l'état de l'union. L'état de l'union, c'est un discours à la nation américaine, en tant qu'elle n'est pas 50 états qui s'ajoutent les uns aux autres, mais l'unité, l'union, l'union américaine qui est une nation ; ça n’a pas du tout disparu, ça. Donc quand on dit que la forme de l'État-nation décline, on a tout à fait raison de le dire. Mais quand on dit que du coup ça a disparu, on a tout à fait tort. On a tout à fait tort parce que ça n'a pas disparu, ça organise toujours par exemple l'éducation nationale en France, etc. Même s'il y a des choses qui travaillent en dehors de cette forme-là bien entendu sinon il n’y aurait pas de déclin de l'Etat-nation. Marcel Mauss parle de ça aussi mais il en parle sans voir le processus du déclin sans l'avoir véritablement... j'ai même l'impression qu'il n'est même pas capable de l'envisager d'une certaine manière. Ce déclin signifie que la nation n'a plus la place de référence ultime en matière d'individuation. C'est ça que je veux dire. Le fait qu'elle décline, ça signifie qu'elle n'est plus la référence ultime. Ce qu'on appelle la référence en dernier ressort, c'est-à-dire ce qui permet d'arbitrer dans le cas de conflit. Ce n'est plus la nation qui permet de faire ça. La nation maintenant doit composer politiquement avec d'autres références. Et pas seulement diplomatiquement, économiquement ou militairement. Ça elle l'a toujours fait. La nation depuis qu'elle existe a toujours pratiqué la diplomatie, la guerre et le commerce. Donc l'économie, la diplomatie et l'armée. Mais aujourd'hui, elle doit composer avec des nations étrangères qui forment avec elle, ou qui devraient former avec elle, de nouveaux types d'organisations politiques et sociales, c'est-à-dire de nouveaux types de processus d'individuation psychique et collective. Alors, ce que je dis là, je l'ai dit dans ce bouquin de 2007, mais en fait je l'avais déjà dit un peu autrement au début de Constituer l'Europe, où je disais il faut faire une constitution européenne pour inventer un processus d'individuation psychique et collectif européen, d'un nouveau genre, etc. Le moins que l’on puisse dire c’est que ça n’a strictement servi à rien que je dise cela parce que vraiment c'est exactement le contraire qui s'est passé depuis la situation s'est extraordinairement aggravée. Maintenant, si je rappelle ça, c'est parce que je voulais essayer de diagnostiquer les raisons pour lesquelles ça n'a pas du tout fonctionné et comment je pense qu'il est néanmoins possible de relancer un projet non seulement européen mais d'une internation dont l'Europe serait une des composantes. Ça suppose que l'Europe se reconstitue. Si l'Europe ne se reconstitue pas, jamais elle ne pourra négocier avec l'Amérique et l'Asie. Je parle de manière géographique quasiment, je ne parle pas simplement d'entité politique, la construction d'une telle internation. Donc on ne peut pas séparer l'internation et l'histoire de l'Europe. Ce qui n'est pas réjouissant du tout, vu l'état de l'Europe. C'est plutôt une très mauvaise nouvelle, mais malheureusement c'est comme ça, donc on n'est pas là pour se raconter des histoires. Alors, ce que je voudrais dire aujourd'hui, qui me guidait dans ses analyses, mais qui me guide toujours et plus que jamais maintenant, donc 12 ans plus tard, c'est que de même qu'il y a une identification primaire au couple parental pour l'individu psychique lorsqu'il est un nourrisson et qu'il reste un petit enfant, disons, parce que dans la théorie de Freud, dans le Moi et le Ça, il dit que de la naissance jusqu'à 5 ans, grosso modo, l'enfant s'identifie à ses parents de manière aveugle et absolument inconditionnelle. Absolument inconditionnelle. Par exemple, son père dit toujours la vérité, il ne peut pas mentir. Le père ne peut pas mentir. Pour le petit enfant, ce n'est pas possible d'envisager que les parents mentent. Ça n'existe pas le mensonge parental. Après ça commence à changer. Donc quand il devient un grand enfant, pas encore un adolescent, ça commence à changer. Donc après il n'y a plus d'identification primaire, il y a une identification secondaire. De même qu'il y a donc une identification primaire de l’infans comme on dit parfois au couple parental, eh bien je soutiens moi qu'il y a une identification primaire à un processus d'individuation de référence pour l'individu collectif. Qu'est-ce que je veux dire par là ? Je veux dire que l'individu collectif, que ce soit un exorganisme complexe inférieur, comme par exemple ce que j'avais montré l'année dernière, le palais des Meuniers de Venise. Puisqu'à Venise vous avez un palace, c'est la maison des meuniers, c'est une corporation. Et il y en a plein comme