Séance 5 : Néguanthropologie et anti-anthropie
Exorganologie II Remondialisation et internation
Bernard Stiegler,
« Séance 5 : Néguanthropologie et anti-anthropie »,
dans
Michel Blanchut,
Victor Chaix (dir.),
Le séminaire Pharmakon en hypertexte :
2019 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures
numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2019/seance5.html.
version 0, 20/12/2025
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La session précédente, le 7 avril, je disais que la démarche que nous essayons d'adopter dans le cadre de ce séminaire, qui est, comme vous le savez, lié à la fois au programme de Plaine Commune et à ce que nous essayons de faire en direction de l'ONU pour le mois de janvier prochain, s'inscrit dans ce que je propose d'appeler une néguanthropologie et que cette néguanthropologie est elle-même vouée à essayer de penser ce que j'appelle l'anti-anthropie. Le concept d'anti-anthropie étant une espèce de translation du concept d'anti-entropie auquel Giuseppe Longo et Maël Montevil avec Francis Baggy ont travaillé il y a déjà une quinzaine d'années dans le champ de la biologie et en distinguant l'anti-entropie de la néguentropie, en essayant de montrer que l'anti-entropie, ça ne se réduit pas simplement à la néguentropie, c'est-à-dire à la constitution stabilisée d'un ordre, mais c'est au contraire, même ce qui produit un désordre. Si on avait le temps il faudrait discuter de tout ça avec Yuk Ui et son concept de récursivité mais je vais pas le faire maintenant et pourquoi est-ce que je vous parle de ça c'est parce que je redis - alors il vous a peut-être pas échappé que depuis la dernière fois qu'on s'est vu le Rassemblement National s'est réuni et a présenté son programme à travers madame Madame Marine Le Pen, porteuse du « Marine Le Penisme », je l'appelle comme ça, et elle a posé que son programme c'était le localisme. Si je vous en parle c'est parce que c'est aussi notre sujet, non pas le localisme mais la localité. Donc il faut, il va falloir que nous soyons de plus en plus rigoureux dans l'exposé de ce concept de localité dans un contexte qui est assez complexe. En tout cas si je vous dis ça c'est parce que l'anti-anthropie ce que j'appelle ainsi donc avec un a et un h ne peut se constituer qu'à partir de localités - c'est ce que j'avais essayé de dire il y a un mois - ces localités étant elles-mêmes enchâssées les unes dans les autres, constituant des échelles - moi par exemple je suis une localité psychologique ; moi en tant que je suis un moi, je suis une localité psychologique mobile, je me déplace, etc. mais je suis une localité, il y a toutes sortes de localités. lors ces relations entre localités, j'essaye de les figurer comme ça depuis très longtemps, je ne vais toujours pas expliciter ce que signifie ce diagramme, mais en tout cas, qu'est-ce qu'il tente de figurer avant tout, c'est les rapports entre diachronie et synchronie. D'ailleurs ces concepts qui viennent de la linguistique, Maël les utilise beaucoup dans son travail en biologie. Moi par exemple, je suis cette grande spirale que vous voyez là, constituée par des tas de petites spirales qui sont les différentes facettes de ce que je suis. Je ne suis pas toujours la même personne ; je change, je me reconfigure, par exemple quand je joue avec mon fils, je ne suis pas exactement la même disposition que quand je suis en train de bosser à l'IRI, etc. Heureusement d'ailleurs, parce que ce ne serait pas marrant pour mon fils et ce serait ennuyeux pour l'IRI si je mélangeais tout ça. Et nous faisons ça en permanence. Et ça signifie aussi que nous métastabilisons une espèce d'identité, de pseudo-identité en fait, qui n'existe pas, qui est un processus d'identification plus qu'une identité. Et cette identification, c'est une identification à quelque chose qui n'existe pas, mais qui sert d'horizon à une synchronisation. Et qui fait que, entre ces différentes composantes, ça peut être Dr. Jekyll et Mr. Hyde, derrière tout ça il y a des questions qui peuvent aller extrêmement loin, qui conduisent à la théologie, à tout ce que vous voulez, il faut trouver des compromis, des compromis existentiaux, on pourrait les appeler comme ça. Et ce sont des compromis entre des localités, entre des localités qui tendent à se délocaliser, si je puis dire, à se projeter dans une personnalité qui est exposée au, c'est ce que j'avais dit il y a un mois, au paralogisme de la personnalité dans la critique de la raison pure d'Emmanuel Kant. Alors la localité, chez moi, ça va de la localité, par exemple, de ces petites spirales à l'intérieur de moi, c'est-à-dire de mes différentes facettes, localité psychique, jusqu'à la biosphère en totalité, qui est une localité au sens rigoureux du mot, au sens où Vernatzky dit, voilà, la biosphère c'est le lieu de la vie, en tant qu'elle forme un système sur une planète qui s'appelle la Terre et c'est une localité qui est aussi une singularité dans l'univers au regard des lois de l'astrophysique. C'est une singularité parce qu'elle n'est pas réductible aux lois de l'astrophysique. C'est aussi pour ça que Schrödinger travaillera sur la question de savoir qu'est-ce que la vie. Mais c'est une localité. J'y insiste beaucoup parce que quand on dit localité, ça ne veut pas dire nécessairement défendre son village natal ou je ne sais quoi de ce genre. C'est aussi défendre la localité que constitue la biosphère en totalité. Ce n'est pas parce qu'on se met à l'échelle de la biosphère qu'il n'y a plus de localité, bien au contraire. Ce qui définit la biosphère, c'est la localité. Après, la question est aujourd'hui, le rapport entre cette localité biosphérique et ma localité, par exemple, qui est totalement détruit parce que toutes sortes de destructions, d'abord de la cosmologie en tant que telle, je parle de la cosmologie au sens où la cosmologie articulait des échelles, des échelles de grandeur, et puis plus généralement le marketing et tous ces dispositifs liés, issus du consumer capitalism, ont détruit les rapports entre les deux et je pense moi que Paul Klee, par exemple, dans ce dessin, et au début de sa théorie de l'art moderne, essaye de penser ce genre de choses dans un contexte qui est celui du XXe siècle.
Cela dit, cette spirale qui est elle-même dans une biosphère, une biosphère qui ne se sent pas bien aujourd'hui, elle s'inscrit dans une disposition cosmique par ailleurs, à une échelle beaucoup plus vaste qu'est l'échelle de la galaxie, etc. Qu'est-ce que je suis en train de vous dire ? je ne suis pas en train d'essayer de vous en vous vendre une théorie générale il en existe Rodier par exemple une théorie générale des systèmes dynamiques ou de je sais pas quoi où on arriverait finalement à créer une continuité entre toutes ces choses-là - je dis Rodier par exemple parce que on me fait on me dit souvent tu devrais lire Rodier. Rodier c'est quelqu'un qui essaye d'intégrer la thermodynamique, les structures dissipatives, le vivant, etc. pour dire tout va bien dans le monde finalement, il y aura toujours une bonne solution à trouver. Et non, pas du tout. Je pense que ce que fait Rodier c'est qu'il efface des problèmes. Justement il produit une théorie générale qui est rassurante, mais pas du tout satisfaisante sur le plan théorique à mon point de vue. Ce que j'essaye de faire en commençant ce séminaire aujourd'hui avec ce genre de propos, outre que je résume ce que je fais à chaque fois un petit peu ce qu'on a vu dans les séances précédentes, j’essaie de remonter le temps. Le XXIe siècle, dans lequel nous sommes, passe pour la plupart d'entre nous, nous tous ici, par le XXe siècle, parce que nous sommes tous du XXe siècle, nous sommes tous nés au XXe siècle, je ne pense pas qu'il y ait des gens de 19 ans ici, on a tous plus de 19 ans, donc on est tous des gens du XXe siècle dans le XXIe siècle. Et ce que j'essaye de faire, c'est à partir de ce « nous » là que constitue ce séminaire, qui est du XXIe siècle, de remonter vers ce qui apparaît il y a 4 mia d’années, la formation de la terre, et d’essayer de comprendre ce qui se passe dans les 220 derniers millions d'années, l’apparitions des mammifères, c'est assez récent finalement, l'apparition des mammifères. La vie apparaît il y a très longtemps, elle apparaît presque au début de la Terre ; la biosphère, ça commence presque avec la Terre, avec la géologie quasiment. C'est d’ailleurs pour ça qu'il est très difficile de séparer géologie et géochimie et biochimie, c'est ce que montre Vernadsky justement. Mais la vie au sens où, par exemple, les fleurs et les oiseaux apparaissent, c'est récent, 150 millions d'années les oiseaux, 135 millions les fleurs. Les fleurs apparaissent après les oiseaux. C'est très étonnant ... voilà alors pourquoi est-ce que je vous parle de tout ça ? c’est parce que tout ça ce sont des apparitions de localités, ce sont des localités qui se constituent, on appelle ça des niches ou autrement. Donc moi j'essaye de remonter tout ça en passant par Vernadsky et un certain nombre d'autres pour arriver où ? Ici, c'est à dire dans ce séminaire puisque ça c'est l'affiche que nous avons grâce à Giacomo qui a trouvé cette peinture de Marc Chagall qui représente un poisson volant qui joue du violon avec un pendule formidable, absolument formidable.
Ce séminaire, il se tient dans la biosphère, mais pas dans la biosphère à son début, ni il y a 65 millions d'années, ni même il y a 3 millions d'années avec l'apparition de l'exosomatisation, je vais en reparler évidemment encore, mais à l'époque de la technosphère. C'est-à-dire à une époque où, subitement, à la biosphère, il faut ajouter quelque chose de nouveau. Autour de la biosphère, en dehors de la biosphère, se produisent des choses qui viennent de la biosphère et qui changent beaucoup de choses. Alors, engager dans ce devenir technosphérique, dès que s'est produite l'évolution exosomatique - en fait, moi je soutiens que ce processus que nous voyons aujourd'hui, nous, et que nous vivons en permanence avec, par exemple, l'utilisation des balises GPS, etc. Aujourd'hui, la présence des satellites est dans la vie quotidienne de tout le monde, en permanence et de manière sensible ; tout le monde sait plus ou moins que la triangulation permet le guidage, ce que tous les pilotes d'avions savaient, par exemple, depuis déjà plusieurs décennies, puisqu'ils pratiquaient aussi le guidage comme ça. Aujourd'hui, n'importe qui, n'importe quel chauffeur de taxi, n'importe quel piéton qui se balade à Paris pour voir le toit effondré de Notre-Dame utilise le GPS et sait plus ou moins que c'est lié à des satellites, un processus de triangulation. Ça c'est quelque chose de tout à fait nouveau et qui est lié à une nouvelle ère de la biosphère, qui est l'ère de la technosphère s'accomplissant véritablement, à travers ce que j'appelle moi l'exosphère. La technosphère, c'est la biosphère plus l'exosphère. La technosphère aujourd'hui, je veux dire. Mais cette dynamique-là, elle a commencé il y a 3 millions d'années à l'échelle des 4,3 milliards d'années de l'histoire de la Terre, c'est relativement bref. Et évidemment, je n'arrête pas de vous parler de ce fait que, si on veut comprendre ce qui se passe là, il faut lire Lotka. Il faut lire Lotka et en particulier comprendre ce qu'il veut dire lorsqu'il dit quelque chose d'incomparablement plus rapide qui se produit à partir de l'exosomatisation. C'est-à-dire que la production d'organes nouveaux dans l'histoire du vivant, ça prend toujours pas mal de temps. Pas mal de millions, dizaines de millions, centaines de millions d'années. Mais tout à coup, par exemple, c'est un exemple que j'ai donné déjà mille fois, par exemple, Sony produit 5000 brevets en un an en 1995. Bien entendu, sur ces 5000 brevets produits, il n'y en a que 50 qui vont se traduire en produits industriels, avec un marché, etc. Il n'y en a peut-être que 5 qui vont tenir. Par exemple, la caméra Sony, machin, etc. Mais si vous regardez à l'échelle de la diversification exosomatique des organes, c'est absolument foudroyant. Et c'est beaucoup plus efficace que le vivant… en apparence. C'est beaucoup plus efficace en termes de rentabilité, de diversification dans le temps. 5 000 brevets en 1995 pour une entreprise mondiale, certes, mais c'est incomparable à tout ce que le vivant peut produire comme diversification. Oui, mais ça dure combien de temps ? C'est ça que pose le problème que ça pose. Alors, ce que j'ai essayé de souligner, c'est que si nous travaillons sur la localité, c'est parce que nous travaillons sur la diversification. Et que la diversification, eh bien, elle se produit toujours dans des localités, au sens où, depuis Schrödinger, on pose que l'entropie négative ne peut être produite que localement. Alors après, le problème c'est à quelle échelle de localité ? La cellule, l'organe, le corps multicellulaire et multiorganique, la niche en tant que telle, la biosphère en totalité et beaucoup d'autres possibilités. J'essaie de vous montrer que si on veut penser l'avenir, il faut penser ce qui s'est passé, depuis l'exosomatisation en particulier, on est passé de cette diversification qui nous enchante tous à celle-ci qui est la noo-diversification et non pas la bio- diversification. Il y a des niches noo-diverses comme il y a des niches bio-diverses. Ces niches, la question n'est pas de les classer en termes d'infériorité et de supériorité au sens où, par exemple, on dit que voilà les organismes vertébrés supérieurs sont supérieurs aux organismes inférieurs. Non, je partage le point de vue de, par exemple, Kevin Kelly dans ce texte où il reprend d'ailleurs une représentation du vivant de David Haylis. Tu connais ça, David Haylis ? Non ? Je m'adresse pour ceux qui sont en ligne à Maël Montévil. Bon, pourquoi c'est intéressant cette représentation du vivant qui n'est pas la représentation habituelle avec l'arbre, le fameux arbre, du buissonnement, voilà, en haut il y a l'homme, je ne sais pas quoi. Pourquoi est-ce que c'est intéressant ? C'est intéressant parce que ça montre qu'il y a une solidarité organique entre les organismes qui est fondamentale. Alors moi je dis souvent que si on veut se représenter ce que c'est que l'enjeu de la biodiversité pour nous aujourd'hui, nous dont on nous dit que depuis 100 ans on a détruit 60% de la biodiversité et comme on le sait, enfin vous l'avez entendu dire, pour reconstruire la biodiversité il faut des millions d’années ; c’est très rapide de détruire - les fameuses analyses de ce qu'on appelle les extinctions de masse, il y en a eu cinq, montrent tout ça. On peut aller très vite à éliminer de la biodiversité, mais pour la reproduire, c'est beaucoup plus long. Beaucoup plus long. Incomparablement plus long. Moi je dis souvent, représentez-vous le vivant comme une pyramide, le sommet n'existe pas sans la base. C'est tout simple à comprendre. Mais voilà, si l'homme ne peut pas vivre sans bactéries, sans micro-organismes, sans toutes sortes de choses, en tout cas pas très longtemps. Je crois que c'est ce que disent grosso modo les biologistes. Tu es d'accord, Maël, avec ça ? C'est grosso modo ça l'enjeu de la biodiversité. Avec toujours, bien entendu, des modulations et des cas limites. Abandonner le point de vue hiérarchique qui consiste à dire par exemple, comme c'est le cas sur ce diagramme, les bactéries ne sont pas inférieures aux êtres supérieurs puisque les êtres supérieurs ne peuvent pas se passer des bactéries, donc en fait il faut regarder le tout, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de hiérarchie, ça ne veut pas dire qu'il n’y a pas d’échelles, mais il faut les repenser selon des modalités tout à fait nouvelles. Ce sont les questions que j'avais essayé de traiter, je crois que c'était l'année dernière ou il y a deux ans, dans le séminaire que j'avais consacré à la scalabilité, à l'étude des échelles.
