Séance 2
Exorganologie II Remondialisation et internation
Bernard Stiegler,
« Séance 2 »,
dans
Michel Blanchut,
Victor Chaix (dir.),
Le séminaire Pharmakon en hypertexte :
2019 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures
numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2019/seance2.html.
version 0, 20/12/2025
Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0
International (CC BY-NC-SA 4.0)
Que dois-je faire ? demande-t-il (pour échapper à cette étreinte)
Réaliser la tâche que vous vous imposez
Mais, je ne le puis.
Abandonnez-la parce qu’elle est exaltée.
Je n’y parviens pas. C’est plus fort que moi. Comment faire ? La psychologie de la motivation Paul Diel p. 299 Presses universitaires de France (référence citée in Gilbert Simondon Imagination et invention bibliographie)↩︎
Enregistrement du 31 janvier 2019 sur l’instance Peertube de la MSH Paris-Nord
Crédits : Épokhè et consortium CANEVAS
Présentation d’une vidéo relative à la fusion entre deux entreprises européennes qui fait problème, la fusion Alstom-Siemens. Je voulais vous faire écouter ce petit sujet pour vous le présenter comme un cas des questions qu’on essaye d’aborder dans ce séminaire ; ça peut vous paraître très lointain de ce dont j’ai parlé jusqu’à maintenant et que j’ai annoncé pour les semaines qui viennent et pourtant ça ne l’est pas ; cette question de la fusion Alstom-Siemens, au niveau de l’Europe, c’est une question d’organisation de ce que j’appelle un exorganisme complexe et de la manière dont des fonctions doivent à un moment donné passer l’échelle ; vous avez bien remarqué la question c’st les rapports entre l’Europe et la Chine et qu’il y a une vraie question qui se pose là ; ce que je voudrais souligner à partir de ce sujet c’est que nous avons besoin d’élaborer des théorèmes sur ce que sont les exorganismes complexes ; je vous rappelle ce qu’est un exorganisme complexe : la Maison Suger c’est un exorganisme complexe, Alstom c’est un exorganisme complexe. L’Union européenne etc. Il y en a qui sont dits inférieurs et d’autres qui sont dits supérieurs. Ce que je crois c’est que si on a pas une théorie de la localité, une théorie robuste de la localité càd qui passe par une définition de la localité qui parte de la physique puis de la biologie puis de ce que j’appelle moi la néguanthropologie et qui permette de faire une théorie de l’évolution rétrospective et prospective des organes exosomatiques que sont les TGV par exemple, on ne peut pas aller très loin dans le débat en question ; ce débat aujourd’hui c’est un débat totalement idéologique, commission de la concurrence, on connaît le discours habituel de la commission européenne et je pense qu’il est absolument caduc et qu’il l’est pour les mêmes raison que Georgescu-Rögen pouvait dire que la théorie de la « destruction créatrice » s’appuie sur une théorie physique qui n’est plus d’actualité, qui n’est plus l’horizon de la science contemporaine même si ça ne veut pas dire que la théorie newtonienne est invalidée pour autant mais elle est relativisée, elle est localisée.
Qu’est-ce que veut dire aporétique ? sachant que la question c’est la croissance de l’Europe, son maintien, sa subsistance, sa durée – et je rappelle que croître en grec ça se dit physei, c’est la physis, ce que nous appelons la physique, c’est le croître, la pensée de la croissance – je voulais simplement dire qu’aporétique ici ça signifie anti-anthropique dans ce sens-là, au sens où Maël Montevil et Giuseppe Longo parlent d’entropie et d’anti-entropie mais je transforme moi-même le mot entropie dans le sens anthropique avec une a et un h et comme vous le savez parce que je l’ai souvent dit, je m’appuie sur la terminologie du GIEC sur les forçages anthropiques qui en fait désignent des augmentations d’entropie provoquées par l’activité humaine donc par les activités « anthropiques » au sens « humaines ».
La question des concentrations dans l’Europe, de la localité de l’Europe, ce sont des questions qu’il faut aborder de ce point de vue-là à savoir est-ce qu’on est capable de produire de l’anti-anthropie, sachant que l’anti-anthropie c’est ce qui constitue l’avenir d’un exorganisme complexe tout comme la néguentropie ou l’anti-entropie au sens de Maël Montevil c’est ce qui constitue l’avenir d’un organisme vivant. Ce qui est important c’est de bien considérer que, par exemple, les dimensions aporétiques du rapport entre – sur cette question de la fusion Alstom-Siemens, si elle est aporétique c’est parce qu’elle désigne une contradiction dynamique càd c’est une contradiction qu’on ne peut pas éliminer ; il n’y a pas une bonne façon de répondre à la question qui serait purement bonne, c’est une dynamique parce que ce sont on parle c’est un processus ; c’est donc d’un point de vue processuel qu’il faut aborder tout cela, sachant que moi-même, je pose que ces questions doivent être abordées aujourd’hui dans le contexte du XXIème siècle à l’échelle de ce que j’appelle technosphérique et en reprenant l’expression d’Alfred Lotka càd au moment où la biosphère s’est transformée en technosphère et l’Europe, la Chine et les Etats-Unis sont des localités de cette technosphère qui se font la guerre, l’Europe étant en train de perdre catastrophiquement cette guerre. Pour pouvoir répondre à ça, il faut une théorie des exorganismes complexes inférieurs et supérieurs. C’est ce dont je vais vous parler aujourd’hui et en vous parlant des corporations ; ça veut dire aussi qu’il faudrait repenser la théorie de la concurrence qui est à la base même de l’action de la politique européenne par exemple et plus généralement du néolibéralisme comme éris au sens où les grecs et Frédéric Nietzsche reprend aux grecs le mot éris qui veut d’ailleurs dire non pas concurrence mais « émulation » càd stimulation, individuation collective dans une sorte de lutte – éris ça veut dire lutte aussi - qui peut produire ce que les grecs appellent « la bonne Eris » - ce qui fait que tout le monde s’élève – ou la mauvaise Eris càd que les mauvais joueurs gagnent parce qu’ils ont truqué les règles du jeu et là c’est une lutte qui s’effondre. Mais il faut repenser ça du point de vue de l’exosomatisation, ce qui n’est pas le cas pour Nietzsche ni pour les grecs, et du point de vue que je vais introduire aujourd’hui que j’appelle idiomatique ; qu’est-ce que je veux dire en disant idiomatique ? quand on parle une langue, le français par exemple, il y a des milliers de façons de parler le français parce qu’il y a des idiomes qui sont des instanciations de cette langue qu’on appelle le français – et qui n’existe pas, cette langue ; c’est une idée régulatrice pourrait-on dire avec Kant (c’est un peu tiré par les cheveux) et ce qui existe, ce sont des façons de parler qui se reconnaissent localement, ce sont des localités idiomatiques (par exemple en Wallonie, on ne parle pas tout à fait le français de Paris, qui ne parle pas le français de Marseille etc. - ce que je soutiens pour penser ces problèmes et qui sont des problèmes d’anti-anthropie, càd comment les idiomes se régénèrent, il faut poser les problèmes de grammatisation et la grammatisation, il faut l’observer dans l’histoire, ceux qui suivent ce séminaire depuis plusieurs années savent que je situe le démarrage de la grammatisation environ il y a 40 à 50 000 ans avec le paléolithique supérieur – je redis et c’est pas le point de vue que j’avais il y a 25 ans ou 30 ans quand j’ai écrit La faute d’Epiméthée, j’ai changé mon de vue, je pense que, en fait, Georges Bataille avait raison quand il disait qu’il se passe quelque chose de radicalement neuf dans le paléolithique supérieur et ce qui se passe c’est le début d’un processus de grammatisation qui va conduire aux alphabets archaïques locaux de la Grèce et qui vont, ces alphabets archaïques, se transformer parce que Athènes va imposer l’alphabet ionien en 403 avant J.-C. et cet adoption de l’alphabet ionien va rendre possible ce qui va conduire à l’empire d’Alexandre; vous allez me dire que je suis très déterministe et que je suis en train de faire des projections extrêmement mécaniques ; non, je ne suis pas déterministe, je veux simplement dire qu’il est tout à fait évident aujourd’hui de points de vue qui ne sont pas du tout déterministes comme ceux de Jean-Pierre Vernant ou de bien d’autres, comme Ignace Meyerson dont j’ai déjà parlé l’an dernier ici, qu’il y a des conditionnements par des processus qui sont des processus de grammatisation – pour ce qui me concerne je les appelle comme ça au sens de Sylvain Auroux - et que si on ne tient pas compte – c’est ce que je reprochais l’année dernière à Henri Lefèbvre pour penser le génie urbain – de ces processus-là, on ne comprend rien à ce qui constitue ce que j’appelle l’individuation psychique et collective (et son formalisme : le diagramme de l’idiotexte avec lequel j’essaie toujours de penser l’individuation psychique et collecive) et toute société humaine est un processus d’individuation psychique et collective, avec ceci de très particulier que notre société à nous, que Jacques Généreux appelle une « dissociété », est une désindividuation psychique et collective, c’est pour ça qu’il y a des gilets jaunes dans les rues. L’individuation psychique et collective – j’en ai repris le concept à Simondon qui pose qu’il n’y a pas d’individuation psychique si elle n’est pas aussi et d’emblée collective, elle n’arrive pas avant, elle n’arrive pas après, c’est indissociable, c’est une relation transductive mais j’ajoute quant à moi que ça, c’est rendu possible par l’individuation technique (qui commence il y a trois millions d’années avec l’exosomatisation) qui va rendre possible l’exosomatisation hypomnésique, précisément celle que contemple Georges Bataille en 1943 dans la grotte de Lascaux, une grotte dont les peintures remontent à 17 000 ans comme vous le savez mais aujourd’hui on connait des grottes beaucoup plus ancienne, Chauvet notamment et beaucoup d’autres.