ça qui se jouxtent tout le long du Grand Canal. Ce sont des représentations des exorganismes complexes inférieurs. Ils sont sous l'autorité tutélaire des Doges et de ce qui constitue la supériorité de Venise comme République de Venise, qui elle-même est sous l'autorité papale de la chrétienté. Et ça c’est absolument fondamental c'est-à-dire que ça ne peut pas fonctionner s'il n'y a pas à l'extérieur, au-delà de l'exorganisme local, une identification primaire, c'est-à-dire aveugle. Il ne peut pas mentir, le pape ne peut pas mentir. Ce n'est pas possible que le pape mente. Je dis le pape pace que je parle de Venise mais je pourrais parler d'autres autorités religieuses dans d'autres cultures bien entendu.

Ce que je soutiens moi, c'est que cette structure où les exorganismes complexes inférieurs, où les exorganismes complexes supérieurs mineurs, comme par exemple la République de Venise qui est un exorganisme supérieur, c'est-à-dire qui a sa loi, etc. mais qui doit en dernier ressort faire appel à la révélation puisque c'est ça que ça veut dire, à une vérité qui n'est pas contingente, qui n'est pas immanente, qui n'est pas géographique, qui est absolue. C'est la vérité de la révélation de Moïse et de Jésus-Christ. Ça, ça existe dans toutes les sociétés, bien avant, depuis au moins le paléolithique supérieur selon moi, et ça existe encore jusque très récemment càd jusqu’à que à partir des années 1970, tout le modèle républicain de l'émancipation, des Lumières et qui posait que les individus peuvent s'émanciper, il suffit d'étudier les mathématiques, la physique, l'histoire, la géographie et d'être bon à l'école et on pourra se référer à quoi ? à un processus de transindividuation de référence qui est le savoir, le savoir de la raison, le monde académique qui produit le progrès, c'est-à-dire, je sais pas, Oppenheimer, Einstein, Kafka, Van Gogh, tout ça, c'est le progrès, c'est la grandeur de l'humanité. Tout ça, ça a fonctionné jusque dans les années 70, avec des schizes parce que, par exemple, dans ce qu'on appelait le bloc de l'est oui on reprenait tout ça sauf que c'était interprété avec Karl Marx et Lénine et dans le bloc de l'ouest on disait on reprend tout ça sauf que on rejetait Lénine et Marx et on les lisait à partir disons de la pensée libérale, je sais pas quoi je ne vais pas entrer dans ces questions. Et puis que tout ça, évidemment, se subdivise ensuite avec des écoles artistiques, des écoles scientifiques, des écoles juridiques, des écoles politiques, etc. Je ne vais pas entrer là-dedans. Mais dans tous les cas, il y a un processus de transindividuation de référence qui va au-delà de l'immanence. Et qui n'est pourtant pas la transcendance et qui est liée selon moi, à ce que j'appelle l'exo-transcendance, qui n'est pas la transcendance au sens religieux ou ontologique, qui n'est pas le transcendantal non plus, même si ça produit un processus d'absolutisation, ce que j'appelais tout à l'heure l'absolutisation, qui va faire que par exemple on va produire du transcendantal au sens d'Emmanuel Kant ou dans d'autres sens. Ça c'est ce qui a été liquidé depuis, grosso modo, la Révolution conservatrice. Et c'est ce qui fait que nous sommes dans une situation absolument catastrophique. Alors, elle était déjà assez catastrophique à ce moment-là, avant que la révolution conservatrice ne liquide tout ça. Par exemple, la révolution conservatrice, c'est la fin des années 70, les grands rapports qui dénoncent... Enfin, qui dénoncent... Qui plutôt décrivent les impasses de la croissance, par exemple, c’est 10 ans plus tôt - je ne suis pas en train de dire que c’est la révolution conservatrice qui a créé cette situation, non, je veux dire qu’elle l'a aggravée, accélérée et qu'il faut en prendre la mesure. Pour que tout cela fonctionne, il faut dépasser les éléments d'immanence, contingente que constituent les localités. Je vais vous en donner un exemple. C'est un exemple que j'ai d'ailleurs souvent donné. Je suis, je reprends l'exemple d'un enseignement de Louis Jouvet en 1943 au conservatoire d'art dramatique. Il essaye d'apprendre à des jeunes comédiens leur métier de comédien et il leur dit vous ne pouvez jouer la comédie que parce que la comédie c'est ce qu'on fait tout le temps. Si vous n'aviez pas déjà une pratique de la comédie, vous ne pourriez même pas imaginer de pouvoir devenir comédien. Pourquoi ? Eh bien, il dit voilà, prenez l’exemple d’un commandant de chasseurs alpins, il est officier, il enseigne à ses soldats à tuer, comment on doit tuer, ou alors il va tuer avec eux, en faisant la guerre et tout ça. Mais quand il est avec sa petite fille, qui est une bonne petite fille catholique, qui