Séance 6
Exorganologie II Remondialisation et internation
Bernard Stiegler,
« Séance 6 »,
dans
Michel Blanchut,
Victor Chaix (dir.),
Le séminaire Pharmakon en hypertexte :
2019 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures
numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2019/seance6.html.
version 0, 20/12/2025
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International (CC BY-NC-SA 4.0)
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Je commence par cette projection là parce que pour ceux des personnes ici qui ont suivi les cours pharmakon, ils savent que j'ai deux figures de poissons. Celui-là, le poisson volant, qui est version Chagall. Et puis il y a un autre qui est un poisson qui s'appelle le saumon, qui remonte le temps. Pour moi la philosophie c'est ce qui remonte le temps, toujours. En vue de retourner aux zones de frai, c'est-à-dire à l'endroit d'où on vient. Donc c'est pourquoi je vous disais, la semaine, il y a deux semaines, nous remontons le temps dans ce séminaire, depuis le XXIe siècle dans lequel nous vivons maintenant, jusque vers ce qui se produit il y a environ 4 milliards d'années, j'avais présenté, ce que je fais de plus en plus souvent d'ailleurs, une note Wikipédia, avec une échelle comme ça, qui vous rappelle, ou qui vous apprend, parce que parfois nous ne savons pas ce qui se passe autour de ces quatre milliard d’années où par exemple, vous apprenez qu'en fait, les fleurs, et tout ça, c'est apparu il n'y a pas très longtemps, cette échelle-là. C'est assez récent les fleurs, un peu plus vieux que les hommes, mais pas tant que ça. Et si j'avais dit cela, c'était parce que je voudrais que nous remontions le temps pour aboutir finalement ici, rue Suger, à la Fondation des Sciences de l'Homme dans ce séminaire qui pose que la localité n'est pas réductible, enfin, l'est de fait, mais pas le droit. C'est ce que je soutiens. Et que, par exemple, ce séminaire est localisé, rue Suger en France, dans une institution qui s'appelle la Fondation des Maisons des sciences de l'Homme. Alors, quelle est cette localité dans laquelle nous sommes, ici, rue Suger, à la Fondation des sciences de l'Homme, c’est la biosphère. C'est-à-dire que cette échelle de temps qui remonte à 4 milliards d'années, elle ne se produit que dans la biosphère. Elle ne se produit pas ailleurs, elle se produit peut-être, mais j'ai vu un article il y a deux ou trois jours signalant qu'une astrophysicienne avait repéré, sur une exoplanète, enfin disons dans un autre système solaire, stellaire, des lumières qui ne pourraient être que des lumières de vie. Alors est-ce que c'est une fake news ça, comme dit Donald Trump ? Il y en a tout le temps, je suis tout petit, on n'arrête pas. En tout cas, en principe, à ce que nous savons, c'est que la vie, elle existe dans la biosphère, mais pas ailleurs. Peut-être ailleurs, on dit probablement ailleurs, mais les probabilités nous donnent à penser qu'elle devrait être aussi ailleurs. Mais nous ne connaissons en droit et à partir de l’expérience, qu’un lieu, qu'une localité, un lieu à la vie, qui s'appelle la biosphère. Et quand je dis localité, ça ne veut pas dire l'église de Saint-Germain-des-Prés, ça ne veut pas dire l’église d’Epineuil le Fleuriel, ça veut dire la localité comme concept scientifique. Par exemple, scientifiquement parlant, la biosphère c'est une localité. Même si je crois que quand Vernadsky a produit ce concept de biosphère, le concept même de localité n'existait pas encore. Je ne pense pas qu'il soit apparu avant Schrödinger, je me trompe peut-être, mais je ne crois pas. Et donc, Vernadsky lui-même certainement ne pensait pas encore formellement à la biosphère comme une localité, au sens du concept que j'essaie d'utiliser là pour dire la néguentropie. Par contre, je pense que, même s'il n’aime pas ce concept-là, c'est bien comme une localité, ce n’est pas bien « comme », il le dit explicitement, je vais vous montrer ce qu'il se passe sur le plan de la chimie des choses qui n'arrivent que dans l'atmosphère. La localité nous fait un petit peu peur en ce moment parce que, voilà, le localisme est devenu un slogan politique, dont je vais vous en reparler dans un instant d'ailleurs, et qui n'est pas tout à fait celui de nos amis. Donc ça nous effraie un peu, mais il faut avoir un peu de courage. C'est effrayant, mais il faut avoir le courage de ses opinions, on dit. Et nos opinions, c'est que la localité n'est pas réductible. C'est bien triste qu'il n'y ait que le Rassemblement national pour en poser la question, mais c’est un fait, il n'y a que le Rassemblement national. Même les écologistes ne posent pas ce problème. Ou alors c'est des écologistes très actionnaires comme Antoine Waechter qui les posait il y a longtemps avec des bases pas du tout sympathiques. Nous nous sommes localisés Rue Suger à la MSH Paris-8 dans le collège d'études mondiales en plus, et à une époque où la biosphère qui est devenue une technosphère, ce que Vernadsky avait lui-même anticipé en 1926, et qui est plus précisément une exosphère. Ce n'est pas simplement une technosphère dans la biosphère, c'est une technosphère autour de la biosphère. Donc c'est une exosphère. Et ça, Vernadsky par contre, ne l'a pas problématisé. Et nous sommes localisés ici Rue Suger, mais aussi à Marseille. Je ne sais pas si Colette est là, mais en tout cas, Colette Tron que vous voyez de temps en temps, est à Marseille. Cette localité dans laquelle nous sommes, c'est une localité exosphérique. C'est-à-dire que c'est une localité réticulée. Par exemple, Epineuil-le-Fleuriel est réticulée avec Val-en-Sully, Montluçon, par des réseaux routiers qui sont apparus probablement il y a pas mal de siècles qui sont devenus goudronnés il n’y a pas si longtemps que ça, etc. Epineuil-le-Fleuriel, un village de 400 habitants est dans une communauté réticulée autour de petites villes qui elles-mêmes sont réticulées par des métropoles. Enfin, il n'y a pas de métropoles justement dans ce coin-là. C'est pour ça qu'on appelle ça le désert français. C'est pour ça que je m'y plais bien. Mais, il y a plein de gilets jaunes aussi qui sont sympathiques. Même s'il y en a qui sont moins sympathiques que d'autres. En tout cas, ce que je veux dire c'est qu'il y a aussi des amis en Pologne, il y a aussi des amis en divers endroits du monde. Et ce que je veux dire, c'est que la localité, elle est toujours, premièrement, elle est toujours distribuée. Par exemple, là je vous dis, nous sommes rue Suger, mais moi je suis à cette place-là. Clément est là-bas. Donc il n'est pas le même endroit que moi. Donc cette petite localité dans laquelle nous sommes elle est distribuée, et elle est distribuée de toutes sortes de manières en plus, qui ont tendance toujours à nous échapper. Que cette localité soit distribuée et se revendique comme telle, en tout cas moi je la revendique comme telle, c'est ce que je suis en train de faire en ce moment, ça veut dire qu'elle est ouverte. Localité ouverte. Ça, ça a été beaucoup théorisé, les systèmes ouverts, Bertalanffy, Prigogine etc. Bergson avant tous ces gens-là d'ailleurs. Enfin, voilà. Quant à nous, nous essayons de faire en sorte que la technosphère exosphérique reconnaisse les localités, qu'elle les reconnaisse, y compris les nations, oui, je n'ai pas peur de dire ça, moi, et je pense que les localités dans les systèmes dynamiques ouverts, c'est ce qui donne de l'avenir au système dynamique ouvert. Et donc, ce sur quoi nous travaillons dans ce séminaire qui est lié à Plaine-Commune, mais aussi au groupe Genève 2020, qui s'appelle également Internation.world. Si vous n'avez pas encore vu ce site, allez-y. C'est le site à travers lequel, c'est l'instrument de travail que nous avons mis en place avec Jacomo qui a pour but de parler à l'ONU et à travers l'ONU à la planète. Ce que nous posons donc, c'est qu'il y a la technosphère, elle est là, on ne la rejette pas. Par contre nous posons que, même si c'est ennuyeux que ce soit le Front National qui le dise aujourd'hui le plus fort, eh bien nous aussi nous le disons il faut de la localité, pas du localisme, de l'ouverture, c’est pas du tout la même chose. Et l'ouverture c'est l'avoir lieu. Il faut qu'aient lieu les choses. Et pour que ces choses aient lieu, c'est-à-dire pour que des évènements arrivent, et bien il faut ces localités ouvertes distribuées, réticulées etc. Et il faut faire une pharmacologie de cet avoir lieu. Parce qu'un avoir lieu, un événement, par exemple, je prends un événement, la crise de la Bastille en 1789, en France, cet événement, tout le monde le connaît. Cet événement va engendrer une série d'autres événements. La décapitation de Louis XVI, la décapitation de Robespierre, la décapitation d'à peu près tout le monde en fait. Alors, est-ce que c'est une pharmacologie de la Révolution ça ? Est-ce que ça veut dire que l'événement s'est retourné ? En fait le vrai problème c’est Napoléon, si vous voulez. Mais en même temps Napoléon, si vous lisez Hegel, c'est fantastique. Napoléon c'est la liberté en route sur son cheval ; Hegel dit j’ai une révélation, la phénoménologie de l’esprit elle est là sur son cheval et je la vois passer. Donc c'est compliqué tous ces machins-là. Alors après il y a des gens qui disent oh les méchants trucs, oh les gentils machins, ils ont regardé trop de films de Hollywood, donc ils pensent qu'il y a des gentils d’une côté des méchants de l’autre ; nous nous ne croyons pas ça, nous pensons qu’il y a de la localité, que la localité est toujours ambigüe et que les premiers à être ambigus, c'est nous. Nous sommes tous ambigus. Et donc nous avons tous besoin de nous orienter, de nous construire, alors j'appelais ça il y a deux ans, des cosmologies. Parce que je pense qu'il faudrait introduire de la localité dans l’astrophysique, et la localité dans l’astrophysique c’est la cosmologie, non pas au sens vague employé par toutes sortes de gens, mais au sens de ce qui a été détruit par Galilée, Newton, etc. C'est-à-dire au sens d'Aristote, et aussi les cosmologies indiennes etc. Il faut réinscrire des lieux. Il faut que ces lieux soient mis au cœur de l'économie politique. Ces localités et leurs relations, et leur capacité d'avoir lieu, c'est-à-dire d'être ouvertes, soient mises au cœur de l'économie politique. Évidemment, donc, le problème étant pour nous que la seule organisation politique qui dit des choses qui ressemblent à ce que je viens de dire, qui ne font que ressembler c'est le Rassemblement National, et un type qui s'appelle Juvin, qui était, c'est important de le rappeler, un conseiller de Raymond Barre, il a un petit passé néolibéral qu'il ne faudrait pas oublier et qui se réclame de Claude Lévi-Strauss et de Philippe Descola et peut-être bien de Eduardo Viveiros de Castro qui est la grande référence américano-latine, la version sud-américaine de Descola et de Lévi-Strauss dont je pense, moi personnellement, que c'est pas forcément très rigoureux. Mais ça on en reparlera. Au cours des milliards d'années devenant des millions d'années, puis des milliers d'années, puis des siècles, puis des années, et puis des mois - en disant cela, je vous présente une espèce d'échelle logarithmique à l’envers, décroissante - j'essaye, à travers cette espèce de scalabilité algorithmique de vous donner à sentir ce que j'avais essayé de décrire dans un séminaire, je crois que c'est celui de l'année dernière, un changement d'échelle de temps et aussi d'espace, constant, ça change sans arrêt l'échelle de temps et d'espace je redis que ces changements d'échelle de temps et d'espace ; c'est à la fois le problème de Poincaré en mathématiques et d'Einstein en physique. Je cite ça parce qu'ils gèrent des questions comme ça, tous les deux, ils gèrent des problèmes, par exemple, de train, comment éviter que les trains se rencontrent et qu'il y ait des accidents. Donc il gère des problèmes de synchronie et de diachronie. Une diachronie pauvre, une diachronie physique, mais une diachronie quand même. Tout ça fait exploser l'ensemble des cadres, métaphysiques, théologiques d’abord, physiques, mathématiques, logiques. Tout ! psychiques, sociaux, tout explose. Absolument tout. Et je pense que ça a commencé il y a quand même pas mal d'années, ça fait au moins 150 ans que ça a commencé. Et je pense que ce n’est toujours pas digéré par le système académique, qui n'est toujours pas capable parce qu'il refoule la localité au nom de quoi ? Des Lumières. C'est-à-dire de l'universel qui a écarté tout ça en mettant le particularisme réactionnaire par exemple des Chouans, des Corses, je ne sais pas quoi. Eh bien tout ça est intact quasiment, ça reste, il gouverne