Alors, d'autre part, je voudrais faire une petite remarque en passant. Ce sont des éléments un peu, comment dire, préliminaires finalement à la lecture de Marcel Mauss, puisque finalement nous sommes dans ce séminaire pour lire Marcel Mauss. Et je n’en parle pas tant que ça de Marcel Mauss, je vais y revenir tout à l'heure. Mais toujours j'apporte des préliminaires parce que je pense qu'il faut beaucoup beaucoup de préliminaires. Je voudrais faire, dans les préliminaires, une remarque sur l'humus. Pourquoi est-ce que je fais cette remarque ? Ce n’est pas pour essayer de nous outiller un tout petit peu en biologie ou en zoologie ou... Non, c'est parce que... alors cela dit, il faudrait lire cette notice. Ce dessin, il vient de la notice Wikipédia sur humus, qui est intéressante. Il faudrait la regarder de près. Il faudrait... Bon, par exemple, l'humus, ce que montre la notice, c'est qu'on sait ce que c'est depuis que le microscope est apparu. Parce que ce n'est qu'à partir du moment où on comprend qu'il y a des êtres vivants dans l'humus et plusieurs types d'êtres vivants, de micro-organismes, qu'on commence à comprendre ce que c'est que le travail de l'humus. Le travail de l'humus, c’est un travail de décomposition où le mort produit le vif. C’est pour ça qu’un désert c’est ce qui n’a pas d’humus. C’est pour ça c'est désertique. Il n'y a pas d'accumulation de décomposition donc il ne se constitue pas de terrains qui permettent de la végétation ni donc de la faune, même s'il y a toujours des faunes d'exception comme les chameaux, certaines vipères etc. qui arrivent à vivre dans les déserts, ou les scorpions. Si je vous parle de tout cela, c'est parce qu’outre qu'il signale qu'on est en train de détruire l'humus par les labours, etc. ça ça fait 30 ou 40 ans, ou 50 ans que les écologistes le répètent et que tout le monde s'en fout, il va falloir s’y intéresser vraiment et tenir un vrai discours global et politique et économique sur ce sujet. Mais en tout cas, si je vous dis tout ça, c'est parce que moi je soutiens que ça aussi c'est une sorte d'humus (image d’une bibliothèque). L'humus, c'est ce que Vernadsky appelle la nécromasse. Le vivant, il appelle ça la biomasse. C'est lui qui a introduit tous ces trucs, qui aujourd'hui tout le monde parle de ça, mais jusqu'en 1926, personne ne parlait de ça. C'est Vernadsky qui en 1926 a posé ces problèmes. Il a dit, le vivant c'est une masse, c'est une masse qui pèse des milliards de milliards de tonnes, qui produit des milliards de milliards de milliards de tonnes d'oxygène, d'eau, de trucs et de machins, voilà. C'est une activité biochimique qui produit des minéraux, qui produit des molécules, qui produit tout ce qui constitue en fait la trace chimique de la biosphère sur la terre, dans cette couche de 30 km environ, qui constitue la biosphère, puisque la biosphère c'est très fin autour de la terre. Et il pose que cette biomasse, elle n'est possible que parce qu'il y existe une nécromasse. Et que les cadavres, en fait, ce que j'appelle les cadavres, c'est aussi bien les feuilles des arbres que nos cadavres à nous, qui sommes entérrés dans des cimetières ou toutes sortes d'autres choses, les microbes qui disparaissent. Tout ça, ça produit une nécromasse qui est un travail chimique de transformation des molécules. Et ce travail chimique de transformation des molécules, il est absolument essentiel au vivant. Donc le vivant n'est jamais autosuffisant. Si on détruit toutes les bactéries, l'humus ne peut plus se produire, et donc il ne peut plus y avoir de vivants du tout. Ça c'est extrêmement important. C'est ça l'importance d'avoir une approche systémique. Maintenant si je vous dis tout ça, c'est parce que moi-même j'essaye de montrer qu’il y a une nécromasse noétique et pas biologique. Qu'est-ce que vous y trouvez dans cette très belle bibliothèque ? Une accumulation, depuis des milliers d'années, de textes. Comme dans toutes les grandes bibliothèques, vous avez des milliers, des millions d'auteurs qui s'accumulent, qui se citent les uns les autres, etc. Et qui travaillent, et qui sont travaillés par l'esprit un petit peu comme l'humus est travaillé par les bactéries. Il y a des travaux qui se font là et qui sont, parce qu'ils constituent ce que j'appelle, ce que Simondon appelle le fonds pré-individuel et que moi j'appelle l'épiphylogénèse. Alors ça n'est pas que ça, ça c'est une dimension de l'épiphylogénèse, c'est une dimension hypomnésique dans le monde d'ailleurs littéral, lettré. Mais il y a toutes sortes d'autres dimensions, il y a évidemment tous les instruments de travail, tout ça ça constitue une accumulation, une nécromasse noétique qui est essentielle à la vie de l'esprit. Et tout ça c'est ce qui est en train d'être aujourd'hui totalement transformé par quoi ? Par les moteurs de recherche, par les algorithmes, un petit peu comme le labour a transformé l'humus, etc. Ça a une productivité fantastique, on a appelé ça dans le monde agricole la révolution verte. Donc oui, ça a produit énormément de choses, mais le prix est extrêmement élevé et dans la durée, ça ne peut pas tenir. Donc c'est là-dessus qu'on travaille et là, je veux réintroduire le fait que ces nécromasses, noétiques comme biologiques d'ailleurs, sont toujours localisés et elles sont travaillées par la question de la diversité, au sens où le divers se traduit par exemple par des paysages. Ce paysage-là qui est un paysage asiatique, il est très différent de ce paysage-là qui est un paysage africain. Et il ne peut pas en être autrement parce que voilà, ici il y a beaucoup moins de muscles que là. Et ce n'est pas du tout le même type de localité. Et cette localité, on ne peut pas l'éliminer. On doit la traiter. On doit la prendre en charge, la prendre en compte. Alors, ce que j'essaye de vous dire là, c'est que la diversité, c'est le principe même de l'évolution depuis l’origine de la vie jusqu’à l’évolution diachronique des langues et puis des technologies, et que ce principe de diversification, il est ce que Schrödinger nous permet de comprendre d'abord en tant qu'il induit, qu'il est induit, pardon, il est induit, nous le dit Schrödinger, là je reviens au vivant, donc pas simplement à l'exosomatisation, par la différance de l'entropie. La différance de l'entropie, ce n’est évidemment pas un langage de Schrödinger, c'est plutôt un langage de Derrida, tel que je le lis moi-même. Lui-même n'aurait certainement pas repris à son compte cette expression-là, mais essayer de lire Derrida, toute l'histoire de Derrida dans De la grammatologie, par exemple, du point du vue d’une lutte pour différer l'entropie, ça marche très très très bien. Derrida ne l’aurait sûrement pas accepté, mais ça marche parfaitement bien. Ce n’est absolument pas en contradiction avec tout ce qu'écrit Derrida. Donc c'est ce que j'essaye de faire là, c'est ce que Derrida appelait une lecture interne, j’essaye de lire Derrida contre Derrida pour aller au-delà de Derrida ; c’est ce que lui-même essayait de faire avec Heidegger et je pense qu’il faut faire ça aujourd’hui du point de vue de la question de l’entropie parce que nous sommes dans l’Anthropocène qui est avant tout une augmentation du taux d'entropie. Alors, la diversité est le principe même de l'évolution, dis-je, d'une part en partant de ce que dit Schrödinger du vivant en tant que tel, qui est une différence temporelle et spatiale de l'entropie. Spatiale, ça veut donc dire local. Ça veut dire aussi historique et géographique du point de vue des humains, au sens où il y a une géographie humaine et une histoire humaine qui constituent des histoires et des localités. Et des histoires qui passent aussi par le fait de raconter des histoires. Les histoires, l'histoire, si on dit il y a de l'histoire, par exemple, il y a de la préhistoire, il y a de la protohistoire, il y a de l'histoire, c'est parce qu'on se raconte des histoires. Les êtres historiques racontent des histoires. Ils ne sont pas simplement des historiens qui font de l'historiographie, ce sont aussi des gens comme Shérazade qui raconte des histoires à un sultan avec tout ce que connote Shérazade, à savoir que, vous savez certainement, elle essaie de garder l’intérêt du sultan parce que le sultan, à la fin, quand il sera lassé de la consommer sexuellement il la fera exécuter. Donc elle vit pour, elle diffère par le récit l'entropie qui est pour elle sa propre mort. C'est ça l'histoire des mille et une nuits. Et chaque fois Shérazade reproduit un nouvel épisode. Et ça c'est une extraordinaire allégorie de ce que c'est que la différance avec un a. Mais la différence avec un a, pas simplement de l'entropie avec un e, mais de l'anthropie avec un a et un h, l’anthropie du sultan. Cette diversité s'agence avec des localités diverses et non seulement territoriales. La localité, ce n’est pas seulement la localité du territoire. D'abord parce qu'il y a des territorialités qui sont des territorialités à la limite de la territorialité comme par exemple le nomadisme, le commerce ambulant aussi. Ça passe par les déserts, c'est ce que montre dans son livre L'Aventure Humaine, Arnold Toynbee qui réfléchit beaucoup à ce qui se passe dans les déserts. La question du rôle de la territorialité, dont il reste à faire l'histoire, je ne connais pas une véritable histoire de la territorialité. Il y a une histoire de la géographie, si je puis dire, il y a une géographie humaine historique, etc. Mais une histoire de la territorialité, c'est-à-dire des conditions dans lesquelles un territoire se constitue en tant que territoire, je ne suis pas sûr qu'il en existe une. Par contre, je pense que Deleuze et Guattari ont proposé des points de départ pour ça, dans l'Anti-Œdipe, dans le chapitre sauvages, barbares et civilisés, où ils posent qu'il y a de la territorialité, c'est « la machine primitive subdivise le peuple, mais elle le fait sur une terre indivisible », et c'est à partir de ce point de départ que se produit une déterritorialisation, mouvement de déterritorialisation dont parle Deleuze et Guattari, qui est un mouvement de territorialisation. Ils l'ont expliqué, je crois, plus tard dans Mille Plateaux, en disant « Mais attendez, quand on vous a dit la déterritorialisation, c’est l’avenir du territoire mais c’est aussi une reterritorialisation ». Et je pense qu'aujourd'hui, il faut reprendre ces propos de Deleuze et de Guattari, mais en y intégrant un point de vue sur l'entropie que Guattari lui-même a introduit à la fin, page 71, des Trois écologies. Lorsqu'il dit « Il risque de ne plus y avoir d'histoire humaine sans une radicale reprise en main de l'humanité par elle-même, par tous les moyens possibles, il s'agit de conjurer la montée anthropique ». Si on sait ce que c'est que l'entropie et la néguentropie et l'anti-entropie, on ne peut pas conjurer la montée anthropique si on ne reproduit pas de la localité, si on ne reproduit pas de la territorialité. Et ça ce n’est pas moi qui le dit, c'est Guattari. Donc, alors après, est-ce qu'il faut reprendre ce que dit Guattari avec les concepts de Guattari lui-même en 1989 ? Je crois que je l'ai déjà dit, mais je n'en souviens plus. Ce texte, en fait, je l'ai appris de Sacha Goldman, que j'ai rencontré tout à fait par hasard il y a deux ou trois mois, ce n'était pas du tout un projet de livre de Guattari, c'est une conférence qu'il a donnée, et c'est Sacha Goldman qui lui a dit mais il faut absolument faire un livre etc. Donc ce n'était pas un projet de Guattari d'investir dans ce truc-là, on lui avait demandé de faire une conférence, il a improvisé un truc en fait et finalement ça a donné un livre Les trois écologies où j’ai essayé de montrer tout récemment que en fait il fait bouger beaucoup de choses par rapport à ce qui s’était dit dans les quinze années précédentes depuis L’anti-Œdipe ; eh bien il faut continuer à bouger avec lui. Guattari, c'est une nécromasse noétique. Donc il est mort, Deleuze est mort, Derrida est mort, tous ces gens-là sont morts, il faut travailler avec eux ; il faut produire des choses nouvelles, faire pousser des choses nouvelles là-dessus ; il faut travailler sur ces questions sur pièces. Qu'est-ce que je veux dire en disant travailler de telles questions sur pièces ? C'est ce qu'on essaye de faire à Plaine commune. Lorsque, par exemple, on constitue l'Institut de gestion de l'économie contributive et qu'on essaye de mesurer le coût des externalités négatives qui sont liées, par exemple, on constitue l'Institut de gestion de l'économie contributive et qu'on essaye de faire, de mesurer le coût des externalités négatives qui sont liées, par exemple, à la délocalisation, à la déterritorialisation, ça a des coûts énormes sur le plan économique et c’est ça qu’appelait Guattari quand il produisait ses Trois écologies. Il essayait de constituer des bases méthodologiques pour quoi faire ? Pour articuler l'économie, la psychiatrie ou la psychologie ou la schizoanalyse, appelez ça comme vous voulez, etc. Et par exemple, il faut se poser des questions à l'échelle de la biosphère aujourd'hui sur les possibilités qu'il y a à vivre dans le Sahara, dans les conditions contemporaines, sans détruire la culture du Sahara, mais au contraire en la relançant du Sahara ou des environs du Sahara. Si je vous dis ça, c'est parce que je pense au travail de Titouan Lampe qu'on avait fait venir au mois de décembre dernier au centre Pompidou, qui a travaillé avec les habitants du Moyen Atlas dans le sud du Maroc sur les filets à nuages et avec ces habitants, non pas pour leur imposer une technologie, mais en vue de constituer véritablement une appropriation de ce nouveau stade de l'exosomatisation qu'est le filet à nuages. Un filet à nuages c'est une technologie qui permet de capter le brouillard et avec le brouillard de produire de l'eau. Il y a beaucoup de brouillard dans le Moyen Atlas et c’est comme ça que Titouan lampe a remis en culture une vallée qui est en pleine désertification et pour s’opposer à quoi ? aux usines de désalinisation qui sont développées par le gouvernement marocain et dont beaucoup que ce n'est pas tout à fait une bonne démarche. C'est ça les questions que nous posons quand nous nous introduisons les questions de localité. Nous pensons qu'il faut repenser l'économie en introduisant ces facteurs-là comme des facteurs quantifiables et qualifiables pour pouvoir, eh bien, dépasser l'ère anthropocène. Il faudrait donc faire, disais-je, une histoire de la territorialité pour pouvoir aussi parler de la localité qui n'est pas réductible à la territorialité mais qui passe toujours par la territorialité. J'essaierai de vous dire pourquoi tout à l'heure. Il faudrait partir de Vernadsky, de Lotka, de Braudel, de Toynbee, de Leroy Gourhan, de Deleuze et Guattari. Il faudrait le faire, mais nous n'avons pas le temps. Il faudrait faire ça, je suis en train de vous dire, il faudrait qu'on fasse une histoire de la territorialité, mais on n'a pas le temps. Moi je prends très très au sérieux le secrétaire général des Nations Unies lorsqu'il dit il dit il y a un an il reste12 ans, d'après ce que me dit le GIEC, il reste 12 ans pour changer. Alors il va falloir décider sans avoir le temps de faire des choses qu'il faudrait faire. Par exemple, une histoire de la territorialité, on n'a pas le temps de la faire. C'est pour ça que je soutiens que nous devons travailler en état d'exception noétique. Nous sommes dans un état d’exception ; jamais l’humanité, jamais une espèce vivante d'ailleurs, quelle qu'elle soit, n'a rencontré une telle situation où elle n'a que 12 ans ; tout ça doit se moduler ; bien entendu, il ne faut pas le prendre au pied de la lettre bêtement. Mais grosso modo, c'est l'échelle de transformation dans laquelle nous sommes, c'est 12 ans. 12 ans, on ne fera pas une histoire de la territorialité. Il va donc falloir travailler sur la différence entre local, territorial, etc. sans avoir pu faire cette histoire. Il va donc falloir faire des hypothèses qu'on n'aura pas le temps de transformer en thèses. C'est ça que j'appelle un état d'exception noétique. Et ça, c'est le sujet de la démarche qu’on va proposer à Genève le10 janvier 2020 ; c’est comme ça qu'il faut travailler, il faut poser tous ces problèmes, c'est une problématique qu'il faut poser à la communauté scientifique, à la communauté économique, à la communauté bancaire, à la communauté des citoyens, à toutes les communautés et à toutes les localités. Et il ne faut pas ignorer que cet état d'exception noétique ne peut qu'engendrer une chose, c'est la panique, l'état panique. En fait, l'état d'exception noétique, il est déjà là, ça s'appelle la post-vérité aujourd'hui. Il est vécu sur un mode extraordinairement, comment dire, symptomatique, symptomatologique, mais il est là et se traduit sur ce mode de la post-vérité qui ne touche pas que les électeurs de Donald Trump, ou les gens qui produisent des fake news ou qui dénoncent des fake news, ça touche tout le monde. Vous et moi, nous tous, ça nous touche tous. Et la question qui se pose à nous, c'est que cet état panique, qui est la traduction quotidienne de l'état d'exception noétique, eh bien il faut penser avec lui. Il faut panser l'état panique, le panser avec un a bien entendu. Comment on soigne la panique ? C'est ça notre sujet. Et pour ça il y a un truc extrêmement important que n'importe quel urgentiste vous apprendra, c'est qu'il ne faut pas paniquer. La seule manière de soigner la panique, c'est de ne pas paniquer. Les urgentistes, les pompiers, enfin tous ces gens-là, les militaires de commando et tout ça, ce sont des gens qui sont formés à ça. On appelle ça avoir des nerfs d'acier. Il faut avoir des nerfs noétiques d'acier aujourd'hui. Et donc essayer de regarder en face une situation, panique, et en prendre soin. Et parier sur le fait que oui, il y a une issue à cette situation. Et c'est ça que j'appelle panser par nous-mêmes, avec un a. C'est ce que je disais le 7 avril. Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que c'est que l'enjeu de panser avec un a par nous-mêmes, au mois de mai 2019, et bien c'est de reconstituer par-delà la souveraineté fonctionnelle - la souveraineté fonctionnelle, c'est ce que décrit Pasquale et Frank Pasquale dans cet article où il montre que Amazon revendique maintenant une souveraineté au sens où les États revendiquaient des souverainetés. C'est une souveraineté qui ne repose plus sur la théologie, comme ça a été pendant très longtemps le cas des États, qui ne repose plus sur l'émancipation politique, comme c'était le cas après la chute des monarchies et des États de droit divin que défendait par exemple Hobbes. C'est une souveraineté qui est la souveraineté, l'immanence pure. Absolument plus aucun horizon de transcendance, aucune supériorité, aucune hiérarchie. Il n'y a qu'un truc qui est supérieur, c'est le calcul. C'est la vitesse de calcul. Voilà ce que dit Amazon. Voilà ce que disent tous ces gens-là et voilà ce que décrit Frank Pasqualehttps://lpeproject.org/blog/from-territorial-to-functional-sovereignty-the-case-of-amazon/↩︎. Ce n'est pas ça qu'il décrit, mais il montre que les enjeux de ça, c'est un changement d'économie politique absolument majeur où de nouveaux exorganismes, ceux que j'appelle les organismes complexes inférieurs, prétendent égaler les organismes complexes supérieurs, c'est-à-dire les états, les églises, les... Et je pense que cette prétention est absolument exorbitante, inacceptable. Pourquoi ? Parce qu'elle est anthropique, ce n’est pas en soi qu'elle est inacceptable, ce n’est pas comme ça, ce n’est pas pour une raison a priori qu'elle est inacceptable. Après tout, si le commerce était supérieur, le negotium comme on disait autrefois, était supérieur à la nullité du président de la République française, par exemple, ben allons-y, engageons-nous dans le commerce. Ce n’est pas très difficile d'être supérieur d'ailleurs dans ce cas-là. Mais non, la question c’est pas ça ; il ne s’agit pas de rejeter le commerce ; j'ai rien contre la boutique, comme disait Louis Ferdinand Céline. Non, la question c'est que cette souveraineté fonctionnelle n'en est pas une. Ce qui est souverain, c'est ce qui produit de la néguanthropie avec un a et un h et qui cultive de l'anti-anthropie. Or cette souveraineté fonctionnelle, elle n'est pas du tout une souveraineté, elle est une domination fonctionnelle qui écrase l'anti-anthropie au contraire, qui la rend impossible structurellement. Et donc ce que j'essaye de poser, c'est que panser par nous-mêmes, c'est penser à nouveau frais dans les conditions du XXIe siècle, c'est-à-dire de l'ère anthropocène, la supériorité de la noèse, dans laquelle se constitue solidairement, c'est ce que j'avais essayé de montrer il y a un mois, la souveraineté de l'individu, ce qu'on appelait à l'époque des grecs l'autonomie de l’âme noétique, et la souveraineté du groupe où se localise l’individu ; c’est la souveraineté au sens où on en parle en philosophie du droit, la souveraineté du peuple, de l'Empire, de la cité, etc. Il s'agit autrement dit de repanser la noèse. Repenser avec un a, puisque la noèse c'est ce qui doit être sans arrêt soignée. C'est un pharmakon, c'est-à-dire qu'elle se retourne toujours contre elle-même. Elle peut se mettre au service des nazis, elle peut se mettre au service de n'importe quoi. Donc il faut toujours la soigner, la recadrer, la critiquer, la remettre en question. Repanser la noèse de cette façon-là, ça suppose premièrement de repenser la causalité d'un point de vue exosomatique, comme quasi-causalité, où la technosphère est à la fois un résultat de l'ère anthropocène et l'hypermatériaux du fonds pré-individuel d'une improbable ère Néguanthropocène. Ce que je veux dire par là, c'est que nous avons à hériter d'une situation qu'on appelle l'ère anthropocène, et bien il faut en hériter justement. C'est-à-dire qu'il faut en faire quelque chose. Il faut transformer ce désert en humus. Ça peut, hein ? On peut transformer le désert. On peut en remettre des choses en culture si on irrigue etc. Donc la question c'est comment on ne va pas du tout rejeter ce qui s'est produit, par exemple à travers les plateformes de Amazon ou de Google etc. non mais comment on va les réhumidifier parce que l'humus ça suppose de l'humidité, ça suppose de l'eau, sans eau il ne peut pas y avoir de humus, sans eau les bactéries ne peuvent pas faire leur travail etc. dans la nécromasse noétique c'est la même chose, il faut ré-irriguer. Irriguer avec quoi ? Avec de la singularité. Et ça, c'est ce que j'appelle la faculté de rêver l'ère néguanthropocène. Comment, à partir de l'ère anthropocène, on va être capable de constituer la faculté de rêver l'ère néguanthropocène. Et bien en prenant l'anthropocène à la fois comme un résultat et comme un hypermatériaux. Je dis hypermatériaux parce que j'essaye de penser ce que j'appelle l'hypermatière qui n'est pas réductible aux catégories classiques de la forme et de la matière issues de la physique newtonienne. Et ça, pour que la faculté de révéler l'ère néguanthropocène soit possible à partir de l'ère anthropocène, il faut faire une pharmacologie de la quasi-causalité. La quasi-causalité peut produire toujours le pire et le meilleur, et donc il faut élaborer une pharmacologie. Repenser ainsi la noèse, ça suppose deuxièmement de repenser la philia. Donc premièrement repenser la causalité, ça va être le sujet du tome 4 de la technique et le temps, un des sujets, mais deuxièmement repenser la philia. La philia au sens où, bon, avec la causalité on est plutôt dans le champ de ce qui s'appelait chez Aristote la physique. Avec la philia, on est dans le champ de ce qui s'appelait chez Aristote la politique, la rhétorique, etc. Et moi je dirais plutôt le champ de l'économie libidinale. En tout cas, la philia, j'essaye de la penser aujourd'hui comme quasi causalité des exorganismes complexes supérieurs. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’il s'agit de repenser les conditions dans lesquelles l'arbitraire, parce que c'est ça le problème d'un exorganisme complexe supérieur, il y a des choses qui sont arbitraires. En français, on conjugue les verbes comme ça, on ne distingue pas le masculin et le féminin par la terminaison des mots, alors qu'on le fait, enfin si, ce n’est pas vrai, on le fait aussi puisqu'on met un e à la fin. Mais vous comprenez ce que je veux dire. Il y a des règles grammaticales qui sont spécifiques de français qu'on ne retrouve pas dans le russe, par exemple, ou je ne sais quoi. Et tout ça, c'est ce que Ferdinand de Saussure appelait l'arbitraire du signe. Mais il n’y a pas que l’arbitraire du signe, il y a la facticité en général des modes de vie. Quand on voyage beaucoup, ce qui est mon cas aujourd'hui, on vit ça très très profondément dans sa chair par exemple. Qu'est-ce qu'on fait quand il n'y a pas de café le matin et qu'il n'y a pas moyen d'avoir du café le matin ? C'est difficile quand on a l'habitude de boire du café le matin. Moi j'ai beaucoup de mal à me lever sans avoir du café le matin. Ça c'est ce que les ethnologues pratiquent, il faut être courageux pour faire de l'ethnologie parce que c'est parfois extrêmement rude à vivre, c'est de totalement se déprogrammer, de totalement abandonner la facticité de ses habitudes. Pourquoi ? Pour découvrir qu'elles sont factices justement, c'est-à-dire qu'elles sont comme ça, mais elles pourraient tout à fait être autrement. Le premier qui a pensé ça, vous le savez, c'est Claude Lévi-Strauss qui l'a rappelé, c'est Jean-Jacques Rousseau. C'est pour ça que Lévi-Strauss, dans le tome 2 de l’Anthropologie structurale disait : l’inventeur de l’ethnologie, c’est Rousseau. Repa/enser la philia c’est repa/enser les conditions dans lesquelles l'arbitraire fait signes. L'arbitraire étant le factice, le fétiche, l'objet partiel, le cosmétique, l'arbitraire du signe au sens de Saussure etc. Donc c'est réarticuler théorie du langage, linguistique et psychanalyse mais à nouveaux frais, pas simplement en rabâchant Lacan, il s'agit d'en faire aussi une nécromasse noétique. Il est mort, il faut l'envahir de bactéries qui vont permettre de le transformer en humus et il faut l'irriguer. Pourquoi ? Et bien pour arriver à faire que l'arbitraire du signe qui est aussi la convention, le facti, etc. on appelle ça la convention, il faut le penser avec ce que Heidegger appelait Geschichtelichkeit qu’on traduit souvent par historialité mais dans l'introduction à l'état physique, les traducteurs le traduisent ici par proventuel. Ça m'intéresse, proventuel, parce que dans proventuel, il y a protention, il y a convention, et en fait, il y a aussi rétention. Tout ça, ce sont des rétentions tertiaires et des protentions tertiaires qui permettent de le produire. Et ce sont les réalités de l'exosomatisation dont je pense que ni les penseurs de la causalité d'Aristote jusqu'à Kant, la causalité classique, ni les penseurs de la philia de Platon, ça commence avant Aristote, jusqu'à Lacan ni même Heidegger lui-même, n'ont réussi à penser les rétentions et les prétentions tertiaires qui sont la condition de la nécromasse noétique. Et c'est ça qui est en train de se transformer à toute vitesse et qui est en train de se désertifier. Le désert dont parle Nietzsche, ce n’est pas une figure comme ça en l'air, c'est effectivement la destruction de l'humus. Pourquoi ? Parce que les rétentions et les protentions tertiaires viennent assécher complètement les possibilités de la nécromasse noétique et il ne s'agit pas de les rejeter, il s'agit de les coloniser. On va coloniser le désert nihiliste produit par ses rétentions tertiaires et ses protentions tertiaires automatisées pour les remettre au service de la noèse. Et donc le problème ce n’est pas de tuer ou de détruire Amazon ou Google, non, c'est de les dépasser. C'est de faire mieux qu'eux. C'est pas du tout évident de faire mieux qu'eux, parce qu'ils sont très très forts. Tout ça, ça suppose donc de repenser l'économie libidinale. Et repenser l'économie libidinale, c'est un réagencement entre Freud, Winnicott et Lacan, avec André Leroi-Gourhan et Alfred Lotka. Et ça donne ce que j'avais présenté l'autre fois comme ceci, à savoir les fameux nœuds borroméens réinterprétés à l’aune de la théorie de l'organologie générale. Alors, avant, je fais des rappels ici, mais en rappelant, je réinterprète et donc j'introduis des idées un petit peu nouvelles.
Avant de revenir vers Marcel Mauss, il va falloir lire plus ou moins cursivement, et je vais le faire, rassurez-vous, il y a encore quatre séances, je voudrais vous proposer des considérations générales, cette fois-ci, ça c'est pas du tout une reprise d'une séance de session précédente, c'est le début de la session d'aujourd'hui, sur ce que j'appelle la bipolarité idiomatique. Pourquoi est-ce que je dis idiomatique ? Et bien c'est parce que, je l'avais déjà dit là aussi le 7 avril, un idiome, pardon, un langage, une langue est toujours idiomatisée, elle a toujours tendance à se localiser, à s'idiomatiser. Voilà, je parle français comme ceci, tel autre français parle autrement, etc. et ça produit aussi ce qu'on appelle des idiolectes. Chaque locuteur a son idiolecte. Et on peut décrire les idiolectes. Il y a des gens qui se sont consacrés à ça en psycholinguistique ou en sociolinguistique. Cette idiomaticité, c'est le cœur, par exemple, de tout le travail de Derrida sur l'intraduisible et sur le fait que les langues ne peuvent pas être traduites en d’autres langues sans perte et donc elles sont intrinsèquement et structurellement intraduisibles. On les traduit quand même, bien entendu, mais pour qu'il y ait l'intraduisible, il faut qu'il y ait une diversité idiomatique irréductible. Ça, c’est induit par tout ce que dit Derrida. Qu'est-ce que c'est que l’idiomatique ? je vous rappelle que je pose cette question parce que je récuse, on l'avait déjà vu et j'y reviendrai tout à l'heure, ce que dit Marcel Mauss à propos d'une langue qui serait la langue de toute la planète à l'horizon, qu'il n'y aurait plus qu'une seule langue. Pour moi c'est absolument impossible ça. Il pourrait n’y avoir plus qu’un système de communication bien sûr mais ce ne serait plus une langue et qu'est-ce que serait qu'un être noétique qui ne parlerait plus une langue ? Il ne serait plus noétique, selon moi. Peut-être tort, peut-être tort. Peut-être qu'il y aura des formes de communication basées sur des signaux et plus sur des signes, un petit peu au sens où Pierre-Antoine Chardel parlait de signaux dans une chronique dans Libération il n'y a pas très longtemps, peut-être qu'il y aura ça qui apparaîtra et qui produira la noèse. Peut-être. Moi je ne le crois pas du tout. Je pense que c'est impossible. Et je pense que c'est impossible précisément parce que la noèse c’est une néguanthropie avec un a et un h donc c’est une anti-anthropie et cette anti-anthropie est forcément locale et donc nécessairement elle divise le système de communication en le localisant et le rendant opaque. La noèse, c'est toujours ce qui produit de l'opacité. Cette opacité étant le nom de ce qu'on appelle par exemple aussi chez Guattari la singularité. La singularité est opaque, si elle n’était pas opaque elle ne serait pas singulière. C’est pour ça que ça se dit en grec idios et l’idios c'est celui qu'on ne comprend pas. C'est-à-dire qu'il est opaque. Ce n’est pas simplement l'imbécile heureux. C'est l'idios au sens où il est étranger, propre, ça veut dire propre aussi, idios.