va au catéchisme, qui va se confesser, qui a fait sa communion, etc., il dit il ne faut pas tuer. Il y a 10 commandements et il ne faut pas tuer. A aucun prix. C'est un péché absolu. Il ne va pas expliquer à sa petite fille que néanmoins son métier consiste à tuer. Il ne va pas l'expliquer et il est en contradiction avec lui-même. Ce que dit Louis Jouvet, c'est qu'il est en train de jouer une comédie à sa petite fille. Ça ne veut pas dire qu'il est en train de lui mentir du tout. Il lui joue une comédie qui est nécessaire. Dans ce cercle de l'individuation familiale, il joue cette comédie-là, dans le cercle de l’individuation militaire qui est son régiment dont il est le chef, il joue une autre comédie et à un moment donné, il faut les unifier. Comment est-ce qu’on va les unifier ? à travers quelque chose qui va venir résoudre ces contradictions, par exemple une autorité religieuse qui dire « oui, c’est vrai, il ne faut pas tuer mais il faut protéger la chrétienté contre je ne sais pas quoi. » Et donc on va constituer, par exemple, ce qui va être le Saint Empire romain germanique pendant très longtemps, etc. C'est-à-dire une agrégation des motivations politiques, économique et religieuse qui va construire un horizon de légitimité. Ce qui s'est passé à partir du XVe siècle a conduit à la République des Lettres qui elle-même a conduit à Voltaire à une délégitimation de ses horizons théologiques et donc à la sortie de la théocratie, disons, de l’onto-théologie également et finalement à l'âge de ce qu'on appelle la modernité au sens du 18e et du 19e siècle, à la laïcisation dans laquelle nous sommes et ce qu'on a mis par la fenêtre finalement au cours des quatre dernières décennies c'est le procès de transindividuation de référence. Si nous voulons reconstituer aujourd'hui un espoir de produire une internation qui serait capable de constituer un ordre néguanthropique, non seulement tolérant, mais investissant dans l'anti-anthropie et dans la science, et dans la vraie science, pas du tout dans l'utilisation de la science uniquement dans des buts d'efficience, comme le fait Amazon par exemple, qui n'est pas par ailleurs en soi une critique d'Amazon, on a besoin de l'efficience bien entendu alors il faut complètement revisiter ces questions-là. Je crois qu'il est très très tard, c'est beaucoup plus long que je ne prévoyais, et comme j'ai pris la dangereuse option d'improviser, je n’ai pas géré mon temps. J'ai encore pas mal de choses à vous dire. Alors, je me demande comment je vais faire. Je ne sais pas quoi faire parce que je voudrais qu'on ait le temps de discuter et en même temps je suis un peu inquiet parce que, étant donné que les deux prochaines séances nous aurons des invités, je ne sais pas comment je ferai. Je ne vais pas reprendre tout ce qui est écrit là, je voudrais simplement vous dire, peut-être que la prochaine séance je prendrai encore trois quarts d'heure pour essayer de reprendre ce que je n'ai pas pu vous montrer là. Je vais partir... Bon, j'aurais voulu vous revenir à nouveau sur Abraham et Isaac, mais je ne vais pas le faire. Je voudrais partir des transparents, en fait, pour vous parler d'un dispositif d'oscillation. Les organismes exosomatiques, simples ou complexes, inférieurs ou supérieurs, oscillent en permanence entre des tendances anthropiques, anti-anthropiques, en passant par le néguanthropique, en permanence. Et donc les organisations sociales, elles ont pour fonction de gérer ces oscillations et de les rendre, si je puis dire, navigables, c'est-à-dire qu'elles ne fassent pas chavirer le navire, il ne faut pas que ces oscillations fassent qu’à un moment donné l'eau n’entre dans la coque et que finalement le bateau coule. C'est ça que constituent les processus de transindividuation de référents d'une façon générale. Qu'ils se présentent comme chamanisme de la culture magique, qu'ils se présentent comme monothéisme, ou qu'ils se présentent comme philosophie morale, philosophie du droit, etc. appuyés sur l'idée de progrès, disons, dans tous les cas, c'est ça qu'on essaye de faire. Aujourd'hui, ça tangue tellement que l'eau rentre dans la coque et qu'il faut que nous arrivions à reconstituer, si je puis dire, un bateau, un exorganisme, un organe exosomatique qui soit capable de supporter cela et de dépasser cela. Alors évidemment si je vous présentais ce tableau tout à l'heure bien connu du CaravageLe sacrifice d’Isaac↩︎ ? Je voulais vous parler de cet animal qu'on appelle le pharmakos. Pourquoi y a-t-il du pharmakos ? Ça c'est une immense question et pour être très clair et très franc, je ne sais pas. C'est une question qui me dépasse. Pourquoi y a-t-il du pharmakos ? Et je regrette qu'on puisse pas en discuter avec Gérald, qui a beaucoup travaillé sur le sacrifice donc sur le pharmakos qui est toujours le sacrifice d'un bouc émissaire, d'une manière ou d'une autre, que ce bouc émissaire soit une partie de la récolte de blé, puisque les premiers sacrifices c'est d'abord de brûler une partie de sa récolte, pour les dieux, c'est ce que décrit Mauss avec Hubert dans son texte fameux sur le sacrifice, mais généralement ce sont des sacrifices d'animaux et d'hommes parfois, l'Iphigénie par exemple, tout le monde connaît ça, Jésus-Christ, qui est le grand sacrifié quand même, il se sacrifie mais ça veut dire qu'il se sacrifie au sens strict, c'est-à-dire qu'il se condamne à mort, il assume une passion càd une mort absolument atroce Voilà, on oublie quand même ce qui est quand même fascinant dans la figure du Christ. C'est l'incarnation de la souffrance, de la mort et d'un sacrifice qui dure très longtemps. En tout cas, si je vous parle de tout ça, c'est parce que le pharmakos aujourd'hui, c'est l'immigré, c'est le fonctionnaire, c'est... bon. Et c'est tout ce qui est l'enjeu de la lutte contre le localisme du Rassemblement National, pour nous en France. En Pologne c'est contre les ultra-catholiques, voilà, qui viennent de l'extrême droite etc. Il y a à élaborer une pensée du pharmakos. À faire ce que j'avais appelé à un moment donné, je crois que ce n’est pas très heureux en fait, et j'ai abandonné l'expression, j'avais appelé ça une pharmacosophie. Non pas une pharmacologie qui étudie le pharmakon, mais une pharmacosophie qui étudie les conséquences de l'absence d'une pharmacologie positive. Ce qui fait que du coup on se cherche toujours des boucs émissaires pour se venger du pharmakon qui nous fait souffrir, du couteau. Parce que c'est ça le pharmakon, c'est le couteau qu’Abraham a entre les mains. Tous les processus de transindividuation de référence essayent de trouver un compromis avec ça. C'est un compromis avec l'entropie en dernier ressort. Si vous regardez de près, c'est un compromis avec l'entropie et ce compromis. Ces processus de transindividuation de référence sont toujours liés à deux choses : premièrement, un nouveau stade de l'exosomatisation. Alors qu'est-ce que c'est qu'un stade de l'exosomatisation ? C'est l'apparition de ce que Bertrand Gilles appelle un nouveau système technique, c'est-à-dire une technologie dominante autour de laquelle se rééquilibrent toutes les technologies, par exemple l’imprimerie qui va redistribuer les choses à la Renaissance, par exemple la machine à vapeur telle que Bertrand Gilles l'a théorisée, aujourd'hui une technologie digitale. Ils sont en train de reconfigurer absolument tous les systèmes techniques et qui constitue une immense mutation exosomatique. Mais dans ces mutations exosomatiques, il y a deux grands types d'organes exosomatiques qu'il faut bien distinguer. Il y a les organes exosomatiques qui sont de la rétention tertiaire de façon générale, comme tous les outils que j'ai présentés tout à l'heure par exemple. Et puis il y a les rétentions tertiaires hypomnésiques, c'est-à-dire les organes exosomatiques qui sont les organes de de la genèse des fonctions mentales, du raisonnement, de la délibération, de l'investissement, de la spiritualité et tout cela. Et ça c'est extrêmement important. Pour ça qu'il était extrêmement important, par exemple, de regarder de près ce que dit Luther de l'éducation, du livre, de l’imprimerie, etc. et ce que répond Ignace de Loyola. C'est extrêmement important parce que ce sont deux visions de l'appropriation d'une même technologie rétentionnelle hypomnésique par d'un côté la papauté et de l'autre ceux qui ont voulu en sortir. Et ça a eu des conséquences colossales. On ne comprend rien à l'Amérique du Nord et du sud si on ne comprend pas ces questions parce que l’évangélisme, le rôle du catholicisme contre cela, ça a organisé énormément l'économie, la politique. Vous savez bien que Bolsonaro par exemple est essentiellement un produit de l'évangélisme au Brésil. Et tout ça, ça a des traces encore extrêmement actives donc ce n'est pas du tout des questions du passé, ce sont des questions malheureusement, si je puis dire, sur ce registre-là, en tout cas, malheureusement des questions de l'avenir.