absolument tous les systèmes de prise de décision, tout ce que j'ai appelé autrefois l'orthogénèse parce que s'il y a une évolution orthogénétique, il faut des critères de décision, et c'est les critères eux-mêmes, c'est ça l'orthogénèse. Et bien on a aujourd'hui une orthogénèse de critères de décision, c'est-à-dire une calendarité, une cardinalité - c'est ça qui permet de prendre des critères de décision - qui date du 18e siècle, toujours. On a déconstruit le 18e siècle, mais il faudrait peut-être commencer à déconstruire le 19e et le 20e siècle, et peut-être même le 21e siècle, et par exemple, Descola. Tout cela, en tout cas à travers des changements constants de scalabilité, d'échelle, de temps et d'espace, fait que la localité paraît disparaître, semble disparaître, semble s'évaporer et devenir impertinente. Et c'est absolument une illusion, une illusion a-transcendantale, une illusion générée par une facticité. Pourquoi ? C'est parce que les échelles changent tout le temps, nous n'arrivons plus à reconstituer nos capacités à distinguer le local de ce qui n'est pas. Et évidemment c'est très ennuyeux parce que par exemple, c'est comme ça qu'on peut distinguer l’entropie de la néguentropie, ce n’est que quand on distingue le local de ce qui n’est pas local qu’on peut distinguer l’entropie de la néguentropie. Il faut qu’il y ait des limites. Alors ça, ça fait peur, j'avais déjà dit ça il y a deux ans. J'avais commencé mon séminaire il y a deux ans en disant Donald Trump pose un problème, c'est le problème des frontières, et c'est un vrai problème. Vous ne pouvez pas avoir d'organisation sans limite. Ça, ça n'existe pas. Ça existe au paradis, ça s'appelle Dieu, mais ce n’est pas encore réalisé sur Terre. C'est pour ça que notre séminaire est dans ce champ de tensions, de complexité, d'aporie, de danger. C'est un terrain archi-miné, extrêmement dangereux. Il va nous falloir être extrêmement lucides, résolus, par exemple, avoir des arguments extrêmement précis à répondre à M. Juvin. M. Juvin qui a fait un discours il y a deux jours, je vous recommande de l'écouter - il n'a pas fait un discours, il a été invité par France Culture, à la grande table, deux ou trois jours, je vous recommande notamment de l'écouter, il est brillantissime, il précise qu'il n'est pas membre du Rassemblement national, c'est-à-dire qu'il est sur la liste des Européens, voilà, et qu'il soutient le programme de Rassemblement National tout en n’étant membre de ce parti. Et il développe des tas de trucs, j’ai parlé de ça avec Franck Cormerais tout à l'heure au téléphone, il s'est... C'est vertigineux parce que... Oui, à l'entendre on se dirait... Mais, mais, il y a des tas de choses qu’il ne dit pas. L’entropie, la néguentropie, qu'est-ce qu'il a à dire à ce sujet ? Rien du tout. Or c'est ça le vrai sujet. Donc, je ne crois pas du tout qu'il faille s'enfuir en étant effaré par la proximité de son propos avec le nôtre. Je pense qu'il faut lire ce propos, il faut l'analyser, le critiquer. Très précisément, il faut faire de la vraie critique. C'est-à-dire la critique au sens d'Emmanuel Kant. Notre discours à nous, ce n’est pas le localisme, c'est le discours sur l'entropie, la néguentropie et l'anti-entropie. Dans ce discours, la localité est irréductible. Maintenant, la localité dans ce discours est toujours ouverte. Si elle ne s'ouvre pas, elle disparaît. Et à partir de là, il faut construire un appareil très concret, très précis, de concepts implémentables ou incrémentables. Ça, c'est ce qu'on essaie de faire pour Plaine Commune et c'est ce qu'on essaie de faire pour Genève 2020. Et pour que ça soit possible, il faut pratiquer ce truc du poisson volant. Qu'est-ce que c'est que le poisson volant ? Cette métaphore que j'ai utilisée il y a quinzaine d'années, que je soutenais, on est noétique que par intermittence. Par moment, on sort de l'eau. Il faut être capable de sortir de son milieu pour pouvoir le considérer de l'extérieur. Mais comme le poisson volant, dès qu’il est sorti de son milieu, il est foutu, il est obligé de replonger parce qu'il a besoin de reprendre de l'oxygène par la voie aquatique, et non pas aérienne. Je ne sais pas si ça vous est arrivé de voir des poissons volants, j’en ai vu pas mal dans la méditerranée entre la Corse et l’Italie, ce sont des poissons et Il y en a qui volent deux à trois minutes, on dirait vraiment des oiseaux. Ce ne sont pas des oiseaux, ce sont des poissons. Et donc ils retombent. Donc, qu'est-ce que je veux dire en me référant ici aux poissons volants ? Il faut sentir de son élément c'est-à-dire de sa localité. Une localité ouverte, ce n'est pas simplement qu'elle est accueillante à ce qui vient de l'extérieur, y compris ce qu'elle mange, ce qu'elle assimile, le charbon, toutes sortes de marchandises, etc. Il faut aussi qu'elle soit capable de sortir d'elle-même, c'est-à-dire d’aller ailleurs, de migrer. Ce n’est pas du localisme du tout ça. C'est par contre du respect de la localité. Et c'est un respect qui est obligatoire dans les raisons scientifiques et qui par ailleurs c’est ce que nous cherchons tous. Chaque fois que nous partons en vacances, nous cherchons à rencontrer des localités, des gens qui vivent dans cette réalité dont nous admirons les localités, etc. Ah que c'est beau Venise, ah que c'est beau la Corse, ah que c'est beau le sud marocain, ah que c'est beau, etc. Même New York, même Los Angeles, même la Lune sur une station lunaire aménagée par Elon Musk, je suis sûr que ça serait franchement impressionnant. Alors, cette différenciation qui s'opère à travers ce qu'on appelle plus généralement l'évolution depuis Lamarck. Cette évolution qui, disons-nous, commence à 4 milliards d'années, qui donne des multicellulaires, puis etc. puis finalement des êtres exosomatiques comme nous, puis finalement des exorganismes exosomatiques hypercomplexes. Derrida, dans De la grammatologie, son ambition c'est de dire on va redéfinir de A à Z les conditions de la biologie. Enfin, il dit discours sur la vie, pas simplement la biologie. Et comme vous le savez peut-être, puisque maintenant ça a été publié récemment, il avait fait un séminaire en 75-77 sur le livre de François Jacob, La logique du vivant. Et notre ami Francesco Vitale a écrit un livre, qui s'appelle La biodeconstruction. Si je le dis, c'est parce que Derrida a beaucoup, beaucoup essayé de théoriser la biologie mais en même temps, je dis souvent, pardon de me répéter, je trouve que le concept de différance avec un a reste extrêmement abstrait et nous nous cherchons à élaborer un concept de différance concrète. La différance concrète, ça n'est pas l'archi-écriture, ça n'est pas le quasi-transcendantal, non. Elle n'est pas du tout transcendantale la différance avec un a, elle est immanente au contraire. Parfaitement immanente. Et c'est cette immanence qui nous intéresse. Maintenant cette immanence qui, Deleuze disait parfois, comporte une transcendance dans l'immanence dans le sens où il essayait de reconstruire ce qu’il a appelé un empirisme transcendantal en passant d’ailleurs par Hume, la question de ce que Hume appelait les principes qui ne sont pas des idées a priori, mais qui sont par contre des structures qui se maintiennent à travers l’empiricité et ça, Derrida lui donnait un nom très précis, il appelait ça le métempirique. Si vous voyez par exemple une structure métastable, comme un tourbillon dans l’eau qui se déforme, sa forme tourbillonnaire se déforme donc elle va bouger, elle est métastable, et du coup elle est métempirique, c'est-à-dire qu’à travers l’empiricité, elle maintient sa forme. Je pense que c'est ça les enjeux de l'empirisme transcendantal de Deleuze ; je ne suis pas sûr que tous les deleuziens seront d’accord avec moi pour le dire, en tout cas, moi, ce qui m’intéresse c’est de travailler sur ces questions-là, de combattre les artifices rhétoriques comme « quasi-transcendantal, archi-machin », etc. qui me fatiguent.
Ça a eu la nécessité que ça avait à l'époque, ça a été très utile à l'époque de Derrida de produire ces concepts, mais aujourd'hui je pense qu'on peut en produire de nouveaux. Et par rapport à ça, aujourd'hui j'avance cette idée de ce que j’appelle l'exo-transcendance. Comme vous le savez, Emmanuel Kant rappelle que transcendant, ça peut avoir deux sens. La transcendance, ça peut être la transcendance au sens de ce qui est en dehors de moi et m’englobe, par exemple l’atmosphère est transcendante par rapport à moi. Et puis ça peut avoir le sens de Dieu, la transcendance de Dieu c'est-à-dire un absolu sur une autre échelle. Je prends dans le premier sens, un plan entre le premier et le deuxième, l'exotranscendance de la technique. Qu'est-ce que c'est ? C'est quelque chose qui est empirique, c'est un immanent, donc c'est pas du tout sur un autre plan, et ça produit des effets d'autre plan. Ces effets d'autre plan, Deleuze leur donne deux noms : premièrement, le plan de consistance, et deuxièmement, le désir. Et je pense que là, il faut reprendre ces analyses-là en relisant aussi Freud et en critiquant tous ces gens-là. Freud, Deleuze et... en disant bon très bien mais ça ne suffit pas, parce que ça manque un peu de... ça manque de... de tanin je dirais peut-être, en termes d'amateur.
Qu'est-ce que c'est que l'exotranscendance ? Pourquoi est-ce que je l'appelle comme ça, en connotant la transcendance au sens de l'autre plan ? Eh bien c'est ce qui fait que le poisson sort de l'eau par intermittence. Le poisson noétique, le poisson volant intermittemment sort de l'eau. Par exemple, quand il se met à dessiner, quoi ? Un oiseau. Un oiseau, mais qui est un oiseau artificiel, qui sont des ailes d'oiseau en fait, et qui sont le dessin de Léonard de Vinci qui sera réalisé en 1880 par Clément Ader, ça s'appelle un avion. Ça c'est de l'exotranscendance. C'est-à-dire que c'est la capacité de ce que j’appelle la faculté de rêver des rêves réalisables. C'est pour ça que ce n’est pas une simple immanence, c’est une immanence dans laquelle se produisent des capacités d'ouverture intermittentes qui relèvent la faculté de rêver noétiquement. Alors, tout ça aura pour conséquence que nous sommes situés dans le temps, je parlais d’échelles tout à l'heure, la scalabilité n'est pas la même du tout aujourd'hui que la fin du XXe siècle. La fin du XXe siècle, les techniques du type de ce que fait Google, par exemple, c'était en train de sortir à Stanford comme une hypothèse, mais ça ne fonctionnait pas encore. Aujourd'hui, ça affecte absolument toutes les activités de n’importe qui. Donc en 20 ans, ça a proliféré et ça nous a fait totalement changer d'échelle. Nous sommes situés dans le temps et si nous sommes situés, c'est que nous sommes dans une situation temporelle. Une situation temporelle que j’ai appelée l'absence d'époque. Et ce site temporel, qui est caractérisé aujourd'hui comme absence d'époque, dans la disruption comme nihilisme accompli configure une spatialité. Par exemple, Skype. S’il n'y avait pas tout ce que je viens de vous dire il n'y aurait pas ce séminaire. Donc s’il n’y avait pas d’exosphère il n’y aurait pas Skype. Il n’y aurait pas ce séminaire ; donc si ce séminaire n'arrive pas d'abord à intégrer ses propres conditions de possibilité pour penser ce qu'il pense, ce n'est pas un séminaire sérieux. Malheureusement, ce que je crois, c'est qu'il y a énormément de séminaires qui n'atteignent jamais leurs propres conditions de possibilité. Donc, je crois qu'il n'y a pas beaucoup de séminaires vraiment sérieux. Les conditions de ce séminaire, c'est l'exosphère. Si il n’y avait pas ça, qui est exactement ce dont nous sommes en train de dire que c'est la condition du nihilisme, que c’est la domination du calcul, que c’est la destruction structurelle et irresponsable de la localité, parce que ça engendre le localisme, il n'y aurait pas ce séminaire. Donc, il faut faire une pharmacologie de l'exosphère et de la technosphère. Et c'est ce que j'appelle la différance concrète de la localité. Parce que la localité, quand on dit qu'il faut qu'elle soit ouverte, ça veut dire qu'il faut la différer. Comment différer les frontières ? En différer les frontières, ça veut dire les repousser, les ouvrir, les rendre perméables, etc. Pour amener la localité, il ne faut pas la fermer. Et donc, j'appelle ça la différance de la localité. Et c'est ça que j'essaie de représenter depuis 40 ans maintenant à travers ces figures (idiotexte). Ça, ça représente la différence de la localité. C'est extrêmement complexe, c'est hologrammatique, c'est fractal on pourrait dire aussi, et ça pose peut-être un problème qui me dépasse totalement moi-même. Différer la