Ici je voudrais soutenir un point qui va peut-être vous paraître un peu rapporté dans ce séminaire mais qui me paraît très important : depuis deux ou trois mois, j’ai commencé à ouvrir une discussion avec la psychanalyse lacanienne, en particulier avec l’Association lacanienne internationale qui est animée par Charles Melman qui a écrit à l’époque un livre qui s’appelle L’homme sans gravité qui est assez proche de questions que j’avais essayé de pointer moi-même ; j’avais rencontré un psychanalyste belge qui s’appelle Jean-Pierre Lebrun qui m’avait invité à une discussion au Festival d’Avignon sur ce livre de Charles Melman ; depuis il y a eu d’autres rencontres avec les psychanalystes de l’ALI et nous sommes en train d’ouvrir un débat sur le signifiant et l’exosomatisation ; ce que Jacques Lacan appelle le signifiant, qui est donc le matériau de la cure psychanalytique lacanienne et ce que j’essaye avec Lotka de décrire comme l’exosomatisation à ses différents niveaux, exorganismes simples, exorganismes complexes etc. Pourquoi est-ce que tout à coup j’introduis cette question du signifiant, de la psychanalyse etc. ? parce que je veux vous parler de l’idiomatique càd de la langue que depuis les cours de Lacan dans les années 1950 qui a investi la théorie saussurienne du langage, la question de la langue n’est plus séparable de la question du signifiant au sens lacanien mais ce que voudrais essayer de montrer moi c’est qu’il faut relire Freud avant de relire Lacan pour essayer de montrer que Freud a essayé d’ouvrir une question de l’exosomatisation ; j’ai déjà montré dans deux ou trois livres, lorsqu’il parle de ce qu’il appelle la fonctionnalisation et la défonctionnalisation organique, le refoulement organique, le perfectionnement organique et lorsqu’il essaye à travers ces concepts de décrire ce que c’est qu’un bateau à vapeur, un téléphone, un phonographe etc. il y a un silence radio complet de la psychanalyse sur ces énoncés de Freud qui quand même, c’est très important, dans une lettre de 1897 commence par poser que la libido ne peut se constituer qu’à partir de la station debout càd que c’est à partir du moment où l’homme se met à marcher qu’il peut avoir une libido et non plus seulement un instinct ; il écrit ça au moment où par ailleurs il a travaillé sur le fétichisme, les rapports entre le fétiche, la pulsion etc. et tout ça a été allègrement refoulé par les psychanalystes et par Freud lui-même d’ailleurs parce qu’il a ouvert les pistes comme ça mais ensuite ne les pas exploitées ; alors si je vous en parle c’est parce que d’une part c’est un sujet d’exosomatisation, le langage est une des dimensions primordiales de l’exosomatisation mais c’est aussi parce que nous travaillons nous-mêmes - vous le savez, ce séminaire est complètement lié à un autre séminaire qui se tiendra d’ailleurs demain matin à l’IRI mais surtout à un atelier qui s’appelle la Clinique contributive où nous travaillons sur le langage des enfants, des bébés en l’occurrence. Alors, ça c’est l’apprentissage de la parole, la parole il faut l’apprendre, et cet apprentissage de la parole suppose ce que j’appelle non pas simplement un exorganisme simple ou un exorganisme complexe mais une exorganisation médiane ; entre les corporations dont je vous parlais tout à l’heure, par exemple les cordonniers, les tisserands, les boulangers etc. il y a du signifiant qui fait qu’ils peuvent communiquer entre eux et ce signifiant leur permet de constituer ce que j’appelle un exorganisme complexe supérieur dont on verra que pendant très longtemps il produit des confréries et qui, elles-mêmes, sont liées à l’Eglise et la supériorité, c’est un signifiant particulier qui s’appelle le Livre. C’est ce qui est en ce moment détruit – en Seine St-Denis, nous travaillons sur ces enfants qui à trois ans ne parlent toujours pas, non seulement ils ne parlent pas mais ils ne regardent pas, ils sont des quasi-autistes et c’est provoqué par le smartphone notammenthttps://www.bfmtv.com/tech/pas-plus-d-une-heure-d-ecran-par-jour-la-recommandation-de-l-oms-pour-les-enfants-de-moins-de-5-ans-1679969.html↩︎ ; nous allons y revenir dans un instant. Ce que je veux dire, c’est que l’apprentissage de la parole lorsqu’il fonctionne normalement et qu’il engendre donc de l’individuation psychique et collective dans ce sens-là càd que vous avez une grande spirale - on va dire que c’est le français - et à l’intérieur de ce français vous avez de petites spirales, c’est les manières de parler le français – par exemple vous parlez ici avec des gens qui suivent le séminaire de Stiegler à la Maison Suger un langage différent de celui que vous allez parler avec vos camarades gilets jaunes par exemple parce qu’on change de langage en fonction des lieux dans lesquels on parle et ça c’est très important ; on croit qu’on a un langage unifié, c’est archi-faux ; celui qui l’a parfaitement démontré c’est Louis Jouvet dans ses cours au Conservatoire d’art dramatique en 1943. Alors si c’est possible ça c’est parce que le langage qu’on acquiert à peu près à cet âge-là (quelques mois) il est producteur de ce que j’appelle une différance idiomatique avec un a, au sens de Jacques Derrida, productrice de ce que j’ai appelé tout à l’heure de l’anti-anthropie avec un a et un h. Mais aujourd’hui, il se produit un processus d’indifférance idiomatique et ce processus d’où vient-il ? de toutes sortes de choses ; j’ai essayé de décrire dans Mécréance et discrédit par exemple le rôle que joue le calcul à travers une certaine organisation du capitalisme consumériste etc. mais ce n’est pas seulement ça ; c’est aussi le fait que nous développons des processus de grammatisation – donc la grammatisation, je répète, c’est ce que regarde Bataille à Lascaux, c’est de la grammatisation ; pourquoi ? si vous lisez le bouquin de Marc Azéma qui s’appelle Préhistoire du cinéma, ces images picturales de la grotte de Lascaux constituent des listes finies de dessins ; par ailleurs, j’ai très souvent montré ici cette lionne en train de courir, qui est un bas-relief dans une grotte de l’Ariège et qui a 11 000 ans, la course de la lionne est décomposé comme dans un chronophotogramme d’Etienne Jules Marey; donc ça veut dire que vous avez un processus analytique qui s’opère à travers ce que j’appelle l’exosomatisation hypomnésique càd où on extériorise ces contenus mnésiques, imaginaires ou réels ; Lascaux n’est pas la plus illustrative de ce processus de grammatisation mais il y a d’autres grottes qui sont extrêmement démonstratives (voir le bouquin d’Azéma).
En tout cas, selon moi, la grammatisation commence selon moi au paléolithique supérieur, il y a donc peut-être 50 000 ans, elle se transforme, elle passe par les idéogrammes puis par les alphabets archaïques grecs, en passant par le phénicien et avant par l’écriture cunéiforme, et puis ça aboutit à la standardisation de l’alphabet ionien en 403 av. J.-C. qui va se répandre dans la Grande Grèce qui va se transformer en empire Alexandrin mais tout ça se développe bien au-delà de la lettre ; ça se poursuit évidemment à travers l’imprimerie mais surtout à travers la machine-outil, l’automate de Vaucanson et tout ce qui va conduire au métier Jaccard et finalement à l’informatique puisque l’informatique c’est une poursuite de tout cela et aujourd’hui à tout ce que nous connaissons comme par exemple ce smartphone que le bébé peut utiliser ou que la mère peut utiliser pour faire téter son bébé et qui va court-circuiter le développement du langage chez ce bébé et provoquer une catastrophe que j’appelle la dénoétisation, qui commence chez les bébés touts petits, aujourd’hui, et en masse, parce que ce n’est pas un phénomène local de la Seine St-Denis, je suis en train de discuter en ce moment avec beaucoup de pédopsychiatres, c’est massif, mondial et ça touche toutes les couches de la population ; c’est moins grave chez les gens cultivés et fortunés mais ça les touche aussi, ça nous touche tous, ça me touche ; ma qualité orthographique a largement diminué depuis 10 ans, c’est absolument évident, il suffit que je relise mes mails ; et c’est un processus de dénoétisation ; je perds mes capacités noétiques ; pourquoi ? parce que l’orthographe, ce n’est pas du tout simplement une conformation à une règle conventionnelle tout à fait arbitraire ; non, c’est une capacité analytique de remonter dans l’histoire du langage et donc c’est une question fondamentale de la grammatisation.
Si on veut approcher ces questions-là, il faut lire WinnicottJeu et Réalité NRF Gallimard p. 9↩︎ tel que par exemple nous l’avons commenté il y a deux ou trois semaines dans le séminaire de la Clinique contributive là où nous avons essayé de comprendre ce que c’est ce qu’il appelle « l’aire intermédiaire d’expérience » ; Donald Winnicott montre que l’appareil psychique de l’enfant se constitue par une localisation de son expérience à travers, en particulier, ce qu’il appelle les objets transitionnels qui constituent une aire d’expérience entre lui et sa mère, sa mère ou son éducatrice, sa nourrice, éventuellement son père qui peut être la nourrice etc. Cette aire d’expérience qui est primordiale chez le bébé, qui est la condition de constitution de ce qu’on appelle la psychogenèse infantile du nourrisson, elle est l’origine de l’exosomatisation parce que l’aire intermédiaire c’est l’aire de « l’illusion » primordiale, dit Winnicott ; c’est une illusion ; par exemple, le bébé a l’illusion que son nounours c’est un être vivant, magique, on en sait rien, mais Winnicott montre que l’éducation du bébé n’est possible que si la mère protège cette illusion et en fait une réalité, la transcende performativement en une réalité qui ne va être efficace que pendant un certain temps, 10 mois, 12 mois , 18 mois et après il va falloir le désintoxiquer de l’objet transitionnel parce que Winnicott montre qu’une mère qui fait bien son travail apprend à l’enfant finalement, à un moment donné, à abandonner cet objet transitionnel, pourquoi faire ? pour en adopter un autre en fait et par exemple celui-là (Stiegler montre le croquis d’une machine volante de de Vinci) de ce grand enfant qui était dyslexique et qui s’appelait Léonard de Vinci et qui, comme vous le savez parce que je l’ai souvent montré, est à l’origine de l’avion de Clément Ader qui a quand même pas tout à fait les mêmes nervures mais c’est quand même étonnamment proche. Ça c’est l’exosomatisation ; c’est ce que j’avais essayé de montrer dans Dans la disruption : c’est le rêve réalisable (ce n’est pas moi qui le dit, c’est Marc Azéma, mais avant lui, Foucault le disait et Foucault le reprenait de Ludwig Binswanger qui était un élève à la fois de Freud et de Heidegger). C’est le rêve réalisable qui fait l’exosomatisation : je rêve d’un truc et je le réalise ; par exemple, je rêve de voir une vache rouge et je la peint et ça donne 20 000 ans plus tard, Lascaux et la naissance de l’art de Georges Bataille qui est un des plus grands textes sur l’art que je connaisse ; et donc c’est une chaîne parce que si un rêve exosomatique a de l’avenir, il va se réaliser càd qu’il va s’exosomatiser, il va produire d’autres rêves, par exemple le rêve de Léonard de Vinci va produire le rêve de Clément Ader qui va produire Le cauchemar de Miyazaki (je dis ça parce qu’il y a un film de Miyazaki Le vent se lève qui parle de ce cauchemar).
