Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2019

Séance 3 : Diverses localités

Séance 3 : Diverses localités

Exorganologie II Remondialisation et internation

Bernard Stiegler

Bernard Stiegler, « Séance 3 : Diverses localités », dans Michel Blanchut, Victor Chaix (dir.), Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2019 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2019/seance3.html.
version 0, 20/12/2025
Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International (CC BY-NC-SA 4.0)

Enregistrement du 7 février 2019 sur l’instance Peertube de la MSH Paris-Nord

Crédits : Épokhè et consortium CANEVAS

Source

Nous démarrons la troisième séance de ce séminaire que j’ai appelé « Diverses localités », j’aurais pu l’appeler « Diversalité des localités d’ailleurs ». Avant de l’entamer, où on va beaucoup parler de localités, de diverses localités, je voudrais préciser que, après coup, et pour rédiger un petit peu à l’attention de Dan Ross qui suit ce séminaire sur Internet et à qui j’envoie les textes pour qu’il puisse suivre plus facilement je lui ai envoyé le texte de la séance dernière et je me suis aperçu que je ne lui avais pas donné de titre et donc le titre le voici : « Noogénéalogie des exorganismes complexes supérieurs et de leur souveraineté » et je souligne évidemment le mot « souveraineté », ceci étant rappelé pour préciser que « supériorité » ici signifie « souveraineté » ; je parle des exorganismes complexes supérieurs pour les distinguer des exorganismes complexes inférieurs, par exemple la nation par rapport à la corporation des minotiers ou je ne sais quoi, aux banquiers, et je précise que ce qu’on appelé autrefois la supériorité, on appelle ça la souveraineté au sens où Hobbes par exemple, ou Rousseau et tous les autres philosophes politiques en fait parlent de « souveraineté » mais une souveraineté qui s’exercerait par exemple sur les causes finales ; par exemple, la souveraineté de l’Eglise dans le Saint Empire germanique ou encore d’ailleurs pendant très longtemps dans la monarchie, y compris la monarchie absolue, la souveraineté de l’Eglise c’est une souveraineté sur les causes finales ; la cause finale dans l’Eglise qu’est-ce que c’est ? c’est le paradis, c’est le jugement dernier, c’est l’exemple de la vie de Jésus, de tout ce qui est l’eschatologie et la téléologie qui va avec ; une telle souveraineté qui s’exercerait sur les causes finales sans avoir la moindre prise sur la cause efficiente, la cause matérielle et la cause formelle, c’est plus une souveraineté ; c’est comme ça que la souveraineté de l’Eglise va s’effondrer à un moment donné ; elle va s’effondrer parce que pendant très longtemps l’Eglise à porté la souveraineté sur les causes finales parce qu’elle développait dans les universités, à Bologne et ailleurs, les causes formelles, y compris les causes matérielles ; si elle n’a plus de prise sur ces causes-là, ses causes finales n’ont plus de prise sur rien du tout ce qui fait que sa souveraineté s’écroule. Une question qui se pose ici, très compliquée, sur laquelle je n’ai pas la moindre hypothèse de réponse mais que je me pose totalement si je puis dire : en quoi la souveraineté peut-elle se déléguer ? c’est une question très importante parce que par exemple quand le ministère de l’intérieur français délègue à Palantir qui est l’entreprise privée de Peter Thiel le processus du renseignement, est-ce que c’est une délégation qui n’entame pas définitivement la souveraineté du délégateur ? C’est une très grande question qui n’est pas simplement celle que je viens de donner en exemple qui a fait parler d’elle il y a deux ou trois ans quand on a appris que la sécurité nationale déléguait à Palentir une partie de ses responsabilités, ce qui est quelque chose quand même quand on y réfléchit, quelque chose d’incroyable, scandaleux, mais c’est une question très ancienne : par exemple, qu’est-ce que fait un pays qui n’a pas de métal précieux, ni or ni argent ? ça c’est la cause matérielle ; est-ce qu’il peut développer sa souveraineté ? oui bien sûr ; en France il n’y a pas eu de mines d’or ou d’argent, il y a quand même eu une souveraineté y compris à l’époque où les Espagnols avaient, eux, des mines en Amérique latine etc. Donc tout ça c’est complexe ; il faudrait le regarder sur pièces ; pour ça il faut faire de l’histoire, de l’archéologie etc. Je ne veux pas vous en parler, j’essaye simplement de pointer ces questions. Ces questions de souveraineté on ne peut plus aujourd’hui les poser comme Rousseau, on ne peut plus les poser comme les révolutionnaires du XIXème siècle, on est obligé de les poser face à une nouvelle question de ce que j’appelle les exorganismes et leurs fonctions élémentaires. On ne peut rien dire d’intéressant quant aux gilets jaunes – tiens, qu’est-ce qu’ils viennent faire là maintenant ? ; on est dans ce sujet-là en fait ; ils sont inquiets de toutes sortes de perte de souveraineté – qui n’est plus un mouvement français mais qui devient un mouvement international, si on ne répond pas à de telles questions ; et en particulier en France, ça c’est sûr, il y a des démissions nationales considérables face à la réalité du milieu international dont on va voir tout à l’heure comment Marcel Mauss l’introduit et si on veut répondre à ces questions – et quand je suis en train de dire ça, je ne dis pas qu’il ne faut pas s’ouvrir à l’international, bien au contraire, il faut définir des règles de délégations etc. – il faut une théorie et cette théorie n’existe pas, aujourd’hui on n’a pas cette théorie, on une théorie au sujet de ce qu’on appelle les échanges internationaux économiques, le commerce international, mais pas du tout au niveau de ce que j’appelle la supériorité des exorganismes et la manière dont les exorganismes inférieurs peuvent s’associer dans une localité en exorganismes supérieurs pour produire une souveraineté. Je reviendrai si on en a le temps un tout petit peu à la fin de cette séance sur ces questions avec Mauss pour introduire les séances qui auront lieu ensuite au mois d’avril puisque c’est la dernière séance avant la reprise au printemps.

J’ai appelé la séance précédente Noogénéalogie des exorganismes complexes supérieurs et de leur souveraineté ; si je parle de noogénéalogie, c’est parce que c’est la noèse (noésis en grec) qui, en tant qu’elle articule les quatre causes, si en tout cas on suit ce que dit Aristote dans la physis, confère la souveraineté ; c’est par la capacité noétique d’un exorganisme supérieur que sa supériorité se constitue parce que c’est la noèse qui va unifier matérialité, efficience, formalité et finalité ; et cette unification ça s’appelle la noésis qui permet à des exorganismes complexes inférieurs qui s’occupent par exemple de causes finales, de causes matérielles de finalement travailler ensemble à la constitution d’une unité qui va être une localité. Mais la noésis confère la souveraineté aussi au sens où pour Socrate elle est la capacité de penser par soi-même ; et là on ne parle pas de la souveraineté à l’époque de Socrate, on parle de l’autonomie – mais c’est la même chose la souveraineté et l’autonomie ; la souveraineté c’est un vocabulaire de la philosophie politique à partir du XVIIème siècle principalement, autonomie c’est le vocabulaire de la philosophie grecque à l’époque de la Grèce athénienne du Vème et du IVème siècle av. J.-C. ; alors ce que j’ajoute moi, c’est que oui la souveraineté càd l’autonomie c’est penser par soi-même mais moi je l’écris comme ça : Panser par soi-même et pour l’écrire comme ça, je le dis en passant par Pierre Hadot repris par Michel Foucault ; panser ça c’écrit avec un a ; la noésis ce n’est pas une activité mentale c’est une activité sociale, sociale voulant dire « prendre soin » de soi, pas voir trop haut, pas lire trop (il y a plein de gens qui lisent tellement qu’ils sont incapables de penser), ne lisez pas trop non plus, n’oubliez pas d’écrire; il y a des maximes, des préceptes qui sont produits dans toutes sortes d’époques parce que les époques changent de préceptes, les époques n’ont pas les mêmes problèmes ; c’est ça qu’on appellera panser par soi-même et Foucault avec Sénèque ajoutera :càd pour les autres et avec les autres puisque le gouvernement de soi c’est le gouvernement des autres et c’est à partir de ça que Foucault repense la gouvernementalité ; quand je dis qu’il la repense – c’est dans les années 80 – c’est après qu’il ait développé sa théorie de la gouvernementalité, du biopouvoir des années 70 que beaucoup de foucaldiens ont totalement oublié ou même qu’ils ne connaissent même pas.

Il y a quelque de chose qui est en jeu de très important là-dedans c’est le soi-même dont on a parlé ce matin à la Clinique contributive avec l’équipe de puériculture de la Clinique Pierre Semardhttps://recherchecontributive.org/clinique-contributive/↩︎ de St-Denis ; on a parlé du soi en passant par Grégory Bateson et la cybernétique du soi de l’alcoolique et on a aussi parlé du « soi » que constitue la Clinique contributive ; si la Clinique ne devient pas un soi, un soi-même càd une localité, elle ne fonctionnera jamais. C’est ce qu’on verra la prochaine fois dans le séminaire de la Clinique contributive avec François T. qui pose cette question au niveau de l’institution psychiatrique et c’est que reprendra Guattari avec Jean Oury à la Bordehttp://www.multitudes.net/la-borde-en-son-temps/↩︎ ; c’est ce qui sera l’esprit de la Borde. Je le dis comme ça parce qu’on travaille beaucoup avec les psychiatres à l’IRI et que tout ce que je raconte dans ce séminaire ici est en communication directe avec ce séminaire que nous faisons à la clinique contributive qui est donc un séminaire de thérapeutique.

Est en jeu le soi-même dans penser par soi-même et ça nous renvoie au gnothi seauton « connais-toi toi-même » qui est un énoncé fameux qu’on apprend normalement à peu près tous quand on commence à faire de la philosophie mais qui est un peu trop fameux ; pourquoi ? parce que connais-toi toi-même, beaucoup de gens l’ont traduit par « commence par connaître tes limites » ou « commence par t’occuper de tes oignons, après tu t’occuperas des autres » ; c’est pas du tout ça que ça veut dire ; c’est l’enjeu ici de comprendre le soi-même (seauton) ; pourquoi est-ce que c’est l’enjeu dans ce séminaire où nous parlons de la localité ? Parce que c’est la question du « même » et donc de l’ « autre » qui va être la base de toute l’ontologie de Platon qui est une ontologie du « même » et de l’ « autre » càd l’Etre, to on, c’est le même ; l’autre, qu’est-ce que c’est ? le devenir , l’accident ; très compliqué ; si vous voulez comprendre ce qui se passe depuis les présocratique jusqu’à Jacques Lacan vous devez vous poser la question des rapports entre le même et l’autre ; parce que quel est le problème de Lacan ? c’est l’autre. Depuis Freud en passant par Winnicott et Lacan, nous disons donc que ce rapport du même et de l’autre qui obsède l’ontologie de Platon doit être entendu à partir de la question du désir càd de l’inconscient.

Nous avons vu que la question de la souveraineté est celle qui constitue la supériorité des organismes complexes supérieurs ; c’est une façon que nous avons de définir la question de la souveraineté qui est en rupture avec la façon classique de la philosophie politique depuis Hobbes jusqu’à Carl Schmitt et au-delà. En même temps, je vous rappelle que j’ai souligné que Hobbes lui-même commence par décrire le Léviathan comme un exorganisme ; évidemment il n’emploie pas du tout cette terminologie mais si on regarde ce qu’il décrit c’est ça ; d’ailleurs il dit : l’Etat c’est une machine avec des nerfs et les nerfs ce sont des câbles etc. donc il tourne autour de la question de l’exorganisme mais il y tourne métaphoriquement et c’est de la rhétorique ; nous, nous disons : c’est pas du tout de la rhétorique, c’est de la science ; si on veut comprendre ce que c’est qu’un organisme souverain, il faut le regarder comme un exorganisme rassemblant des exorganismes inférieurs etc. et constitué par des exorganismes simples. A ça, il faut ajouter – je suis en train d’ajouter quelque chose à la philosophie politique classique ou à la philosophie du droit classique ; on peut difficilement les séparer même si ce n’est pas tout à fait la même chose – la question suivante : qu’en est-il du rapport entre ces exorganismes supérieurs et l’inconscient ? si on dit que tout ça c’est le désir et que le désir est constitué par l’inconscient, c’est exactement ce que ni Hobbes, ni Rousseau, ni Kant, ni Hegel ne peuvent poser, c’est ce que nous, on est obligés de poser à un moment où on se demande si l’inconscient n’est pas en train de disparaitre ; je dis ça parce que j’ai fait, il y a deux semaines, je ne sais plus très bien une discussion avec Charles Melmanhttps://www.youtube.com/watch?v=A7empJUeEDU↩︎, le psychanalyste lacanien, où on réfléchit assez sérieusement à l’hypothèse qu’il n’y ait plus d’inconscient et ce n’est pas une bonne chose parce que ça ne veut dire qu’il y a une conscience totale, ça veut dire que la fonction de l’inconscient est détruite, de l’inconscient en tant qu’il est ce qui articule des pulsions en vue d’un investissement ; donc c’est extrêmement grave et c’est ça le vrai enjeu de l’intelligence artificielle : c’est la possibilité d’une activité computationnelle de l’esprit sans inconscient et donc sans esprit. Je ne vais pas développer ce point-là.