localité, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire la localiser en multiples manières. pollakos legetai. Je le dis en grec parce que c'est une expression d'Aristote. Dans la métaphysique, Aristote commence par dire l'être se dit en multiples manières to on pollakos legetai, la localité tout autour. Par exemple, la localité de ce séminaire, on peut dire elle se trace dans le fait qu'elle est en tant que linguistique, en français. On marque la localité du fait qu'elle est en français. On pourrait dire en termes géographiques qu'elle est dans l'hémisphère nord, il fait jour. Si nous étions avec Dan Ross, qui arrive parfois à pouvoir connecter, il se ferait nuit chez lui. Alors comment est-ce qu'on intègre cette nuit et ce jour dans cette localité, vaste question qui était un grand sujet de Paul Virilio. Mais on pourrait décliner, je pourrais vous montrer qu'on peut décliner sur des centaines, voire des milliers d'aspects différents de la spécificité de cette localité. Et c'est évidemment pour ça que ça fait peur aussi la localité, on n'arrive jamais à l'attraper. C'est comme le temps, on dit « oh le temps ! » Dès qu'on en parle, pfff, il s'échappe. C'est comme les poissons volants, si vous essayez de les attraper, ils sont tout gluants. Ça fait peur, mais en temps c'est précisé ça le sujet. Il ne faut pas en avoir peur. Il faut différer la localité, il faut la différer dans le temps aussi longtemps qu'il est possible, c'est-à-dire il faut en différer la fermeture. Les localités finissent souvent par se fermer. Les localités ouvertes finissent par se fermer. Comment est-ce qu'ils se ferment ? Ben, par exemple, le Centre Pompidou, quand il se fixe pour objectif, c'est pour ça que je l’ai quitté, de faire 20 000 entrées par jours et que cela suffit et c’est réglé, pour moi il est foutu, c’est plus le Centre Pompidou. D’ailleurs il est objectivement fermé parce qu’avant, beaucoup de gens ne le connaissent pas, il était totalement ouvert et il y avait des gens du monde entier qui venaient au Centre Pompidou en disant « Oh, la France, c'est vraiment incroyable ! » C'est fini ça. Et c'est la France qui est finie avec ça. Bien plus qu'avec Notre-Dame, à mon avis. Mais, ça, c'est la fermeture. C'est-à-dire l'entropie. L'entropie que j’écris à la fois avec un e et avec un a et un h. Alors, il faudrait, je m'excuse je suis trop long, parce que là je suis toujours dans le résumé. C'est important, je vous l'ai déjà dit, la différence noétique est la différence concrète de la localité dans l’exo-transcendance. Oui, en effet, je pense que c'est très important. Je pense que c'est un énoncé théorique qui est construit. Et avec ça on peut discuter avec Juvin. Mais en tout cas, on peut critiquer ce que dit Juvin. Il faudrait commenter, donc, par exemple, ce texte de Heidegger, très peu connu, je dois vous l'avouer, je ne l'avais jamais lu. C'est dans le cahier de l’Herne Heideggerhttps://www.pileface.com/sollers/pdf/cahier_de_lherne_n_45_heidegger.pdf page 73↩︎, ce texte-là, je l'ai lu il n'y a pas très longtemps. Il était extrêmement intéressant. Je vous le recommande de le lire, il est très court. Il fait tout un... d'abord toute une histoire des... par exemple, du principe de contradiction des modèles classiques dont il montre qu'en fait ce sont des structures dans l’histoire qui se transforment ; ce n’est pas très loin de ce que j’essaye de décrire comme ce que j'appelle une exorganogenèse de la noèse. Mais par ailleurs une critique de l'historicisme. Je ne vais pas vous en parler maintenant, c'est juste une référence que je donne et mais par contre je donne une autre que je vous recommande beaucoup. C'est un livre de Jean Toussaint Desanti qui s'appelle Les idéalités mathématiques qu’il a écrit dans les années 60 je crois et où il dit ceci : « Quel est le lieu de ta parole quand tu ne parles plus ? Et ta « science », Archimède, quel devint son lieu à l’instant même où – dit-on - sur la plage déserte, un soudard qui peut-être ne parlait pas ta langue, t’a brisé la tête. Elle était écrite, en partie. Par chance ? par nécessité ? Et pourquoi, écrite, n’a-t-elle pas dormi, inerte et tranquille ? Quel est donc ce lieu qui n’est ni Ciel ni Terre, où la Mathématique produite, peut ne pas mourir ? ... La science, qu'elle devint son lieu. Vous vous souvenez, je parlais de l'humus noétique, de la nécromasse noétique. Archimède est toujours là. Donc la question que pose Desanti qui à l'époque est un marxiste - Il n'a plus été après, mais à l'époque il est encore marxiste donc, matérialiste, il dit, mais quoi est passé ta science alors ? Tu étais vivant, tu es mort, et ta science est toujours là, il se demande mais où est-elle ? Il ajoute, elle était écrite en partie, donc elle est sous forme rétentionnelle et probablement dans une bibliothèque. Par chance, par nécessité, pourquoi ça a été écrit ? Pourquoi écrite n'a-t-elle pas dormi inerte et tranquille ? Qu'est-ce qui fait qu'ayant été écrite elle a continué à vivre en fait. Puisqu'elle est morte. Si elle est écrite, c'est, voilà, je le répète, c'est la nécromasse noétique. Pourquoi elle vit quand même ? Elle vit à travers des lecteurs, ce que Husserl appelle « la communauté idéale des géomètres » et il termine en demandant ; quel est donc ce lieu qui n’est ni Ciel ni Terre, ni Ciel, qui est la transcendance du Dieu créateur ni Terre, càd l’immanence dans laquelle on trouve ce que j’appelle l’exo-transcendance des objets techniques. C'est ce qu'il y a entre les deux. Quel est donc ce lieu qui n'est ni ciel ni terre où la mathématique produite peut ne pas mourir ? C'est très puissant ce texte. Pourquoi est-ce que c'est très puissant ? Parce que depuis Platon, on pose la question des mathématiques en tant qu'elles sont immortelles. C'est-à-dire qu'elles ne subissent pas cette contingence accidentelle qui touche ce que Aristote appelle le sublunaire, c'est-à-dire ce qui est sur terre, dans l’immanence. Peut-être que je reparlerai, je crois, tout à l'heure, de Jean Toussaint Desanti parce qu'à la fin de cette introduction, de cette préface, il y a quelque chose d'une extraordinaire actualité. Qu'est-ce que c'est que cette situation ? Ni ciel, ni terre. Ce que de Desanti appelle le lieu ici, c'est ce que j'appelle le nécromasse noétique et Bachelard lui-même a posé cette question à travers le concept de bibliomène. Je vais d'ailleurs reprendre De la grammatologie le concept de bibliomène qu'il présente ici, ça c'est donc page 14 et 15 d'un texte de 1930 où il parle de l'instant de la science écrite, de la pensée imprimée, qui constitue un milieu polémique et qui est « l'ordre des livres ». C'est extrêmement important, ça c'est le débat, c'est de l'exorganologie absolument parfaite. Il faut donc savoir que Derrida a repris ce truc-là à l’époque de La grammatologie en 67-68 et il faut savoir aussi et surtout que Husserl, quand Bachelard a écrit ce texte-là, Husserl n'avait pas encore prononcé la conférence L'origine de la géométrie. Dans laquelle Husserl dit d'un seul coup sans écriture pas de géométrie. Ce qui est une bombe phénoménologique. C'est la bombe atomique qui désintègre la phénoménologie. Il faudrait relire Husserl, Bachelard et Desanti qui était un spécialiste de Husserl, Desanti enseignait la phénoménologie. Aujourd'hui, ce sont des gens qu'on ne cite plus jamais, or ils sont extrêmement importants. Il faut les retravailler et si on a une discussion à avoir avec Vincent Bontems et le CEA, c'est sur ce registre là qu’il faut les relancer et pas sur des histoires de communication et de publicité pour les exoplanètes. Alors, cette nécromasse noétique, elle prend des formes diverses, comme vous le savez, j'ai déjà montré cette image, ça c'est une image disons autour de la Renaissance à l'âge classique, voilà, le 16e, 17e, 18e, et puis aujourd'hui c'est ça (data center). Évidemment, l’homologie de perspective est intéressante, mais aujourd'hui c'est ça la réalité. Donc si on ne travaille pas sur ces trucs-là, et qu'on reste enfermé là-dedans, on devient ce qu'on appelle un rat de bibliothèque mais si aujourd’hui, si on veut vraiment faire de la philosophie, de la science, de la politique, de l'économie, c'est là qu'il faut se mettre à travailler. Et parce que les livres sont là en plus. Bien sûr, on peut aller à Trinity College ou bien à la Bibliothèque Nationale, très bien. Mais la vraie vie où Archimède est vraiment lu, etc., c'est plus là (la bibliothèque) que ça se passe. C'est là (le centre de données). Et d'ailleurs vous n'avez qu'à passer dans la rue qui est derrière Normale Sup. Vous voyez la bibliothèque, où sont les étudiants de Normale Sup ? Quand vous longez la bibliothèque qui est tout en verre et ultra-moderne, vous voyez que les étudiants, ils sont tous sur leur ordinateur. Parfois ils sortent des livres mais ils sont quand même à 95% du temps sur l'ordinateur, en train de naviguer dans des bases de données scientifiques, etc. de temps en temps ils sortent un livre que Normale sup a parce que c'est vraiment… Donc, il est extrêmement important de comprendre que ça, c'est ce qui constitue la concrétude, la différance concrète du fonds pré-individuel simondonien que je représente comme ça. Le fonds pré-individuel, c'est la grande spirale en pointillé, par exemple dans ce cas-là, et elle est supportée par des rétentions tertiaires hypomnésiques digitales, qui sont, par exemple les Data centers, qui sont eux-mêmes reliés aux satellites, qui nous permettent de discuter avec Colette Tron, Paolo Vignola, Paul Widmark, etc. via Skype. Donc si nous ne faisons pas la situation de notre localité en intégrant ça et beaucoup d'autres choses qu'il faudra intégrer qu’on nous reproche de ne pas intégrer comme la consommation électrique des Data centers, j'ai quand même écrit un livre où j’en parle mais on m'a reproché autrefois de ne pas parler de la consommation des véhicules électriques chinois, ça c’est vrai que je n’en ai pas parlé et il faudrait en parler. On est, ce qu'on appelle dans le langage parfois caricatural du marxisme, un idéaliste. Nous ne sommes pas, en tout cas moi, je ne suis pas un idéaliste. Je suis un hypermatérialiste. Et je pense qu'il faut penser tout ça pour pouvoir sortir de l'eau, régulièrement, essayer de pa/enser avec un a et un e. Tout ça est fondamental pour interpréter et panser avec un a l'histoire de l'Europe, telle qu'elle en a bien besoin, telle que cette histoire, on va engendrer l'histoire dans la technosphère, parce que c'est l'Europe qui déclenche tout ce processus, Copernic, Galilée, Kepler, Pologne, Italie, c’est toute l’Europe qui engendre tous ces machins qui vont faire que l'Europe et son histoire va se déborder à la fois à l'Est, avec Marco Polo, par exemple. Donc, j'étais très ému quand j'étais à Venise, je me suis mis à lire plein de trucs sur Marco Polo et tout à coup j’ai été très ému de savoir qu'il a habité, là où j'enseigne, en Chine, à Hangzhou, incroyable ça. Il est venu là à la demande de l’empereur mogol pour contrôler les percepteurs de l’empire pour voir s’ils ne détournaient pas du fric. Vous savez, les Chinois, ils savent toujours très bien utiliser des occidentaux. Et à l'Ouest, bien entendu, il y avait Christophe Colomb. Donc il va y avoir à un moment donné, comme ça, une expansion soudaine qui va se produire à l'ouest par Colomb et cette histoire, vous connaissez bien, qui va totalement reconfigurer l'Occident, mais à l'est, vers la Chine avec Marco Polo, mais aussi avec la Karl Marx. Il y a eu deux grandes pénétrations en Chine. La première pénétration, c'est ce qui va être un régime de la colonisation avec Marco Polo, un commerçant, puis les jésuites, puis la guerre de l'Opium. C'est une chose qu'il faut regarder de près. Gerald Moore, dans un de ses derniers textes, qu'il a fait circuler, il fait référence rapidement à la guerre de l'opium, mais il montre que c'est là que le capitalisme anglais a commencé à élaborer une politique industrielle de l'addiction. Et que l'opium, il n’a pas simplement intoxiqué les chinois de manière honteuse parce que ce qui est absolument honteux de la part des anglais, des allemands puis des français, c'est d'avoir empêché l'empire chinois d'empêcher la consommation d'opium donc de limiter l'intoxication. Mais ce que montre aussi Gérald, c'est que ça s'est aussi traduit par des fumeries d'opium à Londres, un peu partout, et une intoxication de l’occident lui-même assez importante dont, évidemment, toute l’addictologie industrielle dans laquelle nous sommes aujourd'hui avec les smartphones, tous ceux dont nous parlons, dans la clinique contributive de Plaine Commune, etc. sont des versions récentes.