Donc la question de l'idiome, elle est très importante, pourquoi ? Parce qu'elle articule de manière absolument irréductible, et alors avec un matériau sur pièce énorme, l'individuation psychique et l'individuation collective. Vous ne pouvez pas vous individuer psychiquement et idiomatiquement sans vous individuer collectivement parce qu’un idiome c’est ce qui est toujours déjà partagé, c’est ce que disait Derrida dans un séminaire qu’il avait consacré à ça, et à un poète qui s'appelait Paul Celan. Cela étant, si on veut se pencher sur ce type de questions, il faut se demander qu'est-ce que c'est que l'individu ? Et l'individu psychique ? L'individu psychique tel que nous le connaissons, nous, les dénoétisés du XXIe siècle, et tel qu'il s'est formé depuis le début de l'Occident, et à cette époque-là il n'était pas dénoétisé comme il l'est aujourd'hui, c'est-à-dire prolétarisé comme il l'est aujourd’hui, l’individu psychique s’est distingué de l'individuation collective depuis le début de l'Occident et de manière structurelle. Il s'en est distingué avec un droit qui reposait sur le droit à se distinguer de l'individuation collective, un droit qui était même cultivé, pourquoi ? Parce qu'il produisait de la singularité justement, par exemple dans le champ scientifique, dans le champ artistique, dans le champ sportif, etc. Sophocle, c'est une très grande singularité poétique, Socrate c'est une très grande singularité philosophique, Thalès c'est une singularité géométrique, pas seulement, etc. Et ce qui a fait la puissance de l'Occident grec, c'est cette capacité à cultiver de la singularité, à travers des individus psychiques qui de plus en plus ont une possibilité de se détacher de l'individuation collective, de s'en détacher, mais pas de s'en couper. S'ils s'en coupent, ils sont rejetés. Ils sont rejetés par la cité à travers toutes sortes de pratiques qui vont de la pratique de l'ostracisme, les ostracas ; on expulse régulièrement des citoyens dont on dit, non, ils ne peuvent plus faire partie de l'individuation collective qu'on appelle la polis. Ils détruisent la polis, en fait, on les vire ou bien on les zigouille, comme Socrate, on lui fait boire la ciguë. Et je le redis, je le dis à chaque fois, mais il y a eu 350 procès comme ça. Il n'y a pas eu que Socrate. Il n'y a pratiquement que Socrate qui a bu la ciguë. Les autres, ils ont été exilés, ils sont partis dans des colonies ou ailleurs. Il n'y a que Socrate qui a dit moi je reste et s'il faut boire la ciguë, je la bois. Mais ce que je veux dire par là, c'est que cette pratique du détachement de l'individuation collective, elle peut se payer très cher, bien entendu, chez les grecs comme partout. En aucun cas, ce détachement de l'individuation collective n'est un renoncement à l'individuation collective. C'est ce que j'avais essayé de montrer dans un livre qui s'appelle Passer à l'acte où j'essaye de montrer que la raison pour laquelle Socrate ne veut pas quitter la cité, il préfère boire la ciguë, il dit moi je ne veux pas me détacher de la cité, quitte si la cité me dit de boire le poison je vais le boire ? parce que je veux mes enfants restent des grecs athéniens, des grecs de la cité et donc en aucun cas je vais me couper de l'individuation collective. L'individuation collective a décidé que Socrate devait mourir, et bien il va mourir. Et comme ça mes enfants pourraient rester des athéniens. Ça c'est un attachement à l'individuation collective absolument fabuleux. Absolument fabuleux. C’est l’enjeu de ce que dit Simondon sur l’individuation psychique et collective où il montre que l'individu psychique est toujours en tension avec l'individuation collective, mais en même temps il ne peut pas s'individuer psychiquement s'il ne participe pas à l'individuation collective. Donc c'est cette relation très complexe et métastable de détachement-attachement, attachement étant un terme officiel de la psychologie de John Bolby qui désigne le rapport du bébé à la mère, càd l'origine de la philia. Ça, c'est extrêmement important. Si je dis tout cela, que vous savez, bien entendu, c'est parce que nous, aujourd'hui, nous sommes dans une époque où l'individu psychique est privé d'individuation collective. Il n'y a plus d'individuation collective. Facebook, ce n’est absolument pas une animation collective. Et de plus en plus de gens sont réduits à ça, à cette misère-là. Pas totalement, il y a toujours évidemment un espace où on est capable de cultiver un véritable attachement, etc. plus ou moins. Enfin toujours, non, pas toujours. Il y a des gens pour qui c'est plus du tout possible. À la Clinique Contributive de Plaine Commune, on travaille sur cette question-là, sur des bébés qui sont détachés de leur mère par les smartphones et de tout. Leur mère et de tout. Et puis il y a des tas de gens qui sont totalement détachés de tout. Et c'est très très dangereux, ça conduit à la guerre civile, ça conduit à l'extrême violence, à la pure incivilité. Si on veut comprendre comment il est possible d'en arriver à une situation comme celle-là et surtout comment il est possible de la surmonter puisque c'est ça l'enjeu - c'est la sursomption surmontée ; alors c'est pas la Aufhebung de Hegel qu’on traduit souvent Aufhebung par sursumption sursummée - ce n'est pas de ça dont je veux parler, mais par contre c'est dépasser au sens de produire un effort surhumain « übermenschlich » dit Nietzsche, c'est-à-dire ce que Nietzsche appelle le « surhomme ». Si on veut penser ça, il faut repenser les conditions de l'individuation psychique et collective telles qu'elles naissent à l'origine de l'Occident et dans d'autres pays bien entendu et pas simplement en Grèce. Ça passe par la Judée, l'origine de l'Occident, évidemment, et ensuite ça se transforme dans toutes sortes de pays. Il faut revenir néanmoins donc à la condition de l'individuation, de ce qu'on appellera l'ego. Ego, ce n'est pas simplement un mot latin, c'est aussi un mot grec. Et il faut revenir à l'individu noétique en tant qu'il est constitué, ou qu'il aura été constitué pendant très longtemps, peut-être qu'il ne l'est plus aujourd'hui, par une double localité. Premièrement, la sienne. Sa « propre localité ». Comme grammaire, sémantique, sémiotique, etc. Idiolectale, c'est l'idiolecte dont je parlais tout à l'heure, et donc, locale. Locale à son échelle idiolectale, c'est-à-dire à l'échelle des spirales que je vous présentais tout à l'heure. Il y a eu un très très mauvais livre qui avait été fait sur Roland Barthes, dans les années... à la fin des années 70, au début des années 80, un livre vraiment dégueulasse qui était anti-barthésien, les gens qui se moquaient de Barthes ; mais ils avaient fait un truc, parce qu'ils étaient forts malgré tout, ils avaient montré comment était construite la grammaire barthésienne. Barthes comme tout le monde avait des tics de langage. Et donc ils avaient repris tous ces machins-là, et ils produisaient du Barthes au kilomètre. C'était en fait vraiment nul ce qu'ils produisaient. Mais évidemment pour des gens qui ne connaissaient pas Roland Barthes, ça pouvait passer pour du Roland Barthes. C'était nul parce que Roland Barthes, ce n’était jamais gratuit ce qu’il faisait ; c’était toujours très investi d'une individuation locale très puissante. Mais ça pouvait tromper. Pourquoi ? Parce que oui, Roland Barthes a une grammaire, a des syntaxes, a des vocabulaires, etc. Et on peut faire du pseudo Barthes très facilement. C'est une localité. Ce niveau-là est une localité qui se métastabilise dans une synchronie qui constitue la personnalité. Ce que je disais de la personnalité en citant Emmanuel Kant tout à l'heure sur le paralogisme de la personnalité de la Critique de la raison pure, ça suppose une métastabilisation synchronique d'une identité qui n'existe pas en fait, mais qui est là pour réguler…je ne pense pas qu'on puisse dire que c'est une idée régulatrice au sens d'Emmanuel Kant, mais c'est ce qui, disons, maintient une structure, voilà, comme étant moi, ce qu'on appelle moi. C'est une localité, ce maintien, évidemment. Et c'est ce qui constitue ce qu'on pourrait appeler la loi individuelle, le privilège, l'autonomia, l’autonomie, qui devient, dans la psychanalyse, l'idéal du moi. La psychanalyse, elle permet de comprendre que tout ça, ce n'est possible que s'il existe un idéal du moi lui-même appuyé sur un surmoi. C'est en 1923 que Freud commence à produire cette catégorisation de l'exorganisme simple. Alors qu'est-ce que je suis en train d'essayer de faire une réinterprétation du freudisme, de la psychanalyse freudienne disons plutôt, du point de vue exosomatique. Du point de vue exosomatique, l'idéal du moi, par exemple, ça devient une fonction d'unification de l'exorganisme simple. Et qui doit localiser la loi commune en lui, dans l'idéal du moi. Qu'est-ce que ça veut dire, localiser la loi commune en lui, dans l'idéal du moi. Qu'est-ce que ça veut dire localiser la loi commune ? Ça veut dire intérioriser le surmoi. Et faire que moi, le surmoi, voilà comment je le suis, idéalement. Et je produis ma synchronie idéale, qui n'existe pas en réalité. Je ne suis jamais ça. C'est uniquement, et là aussi c'est dans le texte de 1923, le moi et le ça, un processus d'identification. Mais ce processus d'identification c'est ce qui fait tenir la psyché. C'est ce qui fait que la psyché ne pète pas les plombs, qu'elle ne se retrouve pas schizée complètement et incapable de maintenir tous les morceaux ce qui est le problème du morcellement de Dionysos mais qui est aussi la schize au sens de Guattari là pour le coup. Deuxièmement pour que l'ego puisse se constituer comme un ego, je prends le mot ego au sens des grecs, pas au sens de Descartes, donc le moi tel qu'il apparaît chez les grecs, je ne sais pas quand, l'époque d'Homère, avant, après, j'en sais rien et je dirais là c'est pas très important, pour que ce moi se constitue, il faut qu'il puisse affirmer cette localité psychique, telle que je viens de la dire là, c'est-à-dire affirmer une singularité, « moi Socrate, je vais boir la Ciguë et je vous emmerde ». Et en faisant ça, je suis plus fidèle que vous à la loi que vous m'imposez, etc. Ça c'est extrêmement singulier. Pourquoi est-ce qu’on parle toujours de lui ? C'est parce qu'il a cette singularité absolument incroyable. Incroyable. Il est toujours le plus fort, c'est le plus fort. Hallucinante cette démarche-là. Mais ça, ce n'est possible que, et c'est Socrate qui le dit, parce que le moi en question appartient à une localité. Cette localité, pour Socrate, s'appelle Athènes. Athènes est elle-même dans une Grèce qui est en train de devenir la Grande Grèce, que les Athéniens veulent constituer comme la Grande Grèce qui, deviendra ensuite l’empire d’Alexandre. La localité a laquelle il appartient sur ce registre qui lorsqu'il s'agit de cet individu psychique détaché et du détachement - Socrate en parle très précisément dans le Phédon, en grec ça se dit « lousis », le détachement – qui n’est pas coupé de l'individuation collective et qui s’individue par ses attachements à travers des détachements intermittents, si je puis dire. C'est-à-dire qu'il se détache, il se détache mais par intermittence, simplement, et il se réattache constamment. Pourquoi ? Parce qu'il contribue à la transformation d'une individuation collective, qui est la cité elle-même, dont il s'écarte, et puis vers laquelle il revient, etc. Ce travail de détachement-attachement, ou d'attachement-détachement, qui est ce que j'appelle moi l'intermittence noétique, étant rendu possible - ça ce n’est pas Socrate qui le dit, bien entendu, c'est moi - par la rétention tertiaire hypomnésique littérale. C'est-à-dire que c'est cette transformation de l'humus noétique de la nécromasse noétique par l’accès à la lettre à Homère, à Parménide, à Thalès, à la loi, et qui fait que par exemple ce procès de Socrate, il est consigné, il est consigné par Xénophon, il est consigné par Platon, il est consigné par un tas de gens, et bien il va constituer cette humus qui fait qu'en ce moment, oui, toujours, la décomposition du procès de Socrate est active en ce moment-là dans ce que j'essaye de faire. Mais ça, ça veut dire que cette idiomaticité appartient à cette localité partagée et aux individuations collectives qui la constituent sur le mode, sur un mode bien particulier, qui est très très spécifique aux Grecs, qui est le mode de l’individuation questionnante et délibérante. Ça, c'est ce qui n'apparaît que chez les grecs. Comme ça, je veux dire. Pourquoi est-ce que je reprends ce bas-relief ? C'est parce qu'il y a un livre. Ça parle, mais ça parle depuis le livre. C'est-à-dire depuis l'humus littéral. L'humus noétique littéral. Ce livre, il a une histoire et cette histoire c'est une histoire de la territorialité. Quelle est l'histoire du livre ? Contemporainement à ce livre là que je suis en train de vous montrer, qui est le livre de l'époque de Socrate, et bien vous avez ce livre-là qui est la Bible et qui est aussi un livre de la territorialité. La Bible, de quoi elle parle ? D'abord d'un royaume et d'un territoire. D'un territoire où essaie de se constituer une unité d’un exorganisme complexe supérieur monothéiste càd qui essaye d’affirmer que l’unité du territoire ne peut se faire que par l’ unification des dieux à travers la révélation mosaïque. Et dans ce cas-là, il y a aussi un détachement. Et ce détachement, ce n'est pas le détachement de Socrate, des philosophes, des artistes, ou je ne sais pas quoi, de Sophocle, ou des héros, des combattants. Non, c'est d'abord le détachement des clercs, les clercs juifs d'abord, les clercs que le Christ accusera de devenir des scribes en disant que vous avez perdu le sang de ce que vous faites et ensuite les clercs qui deviendront ceux qui constitueront l'ordre symbolique de l'otium et qui deviendra en fait ce qui va organiser toute la chrétienté occidentale qu'elle soit de l'occident du christianisme occidental stricto sensu ou du christianisme oriental, je veux dire, de l'orthodoxie, etc. Tout ça, il faudrait en faire l'histoire théologico-politique. Il faudrait le faire. Mais nous sommes dans un état d'urgence noétique. Un état d'exception noétique. Et donc on n'a pas le temps de le faire. Il y a des gens qui s'y sont essayés, qui sentent le souffre, Karl Schmitt par exemple. On en discutera certainement avec Petar Bojanic, qui viendra faire une conférence ici le 13 juin, qui travaille sur les institutions, mais qui tente à poser en principe qu'il ne faut pas lire Carl Schmitt, qu'on perd son temps à lire Carl Schmitt, je ne suis pas d'accord avec lui. Pourquoi je ne suis pas d'accord ? C'est parce que je pense qu'on ne peut pas éliminer le théologique dans cette affaire politico-théologique et que Karl Schmitt, même s'il ne faut pas le suivre, évidemment, dans tout ce qu'il dit, pose un certain nombre de questions qui anticipent celles qu'on pose ici, à savoir la technosphère. Carl Schmitt, en 1952, dans son bouquin Le nomos de la Terre, de quoi est-ce qu'il parle ? Des satellites, de la conquête de l'espace, etc. Donc Carl Schmitt est quelqu'un qui sent que le droit, et donc ce que moi j'appelle la supériorité des organismes complexes supérieurs, est radicalement affecté par ce que j'appelle l'exosphère et la technosphère. Ce n’est pas lui du tout qui parle comme ça, évidemment. Il faut faire une histoire de cette bipolarité de l'idiome, de l'idiomaticité. L'idiome est forcément l'idiomaticité de tel locuteur qui parle, mais tel locuteur qui parle, parle dans une langue qui est parlée par d'autres, et cette langue parlée par d'autres, elle est partagée, elle est partagée dans une localité, qu'elle soit territoriale ou réticulaire. Là, le judaïsme est extrêmement important, et Paul Celan en particulier. Pourquoi ? parce qu’il y a une localité non territoriale ; Pourquoi est-ce que Paul Celan est si important ? parce que c'est un philosophe yiddish, enfin philosophe pardonnez-moi, un poète, un poète yiddish. Quand je dis qu'il est yiddish, il n'est pas un poète yiddish, il aurait détesté entendre dire une chose pareille je pense, mais il s'exprime en yiddish, en allemand, en espagnol, en français, etc. Et c'est une poésie du multilinguisme, mais qui constitue une localité, bien entendu. Et une localité qui elle-même est liée à une databilité. C'est ce que Derrida avait montré dans un séminaire qui, je crois, n'a jamais été publié à ce jour sur Paul Celan. Ce que