Alors, ce que nous avons soutenu, nous, à l’IRI depuis longtemps, c'est que tout ça, ça suppose de développer des Etudes digitales, comme on les a appelées, je ne vais pas vous en reparler. On a créé un réseau pour ça bien avant de faire le programme de Plaine Commune il y a 7 ou 8 ans. Et tout cela pose la question de la fonction de l'éducation. C'est ça que je voulais développer longuement et que je crois que je reprendrai peut-être si j'en ai le temps la prochaine session. La fonction d'éducation qui est depuis toujours de faire que les nouvelles générations, puisque ce qu'il y a toujours nouveau dans le monde c'est d'une part les organes exosomatiques que vous ne connaissez pas et d'autre part de nouveaux êtres vivants humains, nouveaux membres du genre humain qui sont porteurs d'improbables et il faut les éduquer. Il faut leur apprendre à se servir de la tétine c'est-à-dire s'articuler avec des organes somatiques, qui sont ceux, bah, chez les Amérindiens, c'est les arcs et les flèches, par exemple. Aujourd'hui, c'est les ordinateurs et les tablettes, est-ce qu’il faut leur donner des tablettes au berceau ou pas, la réponse pour moi est très clairement non mais c’est pas tout à fait évident pour la société actuelle, en tout cas il faut les éduquer. Et pour les éduquer on crée des institutions éducatives. Ces institutions sont de toutes sortes, il y a des rituels d'initiation, il y a... Bon, je ne vais pas revenir sur ces questions que je connais d'ailleurs plutôt très mal, mais en revanche je connais un peu mieux la question d'école. L'école qui existe en Occident et en Chine depuis très très longtemps. Et l'école qui est d'abord accessible uniquement aux enfants des citoyens, puis après aujourd'hui et depuis 1880 en France, accessible en principe au droit à tout le monde. Qu'est-ce que c'est que la fonction de l'école ? Et bien la fonction de l'école, que ce soit pour Jules Ferry, pour Ignace de Loyola, pour Luther, pour l'Empire chinois, pour les écoles juives, pour les écoles, les madrasas etc. Dans toutes les sociétés, c'est d'intégrer le processus de transindividuation de référence. C'est de faire que les corps vont l'intégrer de telle manière qu'ils vont se comporter, par exemple, ils vont avoir une répulsion le vendredi pour la viande. Je dis ça parce qu’un catholique, ça n’existe plus aujourd’hui mais moi, quand j’étais petit, à la cantine scolaire il n’y avait jamais de viande le vendredi, c’était totalement inimaginable bien que au plus haut de l'ordre du monde. Moi quand j'étais petit, à la cantine scolaire, il n'y avait jamais de viande dans ma vie. C'était totalement inimaginable. Bien que j'étais à l'école laïque et que je n'étais pas religieux moi-même, mais voilà. Et c'était un truc qui n'était pas concevable pour ma grand-mère de manger de la viande le vendredi. Aujourd'hui, la plupart des chrétiens ont de la viande le vendredi en tout cas tous ceux que je connais en mangent. Pourquoi est-ce que je dis ça ? Parce que vous verrez, je ne vais pas le montrer maintenant, que à un moment donné, Marcel Mauss a, il redit ce qu'il dit dans les techniques du corps, d'ailleurs je crois que les techniques du corps, c'est après le texte qu'on étudie, de la nation. Marcel Mauss dit, si vous comparez un anglais et un italien, leur manière de marcher est plus différente ou un italien et un espagnol. Alors si vous comparez les manières de marcher d'un italien et d'un anglais ou les manières de penser d'un italien et d'un espagnol, elles sont plus différenciées que si vous comparez entre un indien de tel endroit d'Amérique et un autre indien de tel endroit de l’Amérique. Voilà. C'est une tout autre tribu, quoi. Qu'est-ce qu'il veut dire ? Il veut dire deux choses. Il veut dire premièrement que ce qui paraît produire une certaine uniformisation, par exemple avec l'universel de la littérature dans les écoles en Occident, va produire en fait une énorme diversification. Une énorme diversification. Comme on dirait avec Paolo Vignola, une énorme diversalité, que moi j'appelle une noodiversité. Mais il veut dire aussi que tout ça s'inscrit dans les corps et que les corps ce sont exactement comme les territoires, j'avais dit ce que sont les supports de mémoire inamovibles, et bien pour moi, le corps est inamovible. Alors peut-être que Jean-Luc Nancy me dirait « pas si sûr, parce que moi mon cœur, par exemple j'en ai changé », le cœur de Jean-Luc Nancy, vous savez peut-être, il est greffé. Et le transhumanisme dit oui on peut greffer, on pourrait même greffer des cerveaux. C'est impertinent ces questions dites comme ça. En revanche, ce que je veux dire c'est que oui, il y a une vraie question qui se pose, l'amovibilité du corps propre, de ce que Husserl appelle le corps propre, mais il faut mesurer ce que ça veut dire. L'amovibilité du corps propre càd la possibilité de le décomposer en totalité et de le recomposer en totalité c’est la destruction de la psyché selon moi. En tout cas il y a là une question qui est le rôle du corps comme support de mémoire et comme support de mémoire de l’intériorisation d’un processus qui est le processus de transindividuation de référence comme je vous en parlais tout à l'heure. Et ça c’est le sujet de l’école.