Alors, vous savez, cette fameuse histoire de nécromasse noétique de noodiversité morte qui fait les affaires touristiques de l'Italie qui est une des grandes dimensions de son économie aujourd'hui, et bien Sigmund Freud en avait aussi fait l'allégorie de l'inconscient en se référant à ça justement, ce que je suis en train de vous montrer comment là (vue du forum romain). Il va en Italie, il est totalement ébloui. Et il écrit sur... voilà. l'inconscient c'est quelque chose comme ça. C'est-à-dire avec des couches, ça s'accumule, ça se dissimule, etc. Et de temps en temps on peut excaver des choses. Et finalement faire revivre du mort, voilà, pour curer, pour prendre soin de celui qui est en analyse ou de celle qui est en analyse. Ici, je voudrais adresser quelques questions, formuler quelques questions. Premièrement, qu'en est-il de la constitution de l'Europe contemporaine ? Quand je dis l'Europe contemporaine, je parle de l'Europe de 2019. Et quand je dis sa constitution, je veux dire comment elle est... comme on dirait la constitution d'un athlète, c'est-à-dire, il est de bonne constitution ou de pas très bonne constitution, il marche un peu trop, par exemple, au dopage, etc. etc. Quel est l'intérêt ? je ne se prend pas la constitution au sens politique mais la constitution au sens physiologique, la techno-physiologie européenne contemporaine. Où en est-elle ? Et comment celle-ci est-elle colonisée ? Je pèse mes mots, je n’ai pas peur de dire ça. Et pillée, délocalisée par des logiques de plateforme technosphérique et exosphérique qui lui ont totalement échappé alors que c'est elle qui est à l'origine de ces logiques de plateforme. C'est en Europe que ces logiques ont été pensées, élaborées, théorisées, notamment au Centre national d’étude des télécommunications avec lequel j'ai travaillé, donc vous savez vraiment bien de quoi je parle. Il y a quelqu'un ici qui y a travaillé aussi. Et en quoi il résulte de cela, en Europe, une indifférence de l'anthropie, avec un a et un h, qui menace fondamentalement l'Europe. Je viens de passer un week-end à Venise, je n'étais pas en vacances, je suis allé travailler, mais voilà, j'ai vu plein de machins comme ça (image d’un yacht de luxe). Et puis, deux semaines avant, trois semaines avant, j'étais en vacances avec mon fils à Capri, et en face de... j'avais loué un truc super, super... à la... comment s'appelle... la... la Marina Piccola de Capri. Capri il y a deux côtés, il y a la ville de Capri qui est absolument insupportable, il n'y a que des magasins de Rolex, c'est absolument grotesque. Et de l'autre côté vous avez la petite plage, la Piccola, la Marina Piccola. Alors là, c'est divin, absolument divin. C'est là que se passe le Mépris de Godard. Là, on voit les belles fesses de Brigitte Bardot nager dans l'azur. C'est fantastique. C'est le paradis. Donc, je voulais passer une semaine cool dans mon petit appartement au paradis. Et qu'est-ce que j'ai en face de moi ? Cette merde ! (Stiegler parle du yacht). Enfin, c'est de la merde, tout pareil. Et alors, d'abord je me dis mais qu'est-ce qu'il fout là ce machin et à partir de dix heures du soir il s'allume, il y a des rayons lasers, il y a boum boum boum, Boîte de nuit, casino, je me dis mais je vais aller foutre une charge d'explosifs, c’est abominable. Mais ça, pourquoi est-ce que je dis ça ? C'est parce que l'Europe est aujourd'hui un truc en pleine décomposition et qui ne pense pas à sa localité, qui ne la panse pas avec un a. Alors c'est cette localité qui, en s'ouvrant à Venise, précisément avec Marco Polo, a ouvert tant de choses et elle est en train d'être détruite. Donc elle est devenue indifférante avec un a. Elle n'est plus qu'un espace, voilà, de... Parce que Venise est en train d’être détruite. Il y a la montée des eaux, il y a la pollution, il y a... Et ces bateaux commettent des... créent des catastrophes écologiques, accélèrent absolument toute la dégradation, alors que Venise est en train de se tuer elle-même avec ces machins-là. Deuxième question, j'avais proposé pour investiguer ce genre de questions, de réinterpréter L’anti-œdipe et Mille plateaux en passant par Les trois écologies de Félix Guattari, dont la dernière page est exactement consacrée à ce que je viens de dire. C'est-à-dire à l'entropie. Guattari termine les trois écologies en disant le truc sur lequel il faut travailler, c'est l'entropie. S’il il faut travailler sur l'entropie, c'est pour la combatte, la combatte, ça veut dire produire de la néguentropie et de l’anti-entropie, il n’y a qu’une possibilité au regard de la science actuelle c’est de repenser la localité. Ce sera un sujet, je vous le dis, de séminaires que nous tiendrons, je le dis en accord avec Paolo, je crois qu'il est en ligne, donc il me dira tout à l'heure si c'est bien d'accord, mais je crois que nous sommes bien d'accord pour dire que, en Équateur, à partir du 9 ou du 10 juillet, nous aurons un séminaire sur Relire Deleuze et Guattari en termes de territorialisation, déterritorialisation, localité, et ça par rapport à l'anthropie, etc. pour essayer de clarifier toutes ces questions-là qui restent à mon avis très troubles, très imprécises, très métaphoriques comme disent les anti-deleuziens, ce que je ne suis pas du tout. Troisièmement, il faut aussi étudier la localité et les capacités exosomatiques dans la vallée du Moyen Atlas. Pourquoi ? Parce que c'est très intéressant de voir comment dans une vallée du Moyen-Atlas, tout près du Sahara, où il n'y a pratiquement pas d'eau, on articule une technologie très, très innovante allemande avec une tradition, qui est l'exploitation de la culture des arganiers. On y produit une huile extraordinaire. Voilà. Et comment il y a un agencement qui s'opère là, extraordinairement intéressant qui a été conçu par un paysagiste. Ça c'est une autre expérience de la localité. Quatrièmement, il faut pour cela faire une histoire de territorialité, j'avais dit ça il y a deux semaines, mais en fait on n'a pas le temps de la faire. C'est extraordinaire de devoir faire une histoire qu'on n'a pas le temps de faire. C'est intéressant. C'est pour ça que je disais, nous sommes en état d'exception. Nous sommes en état d'exception noétique. Parce que moi je prends au sérieux Antonio Guterres quand il dit il y a un an il ne reste plus que 12 ans. Maintenant il ne reste plus que 11 ans. Donc on n'a pas le temps de faire ça, c'est plus possible. Alors il faut lire Carl Schmitt. Pourquoi ? Et on en parlera avec Pétar Bojanic qui viendra parler ici de la question des institutions en Europe en 21ème siècle à partir d'une critique des institutions par Jacques Derrida, etc. Mais il y a un point sur lequel je crois qu'on n'est pas complètement d'accord avec Petar, c'est un philosophe de Belgrade, lui il dit qu’il ne faut pas lire Carl Schmitt. Moi je dis si, il faut absolument lire Carl Schmitt. Donc on discutera avec lui, pourquoi est-ce qu'il faut lire Carl Schmitt, parce qu’il parle de l’état d’exception notamment et que nous sommes en état d’exception. Ça nous plaît ou ça ne nous plaît pas, moi je suis absolument contre tout état d'exception. Alors, état d'exception, on peut l'entendre de mille manières bien entendu, mais par exemple une exception à la règle c'est un état d'anti-entropie. Quand on sort de l'application d'une règle, par exemple en grammaire, on s'excepte de la règle, je donne toujours les mêmes exemples, on dit soleil noir, on s'appelle Gérard de Nerval, on sort de la règle. On produit une figure poétique qui a un avenir extrêmement important, ça c'est de l’anti-entropie, c’est de l’exception. Quand on lit Nietzsche, le vrai sujet de Nietzsche, quel est le problème ? c’est l'exception, le reste il s’en fout. Ce qui lui importe, c’est comment protéger les exceptions. Et quand Schmitt parle de l’état d’exception, il pose des problèmes dans des termes qui ne me conviennent pas, mais qui sont quand même parfois d'une extraordinaire pertinence. Il faut le lire. Donc, je pense qu'il faut, toutes ces questions de l'état d'exception noétique, du fait qu'on n'a plus le temps de faire l'histoire dont je parlais tout à l'heure, et bien il faut les pratiquer, c'est ça, ces choses-là, en lisant Nietzsche et Schmit. Alors pour faire tout cela, cette simple question je viens d’évoquer il faut pa/enser la bipolarité idiomatique entre synchronie et diachronie. Je dis bien entre synchronie et diachronie. Donc qui n'est ni simplement synchronique, ni simplement diachronique. Ce matin avec Giuseppe et Maël ici présent, nous en avons parlé. Comme vous le savez, si vous avez lu De Saussure, on peut être soit dans la synchronie, soit dans la diachronie, mais pas dans les deux, dit Saussure. Nous, nous disons dans l’anti-entropie, on doit être dans les deux. Et on n’est dans ni l'un ni l’autre en même temps parce qu'on est sur un autre plan, mais sur le plan de l'anti-entropie. Ce sont des questions extrêmement importantes d'une philosophie de la temporalité du vivant que Maël a beaucoup investigué et que nous nous voulons investiguer du côté d'une philosophie de la temporalité du vivant exosomatique. Et quand je vous parlais tout à l'heure de l'exo-transcendance qui est entre l'immanence et la transcendance qui n'est ni immanence simplement ni non-transcendance simplement, et bien c'était de ça aussi dont je parlais, de l’anti-entropie. Ça veut dire qu'il faut relire Ferdinand Saussure avec Gilbert Simondon et réciproquement Gilbert Simondon avec Ferdinand de Saussure et avec toutes les critiques de Ferdinand Saussure qui ont été proposées par le post-structuralisme, etc. Et il faut le faire d'un point de vue exosomatique, c'est-à-dire en posant les problèmes que ni Simondon ni Saussure ni le post- structuralisme n'ont jamais posé, à savoir le problème de Lotka. Et donc il faut y intégrer, ça c'est ma propre soupe que je vous vends là, le point de vue du double renouvellement épokhal. Par exemple, dans mon langage, Maël, ce que tu décris comme de l'anti-entropie, c'est ce qui se passe entre un choc technologique qui apparaît, qui vient bouleverser une structure synchronique établie, un ordre, je ne sais pas, le commerce de l'ancien régime par exemple, et que d'un seul coup à travers cette révolution qui est en train de se produire, qui va conduire à ce qu'on appellera plus tard la révolution industrielle, et pas simplement la révolution française, on va générer, Baudelaire, toutes sortes de choses qui vont apparaître d'abord anti-entropiques, des désordres et Baudelaire va aller en procès poursuivi pour désordre au regard de la moralité publique. Et puis ensuite on va enseigner Baudelaire à l'école en classe de 3e. Donc ce qui était le désordre au 19e siècle est devenu l'ordre. Baudelaire est devenu l'ordre. Et ça c'est un processus. Pour moi c'est ça la question de l'anti-anthropie avec un a et un h. Et c'est un processus de transindividuation qui s'opère entre deux temps du double-redoublement épokhal et sur deux échelles de localité puisque c’est aussi ça l’enjeu. Si on regarde la bipolarité idiomatique, comme j’ai proposé de le faire il y a deux semaines, en fait, le synchronique est une échelle, le diachronique est une autre échelle. Saussure donne au synchronique un nom, à l'échelle synchronique il lui donne un nom, il l'appelle la langue. Et à l'échelle diachronique il lui donne un nom, il l'appelle la parole. Et donc il dit il ne faut pas confondre la langue et la parole. La langue c'est une construction théorique, la parole c'est ce que pratiquent tous les gens qui parlent. Mais moi ce que je soutiens c'est qu'il faut articuler ça au niveau d'échelles, alors ce matin on a aussi eu une discussion sur ce sujet, Maël disait que ce ne sont pas des échelles, ce sont des niveaux. Bon, c'est des échelles de Jacob pour moi, c'est-à-dire des échelles entre des ordres cosmiques, et non pas des échelles quantitatives comme, par exemple, dans la théorie des échelles, entre la macrophysique, la microphysique, la nanophysique. Et je pense qu'il n'y a que comme ça qu'on peut penser l'exercice du pouvoir comme supériorité. Parce que je vous rappelle, on en a aussi parlé hier avec Edouardo à l'Ecole des hautes études, je vous rappelle que l'objet de ce séminaire, ce sont les exorganismes complexes supérieurs. Et c'est ce qui fait qu'on peut distinguer un exorganisme complexe supérieur des exorganismes complexes inférieurs. Je reviens en arrière. Si vous allez dans le Grand Canal de Venise, vous avez des palais des corporations qui sont des palais des exorganismes complexes inférieurs. Et puis vous avez les palais des Doges, c'est-à-dire que vous avez les bâtiments consacrés qui représentent la supériorité de l’occident à travers l’ontothéologie et l’ontothéocratie. Donc moi je soutiens qu'il y a toujours des exorganismes complexes supérieurs au-delà des exorganismes complexes inférieurs, mais je soutiens aussi que l'enjeu fondamental de l'internation c'est de se constituer comme un tel exorganisme complexe supérieur. Pourquoi faire ? Pour cadrer, encastrer, comme disait Karl Polanyi – Juvin, le type dont je parlais tout à l’heure, utilise Karl Polanyi, C'est très important. Il dit qu'il faut réencastrer le marché ce avec quoi je suis d’accord. La question donc, c'est ici de dire qu'il faudrait réencastrer les plateformes comme Amazon, telles que Pascual les décrits, c'est-à-dire qui prétendent supprimer la supériorité dont je viens de parler de Venise par exemple, ou de l'État fédéral américain, parce qu'ils disent qu'ils ont une souveraineté efficiente et que cette souveraineté est la seule qui compte. Et nous ce que nous disons c'est que ce n'est pas vrai du tout. Il y a entre l'immanence et la transcendance une zone qui est celle de l'anti-anthropie qui n’est absolument pas réductible à l'efficience, c'est-à-dire à quoi ? Au calcul. Donc on est revenu sur la question, et la question c'est une critique de la calculalité. Moi j'avais par ailleurs essayé d'indiquer autrefois ce qu'on appelle chez Freud l'idéal du moi. L'idéal du moi étant ce qui fait que le père devient la référence identificatoire du bébé. Et que le bébé en s'identifiant à son père intègre l'idéal du moi et à travers l'idéal du moi du père s'inscrit dans les champs transindividuation du surmoi, c'est-à-dire se socialise, j’avais soutenu que ça c’est ce qui articule le synchronique, càd le pouvoir et le diachronique, c'est-à-dire la singularité du désir du sujet, le bébé, le père, etc. Et je soutiens par ailleurs, Carl Schmitt ne pe/anse pas le dia-chronique dans l'exception souveraine et comme anti-anthropie qu'en anti-anthropie. Et que si on veut critiquer Carl Schmitt, d'abord il ne faut pas dire qu’il ne faut pas le lire, il faut le lire, mais il faut le critiquer effectivement là où c'est vraiment le problème. Et le problème c'est que chez Carl Schmitt on ne peut pas penser l'anti-anthropie. On ne peut pas penser l'exception souveraine à partir du diachronique. C'est ça tout le problème. C'est pour ça qu'on ne peut pas suivre Carl Schmitt. C'est pour ça qu'il ne faut pas être hitlérien. Il ne faut pas être antisémite. Je fais le chemin inverse. Ne partons pas de l'idée que ce n'est pas bien d’être hitlérien. Non ? partons de l’idée contraire, que disent ces gens-là à partir de là, pourquoi on ne peut pas être d'accord avec eux. Il ne s'agit pas de se mettre dans une position moralisante, etc. Ce n’est pas bien de… Non. C'est de dire, comment est-ce qu'ils pensent ? Et bien, ils ne pensent pas bien. Même si parfois ils pensent des choses très puissantes. Schmitt, Heidegger et beaucoup d’autres. La question qui surgit avec celle de l’anti-anthropie c’est ce que j'avais appelé la question du détachement. J'ai souvent dit, d'ailleurs je l'ai redit ce matin, je crois ou hier plutôt, dans notre séminaire que l’attachement et l’addiction, pour Winnicott en tout cas, que donc le problème c’est pareil, ce n’est pas de critiquer l'addiction, c'est beau l'addiction, il faut être addict, c'est pas du tout... On n’est pas là en train de dire le diable c'est l'addiction est indispensable à la philia ; si on a bien lu Winnicott on ne peut pas avoir de philia sans addiction. Ce qu’il faut c’est pouvoir se détacher, dit Winnicott, à un moment donné de faire que le bébé de détache de l’ours en