Si on avait du temps, mais on ne l’a pas, j’indique juste cette question : il faudrait se demander, pour pouvoir reprendre à son compte le concept d’inconscient de la psychanalyse – Freud, Lacan, Winnicott et tant d’autres – quel est le rapport entre l’inconscient tel qu’il est défini par la psychanalyse freudienne, lacanienne et freudienne à la supériorité noétique du monothéisme càd au concept de souveraineté issu du monothéisme ; c’est un très grand sujet ; par exemple si vous regardez à partir de quoi Lacan essaye de penser le Grand Autre, à partir de quelle référence il essaye de le penser ? à partir du pari de Pascal ; et le pari de Pascal à partir de quoi est-il élaboré ? à partir de la Bible càd à partir des Ecritures saintes ; donc tout ça mériterait une relecture de la psychanalyse pour l’ouvrir à de nouvelles possibilités au moment où ces références-là deviennent extrêmement insuffisantes ; ce sont des considérations un peu générales qui mériteraient d’être approfondies, je ne vais pas le faire.

Si je parle de ces questions ce n’est pas de manière purement gratuite, c’est parce que je viens de parler du désir et qu’est-ce que le désir ? c’est ce qui lie et relie ; d’ailleurs comme vous le savez, la religion c’est ce qui relie (religio) et donc la religion c’est le désir, c’est l’articulation du désir, c’est une articulation du désir parce qu’il y a d’innombrables sociétés où il n’y a pas de religion, où il y a des magies, des rituels etc. – en tout cas moi j’utilise le mot religion exclusivement quand il s’agit du monothéisme ; je ne crois pas du tout par exemple que les grecs avaient des religions, non, ils avaient des pratiques pieuses, ce n’est pas du tout la même chose ; ils avaient une mythologie, c’est pas une religion ; ils étaient pris dans la multiplicité des localités au contraire ; ils n’étaient pas dans le fantasme d’une unification ; c’est la Judée qui va construire cette vision de ce qui va devenir de ce fait la religion, ce qui relie ; mais avant la question de ce qui relie, il y a la question de ce qui lie et c’est pas la même chose ; pour relier il faut lier et la liaison c’est la fonction de ce que Freud la libido dans la deuxième topique càd à partir de Au-delà du principe de plaisir. Cette question elle est posée bien avant Freud, bien avant Bergson dans Les deux sources de la morale et de la religion, elle est posée chez Aristote dans ce Livre 8 de l’Ethique à Nicomaque et c’est la question de ce qu’Aristote appelle la philia dont il montre qu’elle se pose, cette question, pas seulement dans les sociétés humaines mais dans les sociétés animales et même parmi les plantes ; pour que les plantes puissent féconder, il faut qu’elles soient liées ; il faut qu’il y ait des liens entre les mâles et les femelles ; ça passe par les abeilles mais ça Aristote ne le sait pas mais voilà, le vivant en général c’est un processus de liaison ; la philia dont parle Aristote ici c’est la philia des êtres humains, ce qu’il appelle lui les âmes noétiques et donc il faut entendre cette philia comme Philotès, plus précisément ce que Jean Lauxerois appelle l’amicalité. C’est à partir de l’amicalité que se constitue la politeia, l’amicalité étant une modalité spécifique de la philia ; pour qu’il y ait de la politeia il faut qu’il y ait des « amis », voilà ce que dit Aristote et il ajoute que le pouvoir se constitue fondamentalement en constituant des réseaux d’amicalités qui eux-mêmes constituent la condition du savoir ; je ne vais pas développer ce point mais on trouve chez Sloterdijk des analyses du rapport entre amis et savoir ; les amis ce sont d’abord ceux qui partagent du savoir, on devient ami en ayant des expériences communes, les Alcooliques Anonymes par exemple deviennent amis en faisant une expérience négative de l’alcool qui les amène à développer un savoir et ce savoir va créer une association amicale d’alcooliques (je dis ça parce qu’on travaille sur les Alcooliques Anonymes) ; les amis sont la réalité concrète et proche, proche au sens du prochain, de ce que Simondon appelle l’individuation collective ; l’individuation collective au sens de Simondon ne peut pas se constituer sans la Philotès, sans l’amicalité des amis ; elle donne la mesure et l’échelle du proche et du lointain ; ce qui m’est proche, c’est mes amis au sens large, ce sont mes proches et il y a le lointain, les étrangers ; est-ce à dire que je suis indifférent au lointain ? non, mais ça veut dire que j’ai un rapport aux proches qui n’est pas le même que mon rapport au lointain ; j’ai des obligations par rapport aux proches par exemple que je n’ai pas par rapport au lointain ; ça, ça change beaucoup dans l’anthropocène ; parce que dans l’anthropocène, en tout cas si l’anthropocène devient une conscience de son unité, il y a des phénomènes de proximité nouveaux qui se constituent dans l’anthropocène et ça, c’est ce dont parle Frédéric Nietzsche dès 1878 dans Le voyageur et son ombre ; et tout ça, le proche et le lointain tel que je viens d’en parler, c’est ce qu’on appelle l’intime et le public aussi, pas seulement l’étranger ; par exemple, les rapports entre Hestia et Hermès , Hestia est du côté de l’intime, Hermès du côté du public ; donc il y a une proximité mais ce n’est pas la même proximité, c’est pas la proximité du foyer et ce n’est pas les mêmes obligations ; donc ce n’est pas les mêmes sacrifices, ce n’est pas les mêmes fonctions, ce n’est pas les mêmes exorganisations etc. ; tout ça passe par ce que Lacan appelle l’extime que je ne vais pas développer maintenant mais là je suis en train de vous parler de ce qui deviendra le tome 6 de La technique et le temps.

Ayant dit cela, je vais rentrer maintenant vraiment dans le sujet du jour qui est : les localités et la première de ces localités, c’est l’individu psychique, l’individuation psychique étant toujours elle-même localisée dans et par une individuation collective càd que l’individu psychique est une localité dans une localité ; par exemple, ici, tous les participants sont des localités, des singularités, tout à fait spécifiques mais qui participent à un séminaire qui lui-même est une localité etc. Ce qu’on va essayer de comprendre c’est comment s’articulent ces niveaux de localité ; et d’ailleurs, l’individu psychique que je suis, que vous êtes, s’individue toujours dans plusieurs localités parfois simultanément, parfois alternativement, puisqu’on peut s’individuer dans la localité de ce séminaire qu’on est en train de suivre puis ensuite d’aller participer à je ne sais pas quoi, un match de foot ou une conversation d’un parti La France insoumise ou la macronie et donc on est en permanence en train de dealer avec plusieurs localités, on circule entre les localités, on n’est pas dans une localité simplement ; mais ces localités-là, elles-mêmes appartiennent en général à une localité supérieure qui est celle qui a une souveraineté et qui constitue ce qu’on appelle un sentiment d’appartenance. Qu’est-ce qu’on va essayer de penser à travers tout ça : c’est la souveraineté se pansant elle-même, se soignant elle-même comme soin pris d’une localité primordiale ; qu’est-ce que je veux dire en disant ça ? c’est le problème de l’internation telle que je l’imagine, pas exactement telle que Marcel Mauss l’imagine ; quand je dis que je promeut le concept de l’internation de Marcel Mauss, ça ne veut pas dire que je le prends à mon compte ; parce qu’il y a des tas de trucs qui ne vont pas dans le système de l’internation de Mauss, par exemple, Marcel Mauss ne connait pas l’anthropocène ; aujourd’hui, l’internation doit se constituer comme le souci de prendre soin d’une localité supérieure à toutes les supériorités si je puis dire et qui s’appelle la biosphère ; on n’est pas en train de dire que la Chine doit devenir l’Amérique qui doit devenir le Proche-Orient qui doit devenir l’Europe ; on n’est pas en train de dire que toutes ces localités doivent se fondre dans un immense machin qui serait la Technosphère, au contraire, si on ne cultive pas des localités diversifiées, y compris la France en Europe, l’Europe dans le monde industriel etc. on ne produira pas de néguanthropie ; on ne sera pas capable de produire la néguanthropie qui permette de dépasser l’anthropocène mais tout ça suppose qu’il y ait un accord, un consensus, un agreement, des nations – ou des régions aussi, des métropoles, vous et moi, des individus, pas que des nations - pour dire : la priorité des priorités c’est prendre soin de la biosphère devenue une technosphère ; donc comment on va s’articuler – parce qu’on ne peut pas en Pologne prendre soin de la biosphère comme à Paris parce que la Pologne n’est pas la France et c’est une chance, heureusement, c’est pour ça qu’on peut produire de la néguanthropie ; après, comment est-ce qu’on rejoue ça, c’est très compliqué parce que toute l’organisation du capitalisme industriel a consisté à faire le contraire càd à égaliser, il faut que les Saharaouis vivent comme les Suédois càd qu’ils aient l’air conditionné etc. ce qui est un idéal complètement débile que personne n’a jamais voulu concrétiser sauf que c’est ça l’idéal du capitalisme marchand, de la globalisation, tout le monde doit pouvoir consommer trois cent litres de flotte par jour, être à 20 degrés en permanence, c’est pas possible ; c’est ni possible pour les Suédois ni possible pour les Saharaouis donc la question c’est comment on reprend les possibilités locales comme des chances pas comme des handicaps.

Donc la localité dernière c’est la biosphère en totalité (je vous signale qu’il y avait ce mois-ci un article extrêmement intéressant dans Le Monde diplomatique sur ce qu’on appelle le Cosmisme en Russie, le Cosmisme étant un mouvement religieux qui a dealé avec le léninisme puis avec le stalinisme, très inspiré par la religion orthodoxe ; si je vous dis c’est parce que dans cet article, on dit que Vernadsky c’est du niveau de ça et c’est pas vrai du tout ; donc je trouve l’article très intéressant – c’est une doctorante de Sciences Po qui l’a écrit - mais faux en tout cas pour ce qui concerne Vernadsky ; il y a un mélange entre le Cosmisme orthodoxe, Teilhard de Chardin, Vernadsky ; non, ce sont des choses tout à fait différentes même s’ils ont discuté ensemble).