J'aurais voulu vous parler un tout petit peu de ce texte de Jacques Derrida et de celui qui a écrit la préface. Je suis désolé, je voulais noter son nom, j'ai oublié de noter son nom. Et donc je ne l'ai pas là. C'est un texte où le préfacier, qui est un formidable texte, d'ailleurs je crois que son prénom c'est Théodore, je ne sais plus qui c'est, je ne me laissais pas, très très très bon texte, où il resitue les textes de Derrida sur Heidegger dans un séminaire qui est appelé Geschlecht 3. C'est un grand séminaire que Derrida a fait pendant des années. Il y a Geschlecht 1, Geschlecht 2, Geschlecht 3. Et dans ce séminaire, Derrida n'a pas cessé d'essayer de penser ce que signifie Geschlecht en allemand en général et dans l'allemand de Martin Heidegger. Sachant que Geschlecht , on peut le traduire de toutes sortes de manières. On peut le traduire par race, par exemple. On peut le traduire par genre. On peut le traduire par génération, etc. Donc c'est un mot très complexe. Et il se trouve que moi la première fois que j'ai suivi un séminaire de Derrida, c'était en 1983, à l'automne 1983, pas très loin d'ici, la salle de la Rue d'Ulm de l'Ecole normale supérieure, Derrida analysait un texte de Fichte, qui est le discours à la nation allemande. Et dans ce texte, qu'est-ce que dit Fichte ? Il parle du Geschlecht allemand. Qu'est-ce que dit Fichte ? Il s'adresse aux Allemands et à leurs responsabilités historiques. Ça ressemble beaucoup à ce que dit Heidegger dans par exemple L'introduction à la métaphysique et la responsabilité du peuple allemand en 1935, pris comme dit Heidegger à l'époque dans l'étau entre la réussite soviétique bolchévique et le capitalisme barbare des américains qui est en train d'enserrer et ça c'est la justification de pourquoi j'ai été national-socialiste parce que je voulais être ni des bolchéviques ni des américains. Il n'est plus à l’époque membre du parti national-socialiste il faut le préciser. Il a quitté pour des raisons de désaccord fondamental. Néanmoins la rhétorique du Geschlecht et tout ça, elle appartient au nationalisme qu'il continue à revendiquer dans la lettre sur la dénazification. Il dit « oui j'ai eu tort d'être national-socialiste, mais oui je défendais la nation et je le revendique » dans cette lettre de 1945. En tout cas, Derrida lit le discours à la Nation allemande comme étant une espèce de matrice précurseur, un texte précurseur des apories politico-nationalitaires, si je puis dire, de Heidegger au XXe siècle en 1932. Et qu'est-ce que dit Fichte ? Fichte dit « il y a des mots qui ne peuvent se dire qu'en allemand et il y a une mission de la nation allemande qui est peut-être incarnée par des gens qui ne sont pas allemands. Si ces gens qui ne sont pas allemands incarnent cette mission qui est formulée dans la langue allemande, telle que je la formule en ce moment à travers le mot Geschlecht notamment, et bien en fait ce sont des allemands. Ils ne sont pas allemands, enfin, pas en fait, en droit ce sont des allemands, ils ne sont pas allemands en fait mais en droit ils le sont. Et alors là Derrida montre comment tout ça peut se renverser et peut être à la base d'un impérialisme allemand. C'est évidemment, c'est très généreux de dire ça parce qu'il ajoute qu'il y a des allemands qui ne sont pas allemands ce qui est tout de même très ambigu ; il dit il y a des allemands qui ne sont pas capables de comprendre la mission des... Ce n’est pas l’époque nazie, c'est au début du 19ème siècle, c'est Fichte, un élève de Kant, un ami de Hegel, voilà, c'est pas du tout du nazisme. Mais par contre ça préfigure des apories de la nation qui reviendront chez Heidegger. C'est comme ça que Derrida les a instruits. Alors, il faut lire cette analyse de Derrida qui malheureusement n'est toujours pas publiée. Elle est publiée en anglais, je crois, mais pas publiée en français. Et moi j'ai perdu mes notes de ce séminaire, donc j'espère que ça va être publié bientôt. Mais, en revanche, si je vous en parle c'est parce que, évidemment, je comprends très bien ce que fait Derrida et je l’approuve lorsqu'il dit que tout ça est très ambigu et que voilà, comment on est pris dans une dangerosité politico-nationalitaire dans un discours comme ça. Mais en même temps, je pense qu'il faut essayer de comprendre ce que dit Fichte. Il faut essayer de lui faire crédit du fait qu'il essaie de penser quelque chose qui est un au-delà de la nationalité, qui est ce que j'appelle un processus de transindividuation de référence, et