peluche, qu’il ne soit plus un bébé mais un enfant et que cet enfant puisse commencer à avoir des identifications secondaires, etc. C'est ça la question. Les identifications secondaires arrivent à partir de 5 ou 6 ans. C'est-à-dire que l'enfant puisse s’identifier à d’autres figures que les parents. Ce détachement, c'est aussi le sujet dont parle Simondon dans L'individuation psychique et collective, lorsqu'il explique que l'individu psychique ne peut s'individuer psychiquement que dans l'individuation collective, donc il est attaché à l'individuation collective, mais il y est attaché d'une manière élastique. C'est-à-dire qu'il y est attaché en s’en détachant. Comme Gérard de Nerval, dont je parlais tout à l'heure, voilà. Gérard de Nerval est attaché à l’individuation du français, parce qu’il écrit en français, c'est un poète français. Mais en même temps, il se détache en permanence du français avec par exemple Soleil noir, etc C'est ça que je décris comme étant l’idiolectalité de l'idiotexte (grand spirale). J'appelle ça un idiotexte. Texte au sens de tissu, un texte c’est un tissu, c'est une trame, c'est une conjonctivité, ça forme des tissus au sens organique quasiment. J'appelle ça idiotexte parce que j'ai démontré qu'on ne peut pas éliminer l'idiomaticité de l'idiotexte, c'est-à-dire que la localité n'est pas éliminable. Mais par ailleurs, j'ajoute qu'un idiotexte, si j'appelle comme ça un idiotexte, c'est parce qu'un idiotexte, c'est un idiolecte dans la langue des linguistes c’est-à-dire que tout locuteur qui produit de la parole, qui n’est pas la langue mais la parole, eh bien il a son système interne de synchronisation. Et donc c'est pour ça que je disais tout à l'heure que ce sont des structures fractales et qu'il faut assumer cette fractalité, si je puis dire, comme telle. J'avais soutenu à partir de là que l'idiotextualité qui se configure, il y a... Au 7ème siècle avant notre ère, aussi bien en Judée qu'en Grèce, différemment, mais néanmoins aussi bien en Judée qu'en Grèce, c'est une idiotextualité questionnante et délibérante. Questionnante ou interprétative herméneutique. On ne peut peut-être pas dire questionnante en Judée mais on peut dire herméneutique et délibérante, elle délibère. Et c'est comme ça que se constitue l'époque de l'exosomatisation complexe supérieure qui définit ce qu'on appelle la civilisation occidentale. C'est en tant que capacité à questionner et à délibérer et à interpréter, et avec des instances faites pour ça, basées sur des technologies qui sont faites pour ça, d'abord l'écriture alphabétique et ensuite toutes sortes d'autres technologies. C'est en tant que telle que se constitue l’exosomatisation complexe supérieure. Ça c’est ce que Marcel Mauss n’arrête pas de fréquenter, si je puis dire, et en même temps d'oublier. Il n'arrête pas de le fréquenter parce qu'il parle, vous allez le voir tout à l'heure, de la littérature, des livres, de la presse, tout ça. Mais en même temps, il n'arrête pas d'oublier que ça a un rôle beaucoup plus important que ce qu’il a l’air d’en dire même si ce n’est pas simple. Je pense qu’il est en pleine question sur tout ça et que lui ne fait qu'ouvrir les portes là. C'est le Leroi-Gourhan et puis d'autres derrière le Leroi-Gourhan qui continueront à parcourir ces corridors.
L'exosphère de ce point de vue-là, la souveraineté que j'appelle tout à l'heure efficiente, mais en fait que Pasquale appelle fonctionnelle - et d'ailleurs je ne suis pas tout à fait d'accord parce que pour moi la souveraineté supérieure et cause finale est aussi fonctionnelle. Il y a une fonctionnalité et une finalité. Ce n'est pas le fonctionnel qui me gêne, c'est l’efficient. Un totem ça a une fonctionnalité mais ce n’est pas calculable. Ce n’est pas parce qu’on dit fonctionnel, qu’on dit calculable. Il y a des fonctions calculables, bien entendu, mais toutes les fonctions ne le sont pas. Et donc, ce n’est pas le «fonctionnelle » le problème c'est le computationnel qui élimine les finalités et les formalités, au sens de causes formelles.
Cette exosphère et sa souveraineté efficiente, c'est, je pense, qu'il faut que nous nous posions de manière définitive, pour nous, la fin inéluctable de cette époque. On ne peut pas revenir en arrière par rapport à ça. C'est pas du tout possible. Donc il ne s’agit pas de remonter des frontières, par exemple, à l'identique. Ce n’est absolument pas de ça dont on parle. C'est de repenser la localité avec... dans des termes tout à fait nouveaux, y compris le nomos de Carl Schmitt, ce n'est pas la localité de la biosphère ou de la Terre telle que Schmitt en parle dans le nomos de la Terre. Et là c'est intéressant de revenir vers Jean Toussaint Desanti qui donc en 1967 écrit ceci : « On sait que la langue mathématique peut en droit être entièrement formalisée. On sait aussi que le projet de n'écrire d'autres textes mathématiques qu'entièrement formalisés est humainement irréalisable. Écrire « 1 + 0 = 1 » exigerait quelques centaines de milliers de signes. De tels textes ne pourraient ni être écrits ni être lus. On sait aussi qu'aujourd'hui les machines peuvent accomplir ce dont les hommes sont incapables. Imaginons donc une machine qui, pouvant lire et écrire des textes mathématiques entièrement formalisés, pourrait de plus, en utilisant ces assemblages de signes que sont les axiomes et les règles de dérivation, fabriquer des théorèmes et écrire leurs démonstrations (..) Au bout de vingt ans, la machine aura produit un nom incalculable d'énoncés. Aura-t-elle produit des mathématiques ? La chose est peu probable. (…) Pour qu'une machine puisse « faire des mathématiques », il faudrait la construire de telle sorte qu'elle puisse en engendrer d'autres, des machines sélectives qui classeraient les espèces de théorèmes, distingueraient les classes de problèmes, programmeraient toute une stratégie de la créativité, garderaient en réserve pour les utiliser un jour les énoncés jugés peu intéressant en fonction des programmes choisis. leur temps de journée. Bref, la machine devrait, si l'on me permet ce barbarisme, « s'historialiser » elle-même - la question de l'histoire, pas de l'historicisme mais de l'historialité, la Geschichtlichkeit - se donner des traditions, accomplir les révolutions, définir sa « politique ».
C'est notre programme. C'est extrêmement important. Les mathématiques ne sont pas solubles dans le calcul. Les mathématiques, par exemple, sont constituées sur des axiomes qui sont formulés de manière non-formelle mais linguistique. Aristote en a très bien parlé à l'époque, il a élaboré une théorie sur les axiomes, etc. autour de ce qu'il a appelé le vraisemblable, bien connu. Mais Aujourd'hui ces questions nous reviennent dans la quotidienneté de l’intelligence artificielle. Il est extrêmement important de les mobiliser et de les revendiquer. C'est-à-dire que ce ne sont pas des questions nouvelles mais que par contre il faut les poser en fonction de ce qui est aujourd'hui actuel, c'est-à-dire que ce sont des questions qui à l'époque se posaient dans tout à Desanti et à la centaine de gens qui pouvaient lire ce qu'il a écrit là, parce qu'il n'y avait pas tant de gens...c'est difficile de lire Desanti, n'est-ce pas ? ce n’est pas un livre à la portée de n'importe quel lecteur, même cultivé en philosophie, c’est est pas de la tarte. Mais les problèmes qu'il posait là pour un cénacle qui était d'une centaine de personnes à l'époque, ce sont des problèmes que se posent des milliards de gens sur la Terre aujourd'hui. Puisque ces problèmes, ils les rencontrent tous les jours dans la vie quotidienne absolument dans tous les domaines. Chauffeurs de taxi, infirmières, architectes, tout le monde est absolument, directement concerné. Donc nous sommes aujourd'hui dans une époque, sans époque, l'absence d'époque, qui nous requiert d'une manière absolument originale et totalement fascinante. Alors nous, nous n'arrêtons pas de parler des limites de l'algorithmique, pardon, et une des limites que je soutiens, et on en a aussi parlé avec Giuseppe ce matin, c'est le contexte. Il y a une algorithmie qui neutralise les contextes. Et nous, nous voulons qu'il y ait des contextes qui ne sont pas neutralisables, parce que, par exemple, ça, c'est un territoire, c’est le temple de Delphes, donc dans les montagnes à 50 km d'Athènes. Et ce territoire est un support de mémoire. Mais c'est un support de mémoire inamovible. Vous ne pouvez pas le transporter. Il y a un truc qui ne bouge pas dans un territoire, c'est le territoire lui-même. Et c'est pour ça que la semaine dernière, il y a deux semaines, j'avais essayé de comprendre les rapports inamovibles, l'inamovibilité par exemple du sanctuaire de Delphes et l’amovible. Le fait par exemple qu'on peut démonter une partie de ces temples et les emmener au musée du Louvre, on peut piller le territoire, mais le territoire est toujours là. Et je redis ce que l'avais dit autrefois, il y a une grande tension, comment dire, dialectique, les partisans de l’inamovibilité des œuvres et les partisans du caractère intrinsèquement amovible de ces œuvres lesquelles doivent pouvoir circuler. Qui a raison ? ils ont tous les deux raison. C'est-à-dire que, oui, il faut que ça puisse circuler, mais il faut que le lien se conserve entre Damas qui est tout un terrain d'humus, qui n'est pas simplement l'humus des plantes, mais aussi l'humus de l'esprit de Damas, d’où sont sortis ces fresques, ces mosaïques. Parce que si on perd ça, ça devient le musée du Louvre où les visiteurs passent 45 secondes en moyenne. Je dis ça parce que j'ai travaillé en muséologie, j'ai été responsable politique du musée du Centre Pompidou, la « politique des publics » comme on dit, et donc j'ai pas mal lu d’études, Le Louvre avait publié une étude montrant que les gens passent 45 secondes devant les tableaux. Ça c'est avoir perdu le lien absolument, que ce soit la Victoire de Samothrace ou de quoi que ce soit d'autre, avec le monde. On ne sait plus du tout de quoi on parle ou de ce qu’on regarde. Évidemment, la mobilité est absolument fondamentale. Pourquoi ? Parce que la mobilité, c'est l'objet de Fernand Braudel, c’est le commerce ; Braudel – ce n’est pas seulement ça bien entendu - est avant tout un grand penseur du commerce, des marchés et de l'histoire du capitalisme, comme on dit. Et ce que montre Braudel, c'est extraordinairement intéressant. J'en avais déjà parlé en passé, mais je vous recommande de le lire. C'est un petit texte, une petite série de conférences qu’il avait faites aux Etats-Unis sur le capitalisme, l'histoire du capitalisme. Et il dit que, voilà, cette vie matérielle qui nous entoure, il faut savoir qu'elle a toujours commencé par être toxique. Ce qu'on voit autour de nous, ça d'abord, toujours, a été toxique. Qu'est-ce que veut dire que ça a été toxique ? Ben c'est que ça a détruit une synchronie existante. Ça a produit de l'anti-anthropie du trouble et du désordre, ça a fait souffrir des gens, ç a fait perdre à des gens des rentes de situation, ça a ruiné des familles, ça a affamé des pays, etc. mais ça a engendré quelque chose de nouveau, voilà, un nouvel ordre, etc. Et qui finalement devient banal et quotidien. Il dit c'est ça la vie matérielle. Ça veut dire quoi ? C'est dire que la vie matérielle chez Braudel, c'est le rapport entre les choses amovibles et les choses inamovibles. Alors lui, il ne parle pas d'inamovibilité, c'est moi qui en parle. Mais c'est avec lui qu'il faut décrire tout cela. Sachant que par ailleurs, il ne parle pas d'inamovibilité, mais par contre, il parle énormément du territoire. C'est-à-dire qu'il spécifie bien qu’entre l’Islam, la Chine, l’Europe la différence de rapport au territoire à chaque fois ; il montre par exemple que les marchés de l'islam sont tout à fait différents des marchés chinois pour des raisons qui sont intrinsèquement liées au territoire. Et si on neutralise tout ça, on est dans l'abstraction absolue, on est dans ce que j'appelais tout à l'heure l'idéalisme. Alors, une question qui se pose, c'est : l'inamovibilité du territoire doit-elle être rapportée à ce que, à un moment donné, Husserl appelle « le corps propre ». Et que, évidemment, Merleau-Ponty va beaucoup reprendre, etc. Grande question à laquelle je suis incapable de répondre. Bon, vous êtes inamovible, votre corps vous est inamovible, il peut se mouvoir, mais vous, vous ne pouvez pas quitter votre corps. Donc, il y a quelque chose d'un peu inamovible dans le corps même si vous êtes chaman, vous êtes capable d'aller naviguer, et moi j'étais un peu chamane parce qu'à une époque je ne me suis plus à courir, j'ai découvert la course. Et puis il m'est arrivé de constater que mon âme quittait mon corps. Et que mon âme s'envolait dans le ciel et regardait mon corps courir. D'abord elle regardait mon corps courir, ensuite elle regardait mon corps nager. Puisque j'ai fait la même chose dans la Méditerranée. Vous allez vous dire il est passé à l'ouest. Pas du tout. J'en ai parlé avec un philosophe qui s'appelle Moreau qui enseigne à l'université de Notre-Dame aux Etats-Unis mais qui est un philosophe français, que j'ai rencontré un jour par hasard dans un colloque sur Heidegger d'ailleurs, et on a mangé ensemble et il m'a dit, je lui ai parlé du fait que j'écrivais mes livres en faisant du vélo, que je commençais à parler dans mon magnétophone, qu'au bout d'un certain nombre de kilomètres de côtes, il m'a dit, mais oui, mais c'est parce que vous avez des endorphines qui commencent à vous shooter et qui vous désinhibent en pédalant, etc. Et je lui ai dit oui, en fait, il y a des moments à force, je quitte mon vélo, je m'en vais, je suis. Ça pédale, il y a un mec qui est en train de servir du vélo, mais moi je suis ailleurs. Et j'ai vraiment cette expérience. Et il m’a dit : moi aussi parce que j’étais champion junior de l'équipe de France de cyclisme. Et donc je connais très très bien le sujet parce que j'étais suivi par des médecins qui m'expliquaient comment faut faire attention parce qu'à un moment, ça m'est d'ailleurs arrivé, quand vous courrez par exemple, vous ne sentez plus du tout la douleur et vous n'avez plus de limite. Et donc vous pouvez courir jusqu'à ce que l'on s'en suive. Et pourquoi ? Parce que votre système électrochimique a généré des niveaux d’opioïdes naturels. Il faut que vous ne sentiez plus du tout la douleur. Moi ça m'est arrivé et je n’ai pas pu marcher pendant trois semaines. Ce que je veux dire par là c'est qu'il y a toujours de l'exception. Donc quand un chamane vous dit mon âme quitte mon corps, c'est tout à fait vrai. Et évidemment c'est tout à fait vrai, pas au sens de Newton, il ne migre pas dans l'espace-temps de Newton, mais dans autre chose qui est l'espace intermédiaire dont je parlais tout à l'heure. Qui est aussi ce qu'on appelait hier l'espace transitionnel. Alors cette question, Husserl va la reprendre dans ce texte, mais là ce n’est pas le corps propre, c'est un texte sur la spatialité. Et vous l'avez peut-être entendu déjà, j'en ai déjà parlé ici, dans ce texte que je vous recommande de lire, qui est très intéressant mais très difficile aussi. Husserl dit : de toute façon, même si vous allez sur la lune vous restez sur la terre. Quand vous êtes sur la lune vous êtes encore sur la terre. Ça c'est ce que j'oppose à Elon Musk. Et je pense que c'est par ailleurs dans le rapport au fond inamovible que les sociétés polysegmentaires se distinguent des sociétés intégrées. Ce que je veux dire par là c’est que j'avais montré l’autre fois comment Marcel Mauss introduit ces catégories polysegmentaires et les sociétés intégrée, c'est-à-dire les sociétés qui vont véritablement faire que j'appartiens par exemple en tant que citoyen français à la société française vraiment pleinement. Il dit que pendant très longtemps qu'il y avait des tas de gens qui vivaient en France et qui n’appartenaient pas vraiment à la France parce qu’il appartenait à un comté qui, une baronnie là donc c'était des régimes d'appartenance pas du tout homogènes, donc pas intégrés. Tandis qu'à un moment donné, ça va s'opérer à travers Richelieu, enfin, il va y avoir une vraie construction de l'État, Hobbes va être le théoricien de ça. Il va y avoir une vraie intégration. Ça c'est un changement du rapport au territoire et à inamovibilité.