je veux dire par là, c'est qu'il y a des diasporas et qu’il y a des formes de localité qui ne sont pas sédentaires, il y a les nomades, il y a aussi des formes de localité qui sont sédentaires mais qui ne sont pas territorialisées, en tout cas pas sous la forme de la territorialité classique, qui sont territorialisées par la diaspora, c'est-à-dire par une réticulation d’un type nouveau et ça passe par l’écriture bien entendu. Dans le cas du judaïsme c’est absolument évident. Ce qui fait le judaïsme, c'est le rapport au livre et à la lecture. Tout ça, nous devons le penser, et nous devons le penser sans a priori, sans craindre de nous confronter à des questions difficiles, parce que tout ça, ce sont des questions extrêmement difficiles. Et il faut essayer de requalifier la double localité dont je vous parlais tout à l'heure, selon moi donc, dans le contexte contemporain, et en le réinscrivant dans une économie, qui est une économie libidinale, et aussi une économie de la contribution qui, elle, prend en compte les localités, et pas simplement les territorialités, mais aussi la localité du territoire, puisqu'il y a une irréductibilité du territoire dont je vais essayer de vous parler tout à l'heure. Que ce territoire soit celui de la biosphère, celui de la Seine-Saint-Denis, celui de la Judée, celui avec tous les problèmes que ça pose en Palestine aujourd'hui, etc. Dans ce contexte, la nation, puisque c'est de ça dont on parle, on parle de l'internation donc de la nation, c'est ce que dit Mauss. Si vous parlez de l'internation, vous parlez de la nation. Dans ce contexte, la nation qui advient telle que l'a décrit Ernest Renan et derrière lui Marcel Mauss réfère à l'édition, des éditions de Minuit de 1975, je crois, faites par Pierre Bourdieu. De ces textes de Mauss, il y a une édition, celle qu'on trouve au PUF, tout à fait différente. Même si vous avez des passages, par exemple ce passage là, vous le retrouvez tel quel. Une précision, l'édition des PUF est une reconstruction, c'est très bien expliqué par ceux qui l'ont fait ce travail d'ailleurs, qui l'ont très bien fait, je ne me souviens plus de leur nom, c'est une reconstruction à partir de toutes sortes de notes. Marcel Mauss avait écrit toutes sortes de textes, qui sont souvent des textes de circonstance. Par exemple un texte que je vous montrerai tout à l'heure, un texte de circonstance, c'est un texte à l'internationale socialiste où il s'en prend à un marxiste, un socialiste marxiste. Lui il était socialiste, non marxiste. Il y a d'autres textes, il y en a de toutes sortes en fait. Il y en a un autre, c'est une communication qu'il a faite à Londres dans un colloque. Mais à un moment donné, il a candidaté au Collège de France. Et candidatant au Collège de France, comme tous ceux qui posent une candidature dans ce genre de truc, tu connais Maël, il a dû faire un dossier. Et donc il a fait un dossier et comme en général au Collège de France, la règle de toute façon c'est qu'on vient avec un projet de chair. Donc il est venu présenter un projet de chair. Quel était le projet de cette chaire ? Eh bien une chaire qui aurait été consacrée à l'anthropologie et à la théorie politique de la nation. Dans une perspective socialiste d'ailleurs. A partir de là, il avait rassemblé des tas de trucs épars pour lesquels il avait écrit une introduction qui est devenue quasiment un livre, qui n'a pas été publié en tant que tel par lui, qui a été repris par les Lévy-Bruhl ensuite. Mais ce que vous trouvez publié aux PUF, c'est un rassemblement de toutes sortes de documents, car à un moment donné, les éditeurs du livre, éditeurs aux sens américains, c'est-à-dire ceux qui ont pris en charge ce qu'on appelle l'établissement du texte, ils ont pris des décisions, ils ont pris des risques. Il n'est pas absolument sûr que Mauss aurait pris les mêmes décisions. D'abord parce qu'il y a des tas de feuilles où il a tout raturé quasiment. Et puis ils ont gardé quelque chose. Peut-être que lui il l'aurait mis à la poubelle. Si je dis ça c'est parce qu'il touche à des sujets très compliqués. Il écrit tous ses textes à l'époque de la montée du fascisme et du nazisme, mais aussi du bolchevisme, etc. Tout ça est très complexe ; il est anthropologue et scientifique, il est aussi engagé politiquement et il ne sait pas très bien comment dealer entre l'engagement politique et la pratique scientifique. C'est comme ça d'ailleurs que les éditeurs des PUF disent qu'ils rentrent dans une normativité. Ils posent une question de la normativité qu'il n'aurait pas posée d'un point de vue strictement anthropologique puisqu'il la pose du point de vue de sa conviction socialiste, etc. C'est parce que c'est Bourdieu qui dirigeait cette collection. Je ne sais pas qui avait établi le texte. Je m'appuie dessus pour deux raisons. D'abord, parce que je travaille dessus, sur ce texte-là, depuis 30 ou 35 ans. Et donc j'ai annoté entièrement ce texte là et je ne me voyais pas trop reprendre tout ça complètement avec le nouveau texte. Mais aussi parce que quand j'ai lancé ce travail-là dont ce séminaire est un des résultats, c'était en 2013, le texte n'était pas encore publié par les PUF. Il n'existait pas. Donc je ne suis pas parti de ce texte-là. Depuis ce texte a été publié et tant mieux, il est extrêmement intéressant, il y a des choses extrêmement précieuses dedans qu'on ne trouve évidemment pas dans l'édition des Editions de Minuit mais je n'ai pas fait le travail de reprendre en compte tout ce qui a été ajouté, je n'ai pas eu le temps tout simplement. Ça fait partie de l'état d'exception noétique, voilà, de ne pas avoir le temps de faire. Mais il faut le faire. Donc je donne cette précision pour vous dire que voilà, il y a des tas de choses que dit Mauss que je n'ai pas encore eu le temps de travailler, donc dans ce livre-là en particulier. Alors, ayant dit cela, je reviens à ce que dit Mauss. La nation qui devient telle que l'a décrit Ernest Renan puis Marcel Mauss, c'est ce qui articule dans la modernité l'individu psycho-noétique et les formes diverses d'une individuation collective en synthétisant celle-ci à partir d'une territorialité. Ça c'est très important. Nous ne pouvons pas parler dans l'abstrait de ces questions, il faut en parler historiquement et géographiquement. On ne peut pas en parler dans les généralités des concepts philosophiques totalement éthérés. Il y a une histoire, il y a une géographie, il faut les regarder de près. Si on parle de la nation, c'est une histoire récente - la nation au sens où Marcel Mauss en parle - c'est une histoire récente et cette histoire récente elle est évidemment celle d'une transformation de l'individuation psycho-noétique qui s'émancipe en fait de la transcendance de Dieu, parce que c'est ça la naissance des nations, c'est une émancipation progressive des Etats par rapport aux églises. D'une manière ou d'une autre, dans tous les cas c'est ça. D'une manière ou d'une autre. Ce n’est jamais de la même manière ; en France c’est totalement différent de l’Italie, de l’Espagne ou de l’Allemagne ou de la Belgique. En Belgique, il y a toujours un roi. En Allemagne, les églises ont un rôle qu'elles n'ont pas du tout en France, sauf en Alsace, etc. Mais tout ça, il faut le regarder de très près parce que l’enjeu qu’il y a derrière tout cela c’est l'individuation noétique, c'est-à-dire la noésis. Et l'individuation noétique, elle passe par une histoire à un moment donné de la nation, telle qu'elle est elle-même liée à une territorialité, cette territorialité étant produite par des conflits, des transformations, qu'il faut analyser de près. C'est la fameuse histoire de la territorialité dont je vous parlais tout à l'heure, dont là je ne fais que proposer quelques esquisses en fait, et que je n'ai pas faite. Je pense qu'il faut la faire, mais comme vous l'avez bien noté, on n'en a pas le temps aujourd’hui. Cette question du statut du territoire dans la constitution des nations, c’est ce que j’avais appelé dans La désorientation, le deuxième tome de La technique et le temps, la synthèse territoriale. Qu'est-ce que c'est que la synthèse territoriale ? Le territoire, c'est un support de mémoire. Le territoire habité, le oekumen, comme on dit, c'est un support de mémoire. Quand vous voyez par exemple les paysages que je vous montrais tout à l'heure de la Chine ou de la vallée du Dades au Maroc, puisque c'était ça que je vous ai montré tout à l'heure, des rizières en terrasse d'une part et d'autre part, la limite du Sahara, vous voyez de la mémoire. Les paysages travaillés ainsi ce sont des supports de mémoire extrêmement efficients sur leurs habitants. Ils sont extrêmement puissants. L'espèce de coup de tonnerre qui a été l'incendie de Notre-Dame, c'est aussi ça. C'est la disparition, je ne sais plus qui m'avait écrit, peut-être toi ou Yuk aussi m'avait écrit ça, une énorme rétention tertiaire qui brûle. Enorme ! Mais Paris n'est plus Paris sans Notre-Dame. En tout cas, c'est ce qu'on se dit pendant un certain temps. Pourquoi ? Parce que ça a un poids colossal. Ce n’est pas parce que ça pèse lourd. C'est parce que ça représente de l'humus noétique extrêmement puissant. Et c'est vrai des rizières chinoises ou des casbahs marocaines comme de Notre-Dame. Ça c’est territorialisé, ça se constitue sur des territoires, y compris, alors, très précisément, les rizières, elles sont orientées de telle manière vers le soleil et elles tiennent compte des cours d'eau. Notre-Dame, elle est construite dans tel rapport au soleil comme toutes les églises et toutes les cathédrales, etc., etc. Je ne vais pas... Donc, c'est cosmique. Ce sont des objets cosmiques qui sont situés sur un territoire dans le cosmos, dans ce que l'on appellerait avec Eile Manoëlé un point de vue. Voilà, elle constitue un point de vue. Mais qu'est-ce qui s'articule sur ce point de vue territorial en tant qu'il est selon moi un support de mémoire qui synthétise quelque chose ? Eh bien le livre, la musique, la vie de Jésus dans Notre-Dame, tout à fait autre chose dans les casbahs, etc. Mais ce sont des supports de mémoire, c'est UN support de mémoire, pardonnez-moi, inamovible, le territoire est inamovible, vous pouvez, par nature, ce qui fait qu'un territoire est un territoire, c'est que vous ne pouvez pas le bouger. Vous pouvez quitter le territoire, vous pouvez adopter un autre territoire, mais vous ne pouvez pas emmener le territoire avec vous. Évidemment, si vous allez en Chine ou en Californie, et quand vous voyez par exemple le château de Versailles en matière plastique, oui, oui, c’est une tentative d'emmener le territoire, mais sauf que c'est un château en matière plastique ; ça ne tient pas du tout. Même quand vous voyez des temples bouddhistes reconstruits par Xi Jinping qui veut se concilier l'histoire de la Chine, très bien, mais c'est grotesque, ça ne tient pas du tout la route. Et vous le voyez tout de suite que ce n'est pas un temple bouddhiste ; par contre il y a des temples bouddhistes qui se refont tout le temps parce que en Chine tout est en bambou et en bois donc il faut toujours reconstruire mais vous voyez tout de suite que ça, c’est reconstruit par le territoire lui-même, c'est sécrété par le truc. Ce qui fait la singularité du support territorial c'est qu'il est inamovible. Et ce qui fait la singularité de l'exosomatisation c'est qu'elle est constituée par l'amovibilité. Ça c'est ce que dit André Leroi-Gourhan. André Leroi-Gourhan dit : ce qui est caractéristique de l'être humain c'est qu'il peut échanger ses organes contre d'autres organes. J'ai un stylo, je te l'échange contre un éventail. Ça c'est ce que font en permanence les êtres humains à toutes les échelles ; l’échelle des générations, l’échelle des pays, etc. Et c'est ce qui est à l'origine de ce qu'on appelle le commerce. Il y a du commerce parce qu'il y a des organes exosomatiques amovibles, parmi lesquels des livres, des statuettes, des masques africains, tout ce que vous voulez. C'est-à-dire tout ce qui va produire un symbolique qui se déterritorialise, qui va produire le cubisme en Europe, en France d'abord, etc. Vous voyez ce que je veux dire, c'est ce que j'appelle l'humus noétique « humidifié », qui circule. Mais il circule à partir d'une territorialité qui le synthétise. C'est-à-dire qu'à un moment donné, ça retourne quelque part, dans un point de vue. Ce sont des rétentions tertiaires amovibles sur une rétention tertiaire inamovible. Et c'est cet agencement-là qui constitue ce qu'on appelle l'histoire. Et l'histoire est l'histoire de guerre, parce que les échanges, c'est d'abord, ce que montre Kojin Karatani, c'est d'abord des guerres. On échange d'abord en se faisant la guerre. C'est très tardivement que les échanges se font par le commerce au sens où on parle du commerce, nous. Très très tardivement. Pendant très longtemps on n'échange qu'en allant rapter, massacrer, emmener les enfants, les femmes, etc. Puisque c'était très longtemps comme ça que se faisaient les rapports entre les groupes humains sur des territoires communs qui essayaient de voilà et de temps en temps ils faisaient la paix pourquoi parce que tout à coup l'ethnie se réunifiait face à une autre ethnie qui arrivait etc etc grande question compliquée. C'est depuis l'écart entre l'inamovible et l'amovible que se produisent des échanges donc dont le commerce et le negotium qu'il suppose et donc le calcul, ce qui aboutit à la négation de otium par le calcul aujourd'hui. C'est ce qu'avait anticipé d'ailleurs Max Weber, je dis en passant, dans ce qu'il a appelé la sécularisation, la destruction de l’otium par le negotium. C'est aussi la question que pose Carl Schmitt dont je parlais tout à l'heure. Maintenant, quand je parle d'inamovibilité, de quoi s'agit-il ? Est-ce qu'il s'agit de ce que les serbes prétendent sur leur droit sur la Serbie, leur slavophilie, etc. etc. et qui expulsent les musulmans ou les croates ou je ne sais pas quoi ? Est-ce que c'est ça dont je parle ? C'est pas du tout ça. Ce dont je parle c'est du fait que Edmund Husserl dit même si on va sur la lune on reste terrien. Il y a quelque chose qui est inamovible c'est notre terrianité. A ça Elon Musk répond non non non on va s'en aller on va partir sur Mars etc. etc. et on va migrer - il y a un texte ne l'ai plus sous les yeux là malheureusement. C'est dommage parce que j'aurais bien aimé vous le donner en référence, mais j'essaierai de l'y penser dans deux semaines. Il y a un texte qui montre, vous l'avez peut-être lu, écrit par un américain, comment toute une très très grande partie de la Silicon Valley se prépare à partir. Soit dans les airs, enfin dans les airs, dans les terres on disait autrefois, soit dans les océans, à quitter les continents, à quitter les terres habitées. Parce que les terres habitées sont devenues inhabitables. Et pourquoi est-ce qu'elles sont inhabitables ? Et bien moi je soutiens que c'est parce qu'on n'a pas pensé la localité. Et je soutiens que Elon Musk raconte n'importe quoi parce que, et j'en suis tout à fait convaincu, nos amis du CEA nous diraient, sur Mars, il lui faut segment sol, tous ces engins qui sont dans l'espace, ils sont absolument dépendants de ce qu'on appelle le segment sol. Le segment sol, c'est Cap Canaveral, c'est Baïkonour, c'est, je ne sais plus comment ça s'appelle la base française Kourou, etc. Et ce ne sont pas du tout des processus de « déterrianisation », c'est impossible de se « déterrianiser » en l'état actuel des choses en tout cas. Et très probablement dans tous les cas. C'est très probablement absolument impossible. Que des bactéries foutent le camp, etc. et qu'elles aillent proliférer ailleurs un jour, peut-être, mais des êtres humains absolument pas. Et là, vous avez une question de l'irréductibilité du territoire de la biosphère en totalité et en solidarité avec toutes les niches écologiques. Alors là, on va dire, mais oui, mais il faut protéger la biodiversité, donc il faut protéger les localités. Et on va revenir au même problème, à savoir que cette terrianité irréductible, qui est une synthèse territoriale à l'échelle de la biosphère, eh bien elle se redivise inévitablement, comme les langues. Elle se reterritorialise. Et il ne faut pas l'empêcher. Le problème, c'est d'empêcher qu'elle puisse se reterritorialiser en se déterritorialisant. Et c'est ça la question fondamentale. Cette déterritorialisation s'appelle l'ouvert chez Rilke, chez Heidegger, chez Bergson ou chez Deleuze.