Comme vous le savez et là je répète des choses, la biosphère en totalité est en train de devenir une technosphère qui est contrôlée de plus en plus par la souveraineté de l’efficience – fonctionnelle comme l’appelle Frank Pasqualehttps://lpeproject.org/blog/from-territorial-to-functional-sovereignty-the-case-of-amazon/↩︎ – et la totalisation de la technosphère se fait ici au nom du calcul càd que la cause finale disparaît, la cause formelle disparaît, la cause matérielle disparait, la seule chose qui reste c’est la cause efficiente comme calculabilité – la transformation de tout en ligne comme dit Giuseppe Longo, alors que le vivant c’est en trois dimensions, et on en fait des lignes de code - et ça c’est pas possible et cela a pour résultat par exemple que l’amitié, ça rapporte Référence à une pub de Booking.com qui nous propose 20 euros pour parrainer un ami qui réserverait un séjour sur le site.↩︎; la définition de la philia dans un monde comme ça, c’est ce qui rapporte ; n’importe qui qui sait ce qu’est un ami, c’est exactement le contraire ; les amis ça coûte, ça apporte des tas de choses mais ça ne rapporte pas ; si justement un ami est ami c’est parce qu’il est tout sauf un rapport (au sens d’ « un immeuble de rapport », d’un gain spéculatif) ; non, les amis c’est ceux avec lesquels on ne calcule pas. Si je dis cela, ce n’est pas pour faire des trémolos et des mouvements de manche rhétoriques en disant « ah là là, dans quelle société vivons-nous !», c’est parce que ça (l’offre de Booking.com) engendre ça (la page d’accueil de Donald Trump sur Twitter), c’est lié tout ça et c’est absolument fondamental ; et cette question elle est posée depuis bien avant que Trump ne soit sur Twitter, depuis la télévision parce que comme vous le savez il a commencé par créer une entreprise de production de téléréalité et que les premiers à avoir vu l’imminence de cette évolution, c’est Adorno et Horkheimer. Si on veut essayer de penser ce qui se passe avec l’amitié dans la technosphère, il faut revenir à 1944 lorsque Adorno et Horkheimer disent comment l’Aufklärung va finir par devenir ce qui va générer ce qu’ils appellent Dummheit càd la bêtise dont évidemment Trump est la concrétisation terrifiante de ce qu’ils disent. Qu’est-ce qu’ils disaient en 1944 dans ce livreDialectik der Aufklärung↩︎, dans le deuxième chapitre en particulier ? ils disaient que la noésis, ce que je décrivais tout à l’heure comme la noésis, càd ce qui donne la supériorité d’un exorganisme supérieur donc la souveraineté, le panser par soi-même avec un a, allait conduire – ce n’est pas ce qu’ils disent exactement ; ça c’est moi qui le dit à travers la lecture que je propose de leur travail – à une prolétarisation généralisée parce que la raison, le logos, va devenir calcul, ratio au sens de pure calculabilité et ça c’est qui est ouvert par la possibilité du cartésianisme qui va ensuite devenir l’Aufklärung, laquelle va être concrétisée en Amérique par les Lumières américaineshttps://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2002-2-page-3.htm↩︎ qui elles-mêmes à travers Benjamin Franklin vont produire le modèle américain de la société capitaliste telle que la décrit Max Weber.

Donc Adorno et Horkheimer, l’Ecole de Francfort, voient tout ce dont je parle ici depuis très longtemps, par contre ils ne voient pas la question des exorganismes, ils ne voient pas la question de la souveraineté telle que je la pose et telle qu’on ne peut plus simplement la poser simplement à partir du discours de l’aliénation et surtout ce qu’ils ne voient pas c’est la localité ; ce qu’ils n’arrivent pas à penser et à voir c’est la localité ; ce qu’ils n’arrivent pas à penser et à voir, ce que l’Aufklärung ne voit pas, ce que Heidegger ne voit pas c’est la question de localité. Alors évidemment vous allez me dire : eh bien oui vous allez me dire, Heidegger la voit, c’est pour ça qu’il est nazi, la Lichtung, la clairière, le Dasein en tant l’être-là du peuple allemand pris entre l’étau de l’Union Soviétique et de l’Amérique, le peuple déraciné, tout ça, le discours de 1935, en plein nazisme, le discours de Heidegger etc. eh bien pas du tout, il n’est d’ailleurs plus nazi à cette époque lé ; par contre il y a quelque chose qui est un problème : quel est le rapport de Heidegger à la localité ? c’est un rapport de réaction, de réactivité contre quelque chose et non pas d’adoption. Qu’est-ce qu’il n’adopte pas ? la théorie de l’entropie et de la néguentropie, il ne comprend pas que la localité c’est une question qui doit être posée scientifiquement et pas politiquement ; c’est en partant de la science telle qu’elle a posé, avec la thermodynamique puis la théorie de Schrödinger puis les théories actuelles de l’entropie et de la néguentropie qu’il est possible de repenser la localité en partant, pas du politique, mais d’une critique du capital ; Heidegger est critique à l’égard du capitalisme dans l’Introduction à la métaphysique mais il le fait comme les nazis qui sont toujours présentés comme des critiques du capitalisme ; et donc c’est une mauvaise critique qui se traduit aussi par un antisémitisme évident de Heidegger. C’est comme ça parce qu’il a une notion, certains disent « romantique » de la localité ; la localité, il ne faut pas la regarder d’une manière romantique mais objectivée : par exemple, la biosphère est une localité dans l’univers, le vivant est une localité pour la physique càd une singularité, il n’est pas explicable à partir des strictes les lois de la physique etc. Ce sont des niveaux, c’est ce que j’appelle dans les années précédentes de la scalabilité ; il y a des niveaux, des échelles et on ne peut pas réduire toutes les échelles par exemple aux pures lois de la physique, ce n’est pas possible. Ça c’est ce autour de quoi Heidegger tourne quand il critique ce qu’il appelle la technique moderne, la philosophie moderne, parce qu’elle réduit tout à la physique, et il a raison, sauf qu’il ne voit pas que c’est depuis la physique et la critique de la physique que Schrödinger va faire, en partant de la physique, qu’il faut revisiter ces questions et par exemple qu’il faut relire Jakob von Uexküll, que lui-même a lu, à partir des questions de Schrödinger et non pas à partir de l’éthologie qui sera aussi nazie parce que Jakob von Uexküll c’était aussi un nazi et donc là il y a des questions inséparablement politiques, économiques, historiques qu’il faut revisiter et que personne ne revisite : c’est des tabous parce que ça met en cause toutes les postures dominantes quelles soient académiques, politiques ou autres, donc c’est pour ça que c’est un peu compliqué.

Si on ne pense pas ça alors la localité biosphérique est forcément transformée en globalité technosphérique gouvernée par le calcul et c’est ça que Bernadette Rouvroy appelle la gouvernementalité algorithmique. Quant à nous, il nous faut panser par nous-même et panser dans l’anthropocène avec le pharmakon dont nous sommes localement, diversement et singulièrement devenus noétiquement les quasi-causes ; oh là là ! c’est compliqué. Nous devons panser avec un a par nous-mêmes, càd soigner, prendre soin de nous et des autres avec le pharmakon - parce que nous sommes des exorganismes, tous nos organes sont des pharmakas, ils peuvent toujours nous empoisonner, l’alcool, l’ordinateur, le livre d’Emmanuel Kant dont il parle dans Qu’est-ce que les lumières ? etc. - et nous devons nous soigner avec le pharmakon localement, diversement et singulièrement, localement càd en étudiant les différentes localités que nous sommes en tant qu’individus psychiques, en tant qu’individus appartenant à des groupes etc., en tant qu’appartenant à la terre, à la biosphère, étant solidaire avec tous les terriens dans la biosphère, on est devenus tous dépendants les uns des autres, diversement càd qu’on ne peut pas se contenter de l’universel, du discours de la souveraineté de l’universel parce que, ce que je disais tout à l’heure sur la souveraineté telle que Rousseau la pense ça s’appelle l’universel, « l’universel droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », ça ne suffit pas de parler comme ça (ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas parler comme ça, moi je continue à poser qu’il y a des lois universelles mais ça ne suffit pas sinon ça produit ce que Marx appelle à très juste titre, un droit abstrait et formel càd qui n’a aucune prise dans la réalité et donc ça devient la justification par la bourgeoisie de l’exploitation, si on reprend le langage de Marx, au nom du droit, droit de la propriété etc.), et singulièrement, pas seulement diversement mais singulièrement càd que chaque localité psychique est une singularité irréductible à toute autre, donc anti-totalitaire, pour le dire dans un sens que le XXème siècle nous a appris ; on ne peut pas être tous soumis comme derrière le Duce à une certaine conception de ce que c’est que l’italianité, derrière Staline, une certaine conception de ce que c’est que l’homme nouveau etc. donc il faut de la singularité et pour que cette singularité se déploie diversement et localement, il faut quasi-causer le pharmakon càd devenir la quasi-cause du pharmakon comme Joe Bousquet devient la quasi-cause de sa blessure ; c’est ça le programme.

Avant d’aborder ça, une remarque à propos de Marcel Mauss dont je vais résumer tout à l’heure les principaux points que nous étudierons à partir du mois d’avril : premièrement, Marcel Mauss est un socialiste réformiste, c’est pas un marxiste, et c’est la raison pour laquelle le texte que nous allons lire est suivi premièrement d’une communication sur la nation où il introduit le terme d’internation ; c’est le petit texte où il parle vraiment d’internation – en fait ce n’est pas le texte que je vais étudier avec vous, je vais le regarder ; c’est un texte qui est intéressant, très important même mais c’est pas ça qui m’intéresse d’étudier, ce qui m’intéresse d’étudier d’abord c’est son concept de ce que c’est que la nation ; pour comprendre ce que c’est que l’internation, il faut d’abord comprendre ce que c’est que la nation ; donc on va étudier le texte sur la nation qui est donc suivi par cette communication - c’est un colloque qu’il avait fait sur l’internation à Londres mais aussi et surtout par une réponse qu’il avait faite à un socialiste marxiste qui a été publiée ensuite en 1924 et qui est une réponse dans le cadre de l’Internationale socialiste qui s’écharpe sur ce qu’il faut penser de la Société des Nations, donc c’est tout à fait notre sujet. Or à ce socialiste marxiste, qu’est-ce qu’oppose Marcel Mauss ? un point de vue qu’aujourd’hui on appellerait social-démocrate. Alors est-ce que du coup on va pouvoir suivre Marcel Mauss ? parce qu’on en a un peu marre des sociaux-démocrates ; on en a eu marre des marxistes mais maintenant on en a marre des sociaux-démocrates ; alors de qui avons-nous envie ? ça va être la question. Eh bien la réponse c’est : il ne faut pas avoir envie de quelqu’un ! il faut se mettre à analyser ça de très près, il faut lire ce que dit Mauss à ce socialiste marxiste et il faut essayer d’en tirer un certain nombre de conclusions ; ce que j’essayerai de vous montrer c’est que la réponse de Mauss n’est pas satisfaisante. La définition de l’internation par Mauss fait défaut ; quand je dis qu’elle fait défaut, en fait il ne la définit pas ; elle est totalement frustrante ; il ouvre une perspective et cette perspective ne débouche pas pour moi) précisément parce qu’il ne voit pas la question d’économie politique que pose la théorie de l’entropie (d’abord comme il n’est pas marxiste, il ne relie pas la question du droit international et de l’économie politique donc il ne fait pas ce que les marxistes faisaient d’intéressant à savoir de rendre indissociables la politique et l’économie ; ça il ne le voit pas ; deuxièmement, il ne voit pas que la question qui se pose – et que les marxiste ne voient pas non plus - c’est l’entropie ; du coup il ne peut pas critiquer le marxiste correctement ; il s’y prend mal ; il le critique en social-démocrate càd en petit bourgeois ou en néo-bourgeois ; conséquemment l’impératif d’une expression économique de la localité est absolument manquée ; donc c’est tout à fait paradoxal parce qu’il dit que l’internation c’est l’unité des nations, les nations, il décrit ça comme des localités mais il ne voit pas la nécessité économique des localités et du coup son discours est un petit peu frustrant et en fait pas vraiment convainquant mais néanmoins il faut le reprendre et c’est ce que nous allons essayer de faire dans ce pourquoi est organisé ce séminaire, je vous le rappelle, c’est une réunion qui aura lieu le 10 janvier 2020 à Genève pour remettre un mémorandum à l’Organisation des Nations Unies pour dire : le projet de Woodrow Wilson de la Société des Nations avait été fondé sur le discours d’Emmanuel Kant qui lui-même était fondé sur Newton ; nous, aujourd’hui, nous pensons que la critique d’Emmanuel Kant n’est plus suffisante ; il faut faire une critique de la critique, l’Ecole de Francfort a tenté de la faire mais elle n’a pas réussi ; nous, nous appelons ça une hypercritique de la critique de la raison pure ; pourquoi faire ? pour entrer dans une critique qui serait basée sur non seulement la question de l’exorganologie mais la question de ce que nous appelons une économie de la néguanthropiehttps://internation.world/memorandum.html↩︎.