Après j’avais abordé la question du langage fœtale. On en a aussi reparlé hier soir d'ailleurs avec la psychanalyste Marie-France Castarède. Et j'ai soutenu que le rapport à la langue maternelle dans le stade fœtale du développement de l'enfant qui n'est pas encore né, c'est une préparation de la venue au monde, par quoi ? Par une incarnation du signifiant qui s'opère dans le ventre de la mère. Et c'est très très important. Pourquoi ? Parce que si vous voulez comprendre ce que c'est que le christianisme, selon moi il faut comprendre le ventre de la mère. Il est là, ça c'est Marie qui a été plaquée par son copain qui s'appelle Joseph et qui lui dit tu m'as trompé, t'as un gros ventre et tout ça, je m'en vais et l'Archange lui dit ne t'en vas pas, occupe-toi du môme, il n'y est pour rien et donc Marie qui est tellement célébrée dans certaines régions du christianisme, du catholicisme, quelle est la puissance de Marie qui fait pleurer aussi, puisqu'il y a les fameuses maries qui pleurent dans certaines régions en Sicile, les « Mater dolorosa », c'est très très important. Et cette humidité-là, c'est ce qui vient arroser l’humus noétique, la nécromasse ; c’est ce qui fait revivre les esprits. Et bien Marie, elle a sa puissance c'est qu'elle parle à Jésus dans le ventre, dans son ventre. Jésus entend la voix de Marie et c'est à partir de cette voix là qu'il devient Dieu. Et il arrive après Babel bien entendu. Je ne vais pas vous parler de la Pentecôte mais je vous en parlerai peut-être bientôt. C'est pourquoi, parce que c'est très bientôt et que la Pentecôte, c'est un rapport à Babel, justement ; c'est-à-dire, c'est le miracle de la capacité d'entendre les langues étrangères. Et en quoi est-ce que ce truc-là est anthropique ou anti-anthropique ? Comme on fait une pharmacologie de Google à la Pentecôte, ben voilà un sujet à proposer à un autre ami, Pierre Giorgini, président de l'Université catholique de Lille, mais aussi un ancien ingénieur et un militant chrétien qui s'intéresse aux mathématiques, à la technologie, etc. Si je vous dis tout ça, c'est parce que j'avais posé par ailleurs que le langage ne mène nulle part. Et c'est à ça que je m'importe le plus. Il est local, il est idiomatique, mais cette idiomaticité n'est nulle part. On ne peut pas dire qu'elle est là. Non, elle est distribuée, toujours déjà distribuée. Elle est toujours déjà en train de se délocaliser, de se déterritorialiser. Alors ça, je voudrais croiser ces questions-là avec les questions de Desanti sur les mathématiques. Quand il se demande où sont…ou est Archimède etc. Et il faudrait justement le réarticuler avec synchronisation et diachronisation. Moi je l'appelle symbolisation et diabolisation. Parce que c'est la même étymologie. Et je pense que la double localité c'est la scalabilité en fait. C'est ce qui s’opère toujours dans les champs de scalabilité, de niveaux, qui ne sont localisables nulle part mais néanmoins toujours localisés de manière distribuée, c'est-à-dire avec des... toujours en réticulation en fait, c’est-à-dire qu’il y a des problèmes de topologie qui s’ouvrent là, énormes. C'est inséparable des problèmes de catégorisation. Et la catégorisation est elle-même inséparable de l'incorporation ; ici, je reprends un texte dont j'avais fait un commentaire il y a 7 ou 8 ans dans un séminaire de l’IRI, de Ludwig von Bertalanffy qui dit : la catégorisation ça commence dans le vivant, il faut d’abord lire Jakob von Uexküll si on veut comprendre ce que c’est que l’origine de la catégorisation, les êtres vivants catégorisent en permanence mais ce n'est pas une catégorisation au sens d'Aristote ou de Kant. Mais ce que dit Bertalanffy et je suis d'accord avec lui, c'est que si on ne pense pas ça dans le vivant, on ne peut pas penser la catégorisation au sens d'Aristote ou de Kant. Et donc il dit, c'est à parti de là qu’on peut commencer à penser ce que c’est qu’un monde. Il dit un monde, c'est en fait l'homogénéité synchronique d'un système de catégories. Que ça soit des catégories des oiseaux, par exemple, les mouettes ont des capacités de catégoriser les processus d'ionisation. Parce qu'elles perçoivent les phénomènes d'ionisation pas nous. Et donc ça constitue le monde de la mouette, ça ou autres choses, etc. Et il y a des organes. Les organes des mouettes, ce sont leurs yeux, ce sont les radars des chauves-souris, tout ça est bien connu. Mais nous, nos organes, ce sont les télescopes, les smartphones, et donc il y a à repenser la catégorisation depuis ce point de vue-là. Toutes ces questions, j'ai essayé de les poser parce que je vous rappelle que le débat fondamental que j'essaye d'avoir avec énormément de précaution et de préalable, etc. avec Marcel Mauss, c'est sur la langue. C'est sur le fait que Marcel Mauss dit, bon, finalement il finira par y avoir qu'une langue. Moi ma thèse c'est que non, s'il n'y a plus qu'une langue, il n'y a plus de langue du tout. La langue c'est forcément les langues. S'il n'y a pas plusieurs langues, il n'y a plus de langue. Il y a autre chose, un système de communication, comme Norbert Wiener l’a fait par exemple, comme Pierre Schaeffer l’a fait ; il avait écrit un livre qui s'appelait « Les machines à communiquer ». C'est pas du tout la même chose. Et le premier qui disait « attention, il ne faut pas perdre la langue », c'est Norbert Wiener. C'est lui qui disait « attention, les technologies de communication ne doivent pas détruire la langue ». Alors même s'il a néanmoins fait une théorie de la langue qui est extrêmement problématique, je crois que c’est le cinquième chapitre de Cybernétique et société, qui fait qu’il dit qu’on peut transformer la langue en information de ce livre Amérique et Société, et qui fait qu'il dit qu'on peut transformer la langue en information. Et là, je suis d'accord avec Heidegger et en désaccord avec Wiener, non, on ne peut pas transformer la langue en information, justement parce qu'elle est idiomatique et localement distribuée de manière insoluble, babélisée. Et on ne peut pas surmonter ce que disait par exemple Derrida du fait qu'une langue est intraduisible et que si elle est vraiment totalement traduite, c'est plus une langue. Le premier à le dire ce n’est pas Derrida d'ailleurs, c'est Walter Benjamin. Je me méfie par ailleurs du mot langage parce qu’à partir de là on fait entrer n’importe quoi ; il y a le langage des abeilles, le langage des fleurs. Alors comme je ne réfléchis pas plus, moi je préfère rester social, Saussure quant à lui n'a jamais utilisé cette catégorie de « langage ». Le langage c'est les cybernéticiens qui le font, ou les informaticiens, leur langage ce n’est pas un langage, c'est une écriture, c'est pas du tout la même chose. C'est une écriture d'une langue bien entendu, d'une convention de signe, mais ce n’est pas... Je n’utilise pas cette catégorie-là. En tout cas, tout ça, le local, la localité, son irréductibilité, sa distribution, Jésus dans le ventre de Marie et tous ces machins. Ça fait peur. Ça fait peur à qui ? À l'Église par exemple. À toutes les Églises, y compris les Églises laïques. Ce que j’appelle les Églises laïques, c'est des institutions dogmatiques en général, le Parti communiste, ce qui a remplacé les fonctions ecclésiales par des fonctions ecclésiales laïques, les clercs comme on les appelle, les clercs qui ne sont plus des clercs religieux mais qui sont toujours des clercs. L'Académie. Pourquoi est-ce que ça leur fait peur ? C'est parce que c'est toujours supposé être diabolique ; dans la diachronie il y a le diable, le synbolon est syn-chronique, c’est le même mot. Le symbole unifie. C'est ce qui crée des liens et qui efface les différences spatiales et temporelles. Mais nous on dit, oui mais il faut le diabole, ou la diabole, il faut la diabole. Pourquoi ? Parce que s'il n'y a pas de diachronique, il n’y a pas de synchronique, le synchronique est un état métastable, il supporte des variations à ses limites. Et ces variations à ses limites font qu'il évolue finalement. C'est un exorganisme qui évolue tout le temps. Et donc il faut revenir, il faut regarder par exemple cette peinture que l'on connaît bien avec ce fameux serpent qui est là qui est en train de s'adresser à Eve, pour lui montrer l’objet de la connaissance. Eh bien il faut relire tout ça, du point de vue, ah j'ai oublié quelque chose, bon je voulais vous montrer, j'ai oublié, je voulais vous montrer le sceptre d'Hermès. C'est dommage parce que j’ai trouvé une image magnifique. Avec deux serpents qui se regardent et qui ont la gueule ouverte comme ça. Deux serpents. C'est le caducée. Deux serpents, un qui tue l’autre qui soigne : en fait Hermès hérite de $la figure d’Asclépios ; c'est-à-dire le dieu des pharmaciens. Asclépios n’est pas d’abord un médecin, c'est un pharmacien, c'est celui qui s'y connaît en plantes, en poisons, etc. En fait, c'est le chamane. C'est ça le chamane. Le chamane, c'est celui qui sait te dire : ça c’est un poison mais si tu en prends tant, ça va te soigner. Donc c'est la pharmacologie. Nous avons à repenser tout l’héritage ontologique, théologique, etc. de l'occident à partir de cette relation au serpent. Et à faire en sorte que le diabolique n'adresse plus comme le diable simplement mais la nécessité du synchronique. Moi je pense que le diabolique c'est le savoir et que le synchronique c'est le pouvoir. Et que donc le pouvoir a toujours tendance à réduire le savoir parce qu'il se sent toujours menacé par le savoir, mais en même temps il en a absolument besoin. Si le pouvoir est sans savoir, il n'a plus de pouvoir. C'est ce qui se passe en ce moment avec Macron. Tout ça, ça pose donc des questions de souveraineté fonctionnelle. Enfin disons que c'est à partir de ces questions que je crois qu'il faut poser la possibilité de constituer une supériorité noétique d'un exorganisme complexe qui s'appelle la biosphère, qui serait constitué, qui constituerait ce qu'on appelle dans le groupe Geneva 2020 l'internation pour limiter la souveraineté fonctionnelle qui est en fait une souveraineté suicidaire et autodestructrice. Selon nous. Et ça, ça ne peut pas être séparé des questions d'orthogenèse, disais-je tout à l'heure. Pourquoi ? Vous savez, parce que l'orthogenèse, qu'est-ce que c'est ? C'est ce que j'appelle parfois la sélection artificielle. C'est ce qui fait que l'évolution dans le champ exosomatique ne se produit pas selon des canons du darwinisme, mais selon aucun canon, on va dire. Ce sont les savoirs qu'il faut à chaque fois inventer pour prescrire l'orthogénèse soit en disant oui il faut fabriquer des avions ou des bombes ou des je ne sais pas quoi, soit en disant non il faut les interdire ou bien pour les faire il faut les soumettre à des prescriptions médicales par exemple, ne pas donner par exemple l'opium en vente-libre etc. Tout ça ce sont des savoirs. Et j'avais conclu en posant que les savoirs ce n’est pas de la mètis. La mètis c'est ce qui relève de çahttps://lpeproject.org/blog/from-territorial-to-functional-sovereignty-the-case-of-amazon/↩︎. De ce qui est décrit là. Amazon c'est la mètis computationnelle. La mètis c'est-à-dire la rue. L'extraordinaire intelligence rusée. Fantastique la puissance, qui nous laisse toujours moi-même complètement éberlué par ses résultats. Je vous le redis, je l'ai déjà dit, un livre tiré à 500 exemplaires, on arrive à l'avoir le soir, trois heures, enfin six heures après l’avoir commandé sur Amazon. C’est totalement miraculeux. C'est incompréhensible, en fait. En fait, fait si, c'est compréhensible. Et puis en fait ce n’est pas toujours vrai. C'est en moyenne vrai. Et c'est pour ça que c'est compréhensible. Si c'était toujours vrai, ce ne serait pas possible, ce serait vraiment un miracle au sens strict. Non, pas un miracle. C’est un calcul de moyennes. C'est le rôle des probabilités, c'est l'application des mathématiques probabilitaires que l'on vit dans la vie quotidienne. Mais c'est tout à fait impressionnant. Et ce sont des cadres totalement nouveaux que les bases de la formation de ce qu'on appelle les élites en Europe ne savent plus du tout comprendre. Et c'est catastrophique. Maintenant, ça n'est que de la métis. Ce dont on a besoin dans l'anthropocène, pour produire l’ère néguanthropocène, c'est de la noésis. Donc il faut re-noétiser, déprolétariser, réarticuler le calcul avec les fonctions anti-anthropiques et les capacités à produire des bifurcations.