où il parle de ça depuis sa langue. Alors moi je vais publier bientôt, j'espère, le deuxième tome de « Qu'appelle-t-on penser ? » et dans « Qu'appelle-t-on penser ? », je fais le Heidegger en disant « en vieux haut français », pas le vieux haut allemand parce qu'à chaque fois qu'il veut fonder un concept il repart à l'allemand primordial qui n'existe plus. Et moi je dis voilà, en vieux haut français, on n’appelle pas ça comme ça, en vieux français, et bien il y a un verbe qui s'appelle penser. C'est le verbe penser. Qu'est-ce que ça veut dire penser ? Ça veut dire soigner. Ça veut dire arroser son jardin. Et ça s'écrit P-E-N-S-E-R. Et ensuite ça va s'écrire avec un a et ça va se différencier comme s'il y avait une différance avec un a qui faisait qu’entre soin et pensée s'opérait une différence. Voilà ce que je veux dire. J'ironise un peu sur Derrida là-dessus. Mais pourquoi est-ce que je dis ça ? Dans ce texte-là, j'écris ça en allemand. Le problème que je pose là avec la langue française, seuls les Français peuvent le penser. Est-ce que ça veut dire que je suis un nationaliste français quand je dis ça. Pas du tout. Moi je ne suis pas du tout nationaliste. Par contre je veux dire qu'il ne faut pas perdre cette échelle de la différence des langues et donc de la localité de l'anglais, de l'allemand, du français, du chinois, de l'arabe et de l'espagnol, etc. A partir de là, si nous sommes d'accord pour dire cela, premièrement reprenons à notre compte ce que dit Derrida, très bien, la critique fondamentale d’un nationalisme allemand qu'il fait, et qui est une critique intelligente, on n’est pas en train de rejeter la chose, on est en train de l'analyser, mais deuxièmement nous en tirons les conséquences au XXIe siècle à l’époque où Google est en train d’effacer toutes ces choses-là, toutes ces traces là même si Google est en train de les réactiver par ailleurs parce Google est un pharmakon. Alors, bon, j'aurais voulu vous parler de ça en passant aussi par ce thème de Marc Crépon, avec lequel je ne suis pas tellement d'accord parce que par exemple, qu'est-ce que fait Marc Crépon, ça c'est dans La géographie de l’esprit il fait une analyse très intéressante de toutes les formes de préjugés géographiques en disant par exemple, on dit, je ne sais pas, les Italiens sont comme ceci, les Espagnols sont comme cela, les Français sont comme ceci, les Américains sont comme cela, les Allemands sont disciplinés, les Espagnols sont brillants, enfin bon ça c'est des... pas les Espagnols et les Italiens. Les Espagnols sont... enfin bon, tout ça... ils disent que tout ça ce sont des clichés. Et c'est vrai, il y a tout à fait raison. Non, mais en même temps ce n’est pas faux. Il n'est pas faux que... il y a un caractère, les Espagnols sont... généralement, effectivement, un peu ténébreux. Et que les japonais, ce n’est pas les chinois. La première fois que je suis allé au Chine, ce qui m'a énormément frappé, je ne connais pas très bien l'Asie, mais je connais assez bien, je connais bien le Japon, mais je connais un peu la Corée. Et j'ai été extraordinairement frappé par la différence entre les chinois et les japonais. J’avais dit à ma fille ainée quand je suis revenu de Chine du 8, elle m’a dit : alors qu’est-ce ce que c’est la Chine ? Je lui ai dit : c'est les Italiens de l’Asie. Parce qu'ils se marrent tout le temps, ils sont extrêmement expansifs et ils sont guais. Il y a une gaieté en Chine que vous ne trouvez pas du tout au Japon. C’est un cliché bien entendu mais en même temps, bien que ce soit un cliché à un moment donné, vous êtes obligé de le faire, parce que vous êtes condamné à la généralisation. Et donc, alors, Crépon a raison de le dire, je suis tout à fait d’accord avec lui, mais il ne faut pas généraliser hâtivement et c'est tout à fait vrai et en même temps c’est un fait que ces processus de généralisation d’une part se produisent, on les produit tous en plus. Et Crépon le dit lui-même, on ne peut pas y échapper et qu’en plus ça correspond à une réalité. Et donc, comment on va au-delà ? Là, tout le bouquin a consisté à critiquer ces préjugés, et je pense qu'il a tout à fait raison de le faire, mais c'est pas du tout suffisant. Il faut les critiquer, mais après, il faut essayer de dire pourquoi. Parce que ces choses ne sont pas que des fantasmes, ce sont des réalités. Et comment on peut les aborder d'une manière qui soit noétiquement satisfaisante. Et dans l'optique de ce que j'appelais tout à l'heure ce processus de transindividuation de référence, lui-même en vue de constituer une internation. Alors, si j'avais eu plus de temps, j'aurais voulu vous parler aussi de ce que dit Derrida, c'est très