Alors si on veut faire cette histoire des conditions dans lesquelles on arrive à la nation pour éventuellement passer à quelque chose d'autre - parce que qu'est-ce que c'est que l'enjeu de ce dont j'essaye de vous convaincre ici ? C'est de dire la nation comme exorganisme complexe supérieur, c'est trop tard. Il faut la constitution d'un nouvel exorganisme complexe supérieur qui n'est pas la nation. C'est ce que Marcel Mauss appelait l'internation. Mais l'internation n'est pas l'effacement de la nation. L'effacement de la nation, c'est l'élimination, c'est la prolétarisation totale de ce qui constitue l'humus noétique, c'est-à-dire son assèchement, sa désertification. Et c'est ce que décrivait Nietzsche. Donc, il faut reprendre toutes ces questions très précisément, très patiemment, même si on est en état d'exception noétique, c'est-à-dire qu'il faut aller très vite, mais il faut être patient. Il faut être rapide et patient. Ici, il faut donc réarticuler très précisément individuation psychique, un individuation collective et un individuation technique. C'est-à-dire grammatisation. Par exemple, la grammatisation telle qu'elle apparaît à ce moment-là, comme la constitution du Logos chez les Grecs, ça c'est avant la séparation des mots dans les phrases grecques. Donc c'est avant Héraclite. C'est la grammatisation du soma, je saute, il faudrait parler de mille transformations de la grammatisation, la grammatisation du corps des ouvriers qui se prolétarise, c'est maintenant la grammatisation des relations, parce que tout ça c'est de la grammatisation, et il y a beaucoup de gens qui se rencontrent comme ça maintenant, y compris pour fonder des familles. Mais comment ça se produit ça ? On va vous calculer votre convenance, elle me plaît cette dame, il me plaît ce monsieur, etc. physique, noétique, tout pour vous marier. C'est incroyable. C'est quand même incroyable quand on y pense. Ça fonctionne ? C'est possible. Pardon ? Les marieuses c'est existant. Ah mais justement les marieuses ce n’est pas ça. Ce n’est justement pas ça. De toute façon les mariages jusqu'à il y a très peu de temps étaient toujours arrangés. Ou quasiment toujours arrangés. C'est des grandes histoires magnifiques, romantiques et tout ça qui vous racontent que la fille et le garçon se sont mariés contre l'avis des parents, ils ont fui, il l'a enlevé. Mais ça c'était des exceptions. Jusqu'à il y a très peu de temps, 90% des mariages étaient arrangés. Et puis on sait très bien pourquoi. Claude Lévi-Strauss, Morgan avant lui on les appelle les structures de parenté ; mais là, ce n'est pas des structures de parenté. C'est un business qui est... parce que les marieuses, c'était des gens qui fournissaient un service mais ce service il se produisait à l’intérieur d’une philia, dans des relations entre les familles, des clans etc. Mais là c’est pas du tout ça. C'est tout à fait autre chose. C'est la pure calculabilité. Et cette pure calculabilité, elle peut sûrement produire de belles histoires d'amour en plus, j'en doute pas une seconde. Ça s'appelle la quasi-cause. L'amour, de toute façon, c'est 99,9% de quasi causalité. Donc, vous tombez amoureux, c'est l'époque où il faut tomber amoureux. Moi j'ai observé ça très souvent à l'UTC, quand j'étais prof à l'UTC. Tous les printemps je regardais se former les couples. Et tous ces couples, la fille et le garçon étaient archi amoureux et la fille disait c'est vraiment le mec absolument extraordinaire qu’il fallait que je trouve et le mec pensait la même chose que la fille. Et ça c'est la quasi causalité de l'amour, c'est magnifique. Mais aujourd'hui c'est court-circuité par ça. Et là je ne suis pas en train d'éplorer d'une manière réactionnaire ce machin-là, Non, simplement j'essaye d'analyser une histoire. Une histoire de quoi ? De la localité. Parce que c'est une localité aussi, ça. C'est une localité sacrément importante, la constitution des couples. Ça s'appelle des familles, ça fait des enfants, etc. Il faut penser l'individuation psychique avec la grammatisation et avec l'individuation psychique, avec la grammatisation et avec l'individuation collective, en tant que la grammatisation conditionne les principes d'individuation collective. Par exemple, l'individuation collective du monothéisme, sans le livre, elle n'est pas possible. L'individuation collective de la politeia, ce qu'on appelle encore nous la polis, la politique, sans le livre, impossible. Et maintenant ce qui apparaît avec Hollywood par exemple aux Etats-Unis qui vient se greffer là-dessus, ça va produire quelque chose de tout à fait nouveau et qui s'appelle le consumer capitalism impossible sans les industries culturelles. C'est absolument impossible. Les industries culturelles c'est ce qui permet la synchronisation des comportements et du marché, parce que le marché c'est avant tout des comportements. Si nous voulons penser tout cela, il faut penser toutes ces questions en passant par le support de mémoire territoriale et sa fonction, qui est la seule possibilité de penser l'urbanité. Qu'est-ce que c'est que l'urbanité ? Fondamentalement, c'est une localité, c'est une ville. Alors c'est une ville qui est accueillante à des dizaines, des centaines de nations d'origine, Saint-Denis par exemple, 140 nationalités différentes, 140 langues différentes. Je ne sais plus si c'est langue ou nationalité d'ailleurs. En tout cas, énormément de langues différentes, beaucoup de gens qui ne se comprennent pas. Babel. Babel. Et il faut penser ça aujourd'hui à l'époque des smart cities. Et ce que nous posons nous quand on dit qu'il y a des really smart cities, nous disons qu'il y a une localité de la ville qui ne doit pas être réduite par l'algorithme. Cette localité s'appelle un voisinage, ça s'appelle des quartiers, ça s'appelle des favelas, ça s'appelle des bidonvilles, ça s'appelle des HLM, ça s'appelle parfois des quartiers gentrifiés, etc. Il faut articuler tout ça, il faut en faire un espace de civilité et non pas de guerre civile. Et donc il faut constituer des relations de voisinage. Les relations de voisinage sont des relations de proximité. C’est ça l’enjeu de Nietzsche commentant dans Le voyageur et son ombre, les enjeux du télégraphe, de la presse écrite et des transports en commun, enfin ce qu'on appelle les voies ferrées, je ne me souviens plus comment il l'appelle lui-même. Cette articulation entre individuation psychique, individuation collective et individuation technique, puisque la grammatisation c'est l'individuation technique, Mauss tourne autour, en permanence. Mais il ne parvient jamais à la voir comme telle. Jamais il ne la désigne comme telle. Il vient très proche de ça, dans beaucoup d'autres textes, y compris ces textes qui sont publiés dans les PUF et que je n'ai pas commenté moi-même. Il y a des passages très intéressants sur les routes, etc. sur l'exosomatisation au sens des exorganismes complexes. Il en parle dans les techniques du corps où il dit un corps est technique etc. et en fait il prépare Leroi-Gourhan qui va reprendre tout ça chez Marcel Mauss mais Mauss lui-même ne le voit pas et c'est ennuyeux parce que cette question dont je vous parle là moi c'est ce que Deleuze et Guattari, je vais y revenir tout à l'heure, appellent l'articulation. Leroi-Gourhan, lui, va essayer de penser cette articulation, justement, au titre de ce qu'il appelle l'amovibilité, l'inamovibilité, etc. Mais il ne formulera jamais lui-même l'enjeu ultime, à savoir l'exosomatisation en tant que telle, c'est-à-dire au sens où Lotka l'a définie tel qu'elle suppose un agencement d'exorganismes simples et d'exorganismes complexes sous l'autorité d'une supériorité noétique. Alors ça c'est plus Lotka, c'est moi qui dis ça. Mais ça c'est la conséquence de Lotka pour interpréter Hobbes. Si vous relisez Le Léviathan de Hobbes avec Lotka, c’est comme ça que vous devez lire Le Léviathan ; Comment je produis une supériorité exorganique d'un exorganisme complexe et à travers quoi une noésis. Chez Hobbes, cette noésis s'appuie sur la révélation et l'autorité du souverain lui-même s'appuyant sur cette révélation, etc. Il faut faire une histoire de cette supériorité, du chamanisme à l'université de Stanford, parce que Stanford c'est une supériorité noétique, là-dessus il n'y a pas de doute, financée par l'armée américaine au départ. Mais c'est une supériorité noétique, je parle d'une université de Stanford, à la limite, c'est la limite externe de cette supériorité noétique. Pourquoi ? Parce que fondamentalement, Stanford c'est la fabrique du computationnalisme, du cognitivisme, c'est-à-dire de tous les modèles. Stanford, c'est avant tout une machine à produire des start-ups pour l'armée américaine, avec l'armée américaine où en fait on transforme la noésis en mètis. Et donc Stanford est pour moi une limite externe de la construction d'une supériorité noétique parce que la noésis est réduite à la mètis. La mètis, je vous rappelle, c'est ce que les grecs désignaient comme, disons, l'intelligence du poulpe ou l'intelligence du renard. Et c'est pour ça que le titre du bouquin de Vernant et Détienne qui ont souligné cette différence entre métis et noésis, eh bien c'est : Les ruses de l'intelligence. La mètis c'est la ruse. Ce n’est pas la noésis. Et je pense qu'aujourd'hui, ce qu'on appelle l'intelligence artificielle, c'est une ruse extrêmement exosomatisée, mais ça n'est qu'une ruse. La noèsis, ce n’est pas une ruse, la noèsis c'est ce qui produit des bifurcations, c'est-à-dire ce qui change la situation. Et c'est pour ça que je convoque toujours Whitehead dont je pense que c’est celui qui est allé le plus loin sur cette question.
L’enjeu maintenant de toutes ces questions pour nous aujourd’hui et comment lire Leroi-Gourhan, etc., etc., à partir de ce que je viens de dire, c'est de savoir ce que devient la possibilité néguanthropique, avec un a et un h, telle qu'elle appartient irréductiblement à la localité, telle que je définis la néguanthropie, si elle est néguentropique au sens schrödingerien, elle est forcément locale. Elle appartient donc irréductiblement à la question du point de vue, et ici il faudrait dire Leibnitz, un peu contre les cognitivistes. Elle y appartient irréductiblement, faute de quoi selon moi elle se désintègre, c'est-à-dire qu'évidemment, on peut produire une certaine activité noétique ou néguanthropique, mais elle ne va plus être capable de se maintenir – comme l’être vivant, il a besoin de se maintenir en permanence – si on ne nourrit pas la noèse de sa capacité de se maintenir elle se désagrège et elle se transforme en mètis, c'est-à-dire en méchanceté. Parce que la mètis est méchante. Dans ce cas-là, la question, c'est de définir le territoire comme culture de la proximité du proche et du lointain qui constitue l'intégration du lointain. Ce que je veux dire, c'est que le territoire de Plaine Commune, parce que c’est un territoire d’ailleurs, notre partenaire s'appelle Etablissement public territorial de Plaine Commune, c'est un territoire, il a la capacité à accueillir et à intégrer du lointain, des gens qui viennent de partout, d'Afrique, beaucoup, beaucoup, mais aussi de Corée, de Thaïlande, de partout. D'intégrer des gens dans un processus qui cherche à se constituer comme ce que j'appellerais un exorganisme complexe intégré. Et là, évidemment, je reviens vers Marcel Mauss. Marcel Mauss distingue deux types de sociétés. Moi j'appelle ça des exorganismes complexes. Non pas que je récuse le mot société, je reprends à mon compte le mot société très précisément contre Margaret Thatcher qui disait qu'elle n'existe pas, la société, je ne crois pas du tout ça. Mais par contre je pense que c'est un mot usé le mot « société », qu'il faut le requalifier d'exorganisme complexe. Il y a des exorganismes complexes intégrés, dit Mauss, et d'autres qui ne sont pas intégrés. Qu'est-ce qu'il veut dire ? De quoi parle-t-il ? Il parle de ce qu'il appelle les exorganismes complexes, enfin, de ce qu'il appelle les sociétés polysegmentaires. Qu'est-ce que c'est qu'une société polysegmentaire ? C'est une société, par exemple, comme les Baruyas, qui vivent dans une ethnie, mais cette ethnie, elle est divisée en clans et en tribus. Et il y a une appartenance à l'ethnie, mais cette appartenance est très lâche. Et les clans et les tribus peuvent se faire la guerre à l'intérieur de l'ethnie. Et de temps en temps, paf, l'unité de l'ethnie se reconstitue. C'est ce dont parle Maurice Godelier dans Les métamorphoses de la parenté. Kojin Karatani dont je vous parlais tout à l'heure, le philosophe japonais, a beaucoup travaillé sur ces questions aussi et je vous recommande de le lire, c'est extrêmement intéressant. Guattari et Deleuze revisitent cette question de la segmentarisé, sinon de la polysegmentarité, dans un autre sens, dans L’Anti-Œdipe comme on l'avait vu tout à l'heure mais aussi il faudrait revenir dans... ah pardon je reviendrai sur ce transparent tout à l'heure, il faudrait revenir sur Mille plateaux où ils interrogent la question de la segmentarité et de l'articulation. Ils le font en convoquant la chimie, la biochimie, la biologie, l'anthropologie, bien entendu, etc. Ils essayent de penser des articulations et des segmentarités diverses et variées pour essayer de concevoir ce qu'ils appellent le corps sans organes dans ce texte-là qui est aussi par exemple le corps exosomatique du forgeron et de son enclume. Je pense que, ici, comme dans L'Anti-Œdipe, ils avaient ouvert, Deleuze et Guattari, une question du point de départ du territoire. Ici, ils ouvrent une question de la segmentarité, mais je pense que ce travail, il faut le faire. Ils l'ont ouvert, mais ils ne l'ont pas du tout fermé. De toute façon, une question n'est jamais fermée, sinon ce n'est pas une question, c'est un problème. Le problème, ça se résout. J'ai résolu le problème, il ne se pose plus. Une question ça n’est jamais terminé. Je pense qu’il faut revisiter tout cela en ayant vu que ce chapitre-là de Mille plateaux, il introduit un autre chapitre qui est consacré à la linguistique. C'est-à-dire qu'ils sont en train de visiter la chimie, la biochimie, la biologie, etc., la zoologie et la technologie, puisqu'ils se réfèrent aussi à la technologie, pourquoi faire ? Pour introduire une réinterprétation des questions de la linguistique. Pourquoi est-ce que je vous dis ça ? Et bien c'est parce que la linguistique, c'est au cœur de mon propos. Ce que j'essaie de contester dans ce que dit Marcel Mauss, c'est qu'on peut aller vers une société où il n'y aurait plus qu'une langue. Il pose ça, Marcel Mauss, comme si c'était une petite question comme ça sur laquelle on pourrait passer en vitesse. Et je vais vous montrer tout