Alors, à partir de tout ça, nous avions commencé à lire Mauss. Je vous avais donc rappelé que, j’en ai parlé tout à l'heure, Mauss distingue les sociétés intégrées des sociétés polysegmentaires ou non intégrées. Il est en train de faire, quand il dit ça, une généalogie de la nation. Il essaie de comprendre ce que c'est qu'une nation. Donc il dit qu'une nation, c'est une société intégrée avec un pouvoir central. Et ce pouvoir central, il ne suffit pas. Il faut un pouvoir central, mais il dit qu'il y a des sociétés qui ont des pouvoirs centraux par exemple, l'Amérique centrale et andine, l'Amérique précolombienne, et pourtant ça ne produit pas des nations. Donc ça ne suffit pas. Il va faire une liste de ce qu’il faut pour produire une nation. Les éléments de cette liste pris un à un ne suffisent pas. Il pose aussi, mais ça ne suffit pas, etc. Il a une tendance quand même assez surprenante de sa part – c’était un homme d’une extraordinaire modestie, prudent, anthropologue distant, donc qui ne se laissait pas prendre par les clichés – par moment il a une tendance à poser que la nation européenne, c'est ce qu'il y a de mieux, quoi. Parfois un peu surprenant. Et un peu gênant. Alors ce qu’il décrit-là, les sociétés intégrées, c'est ce qui est en train de disparaître. Partout. Sauf peut-être en Chine. Mais dans le monde entier, c'est en train de disparaître. Le fait que les souverainetés fonctionnelles se substituent aux souverainetés nationales, étatiques, légitimes, etc. c'est un processus de désintégration. Par exemple, Amazon ne paye pas d'impôts. Ça, c'est une désintégration. Quand les systèmes fiscaux disent oui, vous pouvez gagner de l’argent, mais à une condition, vous ne payez pas d’impôts pour que vous puissiez entretenir le territoire, etc. Ça, ce ne s’appelle plus de l'intégration, une des conditions d'intégration. Là, il y a, disons-nous, un processus de désintégration. Mauss ne l’a pas vu ; Il ne le voit pas du tout. Mauss a quand même on ne verra d’ailleurs pas tellement dans ce texte que je vous commentais, ça c'est l'édition du tome 3 des œuvres de Mauss, dans la réédition des PUF, il y a d'autres textes qu'ils ont été publiés où on voit qu'il est quand même extraordinairement confiant dans l’avenir. Il ne faut pas lui en faire grief parce que pratiquement jusqu'en 1975-1980, presque tous les intellectuels disaient ça. L'émancipation, oui, les lumières ça finira par se concrétiser, oui, la société sans classe, dirons certains, d’autres diront, la société où tout le monde est éduqué, enfin bon, il n'est pas un marxiste, donc il ne parlera jamais de sociétés sans classes, mais il a quand même des idéaux des Lumières, etc. C'est partagé quasiment par tout le monde. Il y a quelques rares exceptions. Toynbee, en 1961, pas du tout, très très mal parti, il y a quelques exceptions et malheureusement elles sont souvent très personnelles. Donc voilà, ce que Mauss présente comme ça, c'est pas du tout original, ce n’est rien de spécial, on ne peut pas lui en faire le reproche, mais par contre il faut quand même être vigilant, et le remarquer, analyser comment, pourquoi aujourd'hui nous on ne peut plus le suivre. Alors là, il dit, à partir du moment où il a parlé de sociétés intégrées, il dit il va falloir s'intéresser à l'économie. Si on veut comprendre ce que c'est qu'une nation, c'est-à-dire la localité moderne, c'est ça la nation, la localité moderne, moderne au sens où Garibaldi est un moderne, il constitue la nation italienne, etc. Il faut passer par l'économie. Et donc, Mauss va essayer de le faire d'un point de vue anthropologique, il le dit très clairement dans des textes qui sont publiés aux PUF, mais pas dans les Editions de Minuit. Il dit je ne suis pas économiste mais je vais vous parler d’échange financier par exemple donc il lit des textes d'économistes de la monnaie et il fait un peu comme Braudel. Braudel le fait en historien, lui le fait en anthropologue. Il essaye de faire une anthropologie des échanges financiers. Alors nous aussi, nous disons qu'il faut intégrer l'économie. Il faut absolument étudier tous ces éléments du point de vue de l'économie. Il faut absolument étudier tous ces éléments du point de vue de l'économie. Mais il faut, nous disons, il faut aussi intégrer l'économie libidinale de l’anthropie et comment économiser l’anthropie, c'est-à-dire différer l’anthropie ? Par une organisation qui est une organisation de la philia, telle qu'on va la penser en passant par Sigmund Freud et la psychanalyse et en considérant la localité. Ce que ni Freud ni Mauss ne font... Mauss ne parle jamais de la localité mais il ne parle que de ça. La science des localités, il ne parle que de niveau de localité, etc. Mais en même temps, jamais il ne thématise la localité comme telle. Et là c'est pareil, je ne lui fait aucunement grief, c'est une époque où ça n'a pas de sens de ce faire ce genre de références. Mais par contre, nous nous disons, depuis Schrödinger et un certain nombre d’autres, on ne peut plus... donc essayons de relire Mauss au XXIème siècle, non pas simplement pour l’embaumer mais pour véritablement penser l’économie comme il disait qu’il faut le faire mais à notre façon et pas à la sienne. Et donc en passant aussi par le Nicolas Georgescu-Rögen etc. et dans le but d'aller vers une neguanthropologie. Alors j'ajoute encore une remarque là en passant avant de vraiment revenir maintenant au texte de Mauss, plus possible. Je suis encore super en retard, je suis désolé. Marcel Fournier et Jean Therrier, qui sont ceux qui ont repris, en allant travailler à l'Abbaye d'Ardennes, tous les manuscrits de Marcel Mauss, qui ont reconstitué en fait ce qui était le projet d'HDR, ce n'est pas d'HDR mais c'est le dossier que Marcel Mauss avait fait pour avoir le poste au Collège de France. C'était un dossier de candidature. Ils ont reconstitué à partir de toutes sortes de cartons, etc. les choses. Et ils ont publié en particulier des choses que le Bourdieu n'avait pas reprises, notamment des textes sur la fonction des routes, la fonction des communications, la fonction du droit international etc. et qui à mon avis sont des matériaux très intéressants d'un point de vue exorganologique et exosomatique et qui corrigent un petit peu ce que je disais l'autre fois. Je ne l'ai pas encore lu, maintenant je les ai lus. L'autre fois je disais, Mauss vraiment ne parle pas de la technique quoi, il en parle pas beaucoup, c'est vrai même dans ses textes il n’en parle pas beaucoup, mais il en parle quand même, il en parle quand même plus que ce que j’avais dit, par exemple ce qu’il dit sur les routes c’est extrêmement intéressant, les routes, les haies et le rôle des techniques. Et puis, d'autre part, il y a des textes sur le socialisme. Alors là, je vous redis ce que j'avais dit, je crois, tout au début, à la première séance. Je me réfère à trois textes. Le texte que nous sommes en train de lire celui-ci, le texte d'une conférence dans un colloque savant qui a eu lieu à Londres sur la nation internationale. Et c'est là d'ailleurs qu'il parle de l'internation et troisièmement, un texte que vous vous souvenez, vous m'avez dit, c'est en fait un débat qu’il a avec un socialiste marxiste auquel il s’oppose. C’est très important d’avoir en tête c’est que Marcel Mauss dans ses travaux sur la nation, l'international, etc., il est en tension avec le marxisme. Il critique énormément les bolcheviques, il les traite de barbares, il dit la Russie, la révolution soviétique, c'est barbare. Aucun respect des droits des gens et il a raison malheureusement. Et il faut bien savoir que quand même son but dans tout ça, sachant que Terrier et Fournier le disent, il a en fait commencé à travailler à ça dans les tranchées, dans la guerre, pendant la guerre de 1914, mais pendant la guerre, c'est depuis l'expérience de la guerre qu'il a commencé à élaborer ce travail. C'est dans une tension très forte avec les marxistes et l'internationalisme pour l'État. Je le dis parce que par rapport au programme Genève 2020 c’est tout à fait fondamental d’avoir ça en tête et de border le sujet, si je puis dire, dans la communication publique autour de tout cela. Il faut le revendiquer de manière explicite. Et moi-même, je vous l'avais dit aussi au début, que je pense qu'il y a des traits tout à fait caractéristiques de la social-démocratie qu'on voit chez Mauss, qui sont des limites dans ce qu’il dit. Parce qu'il y a des moments où je crois qu'il y a des grandes naïvetés où il ferait mieux d'être un peu plus marxiste quand même, à mon avis, sans être forcément internationaliste prolétarien. Donc voilà, j'essaye de donner l'appareil de lecture que j'ai pour interpréter tout ce que je vous dis. Maintenant je reviens au texte – j’ai oublié de vous montrer ça, ça c'est Nicolas Georgescu-Rögen, ce qu'il avait dit sur les organes exosomatiques, je l'avais fait il y a 2 ou 3 ans ça. Bon, je vous recommande de lire ce texte de Georgescu-Rögen qui est très synthétique, qui est traduit en français en plus Pour une révolution bioéconomiquehttps://books.openedition.org/enseditions/2291?lang=fr↩︎. Le titre n'est pas bon, il n'est pas dans l'esprit. Je ne veux pas développer. En tout cas, on revient au texte de Mauss. Que dit Mauss ? Il dit qu'il faut distinguer des types d'économies. Il y a des économies fermées. Par exemple, la famille c'est une économie. Le clan de la famille c'est une économie. Elle est fermée. Pourquoi est-ce qu'elle est fermée ? Parce qu'elle est autarcique. Donc, elle fonctionne sur elle-même. Alors, il y a des échanges à l'intérieur, il y a de la division du travail, où le monsieur va chasser, madame s'occupe du jardin et des enfants, enfin je dis n'importe quoi, ou le clan par exemple, il y a une division du travail, alors là il y a plus de monde, mais ça reste fermé. C'est vraiment la société, l'économie fermée. Là il se réfère d'ailleurs à un théoricien de l'économie qui est Bücher, je ne connais pas du tout son nom. Et il y a l'économie urbaine dit-il, alors là il faudrait connecter avec Braudel, parce que Braudel a énormément pensé l'économie urbaine. Bon, bah, c'est typiquement l'économie italienne par exemple. L'économie urbaine, c'est Venise, c'est Florence, c'est... Tout cet âge de la... disons, en gros, la Renaissance, pas seulement en Italie d'ailleurs, c’est l’âge des villes qui commence bien avant la Renaissance, bien entendu, très bien montré par un historien français très connu, Henri Pirenne. Et puis, il dit, il y a l'économie nationale. Alors ça, c'est très important même si c’est très succinct ce qu'il développe, ça va très vite, mais parce que c'est un petit texte quand même, il résume des choses, c'est un programme en fait, il écrit un programme de travail qu'il n'a jamais fait. Il y a l'économie nationale. Qu'est-ce que c'est que l'économie nationale ? Eh bien Colbert c'est un opérateur en France de l’économie nationale, c’est le premier premier ministre qui crée des rapports entre les régions et tout ça donc crée une nation monarchique, une monarchie absolue. Et à partir de là, qu'est-ce que va montrer Mauss ? qu’il y a des rapports entre les nations, qui sont des économies nationales, qui échangent entre elles. Il y a donc un commerce international, un droit international, etc. Là, il y a aussi dans la publication des PUF, des choses qu'on ne trouve pas dans les Editions de Minuit sur le droit privé, le droit public, qui sont vraiment des questions importantes qu’on essaie de reprendre dans Genève 2020 par ailleurs avec l'aide de deux juristes et notamment Alain Supiot et d’autre part, il dit que l’Europe et que l’Europe c’est ce qui est basé sur des traits culturels fondamentaux des économies nationales. Par exemple, il n'y a pas de pays européen, c'est-à-dire d'économie nationale, sans un crédit national. Demain, je vous invite à l'Assemblée Générale d'Ars Industrialis, qui se passe rue Jean Lantier, dans le 17ème arrondissement. Je ne sais plus à quel numéro. 