important, il parle des morts, bon, mais je ne vais pas le faire, parce qu’il passe tout près de ce que je crois être l'humus noétique, mais en même temps il ne le qualifie pas comme tel. Chez Derrida, les fantômes, les morts, c'est absolument fondamental et bizarrement je trouve qu'il n'en fait finalement peut-être pas grand-chose. Mais si je voulais vous dire tout ça, c'est pour introduire ce texte-là de Mauss qui est le passage, je ne sais plus quelle est la page, où il parle de la condition dans laquelle se constitue l'individuation à travers, vous vous souvenez qu'il avait parlé de l'économie, il disait il n'y a pas de nation sans monnaie, sans frontières, sans ceci, sans cela, etc. Et puis là il va essayer d'identifier l'individuation. Alors l'individuation ça suppose la transindividuation et ça va vers ce qu'on appelle la transindividuation de référence. Lui il ne va du tout vers ça pas contre il dit des choses importantes qui consistent essentiellement à prouver que la nation se constitue finalement à travers l'éducation. Et évidemment, si j'y insiste, c'est là qu’il dit, qu’entre un Algonquin et un Indien de Californie, la démarche n'est pas tellement différenciée, alors qu'entre un anglais et un français elle est très différente. Tout cela c'est pour introduire la question de l'éducation. L'éducation, où il introduit aussi la question de l'universel, parce que lui c'est un moderniste Marcel Mauss, c'est un social-démocrate, il appartient à ces intellectuels européens qui posent en principe que l'avenir appartient à la raison et la raison c'est la raison des Lumières, etc. Il a une confiance extraordinaire. On n'aura pas le temps d'étudier des textes où j'aurais pu vous montrer à quel point il y a une confiance aveugle dans la vie, d'une certaine manière. C'est sidérant, ça fait froid dans le dos parce que quand on voit quand même un type aussi intelligent, aussi... voilà, et d'une telle naïveté par rapport à la force de la raison, voilà. Il croit à la force de ce qu’il croit être la raison ça fait peur. J'aurais voulu, je n'en ai pas le temps, rapporter cela au discours qu'il tient sur l'universel et au fait que par exemple il parle, il dit là : « la pensée qu'une langue - c'est pour ça que je parlais de la langue de Fichte – riche de traditions, d’allusions, de finesse, de syntaxe complexe, une littérature abondante, continue, diverse, des siècles de lecture, d'écriture, d'éducation et surtout depuis 50 ans de presse quotidienne ont universalisé... ». Qu'est-ce que ça veut dire ça ? Ça veut dire que Mauss ne voit absolument pas la rupture qu'il y a entre la littérature et la presse quotidienne. Ça veut dire qu'il ne voit absolument pas quand la presse quotidienne va devenir les médias qui eux-mêmes sont des entreprises de communication que Berlusconi va utiliser pour prendre le pouvoir et détruire absolument tout ça, tout cet héritage des Lumières, etc. Donc il y a une absence de compréhension des enjeux pharmacologiques de ce qui se joue là qui me paraît assez frappante. J'aurais voulu vous parler de ça pour introduire une dernière séance où je montrais, je crois, je ne suis pas sûr que j'aurais l'espoir de le faire, que si nous voulons par exemple reconsidérer l'éducation, ce que serait par exemple l'éducation dans l'internation, parce que ce que je suis en train de me dire, c’est que la conséquence c’est qu’il n’y a pas d’internation possible sans processus de transindividuation et le processus d’individuation se fait dans l’éducation. Si nous voulons que cette éducation se produise, eh bien, il faut refonder les savoirs en tant que tel. C'est-à-dire que Jules Ferry qui est très connu pour avoir créé l'école publique en France, il n'a pas créé que l'école publique, il a créé l'Ecole pratique des hautes études etc. c'est-à-dire qu'il a développé une politique scientifique, en donnant des moyens considérables, c'est ce que fait la Chine en ce moment, pour toute la Chine en ce moment, les universités sont arrosées de milliards de yuan, elles ont des capacités d'action et de recherche absolument incroyables. C'est ça qui constitue le processus de transindividuation de référence, toujours, je veux dire, c'est la liberté donnée à l'anti-anthropie, qui est la protection de la possibilité de l’anti-anthropie. Donc j'aurais voulu parler de ça, mais je ne vais pas le faire pour qu’on ait le temps de discuter. Je m’arrête là mais je reviendrai un tout petit peu sur le processus de transindividuation de référence la prochaine fois, sur l'éducation, avant de donner la parole à Petar Bojanic ; il nous parlera des institutions d’éducation l'éducation étant évidemment la première des institutions.