à l'heure que c'est aussi le cas de Arnold Toynbee, qui était pourtant extrêmement prudent. Toynbee aussi fait cette hypothèse. Il dit oui, il va peut-être y avoir une seule langue. Non, il va peut-être y avoir un seul système de communication, mais ce ne sera plus une langue. Pour essayer de vous en convaincre, je voudrais vous parler de ce qui se passe dans le ventre maternel. Je vais revenir à la bipolarité idiomatique. Les exorganismes simples et complexes, inférieurs et supérieurs, baignent dans le milieu exorganique primordial, qui est le langage primordial, parce qu'il affecte le fœtus avance à naissance. Un bébé, à ce stade de développement, est déjà transformé par les productions de son de sa mère. La manière dont la mère parle a des effets sur ce qu'on appelle l'embryogenèse du bébé. Ça a des effets sur les sélections au niveau par exemple des cordes vocales. Autrement dit, ça prépare la venue au monde du bébé. Le bébé arrive au monde déjà habité par un signifiant. J'ai toujours pensé, j'ai peut-être déjà dit, je ne crois pas que je n’en ai jamais parlé ici, mais moi j'ai beaucoup fréquenté le Maroc à une époque, j'essayais de parler un petit peu avec les Marocains et je n'y arrivais pas parce que je n'arrivais pas à gutturaliser. Je n'ai jamais réussi à dire Khatibi par exemple, c'était le nom d'un ami à moi qui s'appelait comme ça mais moi, je n'arrive pas à gutturaliser comme les Marocains. Et je n'y arrive pas pour une raison toute simple, c'est que je n'ai pas grandi avec une mère qui gutturalisait comme ça, dans le ventre d'une mère qui gutturalisait comme ça. Et ça c’est extrêmement important, le bébé est marqué avant son expulsion du ventre maternel déjà par le symbolique et par le langage et c'est cette embryogenèse qui donne au langage ce que j'appelle sa « primeur exorganique » qui marque ce petit bébé. Alors lui, il n'est pas loin de naître. Il est déjà habité par la voix maternelle. C'est aussi ce qui donne d'ailleurs à la mère une dimension que le père n'aura jamais. Le privilège du signifiant, de ce que Lacan appelle le signifiant, c'est de ça qu'il procède. Maintenant, et c'est pour ça qu'on dit la langue maternelle, par ailleurs. C'est parce que la langue de la mère, ce n’est pas celle qu'on s'est mise à parler avec sa maman quand on a commencé à parler, non, c'est la langue que parlait la mère quand elle nous portait et ça c’est ce qui donne au langage ce que j'appelle sa dimension d'exorganisation médiane. Le langage médiatise tous les exorganismes simples et complexes. Il est traduisible. Vous pouvez traduire de l'égyptien en araméen ou en je ne sais pas quoi, enfin de l'arabe je devrais dire, voilà, et il y a une possibilité toujours, voilà, de quoi déterritorialiser le langage et de se déterritorialiser avec le langage. La déterritorialisation s'opérant évidemment par le langage en particulier en tant qu'il est tertiarisé, c'est-à-dire en tant qu'il commence à s'écrire. La traduction devient possible surtout à partir du moment où il y a une circularité à travers l'écrit, qui est aussi les lettres de change, la monnaie, la constitution des marchés, tout ça apparaît aux alentours de 2000 ans avant J.-C. autour de la Lydie, etc. Cette médiation exorganique primordialement endosomatisée, pourquoi est-ce que je dis qu'elle est primordialement endosomatisée ? parce qu'elle arrive dans le cerveau du bébé là, dans son système nerveux, disons, d'une façon plus générale, mais aussi dans son cerveau, et elle le structure, elle le configure, elle le sculpte, dirait Jean-Claude Amézen. En fait, nous nous disons qu'elle le cultive plutôt, c'est du jardinage plutôt que de la sculpture. Eh bien, cette médiation exorganique, elle n'est jamais nulle part. Elle n'est jamais dans un lieu unique. Par exemple, elle n'est jamais simplement dans le cerveau des individus comme croyait pouvoir le dire Ferdinand de Saussure à cette page 30 du cours de linguistique générale où il disait : le lien social constitué de la langue est « un trésor déposé par la pratique de la parole dans les sujets appartenant à une même communauté, un système grammatical existant virtuellement dans chaque cerveau (…) » ; bien sûr quelle est dans les cerveaux des individus mais elle n'est pas seulement dans les cerveaux des individus. Elle est toujours au-delà, elle est toujours ailleurs. Elle est aussi dans les dictionnaires et dans les bibliothèques, mais jamais seulement dans les dictionnaires et dans les bibliothèques, elle est toujours ailleurs. Et elle n'est évidemment pas dans l'ADN. Mais elle n'est pas non plus sur un territoire d'origine, comme par exemple les serbes ont voulu le faire croire à un moment donné. Ce territoire, c'est toujours le territoire d'un défaut d'origine. C'est ce que dit Roberto Esposito ici dans ce livre que je vous recommande de lire et qui est très intéressant Communitas ; cette médiation exorganique idiomatique, et elle n'est jamais nulle part parce qu’elle est idiomatique, elle est toujours à la fois en moi et dans ce qui n'est pas moi, l'idiome que je parle mais qui n'est pas parlé comme moi, etc. donc elle est toujours divisée entre l’individuation psychique et l’individuation collective, cette médiation exorganique idiomatique est au contraire la marque d'un défaut d'origine. Et ce défaut d'origine dans la Bible il se manifeste à travers quoi ? Le bégaiement de Moïse par exemple, le zozotement des éphraïmites etc. le shibboleth comme dit Derrida. Le défaut de prononciation. C'est ça la babélisation. C'est à dire que toute langue est toujours un défaut de prononciation. Jamais on ne prononce correctement une langue et c'est comme ça que les langues se divisent en fait. Il n'y a pas d'origine une, il n'y a donc pas de logos divin ou transcendantal que ce soit au sens de Platon, au sens de Kant ou au sens de Husserl. Et la langue de ce fait est toujours à la fois relativement localisée et délocalisée. Les deux à la fois. Il faut tenir les deux bouts. Si on en lâche un, on l'offre au Front National. C'est pour ça que je pense qu'il ne faut pas du tout négocier sur les rapports entre territorialisation et déterritorialisation. Quand je dis qu'il ne faut pas négocier, il faut prendre vraiment très très très sérieusement ce que disent Deleuze et Guattari et poursuivre le travail qu'ils n'ont pas pu continuer parce qu'ils n'ont pas connu notre histoire à nous. Cette médiation est toujours en conséquence de ce que je viens de dire bipolarisée entre ce que d'une part et comme pôle diachronique, elle constitue comme idiomaticité idiolectale, et je reviens à la diachronie, c'est-à-dire à l'anti-entropie, qui est si fine qu'elle divise le sujet parlant lui-même, le « sujet parlant » parlant toujours plusieurs langues. C'est ce que je vous disais tout à l'heure en me référant à Louis Jouvet, je ne parle pas ici la même langue que celle que je parle à Augustin, évidemment, et réciproquement. Augustin étant mon fils, il a 12 ans. Et d'autre part, elle est toujours sur un pôle synchronique qui vient unifier les idiomes, idiolectaux et dialectaux divers, en quoi se divise toujours déjà l'exorganisation médiane. L'exorganisation médiane, c'est Dionysos. Elle est toujours en train de se diviser, mais elle est aussi toujours en train de s'apolloniser, c'est-à-dire de se réunifier, dans la beauté d’une langue, la langue de Racine, de Proust etc. L’exorganisation médiane est caractérisée par le fait qu’elle ne consiste qu’à la condition d'exister non seulement par une exosomatisation soutenue par ses supports tertiaires, ça c'est ce que dit Simondon à propos du transindividuel, il dit que le transindividuel n'existe pas s'il n'est pas soutenu par des objets techniques, mais également par une endosomatisation, une intériorisation et une entente telle que l'oreille et la langue y constituent un seul et même organe organologique, qui est lui-même donc bipolarisé. Et ici je voudrais faire deux remarques. Premièrement, la synchronie est délocalisée, déterritorialisée. Toujours. Qui dit synchronisation, dit déterritorialisation, délocalisation. Par exemple, la synchronisation des Baruyas dans leur ethnie, c'est une délocalisation du clan et de la tribu, au niveau de l'ethnie. Donc c'est une hiérarchisation, une scalabilité différente. Qui dit diachronie dit re-territorialisation et re-localisation à l'inverse. Alors, une remarque ici, une question plutôt. Quelle différence entre déterritorialisation et délocalisation ? Eh bien, celle-ci, il y a de la localité qui n'est pas territoriale. Donc je reprends ce que je disais tout à l'heure. La localité, en tant qu'elle se constitue comme intégration, par exemple, de l'individu psychique à une individuation collective, suppose une localité territorialisée par laquelle elle passe toujours en quelque façon et l’ignorer c’est faire preuve d'une immense naïveté géopolitique à mon avis mais d’autre part nous insistons sur la localité parce que c'est l'enjeu de l'entropie négative aussi bien que l'anti-entropie qui n'est pas nécessairement territoriale. Dans le cas de l'anti-entropie, cette localisation comme individuation d'une singularité est évidemment liée à une déterritorialisation. Mais elle finit toujours par se re-territorialiser pour pouvoir s'inscrire dans des circuits de transindividuation néguentropique. Et ça, ce n’est pas moi qui le dis, c'est Deleuze-Guattari qui le disent. C'était ma première remarque. Deuxième remarque, il faut s'intéresser à ce que dit Alfred TomatisL’oreille et le langage Alfred Tomais Coll. Points↩︎, un peu contesté parce qu'il concurrence par exemple les discours de la psychanalyse. Et je comprends très bien qu'on le conteste et qu'on en relativise la portée fortement. Et pourtant je pense que c'est extrêmement important de le lire et de le prendre en compte. Pourquoi ? Je vais vous citer un résumé de Tomatis, de son point de départ, sur la notice Wikipédia qui le concerne. Tomatis examinait des personnes dont l'audition était altérée par l'exposition au bruit des moteurs à réaction, afin de savoir s'il fallait les indemniser. Donc il travaillait en fait dans l'armée. Et il remarquait assez souvent une déformation très nette de la voix. Il s'apercevait que quand les gens avaient perdu une capacité d'entendre, et bien ils perdaient une capacité de dire. C'est comme ça qu'il a fait une découverte. Rapprochant ce cas de figure de celui des chanteurs à la voix brisée, il imagina que les troubles de l'audition causaient des perturbations de la voix et il chercha une méthode expérimentale qui mette en évidence les réactions et les contre-réactions de l'audition sur l'émission vocale. Ça c'est extrêmement important. C'est la boucle de rétroaction qui fonctionne. C'est la récursivité dans le phénomène de la parole qui est absolument fondamentale. C'est le jeu entre parler et écouter et ça renvoie à ce que moi je dis : quand je vous dis ce que je dis, c'est vous qui le dites. Vous n'entendez de ce que je dis que ce que vous êtes capable de dire de ce que je dis. Et c'est comme ça, et ce n’est pas parce que vous êtes insuffisamment attentif. Non, c'est la condition de l'attention. C'est comme ça que se constitue l'attention. Après, on peut changer son attention, c'est-à-dire qu'on peut l'enrichir. Par exemple, quelqu'un qui enseigne doit enseigner les conditions de faire des apports de rétentions et de protentions nouveaux qui vont changer l’entente et donc la capacité de dire et donc qui vont changer la compréhension. Je continue la citation : il en résulta l’idée d’un circuit fermé d'auto-information dont le capteur de contrôle lors de l'émission au niveau des organes phonatoires serait l'oreille, toute modification imposée à ce capteur entraînant une modification du geste vocal. Là, il faudrait faire une relation avec Joseph Voice qui disait la langue fait des gestes dans la bouche. Je ne vais pas en parler. A partir de ça, Tomatis a tiré trois lois. Premièrement, la voix ne contient que ce que l'oreille entend. Le larynx n'émet que les harmoniques que l'oreille peut entendre. Ça on l'a vérifié à l'IRCAM. C'est un sujet dont on a travaillé avec Vincent Puig, où on avait aussi des problèmes de destruction d'audition par les casques, etc. Et c'est un sujet extrêmement important de l'acoustique musicale. Deuxièmement, si l'on modifie l'audition, la voix est inconsciemment et immédiatement modifiée. Et ça, c'est tout à fait observable avec des instruments de mesure. Troisièmement, la stimulation auditive entretenue pendant un temps déterminé modifie par effet de rémanence la posture d'auto-écoute du sujet et par voie de conséquence sa phonation. Voilà. Pourquoi est-ce que je vous dis tout cela ? Eh bien c'est parce que j'essaye de penser les rapports entre l'idiome, la langue, la territorialité, la déterritorialisation, les différents pôles de l'idiomaticité et les conditions dans lesquelles aujourd'hui une déterritorialisation, re-territorialisation productrice de néguentropie, non pas destructrices de néguentropie, c'est-à-dire productrices de noèse, donc de supériorité, permet de réfléchir à une époque où Google, Amazon, etc. sont en train de changer totalement le rapport au langage. Totalement.
Alors revenons maintenant au réformiste Marcel Mauss. Je dirais réformiste parce que ça c'est un des textes dont je vous parlais tout à l'heure, c'est un autre texte que le texte sur la nation. Voilà, je dis réformiste parce que là, si vous lisez ce texte qui se trouve dans le tome 3 des œuvres de Mauss aux Editions de Minuit, vous verrez que c'est un réformiste, ce qu'on appelle un réformiste, c'est-à-dire qu’il est contre la révolution marxiste, il est tout à fait sceptique quant à la collectivisation bolchevique bien qu'il soit pour la nationalisation, ce qui est tout à fait différent. Je ne vais pas rentrer dans ces considérations, c'est un débat avec un socialiste marxiste, mais il représente, Mauss, à cette époque-là, au début du XXe siècle, la filiation sociale-démocrate du socialisme français. Quand on sait qu'elle a conduit à Hollande et Macron, évidemment on peut se poser quelques questions. Mais quand on sait que les marxistes ont produit le parti communiste et Mélenchon, on peut aussi se poser quelques questions. Donc la question ce n'est plus de s'intéresser à tout ça, c'est de produire quelque chose de nouveau, de réfléchir avec l'humus noétique qu'on peut hériter dans les archives en lisant Marcel Mauss, Karl Marx, le congrès de Tours, etc., qui est l'origine du Parti communiste français, et pour essayer de reprendre tout ça dans l'ère anthropocène. Alors, là, je voudrais revenir, et je viens vers la conclusion, rassurez-vous, mais ce n'est pas tout à fait fini quand même.