Là où il y a quelque chose d’important c’est que si on prend au sérieux l’exosomatisation et tout ce que je viens d’en dire, et l’aire intermédiaire de l’expérience dont parle Winnicott, l’illusion primordiale, dont il dit qu’elle est la condition de toute la culture, dit-il - pas simplement Léonard de Vinci, mais tout, les sciences, les mathématiques, toutes les formes de savoirs, le football, la cuisine, tout ça c’est du rêve réalisé - si on prend tout ça au sérieux, alors il faut poser que l’exosomatisation précède la symbolisation parlée càd que le bébé que je vous ai montré tout à l’heure, il a un objet transitionnel mais il ne parle pas encore donc on pourra dire par exemple aux lacaniens mais en fait, Lacan pose que tout commence avec le signifiant, ce n’est pas vrai parce que tout commence avec l’objet transitionnel, oui mais si vous lisez ce lacanien-là, il va vous dire en commentant Lacan qu’il y a une vie intra-utérine et que le fœtus dans le ventre de sa mère est déjà atteint par le signifiant. Il y a eu des débats, on en a hébergé un avec un philosophe japonais qui s’appelle Idetaka Ishidahttps://youtu.be/m7NYQmuxnNA↩︎ à Epineuil le Fleuriel où, comme beaucoup de ces gens qui viennent à la culture asiatique, qui est une culture de l’idéogramme, posent qu’il y a de l’image qui n’est pas réductible au signifiant lacanien, en fait moi je pense que la question n’est pas de savoir si l’exosomatisation précède le signifiant ou si le signifiant conditionne ou précède l’exosomatisation, c’est la même chose ; et donc ce sont des dimensions plurielles d’une même réalité de la même manière qu’il ne peut y avoir d’individuation psychique sans individuation collective et chez l’infans, le bébé qui ne parle pas, il s’individue avec sa mère et sa mère développe une histoire d’amour avec son bébé, ça c’est une individuation collective qui va ensuite produire de la famille etc., des liens, de la transmission ; de la même manière, il y a des conditions matérielles qui sont – oui, en effet, les neurones du bébé dans le ventre maternel sont informés par la parole de la mère ; vous ne pouvez pas gutturaliser si vous n’êtes pas né en Afrique du nord ou en Afghanistan etc. ; ce qui a été montré, c’est que la sélection dans l’évolution du système nerveux du bébé, très tôt sélectionne des possibilités des cordes vocales et cette sélection est irréversible ; on peut toujours la retravailler mais elle est faite fondamentalement ; là on gutturalise, là on roule les « r », là on fait une guitare, ici on fait une cithare, là on fait une lyre etc. je veux dire par là : ce ne sont pas les mêmes instruments linguistiques et ça c’est fondamental, ça commence bien avant la naissance du bébé. Mais la question c’est de vouloir trouver une cause : est-ce que le signifiant est la cause de… ou l’inverse ; ça, ça ne fonctionne pas du tout. L’exorganologie, c’et ce qui essaye de montrer que tout vient ensemble mais évolue càd n’arrête pas de se transformer et c’est de rendre compte de cette intra-somatisation du signifiant par exemple, dès la vie intra-utérine, le bébé ne parle pas mais il est déjà linguistiquement en train de se configurer et c’est exposé, tout cela, à des réalités exorganologiques qu’il faut étudier pour moi aujourd’hui en faisant une psychogénéalogie, une noogénéalogie – qui n’est pas la même chose, pour avoir une noogénéalogie, il faut une psychogénéalogie càd que si vous n’avez pas une âme vous n’aurez pas un nous, un esprit ; mais l’esprit ce n’est pas l’âme ; l’âme, si on le prend dans le langage freudien, on ne va pas dire l’âme, on va dire l’appareil psychique pour prendre un peu de distance avec les références métaphysiques, religieuses etc. mais l’appareil psychique, ce n’est pas la pensée ; il y a des appareils psychiques qui ne pensent pas ; d’ailleurs Simondon dit : les animaux ont aussi des appareils psychiques - ce que je soutiens c’est qu’il faut faire une psychogénéalogie, au niveau de l’individu mais aussi au niveau de l’espèce, c’est ce que Leroi-Gourhan a tenté d’esquisser en disant : il y a des compétences psychiques qui s’élaborent dans l’histoire de l’espèce, on peut déduire que il ne doit pas y avoir encore telle ou telle capacité psychique en fonction de ce que l’on sait des fossiles, des crânes des êtres humains étudiés, il y a une noogénéalogie, alors cette noogénéalogie, ce que j’appelle le nous, elle commence avec la grammatisation, ce qui ne veut pas dire qu’avant la grammatisation il n’y a pas de pensée mais on la connait pas, on ne peut pas y accéder ; tandis que la pensée, depuis le paléolithique supérieur, on peut y accéder, en tout cas on peut y accéder par l’imagination par exemple des peintres ou des sculpteurs de Lascaux ou de la grotte de la Vache etc. et à partir de là, il y a une accumulation de rétentions tertiaires hypomnésiques qui va rendre possible la culture au sens fort du mot càd des représentations collectives ; mais il faut également une technogénéalogie qui avec la psychogénéalogie, la noogénéalogie, va permettre de rendre compte de la tension localité/ouverture. Nous essayons ici, dans l’optique, je le rappelle, de ce mémorandum qu’on va remettre à l’ONU dans un an, de faire un travail sur la localité en disant : il faut réinscrire la question de la localité en économie, en politique, en technologie, en développement etc. Mais ces localités auxquelles nous pensons sont des localités ouvertes, ce ne sont pas des localités closes sur elles-mêmes, ce n’est pas le repli sur soi du tout (c’est ce que je n’appelle pas la glocalisation mais ça à voir avec la glocalisation).
Si on veut étudier tout ça aujourd’hui, il faut intégrer la grammatisation et ses conditions qui vont du doudou jusqu’à la plateforme satellitaire parce que, si vous avez entendu ce que je disais tout à l’heure, à savoir que le rapport au signifiant est surdéterminé par la grammatisation exosomatiquement et technologiquement produite etc., alors il faut arriver à penser ensemble l’objet transitionnel qu’on appelle parfois le doudou et la plateforme, c’est ce que n’arrive pas à faire aujourd’hui le corps médical en particulier psychothérapeutique, il n’y arrive pas non pas parce qu’il est incapable de le faire mais parce qu’il est pris de vitesse ; les plateformes sont apparues il y a très peu de temps alors pour intégrer ça, encore plus freudien, lacanien mais aussi de Henri Ey, enfin toute la psychiatrie etc. c’est un sacré travail ! C’est pour ça qu’on développe à Plaine commune une recherche contributive – nous travaillons avec des psychiatres, des psychanalystes, des gens comme ça - qui accélère les temps de transfert vers la société parce qu’il faut absolument faire très vite intégrer par eux (les professionnels) mais aussi par les parents – les mères allaitantes dont je parle régulièrement et beaucoup d’autres – tout l’appareil de l’environnement territorial, leur faire intégrer les phénomènes de disruption pour produire avec de la noèse, non pas de la dénoétisation mais de la renoétisation.
Pour que se produise une renoétisation et plus généralement une exosomatisation positive – appelons ça comme ça – càd qui ne soit pas désindividuante, qui ne détruise pas la noèse, qui ne détruise pas les idiomes, il faut maîtriser des outils qui doivent toujours s’articuler avec ce que j’appelle les exorganismes complexes supérieurs (comme le droit du travail dans les Corporations au Moyen-Age figuré sur le vitrail d’une Eglise par exemple) qui produisent de la souveraineté, des souverains de droit divin pendant très longtemps en Occident, l’Occident chrétien en tout cas et aujourd’hui ils sont remplacés par ce que Frank Pasquale appelle la souveraineté fonctionnelle des plateformes et en particulier d’Amazon (c’était un rappel sur ce que j’ai dit il y a trois semaines) mais par contre ce que j’ajoute c’est que ces plateformes par exemple de souveraineté fonctionnelle ne respectent pas les problèmes posés par Aristote dans la théorie des quatre causes càd en fait survalorisent la cause efficiente en effaçant la cause formelle, la cause finale et même la cause matérielle parce qu’ils disent : il n’y a plus de métaux rares dans tant de temps, on s’en fout, on trouvera des solutions plus tard ; donc ils ne sont pas rationnels, absolument irrationnels ; si on veut combattre ça, il faut les combattre en montrant que c’est irrationnel mais ça veut dire qu’il faut produire une nouvelle rationalité et qu’elle n’est pas la simple répétition d’Aristote bien entendu; il y a une plateforme (Mother) qui se développe dans ce sens-là qui est portée par un designer qu’on avait invité il y a dix ans au Centre Pompidou qui faisait le lapin Titounaz de Nabaztag et qui racontait des histoires aux enfants à la place de la mère et que j’avais bien boxé en lui disant que c’était limite criminel ce qu’il faisait, il revient à la charge maintenant avec ce truc-là, ce qu’il appelle « la deuxième maman », un robot qui se substitue à la mère et qui en gros dit à la mère : ne vous inquiétez pas, on s’occupe de tout ; c’est pensé, c’est pas fait comme ça, un truc superficiel ; le but c’est d’intégrer toute une gestion de la vie domestique et court-circuitant le domestique lui-même, le local lui-même et c’est extrêmement dangereux, une aggravation considérable pour moi de ce qui s’est produit à travers ces objets transitionnels automatisés et robotisés. Nous cherchons nous à sortir de l’ère Entropocène ; nous pensons que lorsque nous appelons l’Ere Anthropocène avec un a et un h c’est en fait une ère Entropocène avec un e mais ça ne peut pas durer, ce n’est pas nous qui le disons, c’est la quasi-totalité du monde scientifique et donc il faut absolument repenser la territorialisation parce que l’entropie est fondamentalement liée à la destruction des localités. C’est évidemment très difficile de penser cela sachant que cela, il faut le penser avec ce que Deleuze appelle sa déterritorialisation, la localité se déterritorialise et il est hors de question d’empêcher cette déterritorialisation bien au contraire ; si on veut que cette localité soit ouverte, elle doit se déterritorialiser mais tenir les deux en même temps, comment est-ce qu’on arrive à le faire sans régresser vers ce qui est la tentation un peu générale, ce qu’on appelle les nouveaux nationalismes etc. c’est pas si facile que ça et ce n’est pas forcément une régression vers le nouveau nationalisme, ça peut être aussi une régression contre toutes les nouvelles façons de vivre contemporaines, contre la technologie elle-même etc. donc c’est très dangereux. C’est un moment de bifurcation réactionnaire potentielle, je prends le mot « réactionnaire » au sens où on l’employait au XXème siècle.
Ce que je soutiens c’est que pour cela il faut penser transductivement càd que spirales que je vous montrais tout à l’heure sont toujours inscrites dans une spirale plus grande et elles sont en relation transductive avec cette spirale plus grande, cette relation transductive elle constitue ce que Jacques Lacan appelait un « nœud borroméen » ; qu’est-ce qu’un nœud borroméen ? C’est en topologie, un nœud qui est constitué par trois bruns ; si on en défait un, les deux autres se défont aussi ; les rapports avec les trois îles Borromée sur le Lac Majeur ? c’est une localité diverselle, il y a quelque chose qui est de l’ordre de ce que j’ai appelé la semaine dernière la diversalité. Nous essayons de penser tout cela à quatre mois des élections européennes ; nous essayons de documenter tout cela dans un moment qui est hautement dangereux parce que ces élections européennes seront assez vraisemblablement très négatives compte tenu en tout cas de mes propres critères de jugement de la positivité politique ; on ne sait jamais, il peut se produire des choses inattendues mais elles sont plutôt, en ce moment, les choses inattendues, orientées vers le bas, ce ne sont pas de bonnes surprises (mais il en a quand même des bonnes surprises).