Tout ça c’était l’introduction du sujet du jour, maintenant on va rentrer vraiment dans la matière. Qu’est-ce que c’est que la matière ? la matière, c’est d’abord ça (une vue du système solaire) c’est une façon de regarder les localités, une façon physique de regarder des localités matériellement distinctes et pseudo-stables (je dis pseudo-stables parce qu’elles se présentent comme stables, en fait elles ne le sont pas) ; pendant très longtemps, les philosophes, les astronomes, les observateurs du ciel les croyaient stables ; en fait elles ne le sont pas  et on le sait depuis pas longtemps , on le sait depuis moins d’un siècle ; on le sait de manière absolument établie depuis 90 ans, c’est très peu ; et c’est très important parce que dire que, en 1929, Edwin Hubble a établi que l’univers n’est pas stable, ça bouleverse 3 millions d’années (j’exagère, on pourrait dire qu’on va poser que l’espèce humaine au sens de l’homo sapiens sapiens ça remonte au paléolithique supérieurhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Pal%C3%A9olithique_sup%C3%A9rieur↩︎ soit 40 à 50 000 ans de rapport au cosmos dans lequel le cosmos est considéré comme d’une stabilité absolue résidence des Dieux et après ça devient des entités ontologiques, les mathèmes p.ex. les réalités mathématiques etc.) de rapport de l’espèce humaine à son environnement ; ça n’est qu’au XXème siècle que ceci va être vraiment remis en cause ; au XIXème siècle, la question est ouverte par la théorie de l’entropie et la thermodynamique mais c’est une question ouverte, au XXème siècle elle est établie et je vous rappelle, je l’avais déjà dit, pendant 8 ans, Einstein – qui n’était pas le premier venu dans le domaine de la cosmologie ou de l’astrophysique - va refuser cette réalité, il va dire non, c’est pas possible ; ça c’est une dimension de localité ; c’est une localité métastable mais c’est une métastabilité d’un autre ordre que celle-ci par exemple  (des tourbillons de Bénard, des mouvements tourbillonnaires qui produisent un ordre local temporaire, intermittent), ce qu’on appelle des structures dissipatives depuis Prigogine ; ce sont toujours des localités physiques. Puis arrivent des localités biologiques – l’organisme lui-même est une localité avec un dedans et un dehors, un soi, un système immunitaire qui défend l’intérieur par rapport à l’extérieur etc. mais qui s’inscrit dans ce qu’on appelle une niche écologique ; cette niche constitue aussi ce qu’on appelle un biotope, c’est un troisième type de localité ; puis il y a les localités noétiques ; par exemple, la ville de Sienne en Italie et elle est toujours vivante, il y a toujours quelque chose à Sienne de l’histoire de Sienne qui remonte au Moyen-âge et qui est toujours vivant ; c’est un exorganisme complexe supérieur qui s’est constitué à un moment donné en République. La localité noétique considérée dans sa complexité, c’est ça (la grande spirale orientant une multitude de petites spirales pour moi, ce que j’appelle l’idiotexte) c’est ce qui produit un processus d’individuation psychique et collective au sens où le définit Gilbert Simondon : le processus d’individuation psychique et collective, dit Simondon, c’est ce qui produit du « transindividuel » et le transindividuel c’est ce qu’il appelle de la « signification » ; « la signification n’est pas de l’être mais entre les êtres ou plutôt à travers les êtres ; elle est transindividuelle » ; un processus d’individuation psychique et collective c’est une localité qui produit du transindividuel ; cette production de transindividuel est une signi-fication (pourquoi est-ce que je sépare signi-fication ? C’est pour vous montrer que cette signi-fication est une diversification et que la signi-fication est un cas particulier de diversification et je vais vous montrer d’autres cas de diversification ; la diversification ne commence pas avec le transindividuel, elle commence avec le vivant qu’on a représenté à une certaine époque comme « l’arbre du vivant » qui est une téléologie anthropomorphe ou anthropocentrique complètement dépassée, c’est celle de Haeckel (1879) et qu’on représente plutôt aujourd’hui comme çahttps://fr.wikipedia.org/wiki/Arbre_phylog%C3%A9n%C3%A9tique↩︎ (voir notice Wikipédia) ; on représente comme ça une évolution qui constitue des phénomènes que l’on appelle symbiotiques (de co-évolution symbiotique ; par exemple, nous avons env. 3 kg de bactéries dans le ventre sans lesquelles on ne pourrait pas vivre, donc nous sommes un biotope, il y a des organismes qui vivent en nous).

Ce que j’essaye de vous dire c’est que si on veut penser le transindividuel, il faut d’abord penser les processus d’évolution du vivant mais pas seulement du vivant, par exemple des langues, l’indo-européen tel qu’on essaye de penser son évolution sachant qu’en fin de compte, l’indo-européen ça n’existe pas, c’est ce que nous apprend Jean-Paul DemouleMais où sont passés les indo-européens ? Le mythe d’origine de l’Occident La librairie du XXIème siècle Seuil↩︎ ; aujourd’hui on pose que les indo-européens n’ont peut-être pas existé, c’est peut être un fantasme de gens très importants, Antoine Meillet par exemple qui était un linguiste, très proche de Ferdinand de Saussure, qui a écrit des textes fondamentaux sur l’histoire des langues indo-européennes mais aussi un anthropologue dont vous avez certainement entendu parler, qui a beaucoup inspiré Michel Foucault, qui s’appelait Dumézil et qui a développé la théorie de la tri-fonctionnalité ou fonctions tripartites ; si je vous dis ça c’est pas tout à fait gratuit, c’est pas pour donner quelques références qui ouvrent des perspectives mais c’est parce que la théorie de la tri-fonctionnalité c’est une question très importante si on veut faire une histoire exorganologique de la souveraineté ; ce que dit Dumézil, pour qu’il y ait de la supériorité dans ce qu’il appelle des civilisations (au sens ou Toynbee en parle) il faut qu’il y ait trois fonctions et que ces trois fonctions on les retrouve chez les Indiens (Inde orientale), en Chine ou en Egypte, on les retrouve en fait dans tout ce qui constitue ce qu’il appelle les indo-européens. Il se trouve que c’est un petit peu problématique ce discours parce que c’est aussi un discours que reprenaient à leur compte les nazis ; c’est un discours sur la supériorité des indo-européens ; sur qui ? sur les africains, sur tout le reste et ça justifie la domination coloniale de l’Empire britannique, de l’Europe et c’est pour ça que Jean-Paul Demoule, qui est un ami et qui a écrit ce livre, a combattu tout cela ; il faut combattre tout cela mais en même temps il faut quand même lire Georges Dumézil parce que c’est quand même très important ce qu’il dit même s’il était d’extrême-droit, Dumézil – disons qu’il était très proche de ce qu’on appelle la Nouvelle droite. Vous avez bien compris qu’on parle de sujets sulfureux, comme on dit en français, « ça sent le soufre » càd le « Diable » ; la supériorité des civilisations, la tri-fonctionnalité, la localité, tout ça c’est l’extrême-droite, c’est l’antisémitisme ; oui, mais si on n’en parle pas, on laisse la place, comme j’ai essayé de vous le dire la semaine dernière, à l’ Alternativ für Deutschand Afd, càd on laisse un parti qui n’était pas du tout au départ nazi ou néo-nazi mais des technocrates de l’économie financière et qui ont progressivement glissé vers les extrêmes. SI nous ne traitons pas ces questions, si nous les fuyons en disant « ça sent le soufre », eh bien le « Diable » s’en emparera. Donc il faut nous emparer de ces questions très sérieusement, il faut par exemple en discuter avec Demoule et Dumézil par exemple, et Foucault, parce que Foucault était très influencé par Dumézil. Il faudra peut-être que nous parlions de la théorie de la tri-fonctionnalité.

Parce que si on veut comprendre ce que c’est qu’un exorganisme supérieur tel que Toynbee l’appelle une civilisation, on ne peut peut-être pas faire l’économie de ces trois fonctions ; après, est-ce qu’on doit se contenter de l’analyse de Dumézil, certainement pas parce que Dumézil ne sait pas ce que c’est qu’un exorganisme, il ne parle pas non plus d’entropie et de néguentropie etc. donc on retombe sur exactement les mêmes problèmes que toutes les autres, la critique de Mauss, la critique de Marx etc.

Maintenant revenons à la question première : pourquoi une signi-fication est-elle une diversi-fication ? si la signi-fication est une diversi-fication ça veut dire forcément que la signification est locale, la diversification c’est toujours localement qu’elle se produit ; par exemple, et je vais y revenir en détail, il y a 30 personnes dans cette salle, il y a 30 compréhensions de ce que je dis ; il y a donc 30 localités transindividualisées ici par ce que je suis en train de dire ; et si c’était pas le cas, comme je l’ai probablement dit dans le passé, ça serait effrayant ; si vous preniez tous exactement les mêmes notes, on dirait ce sont des robots ; donc vous n’êtes pas des robots, vous êtes le produit de la diversité ; cette diversité a un immense avantage, ça s’appelle la néguanthropie et l’anti-entropie ; c’est pour ça qu’on travaille sur la localité, c’est parce que nous sommes des rationalistes, pas du tout des romantiques reprenant à notre compte les idées du Volk comme disait le grand philosophe allemand Heidegger mais parce que nous pensons qu’en physique, en biologie, dans toute science aujourd’hui, la question de la localité est la première question – et je dis bien en toute science, en astrophysique, les trous noirs ce sont aussi des localités, des localités d’un autre genre, de nouveaux types de localités d’ailleurs. Si la signi-fication est une diversi-fication, ça veut dire que la transindividuation est une évolution, que donc il faut développer une théorie évolutionniste de la signification et du sens, le sens étant pour moi l’anti-entropie et la signification la néguanthropie, j’y reviendrai plus tard. A partir de là, la question est de savoir comment s’opère cette évolution ; premièrement comment est-ce qu’elle s’opère ? ce qui serait une manière de répondre à l’article de Frédéric Kaplan par rapport à Google : comment éviter que Google produise de l’entropie càd la destruction de la diversité linguistique ; c’est une vraie question, énorme question ; mais à ça Kaplan ne sait pas répondre, Google non plus et moi non plus, personne ne sait, mais on essaye ici de réfléchir à comment ; on a des hypothèses à l’IRI, très précises même sur ce sujet. Autre question : comment cette évolution peut-elle éviter la téléologie ? comment peut-elle éviter qu’elle se donne un but qui va justifier son évolution à partir en fait d’une anticipation de l’évolution (càd dire en fait d’une négation de l’évolution parce que la téléologie, le problème qu’elle pose, c’est qu’elle pose a priori un but et donc et donc elle efface la nécessité de l’évolution elle-même puisqu’elle a posé le but dès le départ donc il n’y a plus besoin d’évolution pour le poser ; on va peut-être dire : si, pour le réaliser ; mais en fait quand on ne sépare pas la matière et l’esprit, on s’aperçois que c’est la même chose réaliser et causer donc on ne peut pas se contenter de ça ) ? Ma thèse c’est que, pour traiter ces sujets (comment l’évolution s’opère-t-elle ? comment éviter la téléologie etc. ?) il faut poser que la signi-fication, générée par le processus de transindividuation, est une diversification parce que c’est une sélection et que cette sélection est orthogénétique au sens proposé par Alfred Lotka en 1945 ; ça c’est très lourd comme énoncé, en terme d’épistémologie politique, ce que je viens de vous dire là,  mais c’est le cœur de ce qu’on est en train de dire, le point de départ de tout ce que je vous raconte aujourd’hui, c’est la lecture d’A. Lotka, ce n’est pas la lecture de Marcel Mauss ; c’est à partir de Lotka qu’on peut comprendre ce que dit Mauss et pas l’inverse ; ça veut dire qu’on récuse l’approche néodarwinienne, la biologie moléculaire et tous ces modèles de la sélection naturelle (qui sont à la base aujourd’hui du néo-libéralisme et de l’ultra-libéralisme, donc du modèle économique dans lequel nous vivons et qui produit de l’entropie) comme explication.

J’ai essayé de vous dire la semaine dernière, vous vous en souvenez, que « orthogénétique » ça signifie « qui s’opère dans une situation exosomatique où la psychogénèse, la noogenèse et la technogenèse sont inséparables » ; donc il faut faire, je vous le disais la semaine dernière, une psychogénéalogie (ça veut dire par exemple il y a une histoire de l’inconscient, que l’inconscient n’a pas toujours été le même et que même, il peut disparaitre ; il y a une histoire de la conscience, c’est ce qu’avait commencé à dire d’ailleurs Ernst Cassirer ; il ne parlait pas de la conscience mais du moi, il disait : le moi est apparu dans l’histoire ; Jean Lassègue a travaillé là-dessus ), il y une noogenèse, ça c’est ce que j’essaye de montrer en ce moment ; qu’est-ce que cette noogenèse ? par exemple, la fonction de l’entendement telle qu’en parle Kant dans la Critique de la raison pure en 1781 suppose le Livre VII de la République de Platon qui lui-même suppose l’existence d’une extériorisation discrétisée et grammatisée des éléments de la langue grecque qui deviennent analytiques et non plus seulement synthétiques, je le dis en m’appuyant sur Vernant, Auroux et sur beaucoup d’autres ; ça veut dire que la noésis n’est pas une faculté éternelle comme le disait Platon, c’est une construction historique produite par l’évolution, non pas des organes naturels, ça c’est ce que croit Stanislas de Haan, il se gourre complètement, mais par des organes artificiels ; pour faire de la géométrie il ne faut (seulement) pas avoir un cerveau, il faut une équerre, un compas, du papier et il faut savoir écrire ; ça c’est que montre Husserl ; et à partir de là ce sont des questions sociales et ça nous rapproche un peu de ce que disait Sohn-Rethel, le membre de l’Ecole de Francfort, qui essayait de faire une épistémologie matérialiste, critiquant Marx.