25. Aux 25 rue Jean Lantier, à partir de 17h30. Franck Cormerais sera là, c'est lui qui m’a fait lire ce texte. Je tiens à le souligner, Franck Cormerais a beaucoup travaillé sur le crédit, crédit municipal, crédit national, crédit coopératif, etc. En tout cas, ce que dit Mauss, c'est que l'Europe est constituée de nations qui cultivent à travers le système du crédit une confiance qui se traduit par une unité nationale. C'est extrêmement important. C'est extrêmement important parce quand vous dites Etat-Nation c'est terminé. Je connais beaucoup de gens qui ont dit ça, beaucoup de mes amis ont dit ça, moi-même j'ai dit ça d'ailleurs, et d'une certaine manière je continue à le dire. L'état-nation s'est terminé. C'est-à-dire l'adéquation parfaite entre la nation et le pouvoir d'Etat, c'est-à-dire ce que Hobbes appelle l'Etat et que moi j'appelle l'exorganisme complexe supérieur. Il y a beaucoup de gens qui disent c’est terminé… qu’est-ce que ça veut dire ? c’est plus la nation qui échelle la supériorité politique. Mais il faut quand même se rendre bien compte que quand on dit ça, ça veut dire qu'on nie la confiance, l'unité, le crédit. Le crédit, ça veut dire la croyance, c'est-à-dire l'identification. C'est terminé. Alors qu'est-ce qu'on a dans ce cas-là ? si on lit Emile Durkheim, on a ce qu'il appelle l'anomie. C'est-à-dire la guerre civile, la barbarie, la délinquance, la violence de tous contre tous, la guerre de tous contre tous. Donc d’accord pour dire l’Etat-Nation c’est terminé, ok, mais à quelles conditions ? Je ne suis pas sûr qu’Empire, Arte et Negri"Empire" est un livre écrit par Michael Hardt et Antonio Negri, publié en 2000. Il s'agit d'une analyse de la transformation du pouvoir politique et économique à l'échelle mondiale dans le contexte de la mondialisation. L'ouvrage explore les notions d'Empire, de multitude et de contre-Empire, proposant une vision critique de la domination contemporaine et des formes de résistance possibles. ↩︎ soient une bonne réponse à cette question. Je dis ça parce que c'est eux qui ont beaucoup développé ce truc, et je pense que non seulement ce n'est pas une vraie réponse, mais c'est même une calamité, ce discours-là, qui est en plus un discours juridique de la part de marxistes, je trouve ça incroyable... Enfin... Alors, Mauss développe tout cela et il dit, donc voilà ce que c'est que l'Europe, n'oubliez pas que c'est en 1920, deux ans après la première guerre mondiale. Il dit, « l'Europe est composée d'Etats dont le protectionnisme, les monnaies nationales, les emprunts et les changes nationaux exprimaient à la fois la volonté et la force de se suffire et la croyance interne en un crédit national auquel les autres pays font confiance. C'est la confiance interne mais aussi entre pays, dans la même mesure où ils font confiance en cette unité ». C'est extrêmement important. S'il n'y avait pas eu ce trait caractéristique, on ne trouve à la Renaissance, encore moins à l'âge féodal, ni même dans la monarchie absolue, ou même dans la monarchie tout court, dans ce qu’on appelait l’Ancien Régime c’est-à-dire XVIIe- XVIIIème siècle, il n’y aurait jamais eu le développement du capitalisme tel qu’on le connaît. Donc il est très important de prendre très au sérieux ce que dit Mauss là tout en ne l’intériorisant pas, évidemment, comme tel, parce qu'il y a quand même quelques problèmes. Par exemple, quand il dit « une nation digne de ce nom ». Une nation digne de ce... Qu'est-ce que ça veut dire, « digne de ce nom » ? C'est un peu lourd, quand même, comme discours. Et ça va mettre quand même à dire : les Allemands ne sont pas une vraie nation. Faut faire gaffe quand même. Évidemment, on peut... Alors, on est français, on a eu Louis XIV, et puis après on a eu les Lumières françaises, puis on a eu la Révolution française, on a eu Napoléon, on est vraiment une nation digne de ce nom. Bon, il ne dit pas ça bien entendu, mais je pense qu'il y a tout ce background qui fait qu'il dit ça. Sans s'en rendre compte d'ailleurs. Alors, il dit : « une nation digne de ce nom a sa civilisation, son esthétique, sa morale, son esthétique morale et matérielle est presque toujours sa langue. Alors ça c'est très intéressant, presque toujours sa langue ». Je pense évidemment à Plaine Commune,140 langues parlées et je me dis alors qu'est-ce qu'on est ? On est un territoire en dehors de la nation ? Oui, c'est-ce qu'on est ; on est un territoire en dehors de la nation. Je pense à Ernest Renan qui dit qu'une nation, c'est ce qui est capable d'intégrer toutes les langues qui arrivent, etc. Et Ernest Renan, il est cité au départ par Marcel Mauss. Je veux dire par là que Marcel Mauss pédale un peu dans la choucroute je trouve. Il a un peu de mal à ne pas se trouver pris dans des contradictions. Et je vous le dis parce qu'en même temps je vais essayer de le défendre. Pas aujourd'hui mais la prochaine séance ; j’essaierai de vous reparler d'un type dont j'ai déjà parlé, pas dans ce séminaire, mais dans un autre séminaire, qui est un bourgmestre flamand, en Belgique. Bourgmestre, c'est-à-dire le maire, le maire d'une ville flamande, donc dans le nord de la Belgique. Ce maire a dit un jour, je ne m'attribue plus les logements sociaux qu'à des gens qui parlent flamand. Ce qui a évidemment créé un tollé en Wallonie notamment, mais pas seulement, dans toute l’Europe en fait. Et moi j'ai pris sa défense. Alors vous allez vous dire vraiment Stiegler il sent mauvais, il commence à défendre ce genre de personne. Non j'ai pris sa défense comme une expérience de pensée. J'étais invité au Luxembourg à l'époque pour faire une conférence et finalement j'ai proposé aux gens qui m’avaient invité le discours de ce type-là et essayons de le comprendre, de le défendre. Qu'est-ce que c'est son problème ? Qu'est-ce que c'est que la Belgique ? C'est un pays où on parle plusieurs langues. Il n'y a pas une langue belge. On ne parle pas le belge, on parle ou flamand ou français, mais le belge ça n'existe pas. C'est comme le canadien, ça n'existe pas. On parle anglais, on parle français, on parle indien parfois au Canada, mais on ne parle pas canadien. Donc c'est typiquement un cas où c'est une nation qui n'a pas sa langue, sa façon d'écrire. Alors pour Mauss, ce ne sont pas des nations pleines et entières. Mais moi, qu'est-ce que j'ai essayé de dire là ? Et j'en reparlerai la semaine prochaine. J'ai essayé de dire qu'il fallait essayer de comprendre ce type ; si vraiment... Moi je pense que si on accuse quelqu'un, par exemple dans un tribunal, il faut d’abord essayer de comprendre ses motifs et aller le plus loin possible ; ça c'est la limite, ça on ne peut pas lui pardonner donc 15 ans de prison. Et là, on est un bon procureur général, on fait vraiment son boulot, on essaye d'être juste. Un procureur qui est purement accusateur, il y a beaucoup de procureurs qui sont purement accusateurs, c'est-à-dire qui travaillent pour le parquet, ils appliquent les commandes du ministère de l’intérieur, ce n’est pas un bon procureur ; un bon procureur va prendre parti de l'intérêt national et de l'Etat, mais en étant juste. Il doit commencer par défendre l’accusé. Enfin pas le défendre, mais essayer de se mettre le plus possible à sa place. Qu'est-ce que c'est le problème de ce bourgmestre flamand ? Il n'y a jamais eu le Belge, ça n'existe pas. Mais il y avait l'Église. Il y avait l'Église qui constituait en Europe, dans toute l'Europe occidentale, pendant 1000 ans quasiment ce que j'ai appelé moi le processus de transindividuation de référence. Le problème par exemple du royaume de France. Le royaume de France était constitué par des duchés, des comtés qui se faisaient la guerre en permanence, ça n'arrêtait pas, ça détruisait le pays d'ailleurs, ça détruisait tout. Et il fallait qu'ils arrivent à rester plus ou moins unis. Et qu'est-ce qui faisait qu'ils restaient unis ? C'est qu'il y avait une transcendance. Qui, à cette époque-là, s'appelait le pape en fait. Et il y a toujours eu des processus de transindividuation de référence. Par exemple la Grande Grèce elle est constituée de toutes sortes de petites langues, il y a une koinè, une langue commune qu'on parle, mais il y a surtout une identification à quoi ? Aux Jeux Olympiques, à une culture. Les Jeux Olympiques ce n'est pas simplement du sport, c'est aussi des concours de tragédie, c'est la culture hellène. Et ça c'est absolument fondamental. C'est ça qui contribue à ce que j'appelle la supériorité. La supériorité c'est un exorganisme complexe supérieur. Alors est-ce que ça veut dire qu'il faut réintroduire du religieux, du théologique, de l'olympique ou je ne sais pas quoi, la mythologie des dieux, du polythéisme ? pas du tout. Ça veut dire que à un moment donné, Voltaire, Diderot, Kant, etc. vont dire : bon, c'est terminé la domination de l'église. C'est terminé. Alors pour Voltaire c'est terminé totalement, pour Kant ce n’est pas tout à fait terminé. Il faut continuer à se référer aux écritures, à la révélation, etc. Mais ça n'est plus l'Église qui va se prononcer. Donc ils vont faire le conflit des facultés, il faut émanciper la philosophie de la théologie et puis s'est constitué l'université moderne qui va être la base de Bismarck, de la Prusse et de l'Allemagne qui va battre la France sur le plan militaire et sur le plan industriel, c'est extrêmement important. Tout comme en Angleterre, c'est l'Académie royale des sciences qui est au service de la marine anglaise, c'est-à-dire de l'armée anglaise, et qui va constituer l'empire colonial de l'Angleterre, qui est absolument immense, qui n'a pas de limite. Ça, dans mon analyse, c'est ce qui produit de la néguanthropie de l'anthropie. Et donc, aujourd'hui, la question qui se pose à nous, du côté de l'internation, si nous défendons cette idée de l'internation, dont Franck Cormerais nous reparlera demain à la réunion d’Ars Industrialis – il me l’avait présentée il y a 30 ans presque - c’est la question de comment on réintroduit des processus de transindividuation de référence qui sont forcément non calculables. Sinon, ce n’est pas de la transindividuation de référence. L'entropie, c'est du jeu de guerre, ce n’est pas... C'est des exorganismes fonctionnels au sens vulgaire. Ce que nous soutenons, nous, ce matin, on a imaginé avec Maël et Giuseppe d'organiser des rencontres sur la science, sa responsabilité, son rôle dans l'avenir, etc., avec les questions qui se posent aujourd'hui, eh bien c'est de produire des bifurcations. C'est de produire de la néguanthropie et de l'anti-anthropie, c'est-à-dire ne jamais être assigné aux objectifs de l'efficacité, etc. De toujours être en excès sur les systèmes sinon ça produit l'anthropocène. C'est ça l'anthropocène, c’est produit par ça, c’est ce qu’on avait écrit dans le premier texte de Genève 2020. C'est dans ce sens-là que j'avais pris la défense de ce Bourgmestre qu’au final je pense qu'il faut condamner, bien entendu, parce que sa politique est tout à fait nuisible, mais il faut la condamner en la comprenant. Cette politique elle est menée pourquoi ? Parce que sa petite ville à ce Bourgmestre qui est constituée d'habitat social, de délocalisation du centre-ville, de destruction de l’urbanité, etc., elle est dominée par les marques. Ça ne produit aucune intégration, aucune identification, et ça fait que ça va très mal. Ça va très très mal, dans toutes ces petites villes de Belgique, la situation est archi-tendue. Donc à partir de là, condamnons-le, mais intelligemment. C'est-à-dire en tirant les leçons de ce qui est condamnable. Et en le transformant quasi-causalement. Je vais m'arrêter là, je suis désolé, parce que je voulais aller beaucoup plus loin dans Mauss, mais tant pis. Merci beaucoup.