Tout ce qui se passe en France en ce moment, dont je pense que ça a énormément à voir avec la localité puisque ce qu’on appelle les gilets jaunes, c’est fondamentalement un discours sur la localité – quand on dit centre et périphérie etc. c’est de la localité dont il s’agit ; c’est une expression d’une souffrance, d’une incapacité à faire de la localité, à valoriser de la localité. C’est très intéressant de comparer les discours, moi, je regarde un peu les assemblées de gilets jaunes, et c’est intéressant de comparer avec la révolution de 1848 ; je vous recommande d’aller voir la notice Wikipédia et en particulier ce qui est souligné ici : la révolution de 48 est précédée par trois révoltes de canuts ; c’est très important ; il y a une dimension comme ça chez les gilets jaunes et les canuts, ça ne suffit pas de dire qu’ils sont débiles et qu’ils n’ont rien compris, que l’avenir du textile c’est le métier à tisser, non, parce que les canuts, ils ont contribué à cette révolution de 48 qui a contribué à des évolutions fondamentales de toute l’Europe en plus – ça ne se passe pas seulement à Paris – c’est un événement européen et je pense qu’on ferait bien d’aller relire un petit peu la littérature, mais aussi ce que dit Flaubert, ce que dit Ernest Renan, ce que disent un certain nombre de témoins oculaires de la révolution de 48, ça serait intéressant. Je le dis comme ça pour dire que cette démarche que je propose càd d’arriver à penser la localité, ses contradictions, y compris par exemple dans le cas de la fusion Alstom – Siemens en Europe etc., si nous voulons y travailler sérieusement c’est sûrement pas en lisant les éditoriaux des Echos ou du Figaro et de l’Humanité que nous y arriverons, c’est en se remettant à bosser et en réinterprétant l’histoire industrielle depuis le début à travers les nouveaux concepts, d’entropie et de néguentropie, d’exosomatisation au sens de Lotka et de Georgescu-Rögen etc. sachant que au bout du compte – c’est mon point de départ depuis longtemps – les questions que nous posons dans ces cas-là, ce sont des questions de pharmacologie càd qu’un pharmakon, c’est un tenseur qui peut se tordre, si je puis dire, négativement ou positivement, régressivement ou, comme on disait autrefois, progressivement et que dans tous les cas, si on n’en fait rien, il régressera inévitablement ; si on ne prend pas la responsabilité de le faire progresser, de progresser avec, alors il régressera inévitablement ; donc on a une obligation pharmacologique et c’est ça qui constitue l’anti-anthropie.
Revenons à l’hypothèse que l’ère entropocène, ça doit s’écrire comme ça et où les dimensions thermodynamiques, biologiques et cognitivo-informationnelles se combinent en mettant le cap au pire comme disait Samuel Beckett, alors il faut repenser les localités puisque ce que je soutiens, c’est que la néguentropie, l’anti-entropie même ça n’est possible que depuis une localité, que si ça constitue une localité ; à partir de là, nous avons une obligation de repe/anser les localités et, à travers elles, la diversalité des localités, ce qui constitue la local-ité en tant que telle ; qu’est-ce que c’est que ce machin ? c’est la capacité à avoir une localité ? Moi, j’ai construit ce concept en prison parce qu’en cellule, il n’y a pas de localité ; en prison, vous n’avez droit à aucun effet personnel, vous êtes totalement privé de toute localité, tous les prisonniers sont soumis au même mode de vie, à un rythme qui est imposé etc. c’est une délocalisation totale ; eh bien néanmoins, il reste de la local-ité ; et ça fait que vous allez pouvoir lire par exemple Martin Heidegger, vous allez pouvoir vous dire la local-ité, qu’est-ce que c’est ? moi je l’ai dit à un moment donné, la local-ité, c’est le fait que quand je joue aux échecs, il y a une règle que je sais, bien qu’elle ne soit pas écrite, c’est que tous les joueurs sont mortels ; et que je peux jouer aux échecs que parce que je suis un une localité qui joue contre une autre localité et que cet autre joueur, comme moi, est mortel càd qu’il n’a pas tout son temps ; et à partir de là, il y a quelque chose qui se constitue, qui va ouvrir un lieu, un avoir-lieu, un événement, une événementialité qui va se constituer comme cette règle que Heidegger appelle le sein-zum-Tod, l’être-vers-la-mort – quand je dis cela, ça ne veut pas dire que c’est comme ça qu’il faut interpréter la localité, je suis parti de ça en fait, aujourd’hui j’ai d’autres propositions à faire, j’en ai un peu parlé l’an dernier en faisant une lecture partielle du Coup de dé de Stéphane Mallarmé mais je ne vais pas m’y appesantir aujourd’hui.
Pour penser ça, il faut penser cette structure en spirales qui est une structure fractale et que j’appelle l’idiotexte ; ça fait longtemps que j’en parle ; j’en ai parlé par exemple dans La désorientation, deuxième tome de La technique et le temps p. 580 de la réédition chez Fayard ; c’est pas nouveau ce discours chez moi, mais par contre il ne se voyait pas beaucoup ; maintenant il est absolument central ; à l’époque où j’écrivais ces textes, je me disais : pour introduire ces notions-là, il faut tout un travail de préparation, c’est des notions extrêmement difficiles à approcher ; maintenant, ce travail de préparation, je ne dis pas qu’il a été fait mais il y a un état d’urgence qui fait que de toutes façons nous sommes dans l’obligation de penser la local-ité et ce que j’appelle l’idiotextualité, l’idiotexte. L’idiotexte donc c’est ce qui vient de la mortalité et qu’est ce que la mortalité pour un grec ? – je parle d’un grec archaïque, pas d’un grec comme Platon - c’est la technique ; c’est ce que j’ai essayé de montrer dans La faute d’Epiméthée ; ce que montre Jean-Pierre Vernant, c’est que l’expérience de la mortalité càd les mortels ce sont ceux qui ne sont ni des animaux ou des plantes qui ne meurent pas mais qui périssent comme dit Heidegger ni des dieux qui sont immortels – les mortels sont entre les deux – et cet entre-deux, Jean-Pierre Vernant a très bien montré que c’est Prométhée qui l’apporte, c’est la technique càd ce que j’appelle moi les organes exosomatiques. Et cette technicité, elle va être l’objet du discours de Protagoras dans le dialogue qui porte son nom et que j’ai longuement commenté donc je ne vais pas vous en reparler ; ce que je suis en train de faire là c’est toujours la mise en place du séminaire parce que là on en est à la deuxième séance, il y a encore 6 ou 7 séances alors je suis toujours dans la place des attendus du séminaire ; après nous allons lire Marcel Mauss. Ce que je soutiens, c’est que nous avons un travail à faire au-delà de la déconstruction derridienne qui n’a jamais pris en charge ces questions même si c’est passant par la déconstruction derridienne que l’on peut essayer de prendre en charge ces questions, c’est ce que j’essaye de faire en tout cas pour essayer de montrer que la déconstruction que Heidegger postule puisque Heidegger présente Être et temps comme une déconstruction de la métaphysique – le mot « déconstruction » n’est pas de Derrida, il est de Heidegger ; en fait, il est de Gérard Granel traduisant un mot de Heidegger Abbau – et cette déconstruction qui a été entamée par Derrida, elle est très importante, en dialogue et en tension avec Jacques Lacan mais ça je ne vais pas en parler, mais elle n’est pas du tout suffisante, donc ânonner et rabâcher le discours de Derrida aujourd’hui, ça ne sert absolument à rien ; ce qui est important ce n’est pas de le rabâcher mais de continuer l’œuvre de déconstruction de Derrida et d’y introduire la question de la technique que Heidegger n’a pas – c’est lui qui a posé la question de la technique à maintes reprises, d’abord dans Être et temps c’est avant tout un discours sur la technique, sur la facticité, sur l’artefact etc. et puis bien entendu dans le fameux texte La question de la technique qui date de pas tout à fait 20 ans plus tard, 15 ans plus tard ; il a ouvert tout cela mais finalement il y a renoncé tout en étant, en particulier dans la conférence qui a pour titre Die Kehre, très près du point de vue pharmacologique là où il cite Hölderlin : « Là où est le danger croît aussi ce qui sauve », il est très près de ce qu’on essaye de faire ici mais il n’y est pas pour une raison extrêmement précise : c’est parce qu’il rejette Norbert Wiener parce que Wiener, comme Shannon, réduit le langage à de l’information et Heidegger dit : pas possible – et là je suis d’accord avec Heidegger – mais il faut quand même lire Wiener parce qu’en rejetant Wiener il rejette la théorie de l’entropie et de la néguentropie; à partir de là, c’est plus possible, ça ne marche pas ; une philosophie qui n’est pas capable de mobiliser la science de son temps ce n’est pas une philosophie, c’est une rhétorique habile mais c’est pas une philosophie.