Comme je l’avais dit la semaine dernière, mais je vais vous le présenter différemment aujourd’hui, la psychogenèse, la noogenèse et la technogenèse (c’est l’exosomatisation, c’est la production exosomatique des organes artificiels) c’est ce qui constitue des nœuds borroméens, enfin un nœud borroméen (c’est une expression qui vient des Iles Borromées, c’est la devise des comtes de Borromée qui étaient des comtes de Milan et qui étaient propriétaires des lacs, en particulier du Lac Majeur; ils avaient trois îles et l’unité de leur seigneurie, comme aurait Machiavel, devaient être indissociables ; un nœud borroméen en topologie, en mathématiques, si vous en détruisez un, vous détruisez les deux autres ; c’est Lacan qui a développé cet usage du concept de nœud borroméen réel/symbolique/ imaginaire RSI ; ce que j’essaye de montrer c’est que pour qu’il y ait le RSI, l’organisation psychogénétique dont parle Lacan, il faut l’organisation exorganique et sociogénétique (organes endosomatiques/organes exosomatiques/ organisation sociale) dont je parle ici et ça c’est le problème de l’organologie générale ; donc j’essaye de proposer de nouvelles bases pour relire Freud et Lacan avec des concepts qui ne sont pas simplement ceux de Freud et Lacan ; ce n’est pas du tout contradictoire ; par exemple ça permet d’articuler Lacan avec Winnicott, ce que Lacan ne permet pas en tant que tel, à mon avis. Je vais ajouter encore un point que je n’ai pas le temps de développer : l’orthogenèse est renforcée et vouée à la mondialisation, à la globalisation et à l’universalisation via le capitalisme dès lors qu’apparaissent les rétentions tertiaires hypomnésiques que j’ai appelées orthothétiques dans ce passage, page 353 de la réédition de La technique et le temps; qu’est-ce que je veux dire la tout à coup ? que veut-dire orthogenèse ? ça veut dire la genèse d’une conformation, la production d’une normalité, orthos, conforme, exacte qui va faire que l’exorganisme va évoluer dans le même sens, donc on va avoir un processus de sélection de ce qui est conforme à la normativité exorganique locale par l’exorganisme ; c’est l’exorganogenèse dont parle Lotka comme un processus orthogénétique de sélection ; cette sélection n’est donc pas une sélection biologie et darwinienne, c’est une sélection artificielle ; ce que j’ai essayé de vous dire c’est que cette sélection elle se fait dans ce rapport entre ces trois instances borroméennes et pas lacaniennes mais ce que j’ajoute ici c’est qu’elle se fait à travers de nouveaux types de rétentions tertiaires qui le permettent ; par exemple, quand Wittvogel, ou quand Auroux, ou des gens comme ça, disent : sans les grandes écritures idéographiques, alphabétiques etc. ces formes, les grandes civilisations hydrauliques, comme les appelle Wittfogel, les formes politiques, comme les décrit Vernant, ne sont pas possibles, ou le monothéisme, le judaïsme n’est pas possible, ça vient du fait qu’il y a des exorganogenèses hypomnésiques qui vont conduire à, par exemple, l’ordinateur, qui est une rétention tertiaire hypomnésique mais qui commence bien avant, comme vous savez, ça commence au paléolithique supérieur avec l’extériorisation des contenus mentaux dans les grottes, mais à ce moment-là, c’est lié à la société chamanique, c’est une toute petite communauté tribale ; on n’est même pas sûr qu’elles forment des ethnies au départ, on en sait rien, on ne peut pas le savoir; par contre, à partir du néolithique, qu’est-ce que ça va produire ? des communautés de centaines de milliers, de millions d’individus ; l’Egypte c’est très grand, la Chine c’est immense ; ce sont de très grands territoires qui vont s’unifier, qui vont produire des pouvoirs pharaoniques, impériaux, royaux, et qui vont régner ; comment ? à travers une rétention tertiaire hypomnésique dont il y a les fonctionnaires, en Chine on les appelle des mandarins, en Egypte, on les appelle des scribes et ils vont constituer - ce qui existe toujours - les fonctionnaires en France, en Italie, à New-York, à l’ONU et qu’est-ce qu’ils manipulent ? des rétentions tertiaires hypomnésiques càd ils ont des technologies de contrôle puisque ces rétentions tertiaires hypomnésiques permettent de contrôler en fait et pas simplement de contrôler les comportements des individus mais leurs sélectionshttp://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2017/12/27/32001-20171227ARTFIG00197-la-chine-met-en-place-un-systeme-de-notation-de-ses-citoyens-pour-2020.php↩︎ ; par exemple, je vais au supermarché, plutôt que de prendre de l’OMO, je prends de l’AJAX, ce sont deux marques de lessive ; qu’est-ce qui va faire que je vais prendre de l’AJAX plutôt que de l’OMO ? c’est qu’il y a une campagne de pub qui va intervenir avec des rétentions hypomnésiques analogiques (la publicité télévisuelle etc.) qui vont induire chez moi une tendance à aller vers l’AJAX plutôt que vers l’OMO à travers une influence par la rétention tertiaire. Ça c’est à l’époque de la publicité mais dans les rituels religieux, dans les pratiques politique, dans les votes par exemple, qui sont des moments de sélection, il se passe des choses tout à fait comparables et si les grecs disent on ne peut pas participer à l’ostracisme càd à l’élimination des mauvais citoyens de la cité si on ne sait pas lire et écrire, ça veut dire qu’il faut avoir les capacités hypomnésiques acquises de juger etc. En fait, le premier qui a posé ces questions sur des bases vraiment nécessaires et qu’il faut étudier de très près et reprendre à notre compte, c’est Husserl dans L’origine de la géométrie, je le dis tout le temps mais je le redis encore une fois. C’est à ce niveau-là d’abstraction et de théorisation qu’il faut se situer ; ne pas se contenter des données historiques de Jean-Pierre Vernant qui sont fondamentales mais ne sont pas suffisantes ; il faut arriver à ce niveau que Husserl a eu de dire la géométrie càd la base de la rationalité occidentale ça suppose des rétentions tertiaires hypomnésiques alphabétiques sinon ça ne fonctionne pas. Ce que j’essaye de montrer moi-même c’est que l’orthogenèse, donc le processus de sélection qui commence depuis l’apparition de l’hominisation il y a 3 millions d’années et qui continue aujourd’hui avec Amazon et la souveraineté fonctionnelle dont on parlait tout à l’heure – c’est une orthogenèse gouvernée par le calcul dans ce cas-là qui a mon avis est autodestructrice – elle s’engendre à travers le double redoublement épokhal qui est le fait que, par exemple, lorsque l’imprimerie apparaît à la fin du XVème siècle, il va y avoir une processus qui va conduire, en passant par Luther jusqu’au Collège de jésuites et la reconstitution de la logique de Port-Royal, des missions jésuites dans le monde etc. à la constitution d’un nouvel ordre noétique, spirituel – là je le présente à travers Luther et les jésuites, mais je pourrais le présenter à travers Descartes, Pascal, Leibnitz etc. ; c’est la même démarche, c’est le redoublement épokhal ; quelque chose a produit la République des lettres, c’est l’imprimerie, cette République des lettres va se remplir progressivement jusqu’au XIXème siècle et là, va apparaitre une nouvelle crise fondamentale des rétentions tertiaires hypomnésiques :l’apparition de la photographie, de la phonographie, du cinématographe qui va ensuite engendrer la radio, finalement la télévision et finalement Donald Trump et Twitter ; c’est une série de ruptures qui a chaque fois nécessitent la reconstitution de processus orthogénétiques de sélection produits par une transindividuation qui va générer des significations partagées avec des processus de sélection pilotés, et souvent maintenant manipulés, par ceux qui organisent ces processus ; pilotés par qui ? par exemple, Ignace de Loyola dit : par le pape ; il écrit au pape et lui dit : il faut regarder ce que fait Luther, c’est très important, il faut faire pareil, il faut créer des écoles, il ne faut surtout pas laisser l’Eglise réformée créer des écoles, il faut que nous on crée des écoles, c’est comme ça qu’on crée les collèges jésuites, il faut que ces collèges aillent dans le monde entier, en Chine, au Japon, en Afrique, en Amérique latine etc. pour apporter la bonne parole du Christ, non pas avec les Eglises évangélistes mais avec les Eglises papistes. Et l’Angleterre va dire : holà, nous on est à part ; on crée l’Eglise anglicane. Si on ne prend pas compte de ces questions, on ne comprend rien à l’histoire occidentale ; c’est pour ça qu’il faut lire Max Weber ; parce que lui, il a souligné ces points là. Ça ne veut dire qu’il faut se contenter de Max Weber ; il ne faut pas s’en contenter parce que, lui, ne comprend pas la rétention tertiaire par exemple, et la rétention tertiaire orthothétique ; ça ne suffit pas Max Weber mais c’est nécessaire, tout comme Niklas Luhmann, c’est nécessaire mais ça ne suffit pas.

Derrière cette question du double redoublement épokhal, qui va produire des circuits de transindividuation orthogénétiques, donc qui va produire de nouveaux critères de sélection – comment je me comporte pour acheter de la lessive, pour porter un jeans, comme dit Zazie dans le métro : « je veux un jeans et du coca », c’était en 1950, ce n’est pas tout à fait nouveau ; ça peut paraître complètement has been cette histoire mais moi, quand je lis Zazie en 1960 et que je vois que Zazie veut des jeans et un coca, à cette époque-là il n’y a pas partout des jeans et du coca en France, ça va arriver, c’est ce qu’on appelle l’américanisation, eh bien c’est un processus de sélection orthogénétique de quoi ? des produits très sucrés et très toxiques comme Coca-Cola etc. et ce qu’on essaye de faire en ce moment avec la Clinique contributive de St-Denis, c’est : essayons de travailler sur ces questions avec des gens qui boivent trop de Coca, pas pour le dire : c’est pas bien de boire du Coca, mais pour qu’ils comprennent comment ça fonctionne et comment ils bouffent trop de sucre pour des raisons, si ça ne leur échappe plus, peut-être qu’ils en mangeront un tout petit peu moins, il boiront un tout petit peu moins de Coca; et à partir de là, il sera peut-être possible de créer de nouveaux processus orthogénétiques de sélection, localement, dans tel quartier, où on va dire : eh bien nous, dans ce coin-là de St-Denis, on ne vit pas comme vous et si ça vous intéresse, on veut bien discuter avec vous pour voir si on peut apprendre à vivre ensemble. Ça c’est la question de la localité telle que je l’imagine.

Derrière toutes ces questions, qui sont des processus de diversification signifiantes et qui supposent la formation de savoirs, parce que la sélection type Coca dont je parlais tout à l’heure elle détruit le savoir, elle détruit le savoir manger, le savoir-vivre, le savoir prendre soin de soi, ce qu’on essaye, nous, d’installer à Pierre Sémard, c’est au contraire des communautés de savoirs produites et commandées par ce que j’appelle un jeu de l’ entropie, de la néguentropie et de l’anti-entropie ; je voudrais souligner que cette question-là elle est posée déjà dans ce texte-là (Au-delà du principe de plaisir de Freud) ; Freud ne parle pas d’entropie, il ne parle même pas de néguentropie, le concept n’existe pas encore mais il désigne la question de la néguentropie ; quand il parle de la pulsion de vie qu’il distingue – qu’il n’oppose pas - de la pulsion de mort, clairement il distingue deux tendances que plus tard on va appeler entropie et néguentropie ; et Maël avec Guiseppe (Longo) va dire : oui, mais c’est surtout l’anti-entropie ; alors on va essayer, plus tard, pas maintenant, de voir comment au niveau d’une localité nationale par exemple, on peut distinguer néguentropie et anti-entropie ; en tout cas, dans ce texte, Freud identifie ces questions à partir de son petit-fils Ernest qui joue avec une bobine et à travers cette bobine, Freud va essayer de comprendre quelque chose qui est de l’ordre de la répétition d’un jeu qui est un jeu selon moi entre deux grandes dimensions pulsionnelles dont nous nous essayons de poser qu’il ne faut plus les penser simplement à partir de ces concepts-là (néguentropie, anti-entropie) évoqués plus haut, mais comme Jeu de l’anthropie, de la néguanthropie et de l’anti-anthropie avec un a et un h sinon on fait du biologisme, on réduit tout à la sélection naturelle et on est foutus ; on ne comprend pas que ce jeu dont je parle-là c’est le jeu de l’orthogenèse telle que la décrit Lotka et non pas le jeu de l’entropie et de la néguentropie tel que les darwiniens peuvent s’emparer évidemment de Schrödinger.