Je reviens vers Mauss et ce qu'il dit de la langue. Je vous avais déjà montré ce qu'il dit là. « Nous conclurons qu'il est impossible d'entrevoir quand aura lieu une langue unique, celle-ci est impossible à coup sûr tant qu'il n'y aura pas une société universelle, mais tout indique que le nombre de langues est destiné à réduire encore, etc. ». Donc qu'est-ce qu'il nous dit Mauss ? La langue universelle va arriver. Cette proposition pour moi est absurde au regard de l’idiomaticité telle que je viens d’essayer de vous la présenter, c’est un symptôme particulièrement signifiant de ce qui fait défaut dans l'analyse de Mauss. Et c'est ce que je vais essayer de commencer à faire à partir de maintenant, aujourd'hui et les prochaines sessions, je vais essayer de vous dire pourquoi on ne peut pas se contenter de Mauss, même s'il faut reprendre un certain nombre de ses analyse et en particulier sur l'internation en le critiquant, comme je commence à le faire maintenant, en vue de constituer une supériorité noétique biosphérique dans la technosphère. Pour quoi faire ? Pour créer une communauté noétique qui serait le principe de cette internation. En fait, ce qui a constitué la supériorité des exorganismes complexes supérieurs, ça a toujours été la noèse, que cette noèse soit magique, qu'elle soit politique, qu'elle soit divine, qu'elle soit scientifique. Je dis magique parce que c'est le chamanisme. Quand je dis politique, c'est la cité grecque. Quand je dis divine, c'est depuis la Judée jusqu'au droit divin de Louis XIV et d'un certain nombre d'autres. Et quand je dis scientifique, c'est la cité démocratique des Lumières, c'est-à-dire parce que ce qui fait la régulation de la supériorité de la nation française, par exemple pour le général de Gaulle, c'est la science française, c'est le savoir français, etc. Nous nous disons aujourd'hui la nation n'est plus l'échelle de constitution de cette supériorité, c'est l'échelle de la biosphère en totalité qui est une territorialité, c'est la terre, c'est un territoire, c'est un territoire commun à toutes les nations. Ces nations doivent s'unir dans une internation Pourquoi faire ? Pour produire un effort surhumain, l'effort de l’Übermensch de Nietzsche, qui n'est pas le surhomme tel qu'on l'a toujours compris, mais l'effort surhumain de quoi ? d'introduire la néganthropie et la localité dans l'universalité, c'est-à-dire repenser l'universalité depuis la diversalité. Et ça, ça suppose une pharmacologie de la bipolarité c'est une pharmacologie du synchronique et du diachronique. C'est ce qu'on devrait rapporter à ce que l'on est souvent tenté de regarder comme la polarité schizo-parano. C'est un grand classique, je ne suis pas du tout sûr que les psychiatres partagent une telle analyse, mais voilà, il y aurait deux grandes formes de la psychose, les schizo et les paranos, qu'on peut retrouver dans la polarité mise en évidence par Roman Jacobson du côté du langage, métaphore schizo, métonymie ou synecdoque, parano. Vous savez, c'est les structures sémantiques d'un côté, la métaphore, les structures syntaxiques de l'autre. Jacobson avait écrit un texte très important là-dessus, qui a été repris très fortement d'ailleurs par Jacques Lacan. Si cependant et de fait une uniformisation linguistique est possible, car elle est possible cette uniformisation linguistique, elle est même décrite ici par Frédéric Kaplanhttps://www.monde-diplomatique.fr/2011/11/KAPLAN/46925#:~:text=Le%20succ%C3%A8s%20de%20Google,%2C%20l'a%20rendu%20riche.↩︎, elle est en cours, elle se développe. C'est parce qu'il y a une orthogenèse, et que cette orthogenèse, qui n'est pas la sélection naturelle darwinienne du tout, qui ne se produit pas du tout par l'ADN et les recombinaisons chromosomiques, mais par des décisions politiques et économiques, et exosomatiques. Elle est par essence pharmacologique. L'orthogenèse peut, non seulement peut, mais est obligatoirement se trompe. Qu'est-ce que je veux dire par là ? L'orthogenèse, qu'est-ce que c'est ? C'est le fait que je peux utiliser les algorithmes de Google comme le fait Google pour son business model mais je pourrais l'utiliser tout à fait autrement par exemple pour renforcer énormément l'activité noétique des recherches en littérature sur un modèle, je ne sais pas, de Gérard Genette ou des formalistes russes ou de la théorie derridienne de la Littérature, je ne sais pas quoi, je dis n'importe quoi. Si on veut poser ces questions correctement, il faut revenir à l'essentiel. La question devient ici la noèse comme spécification du critère orthogénétique, c'est-à-dire des critères de sélection parmi les possibles de l'exosomatisation, de sélection de critères autogénétiques néguentropiques, c'est-à-dire durables, qui entretiennent le vivant, la diversification, la nécromasse noétique, et qui cultivent l'anti-entropie, sachant que ces critériologies sont elles-mêmes conditionnées par les rétentions tertiaires et hypomnésiques, qu'elles soient littérales, analogiques, numériques, et que celles-ci produisent des processus de catégorisation. Aujourd'hui, la catégorisation, ce n'est pas la théorie des catégories d’Aristote. C’est par exemple quand je mets un indice sur un de mes e-mails j’assigne une catégorie comme dit Word et je peux modifier la catégorie. La catégorisation c'est ce que tout le monde fait en permanence aujourd'hui. Mais en fait c'est ce que tout le monde fait en permanence depuis toujours, mais sans le savoir. Et quand Durkheim disait il faut étudier le totémisme des Australiens, etc. ce n’est pas ce qu'ils montraient, mais ils catégorisent en permanence. Tout ce qu’ils font, leur clan par exemple, leurs tribus sont constitués par cette catégorisation totémique. Il y a toujours de la catégorisation. C'est pour ça qu'il disait, il faut reprendre les propos d'Emmanuel Kant sur la refondation des catégories d'Aristote dans la Critique de la raison pure depuis l'anthropologie et vous allez voir ce que vous allez voir. Ça va apporter des problèmes tout à fait nouveaux. Et il a tout à fait raison. La catégorisation aujourd’hui elle est sur les instruments qu'on appelait bureautique autrefois et qu'aujourd'hui on appelle je ne sais pas quoi, un smartphone ; elle est aussi dans les processus industriels pour la gestion des stocks par exemple. Ça a l'air de rien, c'est une arborescence mais en fait cette arborescence elle a été produite par Aristote quand il étudie les rapports entre le genre et les espèces c'est-à-dire que c'est véritablement un processus de catégorisation qui se poursuit aujourd'hui. On en parlait ce midi avec un ingénieur de Vinci, voilà, et j'en ai déjà parlé ici l'année dernière, qui se produit dans le bâtiment en ce moment parce que les parpaings pucés, ça produit de la catégorisation automatique. Ça, il faut le repenser. Si on veut penser la localité, si on veut penser l'internation, si on veut penser l’ère néguanthropocène, il faut penser ces choses-là. Et il faut s'approprier le fonds pré-individuel du capitalisme computationnel qui pour le moment impose son hégémonie comme un pouvoir désintégrateur du calcul sur le corps noétique c’est-à-dire sur le corps pulsionnel, social, libidinal, sur la philia, qui détruit la philia, par exemple avec les systèmes de mariage automatisés dont je parlais tout à l'heure. Mais il s'agit de se réapproprier toutes ces choses-là et pour quoi faire ? Pour réintroduire de la diachronisation ; c’est ce que j’avais essayé de montrer dans De la misère symbolique il y a déjà pas mal d’années comment la télévision et de toute façon beaucoup plus générale les industries culturelles étaient des machines à synchroniser les comportements, c'est-à-dire à imposer de la synchronisation en éliminant de la diachronisation ce qui rendait les gens fous dont Richard Durn qui a tué 8 personnes au pistolet-mitrailleur et qui disait lui-même qu'il était un téléphage absolument impénitent. Et qui liait son besoin d'aller tirer au pistolet mitrailleur sur son mode de vie de cette personne qui n'avait plus de vie symbolique, c'est-à-dire qui était synchronisée mais qui ne pouvait pas diachroniser. C'est-à-dire qu'il ne pouvait pas produire d'anti-anthropie. La synchronisation ainsi constituée par le capitalisme purement computationnel est ce qui rend impossible l'anti-anthropie et ce qui, de ce fait, génère de l'anthropie, avec un a et un h, elle-même étant en tant que métastable à la fois anthropique et néguanthropique, c'est-à-dire pharmacologique. Ce que je veux dire par là, c'est que la synchronie, ce n’est ni une bonne chose ni une mauvaise chose. C'est une condition fondamentale de la production de signifiants. Ce qui est le problème, c'est quand la synchronie empêche la diachronie. Et réciproquement, quand la diachronie empêche la synchronie, c'est tout aussi problématique. Donc il n'y a pas à choisir entre diachronie et synchronie, il y a à les articuler. Le sujet c'est l'articulation. C'est pour ça que je citais Mille Plateaux. Maintenant je reviens à l'orthogénèse, qui est le cœur du problème en fait, chez Lotka. Le truc scandaleux qu'il produit, scandaleux pas pour moi bien entendu, mais à son époque, dire ce qu'il dit, c'est ce qui fait qu'à mon avis, jamais, Canguilhem n'osera dire ce qu'il dit. Canguilhem est très proche selon moi de Lotka. Jamais Leroi-Gourhan n'osera dire ce qu'il dit. Il remet en cause la sélection naturelle comme principe de l'évolution chez les êtres humains. Ça c'est très clair. Quand il dit c'est l'orthogenèse qui est la base de l’évolution exosomatique, il n’y a plus de darwinisme qui tienne ici. Il faut du courage pour dire ça en 1945. C'est une sélection artificielle, l'orthogénèse, qui s'opère à travers des filtres, et ces filtres sont toujours plus ou moins délocalisés, puisqu'ils sont toujours rapportés, ils rapportent toujours du divers à l'unité d'une catégorie, puisque la catégorie produit les critères de sélection et elle-même est issue d'une synchronisation et elle opère dans une synchronisation. Ces fils sont toujours plus ou moins délocalisés, mais ils ne sont jamais tout à fait délocalisés. Ils ne sont jamais totalement désindividualisés quand ils fonctionnent correctement, bien entendu. Et ça, c'est ce que signifie à la fois Vernadsky, en posant la localité de la biosphère elle-même, son irréductibilité en tant que localité mais aussi Husserl lorsqu’il pose l’irréductibilité de la terre dans L'arche-terre ne se meut pas. Les spirales, ce que j’appelle ainsi, je disais le 7 avril, qu'elles forment des enchevêtrements de localités dans la plus ample localité qu'est la biosphère. Et qui comme mortalité, qu'est-ce que c'est que la mortalité ? C'est la biosphère qui devient exosomatique. Et ça c'est le début de la mortalité, au sens où le mythe de Prométhée et d'Épiméthée montrent que la mortalité c’est la technicité, c’est l’exosomatisation. La mortalité c'est ce qui va comme plus ample localité dans la biosphère, c'est-à-dire celle qui est la plus apte à se déterritorialiser, et on le sait très bien, l'homme est celui qui a colonisé absolument toutes les espèces. L'homme est partout. Il est au pôle nord, il est sous la mer, il est dans l’espace ; les animaux, eux, ils ont des niches, les plantes aussi. En tout cas, ça c'est ce qui produit la noosphère, ce que Teilhard de Chardin appelle la noosphère et que Arnold Toynbee reprend à son propre compte. Pour le dire autrement, ce sont mes rétentions secondaires psychiques, par exemple, si je dis que moi je suis cette spirale-là et que vous, vous êtes les autres spirales autour et que cette grande spirale c'est ce séminaire-là qui est en train de se tenir, ce sont mes rétentions secondaires psychiques plus les rétentions secondaires collectives que je mobilise à travers mes rétentions secondaires psychiques, c'est-à-dire les mots que j'utilise, ce n'est pas moi qui les ai forgés, ce sont des rétentions secondaires collectives dont j'ai hérité et vous aussi et comme vous avez hérité des mêmes on peut se comprendre, ça ça constitue une localité, ces rétentions secondaires collectives ; c'est quelque chose que j'ai appris et c'est tout ça qui constitue l'accumulation de ce qui va devenir la nécrosphère noétique, qui est la grande spirale. Cette grande spirale qui est là, elle va constituer ce que Simondon a appelé un milieu, un fond pré-individuel sur lequel absolument tout repose et grâce auquel tout tient encore debout. Je dis tout tient encore debout parce qu'on en est là, par rapport à la nécrosphère noétique, on en est comme de la nécrosphère biologique, la biodiversité. Pour que Einstein, Schrödinger, et tout ça tiennent le coup, il faut Thalès, il faut Newton, il faut la théorie de l'entropie, il faut tout ça. Pourquoi ? Parce que c'est cumulatif et tout ça est solidaire. Vous ne pouvez pas enlever Thalès et garder tout le reste. Si vous enlevez Thalès, tout se casse la gueule. Quand je dis ça, je ne veux pas dire que tout doit passer par Thalès. Non, il y a des choses qui ne passent pas par Thalès dans leur genèse. En Chine, par exemple, il y a une géométrie qui se développe, mais à un moment donné, elle rejoint Thalès et elle se le réapproprie. Cela je le constate très précisément parce que j’enseigne en Chine et c’est vraiment comme ça que fonctionne la Chine. Elle s'est réappropriée absolument toute la nécromasse noétique occidentale. Et c'est pour ça qu'elle va gagner d'ailleurs. Parce que nous on n'est pas en train de faire ça du tout avec la Chine. Pas du tout. On s'en fout de la Chine. Et on a vraiment tort. On ne voit en Chine que Xi Jinping ou les porte-avions chinois ou les nouvelles bagnoles chinoises mais non c'est la culture chinoise qui est en jeu. Alors tout ça c'est ce qui constitue le fond pré-individuel de l’ère Néguanthropocène dont nous héritons nous dans les conditions actuelles de ce qui constitue disons la désertification de la biosphère. Et ça c'est l'horizon de l'art depuis Paul Klee. Je dis ça parce que Paul Klee, dans la théorie de l'art moderne, explique que l'expressionnisme, c'est d'abord un travail de la mémoire, et c'est une remobilisation de la mémoire et je pense que le schéma que je vous présentais tout à l’heure il parle de cet humus dont j’essayais de vous parler moi-même, je crois que c’est aussi l’horizon de Reiner Maria Rilke en particulier dans les sonnets à Orphée et qui constitue ce que j'appelle une poésie de la patiance. C'est lui qui parle de patience. C'est moi qui mets le a de patiance, bien sûr, mais c'est lui qui parle de la patience, c'est son obsession. La transindividuation c’est une différenciation avec un a. Et cette différenciation avec un a, c'est toujours une relocalisation inventive de lieux inédits concrétisant une différence noétique. Il y a des localités réticulaires, des diasporas par exemple, ou des réseaux sociaux, mais toujours en lien à un territoire quelconque, y compris comme la Terre entière, en tant que localité cosmique biosphérique qui est la condition de tout le reste. Et c'est aussi de ça dont parle Rilke dans Les sonnets à Orphée, puisqu'il parle de la Terre, Rilke, ici. Ce qui s'épuise dans la biosphère technosphérique telle qu'elle est aujourd'hui, c'est le devenir idiomatique, c'est-à-dire l’indifférenciation du désert, dont parlait Nietzsche, Mauss en prend acte sans plus, et surtout sans en voir le péril réel qui est celui de la prolétarisation absolue et comme a-signifiance intolérable. Je dis a-signifiance qui n'est pas l'insignifiant. L'a-signifiance c'est la folie. Quand le signifiant ne fait plus du signe c'est la folie. L'enjeu c'est une reconsidération des conditions de la noèse qui requalifient les rétentions tertiaires numériques d'un point de vue exosomatique néguanthropique. Et pour ça, il faut lire ce texte de Yuk Hui et Harry Halpin, et il faut reprendre toutes ces analyses de la grammatisation sur la base de l’individuation psychique et collective que mobilisent Yuk et Harry contre Moreno mais il faut aussi lire le dernier bouquin de Yuk en y réintroduisant la question de la localité dans la récursivité. C'est extrêmement important. Et le travail de Harry et Yuk ici, il faut que nous le reprenions en le territorialisant. C'est quelque chose à quoi nous travaillons avec Yuk en Chine en ce moment. Ces questions-là telles qu’elles produisent ces problèmes d’infrastructure de catégorisation parce que c’est de la catégorisation qui se produit dans tout ça, dans la récursivité et la contingence, eh bien elles doivent être mises au service de ce que nous appelons des instituts de gestion de l'économie contributive. Ce sont des choses extrêmement concrètes, qui sont des économies de la localité. Économie dans les deux sens du terme, économie dans le sens de valoriser le local, mais c'est aussi réduire la localité, c'est-à-dire délocaliser et déterritorialiser, c'est-à-dire être capable de sortir de la localité. Et c'est ça que nous essayons de penser, et c'est pour ça que nous voulons critiquer Marcel Mauss. Comme il est très tard, je vais m'arrêter là. En plus, j'ai vraiment envie de pisser, donc il faut absolument que je m'arrêter là, on va faire une pause de 5 minutes, arrêt pipi ! Et puis bon, j'avais encore pas mal de trucs, mais ce sera pour la prochaine fois. Merci de votre attention. Merci de votre attention. A tout de suite !