Je voudrais signaler en passant, parce que j’ai été invité par un étudiant qui avait travaillé sur un bouquin Etat de choc à une journée qui était dédiée à la théorie critique mais au sens des gens qui sont de l’Ecole de Francfort, pour eux la théorie critique c’est l’Ecole de Francfort ; pas pour moi évidemment, même si j’accorde beaucoup d’importance à l’Ecole de Francfort, ce que je veux dire c’est qu’à la fin de mon intervention il y a un francfortien allemand, si je puis dire, un héritier d’Habermas plutôt que d’Adorno à mon avis, qui m’a fait une remarque qu’on me fait souvent en Allemagne : il ne faut pas lire Heidegger, c’est pas beau, c’est vilain; eh bien je voudrais là vous dire que si on fait ça alors on comprend comment Alternativ für Deutschland qui au départ n’est pas un truc néo-nazi, c’est un truc d’économistes allemands, qui sont de droite certes, qui sont anti-euro, contre la monnaie unique, et qui disent, non sans raison, et je ne veux pas dire que je suis d’accord avec eux, que l’imposition de la monnaie unique ne peut pas fonctionner s’il n’y a pas un certain nombre de transformations qui s’opèrent etc. mais ce ne sont pas du tout des nationalistes ou des néo-nazis au contraire, ils ont demandé à l’époque de la fondation de l’Afd d’exclure les néo-nazis ; mais ça va évoluer parce qu’il va y avoir la volonté de créer des modèles alternatifs non pas anti-Europe mais anti euro et ils défendent une question dont on parle très souvent avec Arnaud Delépine ici présent, ancien banquier à Paribas, la nécessité d’avoir des unités monétaires locales. Au début, ce mouvement dit des choses qui ne sont pas absolument irrecevables bien qu’on puisse être contre et les combattre mais ça va évoluer parce qu’on les laisse se diriger dans leur coin, on refuse de lire Heidegger donc on refuse d’étudier l’histoire du nazisme, d’étudier les conditions dans lesquelles le nazisme s’est constitué avec, quand même, une implication massive du peuple allemand et énormément d’académiques, de scientifiques, Heisenberg etc. et parmi les meilleurs, Jakob von Uexküll, Ludwig von Bertalanffy, tous ces gens ont été mouillés comme Heidegger, et tant d’autres et on dit : il ne faut pas lire Heidegger ; en fait c’est parce qu’on est incapable de le lire, on est paresseux, on a pas envie de se creuser le ciboulot et on dit : il ne faut pas le lire et pendant ce temps-là, se développe Alternativ für Deutschland qui va engendrer, avec au départ des gens très cultivés, un discours assez élaboré et qui va progressivement être envahi par l’extrême-droite, puis par les néo-nazis et finalement contrôlé par eux et c’est ce qui va, en Allemagne, donner le « la » aux élections européennes de mai prochain. Donc il y a une irresponsabilité complète de la part des académiques qui refusent d’étudier Heidegger parce qu’ils ne veulent pas prendre en charge cette histoire, qui aussi est la nôtre. Il est temps de sortir de tout cela et, nous, il nous faut l’étudier parce que de quoi parlent les néo-nazis – et ceux qui ne sont pas néo-nazis - de l’Afd ? de l’Europe des nations… et moi aussi je vous parle de l’Europe des nations ; quand je dis ça, je ne veux pas dire du tout que je suis pour l’Europe des nations que défendent ces gens-là, ce n’est pas du tout ce que je veux dire, mais là on est en train de toucher à des objets qui sont drôlement dangereux ; alors si je prends tellement de précautions avant d’entrer dans l’interprétation du texte de Mauss c’est qu’on a vraiment intérêt à prendre des précautions et « décontaminer le terrain » càd d’un modèle qui ressemble beaucoup au modèle épuisé du capitalisme en Europe à un moment donné qui va faire que en Italie, en Allemagne il va y avoir des succès économiques des nazis et des fascistes ; ce qui nous pend au nez c’est qu’on va voir arriver des néonazis, des fascistes qui vont mieux réussir que Macron que Merkel etc. Je ne dis pas que ça va arriver, je n’espère pas, mais c’est tout à fait vraisemblable ; donc si on est dans des postures à dire : ah non, il ne faut pas toucher à l’euro etc. on est totalement en dehors de nos obligations.
Concernant les « comptes satellites », nous travaillons nous à ces questions parce qu’il y a ce séminaire qui est très théorique, très spéculatif, même quasi métaphysique par moments, voire théologique mais nous y travaillons aussi dans une tentative de dépasser le cadre local, que ce soit le quartier de St-Denis qu’on appelle Pierre Sémard, que ce soit St-Denis dans Plaine Commune, que ce soit Plaine commune dans la région parisienne, la région parisienne dans la France, la France dans l’Europe etc. et la biosphère dans l’univers qui est une localité aussi ; si on n’arrive pas à dépasser les limites à chaque fois et à mettre ces niveaux – vous vous souvenez que l’année dernière, j’ai fait un séminaire sur la scalabilité càd les passages d’échelle - si on n’arrive pas à faire des passages d’échelle et à organiser une économie fondée sur ces passages à l’échelle càd passer du microéconomique au mesoéconomique et du mesoéconomique au macroéconomique, on ne peut rien faire ; il n’y a que comme ça qu’on peut répondre à l’Afd mais pour cela, il faut relire Heidegger et beaucoup de choses. Donc, nous, nous travaillons dans un atelier de comptabilité où nous essayons de produire des modèles de comptabilité qui utilisent cette notion de comptes satellites pour articuler des niveaux micro et des niveaux meso, des niveaux meso et des niveaux macro ; ça c’est un changement de la comptabilité et c’est extrêmement important de rentrer dans cette cuisine professionnelle, les comptables font quand même l’essentiel du réel contemporain (tout ce qui ne rentre pas dans les modèles des comptables ça ne rentre pas dans la réalité en fait), il est donc très important que nous nous posions ces questions.
Nous posons que tout ça n’est possible que parce que les systèmes que nous devons développer doivent être des systèmes ouverts et là je prends le mot « ouvert » au sens de Nietzsche qui a beaucoup parlé de l’ouverture, de Rilke, de Bergson, de Freud, de Heidegger, de Gilles Deleuze et de Félix Guattari par exemple ici lorsqu’il dit - c’est la fin des Trois écologies - :
Par tous les moyens possibles il s’agit de conjurer la montée entropique
je ne suis pas un original dans ce que je suis en train de faire ici avec vous, Guattari disait ça en 1989 ; il n’a pas du tout été écouté, c’est des dimensions de Guattari que personnes n’a reprises ; par exemple, le capitalisme cognitif, qu’est ce qu’il a à dire de ça ? rien du tout (je parle de la théorie de Negri etc.) ; donc il est absolument fondamental de prendre un peu les textes au sérieux et pas seulement de s’en servir comme arguments légitimants.
Alors, qu’est-ce que c’est que l’entropie ? c’est ce qui constitue la loi du devenir pour le dire un peu comme ça et qu’est-ce que l’« ouvert » dans l’entropie ? c’est par exemple la localité de la terre dans la biosphère ; cette petite planète-là, à l’échelle du système solaire, il s’y produit quelque chose de très particulier qu’on appelle la biosphère ; si on en croit l’état actuel de la connaissance de l’univers, il n’y a que là que se produit une activité de production d’oxygène, de calcium etc. dans ces proportions et ça, c’est ce que va décrire Vernadsky qui va faire le lien avec la théorie de l’entropie et avec Alfred Lotka ; la première fois que je vois le nom de Lotka, c’est chez Vernadsky. Lotka lui-même est un théoricien de l’entropie qui va essayer de montrer que dans le système de la physique, il faut développer un modèle qui est le vivant ; Lotka n’est pas biologiste, il n’est pas physicien non plus, il est chimiste et il dit qu’il faut produire une biochimie, une chimie qui soit propre au vivant ; mais à la fin, il dit, en discussion avec Teilhard de Chardin d’ailleurs, que cette biosphère se transforme en technosphère et que celle-ci va produire du soufre en très grand quantité et de la pollution – c’est le premier qui parle de l’Anthropocène, ce n’est pas du tout Paul Crutzen comme on nous le dit tout le temps, non, c’est Vernadsky qui a parlé de l’Anthropocène en premier, il n’a pas employé le mot, il appelait ça la technosphère. Donc il faut relire tous ces textes, il faut les prendre un petit peu au sérieux pour essayer de penser la constitution de l’internation.
Pourquoi ? Alors j’en reviens un peu à Mauss, j’a d’ailleurs déjà présenté ce texte-là ; Mauss nous dit (p. 630 du troisième volume des œuvres aux Editions de Minuit) qu’il faut penser quelque chose qui est l’internation et qui est le contraire d’a-nation : c’est pas l’internationale qui balaye les nations ; c’est une internation qui dépasse les nations comme un nouvel exorganisme supérieur (ça c’est moi qui le dit, c’est pas Mauss) mais ce dépassement ne détruit pas les localités ni nationales, ni régionales ni métropolitaines etc. il y a des localités. Le problème c’est que Mauss dit ça mais en même temps il n’a pas la notion de l’entropie ni de la néguentropie. De toute façon la notion de l’entropie négative n’a pas encore été produite à ce moment-là (1920) mais par contre, il voit venir le problème du nationalisme ; il dit : c’est le contraire du nationalisme qui isole la nation ; voilà, c’est notre cahier des charges ; nous allons devoir penser une localité dont la nation est une des dimensions, une des échelles. Alors qu’est-ce qui s’y passe à cette échelle ? alors ça c’est l’enjeu des élections de mai prochain : c’est comment on va définir ce qui se passe à cette échelle. En fait on ne le définira pas parce qu’on se réveille avec 50 ans de retard, donc il aurait fallu enchaîner sur Marcel Mauss en 1920 et continuer à travailler, ce travail n’ayant pas été fait, je pense que l’extrême-droite va diriger l’Europe dans très peu de temps et Salvini sera à la tête de cette direction, ça semble extrêmement probable. Alors qu’allons-nous faire ? nous allons prendre des fusil-mitrailleurs, poser des bombes etc. ? pourquoi pas mais je pense que nous allons devoir travailler, càd que ça va nous réveiller tout ça et il n’y a pas mieux que de travailler dans la clandestinité ; c’est très intéressant, ça vous oblige à être économe ; quand je dis dans la clandestinité, j’exagère, je dramatise, je romantise mais ce que je veux dire par là c’est qu’on va devoir travailler dans des conditions difficiles, il faut s’y préparer et c’est de ça aussi dont il s’agit dans ce séminaire ; il faut nous préparer à travailler dans un contexte qui sera très défavorable et à produire une hypercritique qui va nous permettre de dire par exemple aux nationalistes : vous vous trompez, la nation n’est pas ce que vous croyez, bien sur que la nation c’est super important, c’est ce que disent les gilets jaunes, mais la nation n’est pas ce que vous dites ; lisez Marcel Mauss avec Schrödinger, avec Guiseppe Longo, et donc réinventons une économie. C’est ce qu’on essaye de faire dans ce séminaire.