Que produit cette orthogenèse néguanthropique et anti-anthropique ? par exemple les toits des Hospices de Beaune en Bourgogne (chaque fois que je vois ces images, je pense à des papillons, je pense à ces images d’ailes de papillons qui ont des formes géométriques et des couleurs absolument inouïes) ; c’est un processus de diversification et donc comment est-ce qu’on va essayer de penser la diversification locale et architecturale d’une localité, scientifiquement, mais pas à partir d’un modèle évolutionniste issu de la biologie darwinienne. C’est ça qu’on essaye de faire ici et ça renvoie à des questions de terroir ; j’ai travaillé par exemple avec des vignerons du Bordelais qui combattent Robert Parker, l’un des principaux prescripteurs, un orthogénéticien du choix du vin et qui a imposé une standardisation commerciale de la production du Bordeaux ; les vrais vignerons du Bordeaux disent que c’est un massacre ; on détruit tout le terroir bordelais ; un bon Bordeaux , il faut apprendre à le boire ; un bon vin de Californie basé sur je ne sais pas quel cépage, un Shiraz par exemple, c’est très bon mais ce n’est pas du tout la singularité du vin de Bordeaux, et vous pouvez trouver un vin quasiment semblable en Australie ; il est arrivé la même chose en Italie, Parker a standardisé la production du vin. Pourquoi est-ce que je dis ce truc là ? c’est parce que le vin c’est très intéressant ; le vin est lié à toutes sortes de facteurs mais il est d’abord lié aux minéraux qui sont dans le sol ; et ce sont des agencements entre des cépages et des minéraux qui vont produire telle diversité gustative ; là on est tout près du « diabolique » dont je parlais tout à l’heure ; je vois très bien comment le Rassemblement national va dire : « c’est ça la France ; et c’est bien mieux que l’Italie ». Il faut écarter ce genre d’affirmation mais par contre il faut essayer de comprendre pourquoi c’est possible et pourquoi ça marche ; c’est parce que derrière ça, il y a un problème d’anti-anthropie ; un bon vigneron bordelais dit : ce qui nous importe c’est de produire de l’anti-anthropie viticole ; Parker, lui, produit de la néguentropie càd un marché ; un marché c’est l’organisation d’un ordre ; il y a le vin italien, le vin australien, etc. c’est un marché et c’est calculable ; un bordelais dit : non, c’est pas calculable ; on n’est jamais sûr qu’on fera un bon vin cette année parce qu’on prend des risques pour produire l’anti-anthropie ; voilà, c’est pour ça que j’insiste sur ces points-là qui peuvent paraître peut-être un petit peu extérieurs mais qui, pour moi, sont fondamentaux et qui procèdent de ce que j’appelle une exorganologie de la noèse. Je fais partie de ceux qui, comme Frédéric Nietzsche, considèrent que la noèse, ça commence par ce qu’on mange. Nietzsche disait : si on mange mal quand on est petit, on pense mal quand on est grand. Donc bien manger, manger intelligemment, c’est savoir discerner des goûts, et c’est par ce discernement des goûts que se produisent l’intuition, l’entendement, l’imagination et la raison si on reprend les catégories kantiennes. C’est ce que j’ai essayé de décrire dans la postface de la réédition de La technique et le temps. J’ai essayé de proposer dans ce texte-là des axiomes et des théorèmes de ce que serait une noologie et une exorganologie de la noésis.

Ce que je soutiens c’est que les critères de sélection de l’évolution orthogénétique sont fournis par les activités de l’esprit tel qu’il prend soin des pharmaka, et générés par l’organogenèse exosomatique. Qu’est-ce que ça veut dire ? pour ceux qui suivent ce séminaire depuis plusieurs années, vous vous souvenez qu’on avait lu Nicolas Georgescu-Rögen expliquant dans ce livre qui s’appelle The Entropy Law and the Economic Process que les êtres humains ont besoin d’une économie parce que la biologie ne leur prescrit pas leurs organes artificiels càd qu’il n’y a pas une science générale qui dit voilà comment doivent être les organes ; ce sont les échanges, au sens large, qui font que il y a une évolution exorganogénétique ; ce que je soutiens c’est que ces échanges sont d’abord spirituels et intellectuels ; c’est ce que dit Paul Valéry dans Regards sur le monde actuel càd que, ce qui produit les critères orthogénétiques, ce sont des savoirs, pas seulement des savoirs académiques, des savoirs des mathématiciens ou des physiciens, mais des savoir-vivre, des savoirs locaux et parfois des savoirs universels, les savoirs de l’astrophysique embrassent la totalité de l’univers ; les savoirs de la biologie n’embrassent que la biosphère, les savoirs de telle espèce zoologique n’embrassent que cette espèce etc. et donc ces savoirs, ils sont plus ou moins locaux.

Qu’est-ce qui est engendré par l’exorganogenèse càd par l’apparition de nouveaux organes artificiels – qui est constante et en ce moment plus que jamais puisqu’en ce moment c’est une véritable explosion d’organes artificiels dans lesquels nous vivons ; le smartphone dont on se préoccupe beaucoup à la Clinique contributive et qui est omniprésent, n’existait pas il y a 10 ans et donc c’est incroyable comment un organe qui n’existait pas il y a 10 ans est aujourd’hui dans le monde entier ; comment c’est possible que ça se soit répandu aussi vite ? - il y a une dynamique exorganogénétique qui se produit et qui est générée par le capitalisme qui s’est emparé de l’exosomatisation, en a fait son principe de développement et le problème, pour ce faire, c’est qu’il a liquidé les prescriptions des savoirs qui doivent transformer ces pharmaka que sont ces organes artificiels en organes du soi et non pas en organes qui détruisent le soi, càd en organes d’individuation et non pas en organes de désindividuation – je prends le mot « soi » à la fois au sens de Donald Winnicott et de Gregory Bateson. Si on veut comprendre ça, il faut comprendre que l’espèce, appelons-là exorganologique, que nous sommes est en permanent déphasage parce qu’elle est constituée par ce que j’ai appelé son « défaut d’origine », càd qu’elle n’a pas d’origine ; c’est ce que Gilbert Simondon appelle l’apeiron dans le texte où il introduisait la notion de transindividuel ; il ajoute que le transindividuel se constitue dans un rapport à l’apeironl’apeiron est un terme des présocratiques pour désigner l’indéterminé, l’illimité - ; ce que j’essaye de montrer, c’est que cet apeiron dont parle Simondon, c’est ce que j’appelle moi-même, en passant par Freud et Lacan, et aussi Heidegger, das Ding dont je vous ai parlé la semaine dernière. Das Ding, ce que Freud, Lacan et Heidegger tentent de penser sous ce terme-là, c’est ce que Simondon appelle l’apeiron et ça procède du défaut d’origine, qui lui-même est l’origine de ce que Lévi-Strauss, qui a beaucoup influencé Lacan, appelle le « signifiant flottant » et qui donne du « jeu », ce que j’appelais tout à l’heure le jeu de l’anthropie et de l’anti-anthropie etc. ; donc, vous voyez qu’à travers tout ça, j’essaye de relire complètement le structuralisme, la cybernétique, la psychanalyse etc. mais du point de vue de l’exorganogenèse que tous ces gens-là ne connaissent pas. Personne ne connaît ce point de vue ; très peu de gens ont lu Lotka ; quand j’ai parlé de ce texte de Lotka aux Etats-Unis à Berkeley par exemple, personne ne connaissait ce texte (la théorie de l’exorganogenèse) ; maintenant il y a beaucoup de gens parce que David Bates qui est prof à Berkeley a lancé beaucoup de choses là-dessus. Il y a quelqu’un qui travaille autour de ça, c’est Whitehead et c’est de ça dont il s’agit quand Whitehead dit : la fonction de la raison c’est de prescrire l’exorganogenèse ; il dit que les pharmaka nécessitent des prescriptions et que c’est à ça que sert la raison ; pas dans ce texte-là mais dans un autre texte dont malheureusement je n’ai jamais retrouvé la source parce que c’est une citation qui est faite par Dodds, Whitehead dit : les grandes civilisations meurent toujours des poisons qu’elles engendrent ; il dit exactement la même chose que ce que dit Freud à propos des infusoires qui finissent toujours par s’intoxiquer.

Récapitulons ; il y a de la sélection orthogénétique ; elle se fait à travers des filtres qui sont constitués par un enchevêtrement (cf. idiotexte) de localités ; parmi ces localités, il y a moi, je suis une localité psychogénétique et je suis en relation avec d’autres localités psychogénétiques, vous  ; nous sommes en relation en ce moment ; moi, je suis en relation avec la grande spirale et qu’est-ce que c’est que cette grande spirale ? c’est ce que je suis en train de dire ; mais moi, je suis en relation avec ce que je suis en train de dire parce qu’il y a moi en tant que je suis en train de dire quelque chose et puis il y a moi en tant que je suis en train d’écouter celui qui est en train de dire quelque chose et c’est pas la même instance; c’est ce qu’on va voir avec Emmanuel Kant tout à l’heure. Cette localité psychogénétique que je suis, qui est là (une spire de l’idiotexte), elle est constituée par des expériences qui me sont arrivées, parce que mon corps c’est une machine à mémoriser, c’est ce que disait Nietzsche : la vie, c’est de la matière qui a de la mémoire. Mon corps enregistre, il fait plus qu’enregistrer, il enregistre mais à partir de ce qu’il a enregistré, il anticipe, il projette, il a des protention, dira Husserl et cet enregistrement, il est fait par une accumulation de mémoires ; il y a une partie qui est dans le cerveau, une partie qui est dans mon agenda, qui n’est justement pas dans mon cerveau, il y a une partie qui est dans mon ordinateur et une partie qui est dans mes gènes – et ce n’est pas ma mémoire à moi, c’est la mémoire de mon espèce etc. ; en fait il y a une multitude de mémoires qui s’agencent les unes dans les autres dans le processus que je décris comme cela (ma part dans la spirale de l’idiotexte, à noter que cette représentation est très schématique). Evidemment, ces spirales il faut les complexifier et elles sont en x dimensions en plus donc elles sont irreprésentables ; dès qu’on rentre dans ces choses-là on ne peut plus les représenter, on est obligé de passer sur un autre ordre de représentation. Ces expériences qui me sont arrivées et qui concernent des individus tout à fait différents les uns des autres de par leur histoire propre et ces différences mnésiques font que je suis, moi-même, une singularité remarquable et que toutes les personnes qui sont ici sont des singularités remarquables parce que personne n’a la même mémoire ; il y a évidemment des tas de points de comparaison, par exemple on est ici plutôt des européens, on parle français, on a un certain niveau de culture etc., donc se on peut se comparer les uns les autres jusqu’à un certain point mais quand on veut parler de la localité psychogénétique, c’est l’incomparable qui fonctionne, qui produit de cette localité. Tout ça c’est le produit d’une évolution càd une diversification qui se produit toujours localement. Alors, ça ce n’est pas vrai que de nous ; les vivants aussi ont de la diversité mais la mais cette différentiation n’est pas la même que celle qui nous caractérise ; nous, nous différencions par la façon dont nous participons à la génération – diversification du transindividuel ; ce n’est pas le cas des chats, des cochons ou autres bestiaux, et ça c’est un peu une limite quand même de « l’animal que donc je suis » de Jacques Derrida ; il pose des questions intéressantes mais il évite ces sujets-là et ça c’est très dommage parce que ça ouvre la porte au petit derridisme (qui est un peu la disette intellectuelle pour moi).