Pour le faire, il faut étudier un peu l’histoire ; il faut se souvenir par exemple qu’à l’époque où ce texte est écrit, Marcel Mauss commente en réalité l’actualité de la Ligue des Nations, la SDN, mais qu’aujourd’hui la Ligue des nations c’est devenu une coupe de football ; qui se préoccupe encore de la Ligue des nations ? Ligue des Nations c’est en fait la traduction d’un texte d’Emmanuel Kant qui est L’idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique ; Mauss en parle de la Société des Nations ; il dit : si boiteuse qu’elle soit, il nous faut travailler avec la Société des Nations. Si nous voulons comprendre le sens historique de ce texte, il faut d’abord nous souvenir qu’il est issu de la première guerre mondiale, Traité de Versailles et donc sortie de la guerre, tentative d’éviter la deuxième guerre mondiale, que par ailleurs la deuxième guerre mondiale, c’est le contexte de ce texte-là, celui de Mauss (1920) soit deux après le Traité de Paix signé à Compiègne en 1918 ; puis ce texte de Lotka,1945, juste à la sortie de la sortie de la deuxième guerre mondiale, il ditThe law of evolution p. 189↩︎ : « l’exosomatisation c’est d’abord la guerre, c’est d’abord la destruction » donc il faut absolument produire des nouveaux savoirs qui nous permettre de continuer cette expansion de l’exosomatisation en évitant de détruire, de produire la guerre. Aujourd’hui, la guerre elle existe ; vous pourriez me dire, on va aller à Genève le 10 janvier 2020, on ne sort pas d’une troisième guerre mondiale ; mais si, on est dans la guerre économique mondiale et qui va peut-être bien finir par une guerre mondiale tout court, c’est même très vraisemblable ; mais aujourd’hui, on est dans une guerre économique, je n’ai pas cessé de le répéter sur tous les tons, qui a détruit beaucoup plus que les deux premières guerres mondiales, en terme de nombre de morts, de gens affamés, de régions détruites, polluées, de savoirs éliminés etc. c’est une catastrophe. C’est ça le contexte dans lequel nous tentons de penser ensemble et ce que je vais vous proposer dans les séances suivantes, ce sera de revisiter en détail les conditions dans lesquelles Marcel Mauss articule l’économie, la nation et la technologie avec l’internation. Il faudrait que vous (re)lisiez, je pense que beaucoup l’ont fait ici, le texte qui a été republié aux Editions Quadrige aux Presses universitaires de France pour voir ce que raconte Marcel Mauss sur qu’est-ce que c’est que la langue, son rôle dans la nation, sur qu’est-ce que c’est que l’échange économique, qu’est- que c’est que la loi ; il dit qu’une nation c’est toutes sortes de couches et on ne peut pas les séparer comme ça et donc il décrit tout ça ; il ne le fait en tant que socialiste, membre de la deuxième Internationale, mais en tant qu’anthropologue ; il dit : en tant qu’anthropologue je pose que… ; on ne peut pas, par exemple constituer une communauté, qu’elle soit d’ailleurs nationale – pas seulement nationale – si on n’a pas un certain nombre de processus d’unification de ce type-là ; pour ça, il faudra aussi étudier un petit peu – je ne le ferai pas dans le séminaire - Niklas Luhmann dans son concept de « Système social » qui est un écrivain extrêmement difficile à lire, pas aussi dur que Whitehead mais parfois presque ; j’ai ai lu un qui est traduit en français qui s’appelle Politique et complexité ; je vous recommande de le lire, c’est un petit texte où il parle de ce que j’appelle les exorganismes complexes inférieurs et les conditions dans lesquelles ils forment ensemble un exorganisme complexe supérieur – il n’emploie pas cette terminologie bien entendu mais c’est ça qu’il est en train de décrire, c’est un juriste, Niklas Luhmann (1927-1998), un philosophe du droit et il essaye de penser les conditions d’un droit dans le monde ultra informationnel et industriel dans lequel il vit; il est mort maintenant mais il vivait jusqu’à la fin du XXème siècle.
Alors, la thèse que je soutiens - que je vais soutenir dans ce mémorandum et que je vais essayer de faire adopter par l’ensemble des signataires de ce mémorandum - c’est que l’internation, ça devrait devenir le nouvel exorganisme complexe supérieur ; je vous ai montré tout à l’heure des corporations du Moyen-âge qui n’existent pas sans un exorganisme supérieur qu’est l’Eglise – je ne vois pas le pape François se poser aujourd’hui en fondateur d’un nouvel empire « glocal » chrétien, je pense qu’il n’a pas du tout ce genre de fantasmes, mais par contre la nécessité d’un exorganisme supérieur est absolument impérative ; si on ne produit pas ça on n’a pas de paix ; ce qui permet d’éviter la guerre c’est la supériorité de ce qu’on appelle la civilisation tout simplement produite elle-même par les savoirs, les savoirs de Niklas Luhmann, de Alfred Lotka, de Marcel Mauss mais aussi les savoirs des mères qui s’occupent de leur bébé, des cuistots qui savent faire la cuisine etc. et de tout ce qu’on a détruit par la dénoétisation dont je parlais tout à l’heure et maintenant cette dénéotisation commence dès les premiers jours de la vie, dès les moments où le bébé commence à téter, ça y est, soit il y a un smartphone, soit c’est une « deuxième maman » qui va s’occuper de lui, c’est absolument monstrueux et ça c’est une société de barbares qui développe un tel point de vue. Si on veut dépasser une telle situation, c’est très difficile et ça peut paraître parfaitement désespéré, je ne le crois pas, moi, que cela soit désespéré, mais c’est vrai que c’est extrêmement improbable (si on n’a de l’espoir que dans les choses probables, ce n’est pas de l’espoir, donc ne peut espérer que dans ce qui n’est pas probable mais pour développer cet espoir, il faut cultiver des savoirs et ces savoirs, ils doivent réinterpréter des savoirs anciens). J’avais parlé, l’année dernière, à la fin de ce séminaire, de Machiavel, en particulier du Prince – mais aussi de Tite-Live – que j’ai beaucoup commenté dans Qu’appelle-t-on penser ?, Machiavel qui va commencer à penser les exorganismes complexes supérieurs et inférieurs ; c’est ça qu’il est en train de décrire ; comment dans les villes il y a des agents qui vont arriver à s’agréger, comment ce qu’il appelle un seigneur, une seigneurie, va être capable de produire une supériorité capable de tenir tête au pape, dit-il, et derrière, Hobbes va enchaîner avec sa théorie archi-exosomatique, parce que la première page de Hobbes, c’est la description d’un exorganisme ; il dit : l’Etat ça a un cœur, des nerfs, sauf que ces nerfs ce sont des poulies, il appelle ça lui-même une machine donc c’est un point de vue exorganique ; mais il y a quelqu’un qu’il faut lire et qui est beaucoup plus important dans la réalité du monde actuel - parce que Hobbes, il n’y a plus grand monde sauf les historiens du droit ou de la philosophie qui se réfèrent à lui – je vois pas de juristes qui convoquent Hobbes mais par contre, John Locke oui, il est toujours une référence pour défendre la propriété alors, moi qui suis un ancien marxiste déchaîné – maintenant je suis un marxien raisonnable – il y avait des gens que je ne voulais pas lire ; c’était Arnold Toynbee, Max Weber et John Locke, des théoriciens de la propriété ; j’ai changé d’avis ; John Locke était un théoricien de l’exosomatisation parce qu’il dit : je ne suis qu’à travers les objets que je produis ; ma subjectivité juridique càd ce qui me constitue en sujet de droit c’est pas le droit naturel comme on dit tout le temps ; non ; c’est le droit exosomatique càd que c’est le fait que si j’ai produit quelque chose cela m’appartient, c’est me léser que de me le prendre parce que c’est un organe qui me constitue ; c’est pas simplement que j’ai le droit d’avoir un smartphone, non, ça me constitue - on pourrait se demander est-ce que le smartphone me constitue justement ; là, c’est une question – mais je suis en train d’écrire la suite de Qu’appelle-t-on penser ? sur ces questions-là donc ce sont des éléments en arrière-plan pour essayer de penser une internation qui serait basée sur une économie contributive qui repense complètement la propriété et qui devient une propriété collective qui n’est pourtant pas une collectivisation. Nous essayons en ce moment de cultiver un dialogue avec l’AFD, l’Agence française de développement, sur les communs et aussi sur des modèles nouveaux de propriété collective et nous pensons que l’internation doit développer une économie contributive qui revalorise, à travers cette propriété collective, des savoirs ; Elinor Ostrom, c’est la femme qui a eu le Nobel d’économie sur l’économie des « communs », a posé, et ça a été très montré par Charlotte Hess qui est une de ses élèves de l’Ecole de l’Indiana, que, dans un livre qui a été publié par Benjamin Coriat, que ce qui constitue les communs c’est le « savoir partager » ; elle en parle à propos des Indiens qui prennent soin des ressources halieutiques qui les font vivre, dont ils se nourrissent et dont ils ont un savoir, parfois extraordinairement élaboré ; ce n’est pas un savoir académique, démonstratif mais qui peut être extrêmement élaboré. Ce qu’on essaye de faire à Plaine commune c’est de reconstituer les communautés de savoir sur ces modèles-là qui sont des communautés de savoir et qui sont aussi des communautés de propriétés collectives, locales ; telle école de foot autour du Stade de France par exemple va développer une certaine manière de dribler qui va être enseignée, c’est un savoir, un savoir qui produit de la valeur ; et dans cette production qui est basée sur la thèse qu’un savoir a pour finalité de produire des bifurcations anti-anthropiques avec un a et un h, il faut poser que l’universel est diversel càd que l’universel se présente toujours de manière diverselle. La diversalité « universelle » du vivant organique, càd végétal et animal, et du vivant exosomatique càd noétique (ou ce qu’on appelle l’homme) procède de l’inachèvement fondamental et fonctionnel de l’entropie négative au sens strict – càd telle qu’elle ne saurait être confondue par exemple avec l’ordre des structures dissipatives (ça c’est l’erreur de Rodier, il ne voit pas que les structures dissipatives ne sont pas un modèle qui produit de l’anti-anthropie), celles-ci ne constituant aucune anti-entropie. Nous pensons donc que refonder un discours de droit, qui lui-même serait au service de l’économie de la contribution qui revaloriserait les savoirs, ça suppose de faire une revisitation très complète – immense chantier – des débats avec Prigogine, Atlan, tous ces gens-là, pour aller reprendre toutes ces questions qui sont des grandes questions d’épistémologie, d’épistémologie de la thermodynamique, de la biologie et de la théorie de l’information parce que si on veut comprendre ce que c’est qu’un smartphone, il faut faire tout ça ; si on n’est pas capable de faire ça, on ne peut pas faire une critique du smartphone et prescrire, puisque le but, je le redis, c’est pas de rejeter les smartphones, c’est d’en prescrire, avec les services d’Orange pour ce qui nous concerne, avec les designers d’Orange, les gens qui fabriquent des business-models pour Orange, c’est d’en prescrire une pratique responsable, une pratique anti-anthropique.
Là je voudrais faire un petit retour sur les localités dont je disais que Marx et Engels ont tendance à dire, au début du Manifeste communiste en 1948 – d’ailleurs ça commence comme ça : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous », c’est l’internationalisme prolétarien, puis ensuite, c’est dans le corps du texte, un des énoncés les plus fameux de ce Manifeste communiste : les corporations, les localités, les capitalisme les balaye et la bourgeoisie est la grande classe révolutionnaire et libératrice dont on a besoin pour accéder à ce qui viendra derrière et qui s’appelle le communisme. Je pense qu’il faut revenir sur ces analyses ; quand je dis revenir, ça ne veut pas dire les invalider ; je suis un immense admirateur de Marx et de Engels aussi d’ailleurs ; ce que je dis, c’est qu’il faut les resituer comme par exemple Einstein resitue Newton dans la physique du XXème siècle ; bien sûr que c’est très pertinent ce qu’ils disent là mais c’est relativement pertinent ; pourquoi ? revenons vers les corporations aujourd’hui ; par exemple notre camarade Emmanuel Faber qui dirige une de ces corporations (Danone) est en compétitions avec 9 autres corporations qui sont des corporations planétaires, Coca-cola, Nestlé, PepsiCo, Kellogg’s etc. qui sont des géants de l’alimentation industrielle, ce qu’on appelle l’agro-industrie. Ce sont des corporations dans le langage américain ; quand on dit qu’il y a un langage d’entreprise on dit un langage corporate ; nous les européens nous avons éliminé ça peut-être parce qu’on a pris Marx au sérieux en disant tout ça c’est du passé ; non, ce n’est pas du passé. Les corporations, il y en a de toutes sortes, elles sont généralement situées dans des lieux emblématiques (bâtiments) constitués par leurs sièges sociaux et de types divers (Cooperative Corporation, Private Corporation, Public Corporation etc.). Ce sont des corps et ce ne sont pas simplement ce nous on appelle en France des Corps constitués, ce sont des corps au sens où moi je parle d’exorganismes complexes et si l’on veut produire une économie de la contribution capable de traiter d’un avenir durable, il va falloir qu’on se mette à travailler là-dessus ; il y a un droit des corporations, anglo-saxon, qui s’impose de plus en plus au droit des entreprises européennes d’ailleurs, et il va falloir le redéfinir en revisitant John Locke et en redéfinissant ce que c’est que la corporéité collective parce que s’il y a propriété collective il y a corporéité collective et comment il y a une localité dans tout cela.
Les corporations ont commencé au Moyen-âge – je vous recommande ce film qui s’appelle Le code du travail au Moyen-âgehttps://www.youtube.com/watch?v=ggftguKz7CY↩︎ et il décrit vraiment bien ce qui s’est passé au Moyen-âge et comment les corporations ont produit des Maisons des corporations et dans toutes les villes flamandes ou wallonnes vous trouvez ces façades caractéristiques (à Venise également) de la fin du XIXème siècleVraisemblablement dès le XVIème siècle dans une ville marchande comme Amsterdam (voir Le clan Spinoza)↩︎ ; ce sont les maisons des merciers, des bateliers, des archers, des ébénistes, des boulangers etc. Ce sont des corporations mais ce sont des exorganismes complexes inférieurs parce que, s’ils ne sont pas reliés entre eux par une autorité spirituelle, ils ne peuvent pas travailler ensemble, Nous, nous sommes après la mort de Dieu, au sens de Nietzsche, mais nous ne sommes pas débarrassés de Dieu, c’est Freud qui l’a dit, quand il (Dieu) est mort, il est encore plus vivant ; il s’appelle le fantôme de Dieu, donc il revient de plus en plus ; et dans tous les cas nous ne sommes pas débarrassés du spirituel et de la supériorité, nous devons absolument penser cela et cela a suppose de repenser les localités et leurs fonctions qui sont des matrices de la noodiversité ; les localités, c’est ce qui produit, à travers la diversité idiomatique, ce que j’appelais tout à l’heure la différance idiomatique avec un a, des matrices de noodiversité. Par exemple quelle est la fonction de l’université de demain ? c’est d’être une localité qui va faire se rencontrer des savoirs des gens liés à un territoire et qui va produire de la diversification anti-entropique ; alors, ça, si nous voulons y travailler, ça veut dire que nous devons réélaborer des principes du droit de l’internation ; c’est très ambitieux et c’est pour ça que nous avons opéré un rapprochement avec le Collège de France et avec Alain Supiot parce qu’il pose ces problèmes par exemple dans ce textehttps://www.college-de-france.fr/media/etat-social-mondialisation-analyse-juridique-solidarites/UPL3387902048762374764_Esprit_nov08_inscription_territoriale_des_lois.pdf↩︎ L’inscription territoriale des lois que je vous recommande de lire en lisant aussi un texte de Mikhaïl Xifaras qui est prof de droit à la chaire de droit de Sciences Po et qui lui-même s’est intéressé à la codification à travers laquelle un grand juriste allemand qui était le professeur de Marx, Carl de Savigny (1779- 1861) avait développé contre le code Napoléon en défendant les codes locaux de l’Allemagne et ce qui est extraordinaire c’est que Marx travaillait là-dessus avec Savigny et qu’il admirait. Ça c’est important parce que je pense qu’il faut que nous cassions les idées que quand on est marxiste on ne s’intéresse pas au droit ; ce n’était pas le cas de Marx, pas du tout, le premier bouquin de Marx c’est sur le droit hégelien donc il faut sortir de ces postures qui font qu’on ne pense plus du tout l’avenir politique parce qu’on n’y croit plus en fait et pour ça il faut se tourner vers Supiot et travailler avec des gens comme ça.
Au cours de années précédentes, j’ai essayé de montrer pourquoi et comment les exorganismes simples, vous et moi, se rassemblent dans des exorganismes complexes, la Maison Suger, l’IRI, l’Université catholique de Lille, qui eux-mêmes qui eux-mêmes contribuent au développement d’exorganismes complexes supérieurs et que tout ça suppose des processus d’individuation liés entre eux ; cette individuation se fait à travers des flux qui viennent bombarder ces différentes instances et que au stade déjà anticipé par Lotka en 1926 et que nous vivons nous maintenant dans l’Anthropocène, là où le bébé et son doudou se connectent avec la plateforme satellitaire que je présentais toute à l’heure, ces flux deviennent désindividuants, dénoétisants, prolétarisants et donc destructeurs de toute capacité de produire de l’anti-entropie, y compris pour les vivants, parce que la stérilisation du maïs ça fait partie de la même logique (et quand je dis ça je dois préciser que je ne suis pas contre les OGM ; je ne suis pas contre à priori quoi que ce soit, je veux juger sur pièces ; mais dans l’état actuel des choses, je suis archi-contre les OGM). Notre but aujourd’hui, c’est de constituer une technosphère accomplie càd inachevée ; l’accomplissement, c’est l’accès à la plénitude mais c’est pas l’achèvement, c’est l’inachèvement au contraire ; ça c’est ce que montre Simondon ; et l’inachèvement, c’est la culture de l’anti-entropie ; cette technosphère pourrait se constituer à partir d’une supériorité technosphérique qui serait portée par une instance légitime et durable que nous appelons l’internation et qui constituerait l’ère Néguanthropocène ; ça suppose, je l’ai dit souvent, une néguanthropologie càd que cela suppose d’entrer en discussion avec l’anthropologie notamment celle de Claude Lévi-Strauss, un élève de Marcel Mauss, pour ce qu’on a un peu commencé à faire en vérité depuis 2 ou 3 ans à l’IRI maintenant à travers différents séminaires ; la question du droit dans ces conditions là, ça devient celle de la supériorité ; évidemment, c’est très compliqué à manipuler là aussi parce que très vite le néo-libéralisme – ne parlons pas de l’ultra-libéralisme – va pouvoir produire une supériorité calculatoire ; on va calculer votre rate, votre ranking ; non, justement, votre supériorité ne procède justement pas du calcul, justement pas de l’algorithmique ; elle procède de quelque chose de différent qui ne rejette pas l’algorithme, tout comme la cause finale et la cause formelle ne rejettent pas la cause efficiente et la cause matérielle, au contraire, elles en sont un agencement ; ce n’est pas du tout un rejet mais c’est une prescription de droit et qui pose que le fait n’a aucun droit à s’opposer au droit et qu’il faut toujours maintenir une différence entre le fait et le droit. Ça, ça suppose de faire une critique de l’efficience et de la faire honnêtement càd en lui reconnaissant sa grandeur, sa puissance (l’exemple que je donne toujours : 3 heures pour être livrés d’un bouquin par Amazon à Paris ; un bouquin tiré à 800 exemplaires, difficile de faire mieux côté efficacité). Donc ces satellites qui se connectent avec les doudous en même temps ils apportent des bouquins à toute vitesse… Il ne s’agit pas de rejeter tout ça ; il s’agit de le prescrire. Pour ça il faut un droit et ce droit doit s’appuyer sur les considérations d’Alfred Lotka : c’est le droit de ce qu’il appelle l’orthogenèse ; l’orthogenèse, c’est la sélection artificielle ; c’est une sélection qui va être non pas adaptative mais que j’appelle moi adoptive (je vais adopter une situation en y sélectionnant à l’intérieur à travers une critériologie qui n’est pas du tout fournie par le modèle darwinien de la lutte pour la vie, qui n’est pas incompatible avec ce modèle parce que si c’était incompatible, ce ne serait pas possible, mais qui va au-delà. Il faut lire ce texte – je ne sais pas si vous l’avez lu, ça fait trois ou quatre ans que j’en parle – il est court, il faudrait qu’on le traduise en français, il faudrait qu’on l’édite parce que c’est un texte absolument fondamental et il faudrait qu’on le commente parce que par exemple, Lotka parle de « adjustors » ; qui sont les adjustors ? Ce sont ceux qui vont rendre possible l’adoption prescriptrice d’un nouveau stade de l’exosomatisation : la bombe atomique, les OGM, les modes de production industriels de BASF, etc. Pourquoi est-ce que ça m’intéresse ? pour deux raisons, d’abord, moi, je parle d’ajustement et de désajustement depuis très longtemps – je reprends une terminologie qui n’est pas du tout celle de Lotka mais de Bertrand Gilles, historien qui a fait une analyse sublime dans les Prolégomènes à l’histoire des techniques de La Pléiades en disant : à partir du XIXème siècle – ça c’est ce que ne comprennent pas les néolibéraux dont parle Barbara Stiegler dans son dernier livre ; Lippmann croit que soudain un désajustement se produit mais ce que montre Leroi-Gourhan et après lui Bertrand Gilles, c’est que ce désajustement, c’est le début de l’humanité ; et Freud le dit très bien dans la lettre de 1897 dont je parlais tout à l’heure, le désajustement c’est pas un truc qui survient avec le début de l’industrie ; par contre, avec l’industrie, il y a une accélération, une intensification et une dramatisation du désajustement qui engendre des guerres mondiales, des catastrophes, des crises économiques terribles et donc ça devient un problème qu’on ne peut plus éviter. Alors, ce que j’essayerai de montrer, non pas dans ce séminaire mais dans le bouquin que je suis en train d’essayer de finir, c’est que si on veut comprendre ce que c’est que l’ajustement et le désajustement et la responsabilité qui est celle des adjustors (ce sont ceux qui produisent des bifurcations néguanthropiques càd qui produisent du savoir et qui sont capables d’adopter les organes exosomatiques) il faut lire Anaximandre lu par HeideggerDans Les chemins qui mènent nulle part La parole d’Anaximandre↩︎. Il y a un texte qui s’appelle La parole d’Anaximandre, qui est un texte absolument génial de Heidegger, où il commente Anaximandre dont on a un fragment, on ne connaît en fait qu’une phrase d’Anaximandre, tout le reste c’est de la doxographie, et Heidegger dit, dans cette phrase où il est question de dikè et d’adikia - de justice et est-ce qu’on doit traduire adikia par injustice ou a-justice ? Vaste question ; il dit : la question qui est dans tout ça c’est le Fugen (le disjoint) càd ajointement (joint - dikè) et le disjointement (disjoint - adikia) mais en fait ça pourrait se dire l’ajustement et le désajustement. Ce que dit Heidegger de ce texte d’Anaximandre, qui est un premier texte sur la justice en fait – on ne peut pas dire de philosophie du droit mais c’est un texte qui pose la question que toute philosophie du droit commence par poser : qu’est-ce que la justice et qu’est-ce que le droit par rapport à la justice ? – dès ce texte d’Anaximandre, la période présocratique, la question du désajustement est posée ; je vous recommande de le lire de près, c’est un texte assez difficile mais extrêmement important parce que ce que montre Heidegger de manière vraiment impressionnante, c’est que ce désajustement c’est ce qui « ouvre » l’extase du temps, ce qu’il a appelé dans Sein und Zeit, la différenciation entre le passé, le présent et l’avenir et le fait que toujours le temps est en train de passer et que sans cesse je me désajuste de moi-même dans le temps qui passe ; or qui est-ce qui a dit ça avant Heidegger ? C’est Nietzsche dans Zarathoustra et il faut savoir qu’avant de faire ce cours sur Anaximandre, Heidegger a fait un cours sur Zarathoustra ; je vous le dis parce que ce que je vais essayer de faire en lisant Mauss dans les semaines prochaines, ça va être de tenir Mauss avec Locke, avec Anaximandre, avec Heidegger et avec un certain nombre d’autres où il s’agit, au bout du compte, de penser quoi ? la souveraineté, parce que ce que j’appelle depuis tout à l’heure les exorganismes complexes supérieurs, c’est ce qu’on appelle depuis pas mal de siècles les exorganismes souverains, les Etats souverains, les seigneurs souverains etc., la souveraineté ; j’en ai parlé moi-même de la souveraineté, en prenant des risques parce que c’est un terrain glissant, dans Etat de choc et en particulier à la page 10, au tout début du livre, où j’ai essayé de montrer que il fallait un peu s’inquiéter de voir les agences de notation remettent totalement en cause la souveraineté nationale, ce qui n’était pas une façon de réhabiliter la nation comme le nouvel horizon de la souveraineté mais en tout cas c’était questionner le fait qu’on fasse passer la souveraineté entre les mains de gens qui font de l’évaluation comptable, avec des indicateurs algorithmiques en plus et selon des critères de comptabilité qui sont hautement problématiques parce que ils sont producteurs d’entropie, c’est ce qu’on essaye de dire à Plaine commune, ce sont des indicateurs qui sont fondés sur la valorisation de l’entropie càd de ce qui détruit le monde ; ce que je veux dire, c’est qu’il ne faut pas avoir peur de revendiquer une nouvelle conception de la souveraineté – Derrida ne voulait pas entendre parler de ce genre de possibilité-là, pour lui c’était archaïque, c’était régressif, c’était un retour à la métaphysique ; je ne suis pas du tout d’accord avec ça, parce que sinon, c’est la souveraineté fonctionnelle et donc de l’efficacité d’Amazon qui s’impose, donc il y a une souveraineté inférieure càd destructrice et productrice d’entropie. Il faut produire une souveraineté supérieure, constructrice, productrice d’anti-entropie.