Qu’est-ce que c’est qui nous permet de nous différencier par la façon dont nous participons à la génération – diversification du transindividuel ? c’est la différance idiomatique et là je repends le concept de Derrida de différance avec un a mais la différance idiomatique, ce n’est pas la différence biologique des chats ; et c’est très important de la prendre en charge en tant que telle et qu’il faut l’inscrire dans une babélisationLes langues ont une tendance naturelle à la fragmentation↩︎; il faut donc réfléchir très concrètement aux conditions exorganiques, exosomatiques de la babélisation aujourd’hui ; à l’époque de la Bible par exemple, la question de la babélisation ne se pose pas du tout comme aujourd’hui ; à l’époque, le livre est en train d’apparaître, c’est lui qui constitue la question de la babélisation parce que le livre va unifier des idiomes différents, donc à partir de là, on va mesurer cette différence et ça, c’est un sujet de Joyce ; c’est un sujet qui va être une hantise de toute la littérature du XXème siècle ; mais aujourd’hui, cette question elle ne se pose pas comme au VIIème siècle avant J.-C., elle se pose à l’époque de Google ; et ce qui se pose à l’époque de Google se pose très différemment de ce qui se posait au XXème siècle à savoir la standardisation des langages par la radio et la télévision et c’est pas du tout celle qu’avait produite la presse écrite ; tout ça, il faut l’étudier sur pièces ; on ne peut pas fournir des concept généraux comme ça ; alors, vous vous demandez peut-être : quel est le rapport avec l’internation ? Eh bien, tout ça, ce sont des sujets qu’on va retrouver chez Marcel Mauss ; il va nous parler de la langue, de la diversification des langues etc. ; ce que j’essaye de faire ici, dans ce séminaire, c’est de préparer les axiomes et les théorèmes critiques qui vont nous permettre de lire Marcel Mauss sans nous laisser fasciner par ce texte magnifique.

Alors, nos chats et nos chiens ne se différencient pas par la babélisation, par ce que Lacan appelait le signifiant ; ils se différencient, mais pas comme ça ; ils vivent aussi des expériences comme nous et on peut d’ailleurs aussi les représenter par des spirales, mais dans l’espèce pas dans le transindividuel ; et les échanges qui vont se produire entre les individus – qu’on ne va pas appeler psychiques mais zoologiques disons – ils vont se faire surtout pendant la sexuation, pendant les brassages génétiques qui vont s’organiser pendant les accouplements etc. ça veut dire aussi que ces échanges ne produisent pas des savoirs et ne sont pas partagés ; il y a des gens qui m’ont dit que c’est pas vrai du tout ; les bonobos échangent, les chimpanzés de Côte d’Ivoire échangent des savoirs culinaires sur comment tremper des patates dans l’eau salée, c’est bien meilleur avec du sel, et c’est vrai ; j’ai beaucoup travaillé avec Frédéric JoulianLes chimpanzés (pan troglodytes) d’Afrique de l'ouest offrent l'exemple unique dans le monde animal, d'animaux utilisant des outils de pierre qui sont, pour certains analogues a ceux que l'on retrouve sur les sites archéologiques du plio-pleistocene. Le travail présente ici aborde la question de la culture chez les chimpanzés et chez les premiers hominides. L'analyse comparée est menée a partir d'une nouvelle définition (opératoire et a dimension anthropologique) de la culture (en trente-trois points) et met en relief l'extrême proximité des hominides et des panidés sur cette question culturelle. Cette thèse expose également les résultats d'un travail "ethnoarchéologique" d'une année, opère en Côte d'Ivoire, et qui a permis la découverte d7une dizaine de sites ou les chimpanzés cassent des noix a l'aide d'outils ainsi que de faire la démonstration de l'existence de traditions techniques pour différents groupes. Les conséquences de telles observations sont multiples, nous avons soulève quelques-unes des implications qu'elles ont pour la préhistoire et définit un nouveau cadre heuristique pour l'étude des artefacts et des comportements des hominides du plio-pleistocene. - Frédéric Joulian Application de l’éthologie des chimpanzés ouest-africains aux premiers hominidés : le problème de la culture Thèse 1993↩︎ qui est un spécialiste de ces questions ; mais moi je réponds : tout à fait, les chimpanzés et les bonobos font partie de l’espèce humaine pour moi donc ça ne me pose pas de problème ; ce que je veux dire par là c’est l’homme, le singe, je m’en fous, c’est pas ça qui m’importe ; ce qui m’importe c’est l’exorganogenèse ; il y a un moment où être capable de faire cuire ses pommes de terre ou les tremper dans le sel, ça va changer l’évolution de l’espèce et à ce moment-là ça n’est plus du génétique seulement, ça devient du culturel. Il y a des textes intéressants de Jean-Pierre Changeux là-dessus.

Ce qui constitue des savoirs, ces sont des transmissions de pratiques collectives que j’appelle des rétentions secondaires collectives et des protentions secondaires collectives ; j’apprends de l’expérience un certain nombre de choses, je partage cette expérience avec mes enfants ; chez les animaux, il n’y a pas de rétentions tertiaires pour faire la transmission d’une génération à une autre et c’est ça la question fondamentale ; l’exorganogenèse, c’est la rétention tertiaire. A partir de là, on va définir les savoirs qui sont donc, pour moi, les matrices de sélection d’un avenir orthogénétique anti-entropique et non pas entropique càd pas autodestructeurs ; on va les définir comme ça : la diversi-fication, dont je vous parle depuis tout à l’heure, des savoirs c’est un rapport en rétentions secondaires collectives et protentions secondaires collectives c’est pour ça que dans le livre Dans la disruption, j’avais essayé de montrer que le problème de Florian, c’est qu’il n’a plus de protentions collectives et du coup, il n’a plus de savoirs, il n’a plus de saveurs, il est dépressif, il est plus que dépressif d’ailleurs, il ne va pas bien du tout. J’ai eu de ses nouvelles récemment, il va très bien maintenant, il est acteur, il fait du théâtre, il va bien, d’après ce qu’on m’a dit. Alors, ce que je voudrais préciser ici, c’est que ces savoirs, qui supposent la diversification, ils supposent la versification ; ce que je veux dire c’est que s’il y a dans la société africaine des griots, dans la société grecque ou d’Europe centrale des aèdes, des bardes chez les Celtes et les Irlandais etc. et en fait il y en a partout, partout il y a des gens qui assument quoi ? la fonction de la versification ; pour qu’il y ait de la diversi-fication, il faut qu’il y ait de la versification ; cette versification, c’est ce qu’on appelle la poésie ; aujourd’hui, ça existe toujours et ça passe par l’industrie du disque, par la radio, ça a été instrumentalisé totalement et donc c’est une versification dont on peut douter mais qui a été intégrée par ce que Adorno et Horkheimer appelaient les industries culturelles càd la Dummheit, la rationalisation, parce que c’est un objet de calcul de l’industrie du disque, de la radio, du spectacle etc. et tout cela suppose néanmoins de la localité, ça ne peut que affirmer de la localité ; par exemple, Stevie Wonder produit une localité, une singularité psychogénétique – Stevie Wonder représente toute un époque à lui tout seul – et il donne lieu, et c’est la question que pose Mallarmé et c’était la question que j’avais un peu visitée à la fin du séminaire de l’année dernière en essayant de lire ce fameux Coup de dé.

Essayons de tirer les conséquences de tout ça en partant de la situation présente. Je m’individue à travers l’individuation psychique et collective ; je ne m’individue autrement dit que collectivement, dit SimondonL’individuation psychique et collective Gilbert Simondon Préface de Bernard Stiegler Aubier↩︎. Moi-même, j’ajoute à ce que dit Simondon que cette individuation psychique et collective est un processus de diversification par la production de significations qui sont aussi des critères de sélection càd, dit WittgensteinLe cahier bleu Wittgenstein↩︎, des usages. Nous nous individuons à travers un processus de diversification qui va produire des significations qui vont-elles-même produire, dit Wittgenstein, des usages. Par exemple à un moment donné on va dire : « l’orthogenèse », « la rétention tertiaire », parce que c’est rentré dans l’usage du groupe ; ces mots sont rentrés dans l’usage. Ce qu’on essaye de faire avec la Clinique contributive Pierre Semard c’est que « l’objet transitionnel » devient un usage, non seulement des puéricultrices, mais des parents et même des enfants eux-mêmes ; inscrire des usages, qu’est-ce que ça crée des usages comme ça ? une localité. Vous connaissez le discours sur la morale par provision de Descartes ; quand j’arrive en Hollande, il y a des usages qui ne sont pas les miens, eh bien, je me plie aux usages locaux, sinon je suis un barbare ; mais c’est une règle fondamentale qu’il appelle « la morale par provision » ; la localité est constituée par des usages ; ce que nous dit Wittgenstein, c’est que ces usages sont produits par des significations ; ce que j’ajoute, en passant par Simondon, c’est que ces significations sont engendrées par des processus de transindividuation.

Je suis en train de m’individuer collectivement, par exemple, je participe au séminaire pharmakon 2019 du 7 février, qui est organisé par Stiegler ; il produit des énoncés à mon adresse comme à celle des autres participants ; ces énoncés qui s’enchaînent constituent ce qu’on appelle un discours ; ce discours forme ce que Husserl appelle un objet temporel ; il y a un début du discours (ça a commencé à 17 heures) et une fin (normalement je devrais m’arrêter vers 19 heures) ; après ce discours, vont se produire des discussions, on verra ; ce discours se constitue comme discours en enchaînant des propositions plus ou moins logiquement reliées les uns aux autres, cette logique étant dominée depuis la philosophie par les catégories de l’entendement avec les règles desquelles on doit être compatible et c’est ce que Aristote d’abord, Kant ensuite, Whitehead enfin, appellent les catégories. Le discours de Stiegler commence vers 17 heures et se termine vers 19 heures après quoi il y a une discussion ; pourquoi y a-t-il (faut-t-il) une discussion ? parce que ce discours, aussi logique qu’il puisse être, peut et doit faire l’objet d’interprétation ; il est possible, autrement dit, de le comprendre diversement ; cette diversité, dans laquelle apparaissent des écarts entre significations d’un même terme, ces écarts appelant un sens nouveau que j’appelle moi de l’anti-entropie, cette diversité requiert des développements, des gloses etc. dont la culture juive est un exemple à travers la Thora (ceci dit en passant) ; qu’est-ce que cette discussion avec ses gloses va produire ? elle va pointer des imprécisions, elle va demander des éclaircissements, elle va souligner des contradictions, elle va ouvrir des problèmes, elle va proposer des références, elle va faire objections etc. ça s’appelle la controverse et cette controverse, c’est ce qu’on appelle depuis Socrate, la dialectique noétique. C’est ça la noèse, et ce que Socrate dira dans Théétète, ce que je fais en discutant avec toi, Théétète par exemple, je le fais avec moi-même, et c’est ce qu’ensuite Platon appellera la dialectique dans Phèdre, et puis ensuite ça sera repris par Hegel. Ce qui permet cette diversité de compréhension entre toutes les personnes ici présentes, qui ne comprennent pas la même chose dans ce que je dis, et donc cette diversité de « surpréhension » (Stiegler dit ça et j’ai compris, mais il y a aussi des « surpréhensions » (Stiegler dit ça mais j’ai pas compris, j’ai « surpris ») et c’est ça qui est intéressant ; c’est pas ce que j’ai compris (c’est pas la peine de venir si c’est si facile à comprendre), c’est ce que j’ai « surpris » et ce qui est intéressant, c’est que dans ce que j’ai surpris, je surprends quelque chose que Stiegler ne comprend pas lui non plus ; il est surpris ; c’est ce que dit un des premiers dialogues de Platon qui s’appelle Ion et dans lequel Socrate dit à Ion,  le rhapsode, s’il m’affecte, s’il me touche, c’est parce qu’il est surpris et du coup, il me surprend ; c’est aussi ce que dit Pascal, il est troublant parce qu’il est troublé. C’est toute la question de la transindividuation ; s’il n’y a pas ça – et c’est ce que Spinoza appelle de l’affect - il n’y a pas de transindividuation ; tout ça suppose une diversité des rétentions secondaires qui constitue chaque localité psychogénétique càd vous-mêmes ; vous n’avez pas le même nom que moi, vous n’êtes pas né en même temps que moi, vous n’avez pas le même sexe que moi pour certaines d’entre vous etc. et il vous est arrivé des tas de choses qui ne me sont pas arrivées et réciproquement. Dans tout ça il y a un processus, l’attentionA=R2(R1=S1)↩︎ A, puisqu’en principe, si vous essayez de comprendre - et de surprendre - ce que je dis, vous devez avoir une certaine attention à l’attention que je vous porte puisqu’en m’adressant à vous je vous porte une certaine attention et en m’écoutant, vous portez attention à l’attention que je vous porte ; nous prenons soin les uns des autres ; et ce soin il s’opère par le fait que, à travers vos rétentions secondaires qui vous sont tout à fait spécifiques – et vous n’avez pas les mêmes que la semaine dernière - c’est ça qui est intéressant - parce que la semaine dernière vous ne saviez pas ce que vous savez aujourd’hui de ce que j’ai dit la semaine dernière etc., vous êtes donc perpétuellement en train de vous transformer, c’est ce que Simondon appelle l’individuation, cette individuation elle se produit localement, psychogénétiquement, diversement parce que vos rétentions secondaires R2, càd votre mémoire, sont toutes différentes et que vos rétentions primaires, ce que Husserl appelle les rétentions primaires R1, ce sont des sélections primaires S1 - ce que Husserl ne voit pas dans le séminaire Phénoménologie de l’objet temporel mas il le verra plus tard.