C’est un enjeu extrêmement important qu’on trouve chez Georges Bataille et dans le commentaire que fait Derrida ici dans L’écriture et la différence p. 369 de plusieurs textes de Georges Bataille, en particulier de L’expérience intérieure mais pas seulement – je pense que vous savez que Bataille était un lecteur à la fois de Hegel et de Nietzsche, ce qui n’est pas évident ; si on suit les deleuziens, on peut difficilement être à la fois lecteur de Hegel et de Nietzsche ; Bataille contestait ça et Derrida a lu ça de très près et en essayant de montrer que peut-être il fallait aller au-delà aussi de la lecture de Hegel faite par Bataille telle qu’elle s’appuie sur Kojève et Hyppolite, Alexandre Kojève, qui est un russe professeur de philosophie en France, qui a introduit un petit peu Hegel en France et Jean Hyppolite qui lui a succédé en ayant une autre lecture de Kojève qui, à mon avis, est beaucoup plus respectueuse du texte de Hegel mais Derrida nous dit que peut-être les deux doivent être dépassés. Pourquoi est-ce que je vous dis cela ? c’est pour vous rappeler ce que je soutiens depuis plusieurs années - je suis très surpris de voir Derrida encore reprendre à son compte dans son livre la dialectique du maître et de l’esclave ; il dit le « maître » c’est Herrschaft mais il ne critique pas la traduction de Knechtschaft par « esclave » ; ce n’est pas du tout esclave que désigne Knechtschaft ; ça désigne des artisans, des serf ; et ces serfs, ce sont eux qui inventent le droit du travail à travers les corporations en relation avec un exorganisme complexe supérieur qui s’appelle l’Eglise. Donc il y a une superficialité de la lecture de Hegel qui est aussi contestable que la superficialité de la lecture de Marx et si nous voulons, nous, nous émanciper de tout cela, nous devons alors relire tous ces textes très rigoureusement et de manière très exigeante. Ces serfs du Moyen-âge vont devenir les bourgeois des Flandres à la Renaissance qui vont créer le capitalisme ; c’est la bourgeoisie émergente, et c’est ça que dit Hegel, il n’a jamais dit que la Knechtschaft c’est le prolétariat. Je le répète donc, c’est extrêmement important si nous voulons le problème d’une économie contributive de l’internation et d’une supériorité ; quelle est la nouvelle supériorité qui s’impose à la Renaissance, càd la nouvelle souveraineté ? voilà les questions qu’il nous faut poser pour être capables de produire une nouvelle légitimité sinon, nous n’aurons pas la paix comme le dit MaussMauss propose ici une sorte de souveraineté supranationale – une limitation des souverainetés nationales - à travers la Société des Nations : « Le Pacte de la Société des Nations, même s’il reste inappliqué, a consacré un principe juridique nouveau : c’est le caractère permanent absolu et inconditionnel du principe d’arbitrage qu’il propose. »↩︎ ; le problème de Mauss c’est de dire : la guerre va revenir si on ne produit pas une internation et il avait raison, la guerre est très vite revenue. Et c’est aussi ce que disent ce que j’appellerais l’internation des gilets jaunes ; en fait, des gilets jaunes, il y en a partout en ce moment ; il y en a en Amérique latine, il y en a dans toute l’Europe centrale etc. C’est un peu comme 1848, ça a commencé avec les Journées de 48 et puis ça s’est multiplié ; 68 aussi, mais pour moi 1968, ça n’a pas grand-chose à voir avec tout ça ; c’est un mouvement tout à fait différent, un mouvement culturel.
Nous devons nous poser ces questions en revisitant la Société des Nations en relisant aussi le texte d’Emmanuel Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, les thèses de Kant sur l’histoire universelle et la possibilité de constituer une Ligue des Nations ; c’est Kant qui a formulé ça et c’est là-dessus que Wilson s’appuyait pour justifier sa proposition d’américain aux yeux des Européens ; donc il faut le lire pour interroger ce qu’est le discours du capitalisme tel que Lacan l’interroge dans Le séminaire Livre XVII L’envers de la psychanalyse et la fonction de l’université là-dedans ; Lacan a dit, vous le savez bien : je ne suis pas anticapitaliste forcément comme ce jeune homme-là ( Daniel Cohn-Bendit toisant un policier, photo de couverture). Mais par contre, dit-il, il va crever, le capitalisme ; c’est important de réfléchir aux raisons pour lesquelles il dit cela. Si on veut travailler là-dessus, il faudrait visiter des théorie comme par exemple l’économie de fonctionnalité (qui n’est pas exactement telle qu’elle est définie ici ; notice Wikipédia) que mobilise Clément Morla à Plaine commune avec nous puisqu’on essaye de développer une économie de la fonctionnalité locale ; là (notice Wiki) c’est pas le cas mais en même temps il faut aller regarder de près ce qu’ils disent là parce que en même temps ils disent des choses importantes en terme d’ingénierie, d’analyse de la valeur etc.; donc tout ce chantier de l’internation, ça doit intégrer tout ça, des questions d’ingénierie sur lesquelles on ne peut pas bricoler, on ne peut pas se permettre comme ça d’avoir des points de vue approximatifs ; on doit aller au plus près des réalités actuelles et c’est parce qu’Amazon fait ça que cette société s’impose souverainement et donc si nous ne sommes pas capables de produire ça au même niveau, c’est pas la peine d’aller pleurer contre Amazon.
J’avais essayé de théoriser toutes ces choses avec l’idiotexte que là je vous présente avec une autre figure que la spirale habituelle ; là c’est un séminaire que j’ai donné il y a 7 ou 8 ans, c’est parce que je vous parlais tout à l’heure de Jacques Lacan et qu’il s’agit chez lui, tout comme chez Freud mais aussi chez Heidegger dans un sens différent, de das Ding, qui se traduit par la Chose, c’est ce qui constitue le point de fuite du désir chez Lacan par exemple ou chez Freud ; et si je vous le présente, c’est parce que vous avez bien vu que mes spirales, elles ont un trou à l’infini ; dans ce trou, il y a das Ding, et ces spires, qui constituent l’accès à ces trous, elles sont constituées de rétentions primaires, secondaires et tertiaires, psychiques, collectives etc. et elles sont le fruit d’une blessure, d’un trauma ; c’est ce que dit Pindare dans le discours de Perséphone, dans le fameux mythe de Perséphone tel qu’il est raconté dans le Ménon. Le trauma, voilà le point de départ. Aujourd’hui, il se passe beaucoup de choses dans l’exosphère, dans la technosphère – je dis l’exosphère parce que la technosphère elle est sur la terre mais autour de la terre il y a une exosphère - , par exemple ce réseau satellitaire qui n’est pas dans la biosphère mais au-delà ; la biosphère, elle, s’arrête à l’atmosphère et la stratosphère ; au-delà, il y a une exosphère qui héberge des satellites à toutes sortes d’échelles de 3000 à 400 km jusqu’à 36 000 km et puis il y a aujourd’hui la conquête par la Chine de la face cachée de la lune ; ce que je veux dire, c’est qu’il y a un exorganisme complexe supérieur qui est en train de se constituer et qui s’appelle la Chine et nous ne pouvons pas l’ignorer. S’il faut lire Yuk Hui, son texte sur la question de la technique en Chine, c’est parce que Yuk essaye de penser ces questions-là contemporaines en essayant d’interpréter La question de la technique de Heidegger depuis cette culture d’un exorganisme supérieur qui est l’Asie chinoise et nous allons nous-mêmes essayer, à mon avis ça va être très difficile, je crais que ce ne soit pas possible, d’intégrer le point de de vue de l’Asie, de l’Asie chinoise en particulier, dans l’internation (je ne suis pas sûr que le parti communiste chinois soit très friand de ce genre de proposition mais on ne sait jamais.
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