La petite spirale c’est ce qui constitue vos critères de sélection, la grande spirale c’est ce qui tend à faire évoluer vos critères de sélection en les faisant fonctionner ; vous les appliquez et en les appliquant vous (je, nous) les changez ; nous faisons cela en permanence et c’est le processus de la transindividuation, sachant que dans tout cela, ce que l’on cherche à produire, à la fois de l’anti-entropie, càd qu’on cherche à bouleverser les ordres constitués ; oui, bien sûr, vous savez qui est Platon, vous savez qui est Darwin, vous savez des tas de trucs, moi-aussi, je sais plein de trucs mais si nous sommes là, c’est pour identifier ce que nous ne savons pas pour produire, à partir de ce que nous ne savons pas, ce que Maël et Longo appellent de l’anti-entropie, mais moi je l’écris avec un a et un h. De l’anti-anthropie ? qu’est-ce que ça veut dire ? Ce que nous savons, c’est les usages sont je parlais en citant Wittgenstein qui constituent des localités (oui, on sait ce que c’est ceci ou cela, par exemple l’objet transitionnel, mais en fait on ne réfléchit plus à ce que c’est que l’objet transitionnel, on se met à répéter ce que Mallarmé appelle les « mots de la tribu » ; ça, ça s’appelle de la néguentropie, ça va constituer un ordre local ; à un moment donné, l’anti-anthropie va arriver et va dire : je fous le bordel dans cet ordre local ; je vais introduire de l’anti-anthropie, c’est du désordre ; ce que je veux dire par là et j’attire vraiment votre attention là-dessus, on dit très souvent : l’ordre c’est la néguentropie, le désordre c’est l’entropie ; non !, l’anti-anthropie c’est le désordre et ne confondez pas la théorie de l’entropie et de la néguentropie avec la théorie de l’ordre et du désordre ; ce sont deux choses tout à fait différentes ; il y a des points de passage bien entendu mais ce ne sont pas du tout les mêmes théories ; l’ordre et le désordre c’est une théorie de la physique ; il y a des translations qui sont faites en biologie mais je pense qu’elles on extrêmement dangereuses et qu’il ne faut surtout pas les reprendre à son compte ; j’en parle aussi parce que derrière cela il y a des questions politiques : l’ordre et le désordre, ça représente la domination, la contestation etc. donc il faut qu’on ait des idées assez claires là-dessus pour autant que cela soit possible (et je ne suis pas sûr que cela soit possible).

Si nous avons une discussion, nous allons chercher dans cette discussion à converger vers ce qu’on appelle parfois des attracteurs (on va arriver à produire un accord sur le fait que par exemple l’orthogenèse entre Maël qui est un spécialiste de ces questions, des tas de gens ici qui n’y connaissent pas grand-chose, y compris moi etc. et ce que dit Lotka, on va arriver à dire : oui, on est d’accord pour dire que l’on est compatible avec le savoir de la biologie représenté ici par Maël pour dire : l’orthogenèse, c’est ça ! càd que l’on va métastabiliser une signification du mot « orthogenèse » mais en même temps, chacun d’entre nous va l’entendre comme il l’entend et le mésentend aussi et ça c’est de la différance, nous sommes tous différants, pas simplement avec un e au sens où sommes chacun là avec nos différences, non, nous sommes différants au sens où nous sommes en train de différer quelque chose, nous nous le reportons dans le temps, nous produisons une économie qui est aussi un investissement ; c’est ça l’investissement ; c’est une différence (de différer) de la satisfaction ; nous pourrions avoir envie de jouir de tout ce qui se raconte ici ; c’est pas fait pour ça ; on n’est pas là pour jouir, on est là pour produire du plaisir et le plaisir ce n’est pas de la jouissance ; la jouissance c’est la mort du plaisir, c’est la destruction du plaisir, c’est la fin du plaisir.

Cette diversité c’est ce que j’appelle une noodiversité, elle est le fruit d’une noogenèse qui produit des circuits de transindividuation or ces circuits signifiants càd faisant signe ne se forment qu’en traversant des localités, et en premier lieu, les localités psychiques que nous sommes tous. Ce que j’essaye de dire c’est que si nous voulons comprendre ce que c’est que la transindividuation, il faut arrêter d’essayer de penser ça avec l’universel, avec les théories logiques de l’universel, etc. – la transindividuation, c’est ce qui va produire une convergence à l’universel etc. – bien sûr, mais ce n’est pas comme ça que ça se produit ; ça se produit en traversant des localités ; par exemple, en biologie, il y a des gens qui défendent la théorie de l’anti-entropie, il y en a d’autres qui la combattent, il y a des biologistes moléculaires et il y a des gens qui récusent la biologie moléculaire et c’est ça qui fait que la biologie est la biologie ; si on détruit ces localités, on détruit la science et c’est vrai dans absolument tous les domaines, la cuisine, le pinard dont je vous parlais tout à l’heure etc. A partir de là, il faut aussi comprendre par exemple qu’on fait de la biologie en français, ce n’est pas comme en anglais, ce n’est pas comme en allemand etc. il y a donc des localités linguistiques qu’on traverse aussi et qui imposent des choses ; il y a des choses qui ont du sens en anglais et qui n’ont aucun sens en français et réciproquement (et en allemand, n’en parlons pas). A partir de là, il faut que l’on comprenne que chaque localité constitue des processus de sélection ; en français, il y a des choses que vous pouvez dire mais que vous ne pouvez pas dire en allemand, Tout à l’heure, j’étais avec un philosophe qui commente Heidegger et on parlait d’Ereignis qui a été traduit par « avenance » par François Sellier et je disais : on ne peut pas traduite Ereigniss par avenance on n’est pas d’accord du tout ; il y a des mots qui ne sont pas traduisibles, il faut les garder en allemand un point c’est tout ; c’est pas la peine de les traduire, ça ne sert à rien sinon à faire plaisir au traducteur. Je veux dire par là que si on efface ces localités-là, on efface la noogenèse tout simplement; ces localités, elles ont des spécificités qui alors amènent par exemple Heidegger à dire que l’allemand est la langue la plus philosophique – c’est un peu problématique de dire ça, c’est peut-être pas totalement faux non plus ; pour une certaine philosophie comme celle de Hegel par exemple qui parle des Grundwort càd des mots fondamentaux, c’est en allemand que ça fonctionne, pas en français ; c’est ce qui permet à Hegel de construire sa dialectique ; donc ce n’est pas totalement faux ; il est peut-être vraisemblable que les langues amérindiennes par exemple sont plus accueillantes au chamanisme que les langues latines ou occidentales etc. - donc il ne faut pas faire de dénégation par rapport à cela parce que pendant des années on a dit : il ne faut pas dire des choses comme ça, c’est réactionnaire ; non, il faut assumer cela, ce sont des réalités et aujourd’hui, ce qui se passe, c’est la destruction de cette diversité, cette diversification qui menace fondamentalement le monde dans lequel nous vivons. Je voulais vous parler du paralogisme de la personnalité de la Critique de la raison pure ; à un moment donné, je voulais vous dire que si moi je fais partie, comme vous, des gens qui écoutent Stiegler c’est parce que moi, je n’existe pas et vous non plus ; nous ne sommes que des fictions produites par l’unification à l’infini de l’aperception transcendantale ; c’est que dit Kant plus précisément ici : il n’y a pas d’unité du moi ; ce moi toujours produit comme une anticipation à venir et donc ça n’existe pas l’identité, ce qui existe c’est l’identification et ce est qui vrai du moi, du sujet connaissant de Kant càd du sujet transcendantal, est aussi vrai des communautés ; j’avais essayé de montrer ça dans le tome 3 de La technique et le temps ; ça n’existe pas l’Amérique, ça n’existe pas les américains, ce qui existe c’est un processus d’unification comme la Chine, comme l’Europe, comme le christianisme, comme la France, comme tout ce que vous voulez :

Pour conclure, il y a un agencement de différents types de localités ; j’en identifie trois principalement – c’est de ça dont j’ai parlé aujourd’hui – psychogénétique, noogénétique et technogénétique ou exosomatique mais ça, ça produit une quatrième localité, c’est ce qu’on appelle la localité historique càd que tout ça, ça se concrétise dans l’histoire et c’est de ça dont va nous parler Marcel Mauss. Lorsque Marcel Mauss introduit la question de la nation, il dit : l’Europe s’est constituée à travers les nations ; de quoi parle-t-il ? il parle de Garibaldi en Italie qui à un moment donné a unifié les différents royaumes d’Italie, il parle de ce que les seigneurs germaniques ont produit à un moment donné comme la nation allemande grâce à qui (en passant par Kant et Humboldt) ? à Bismarck qui a véritablement constitué l’Allemagne comme nationalité ; il y a eu les conflits de nationalités dans les Balkans qui sont à l’origine de la première guerre mondiale et évidemment (Mauss écrit en 1920, il est en plein dedans, la deuxième guerre mondiale ne s’est conclue que deux ans plus tôt) Mauss est obsédé par cette question des nationalités et il dit l’Europe c’est avant tout la production des nationalités càd d’un certain type de processus d’unification qui n’est pas les unifications des ethnies de tribus indiennes, qui n’est pas l’unification d’un empire chinois, c’est un autre processus d’unification et il va chercher à expliquer ce que c’est que ce que ce processus d’unification. Alors qu’est- ce qu’il va décrire ? (je survole à toute vitesse) d’abord il va faire l’hypothèse d’une exorganologie des sociétés ; ça c’est extrêmement intéressant ; vous pouvez regarder là (p. 581 puf), il dit : et si on comparaît les sociétés à des espèces (et il ajoute : très dangereux en sociologie de faire ce genre de choses) mais quand même c’est intéressant, si on disait : la société asiatique, c’est une espèce de société comme il y a des espèces animales, il y a des vertébrés qui sont par exemple des canidés… et il referme vite la porte en disant en sociologie on ne peut pas faire ça parce qu’on importerait la biologie dans la sociologie ; eh bien c’est ce qu’on essaye de faire quand on essaye de produire une exorganologie mais justement ce n’est pas dangereux parce que précisément on ne se réfère pas à la biologie ; on produit un nouveau discours pour essayer de penser ça et qu’est-ce que ça nous permet de faire, ce nouveau discours : une nouvelle façon de concevoir la politique càd de concevoir un nouveau projet pour la biosphère qui est le projet de l’internation. Ensuite (je reviendrai sur tout ça), on verra Mauss se pencher sur les notions de sociétés polysegmentaires et de sociétés intégrées ; il dira il y a les sociétés polysegmentaires, par exemple les ethnies de Baruyas, qui sont du côté de la Polynésie, qui sont rassemblées en tribus sont polysegmentaires càd qu’elles appartiennent à une entité mais elle n’est pas intégrée tandis qu’une nation, par exemple la nation européenne, est toujours intégrée ; on doit être intégrés à la nation, il n’y a plus de tribu, on casse les clans. Vous savez bien, tous ceux qui ont étudié l’histoire de la Grèce, que Solon est celui qui a cassé les tribus ; c’est comme ça que s’est constituée la société politique : Bon, après il parle des rapports entre économie et nations – on le regardera de plus près – il parle du rôle de la monnaie, des douanes, de l’écriture, de la presse – qui vient d’arriver (il dit : il y a 50 ans est apparue la presse quotidienne ) et puis ensuite il pose comment une nation se constitue à travers une langue, une nation croit à sa langue dit-il, si on ne croit pas à sa langue, on ne peut pas être membre d’une nation, croit à sa civilisation, ajoute-t-il, et développe des arts, des sciences et des traditions et les traditions entrent en conflit dans la nation, pas avant, bref, il fait toute une historicité de la nation sur laquelle on reviendra à partir du mois d’avril.

01 :59 :36