Séance 5
Exorganologie I Panser la post-vérité dans la post-démocratie
Bernard Stiegler,
« Séance 5 »,
dans
Michel Blanchut,
Victor Chaix (dir.),
Le séminaire Pharmakon en hypertexte :
2018 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures
numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2018/seance5.html.
version 0, 20/12/2025
Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0
International (CC BY-NC-SA 4.0)
« (…) que de points communs entre la théorie de la sélection naturelle (qui aboutit à la mutation des espèces), la théorie de la lutte des classes (qui aboutit à la mutation des espèces sociales), et l’autre grande théorie du XIXe siècle, celle de la thermodynamique (qui aboutit à la mutation des états de la matière) ! Toutes trois parlent de variations infinitésimales et de sauts majeurs ; toutes trois parlent aussi d’un temps qui s’écoule irréversiblement : vers le désordre, dit Carnot, vers la liberté, dit Marx, vers le mieux adapté, dit Darwin. S’adapter aux désordres de la liberté : tel est ce qui réunit Carnot, Marx, Darwin, les trois géants du siècle. »
Jacques Attali, *Karl Marx, Fayard, p.403
Enregistrement du 8 mars 2018 sur l’instance Peertube de la MSH Paris-Nord
Crédits : Épokhè et consortium CANEVAS
Bonjour à tous. C’est la cinquième séance où on va enfin commencer vraiment à parler d’Henri Lefebvre. Parce que les quatre premières séances ont été vraiment, comment dire, si je puis dire, propédeutiques à la lecture d’Henri Lefebvre. Aujourd’hui, on va vraiment commencer. Je salue nos amis qui sont en ligne. Ciao. On va vraiment commencer à lire Henri Lefebvre et donc ce livre, comme annoncé, Le droit à la ville. Avant de rentrer dans cette lecture, je voudrais faire trois remarques. La notion fondamentale de ce livre, le droit à la ville, je crois que c’est la notion de ville comme œuvre. Comme c’est dit ici, « cette ville est une œuvre, est elle -même œuvre et ce caractère contraste avec l’orientation irréversible vers l'argent, vers le commerce, vers les échanges, vers les produits. » Je pense que c’est la proposition fondamentale du bouquin, et ça commence par là. C’est le début, en fait, de là. C’est les toutes premières pages du livre. Je n'ai pas noté la pagination ici, mais voilà, c’est... C’est la page 2. C’est comme droit à cette œuvre qu’est la ville que Henri Lefebvre pense un droit à la ville. Le droit à la ville chez Henri Lefebvre, c’est le droit à l 'œuvre et c’est le droit surtout à œuvrer. C’est le droit d'œuvrer en tant qu’habitant de la ville, en tant que citoyen, en tant aussi qu’ouvrier. Certains disent aujourd’hui comme œuvrier. Je dis ça parce qu’il y a un manifeste signé par Bernard Lubat et... et comment s'appelle -t -il ? J’espère trouver son nom. Bon, peu importe. Il s’appelle... œuvrier. Enfin bon, je retrouve plus le titre. Je voulais l’emmener, j’ai oublié de le prendre, le bouquin. Deuxièmement, cette deuxième proposition, deuxième remarque préliminaire, je reprends cette proposition à mon compte. Enfin, nous reprenons dans... à l’IRI et dans le cadre du programme territoire apprenant contributif de Plaine Commune, cette proposition à notre compte, mais en lui objectant, en objectant à Henri Lefebvre, que cela requiert une autre théorie de la valeur que celle que Lefebvre mobilise pour penser l'œuvre, par exemple ici. Qu’est-ce que dit Lefebvre ici ? « Ce qui apporte des arguments pour étayer une thèse : la ville et la réalité urbaine relèvent de la valeur d'usage. La valeur d'échange, la généralisation de la marchandise par l'industrialisation tendent à détruire en se la subordonnant la ville et la réalité urbaine, refuges de la valeur d’usage ». Donc qu’est-ce que nous dit ici Lefebvre ? C’est que l'œuvre, la valeur de l'œuvre, c’est une valeur d’usage. Je suis en désaccord complet avec ça. Et depuis longtemps, à Ars Industrialis, nous soutenons qu’il faut une nouvelle théorie de la valeur, qui n’est pas simplement la valeur d’échange et la valeur d’usage, mais la valeur que j’appelle moi pratique. On y reviendra. Et nous y travaillons en ce moment précisément, aujourd’hui nous l’appelons beaucoup plus précisément la valeur néguanthropique avec un a et un h ou anti -entropique, comme dit plus précisément Maël Montevil. Troisièmement, et je m’aperçois que j’ai plus que trois remarques, j’en ai cinq, nous inscrivons ainsi la nouvelle critique de la ville et la nouvelle critique de la vie quotidienne qui s'y forme et qui s'y trame comme tissu urbain. C’est une notion que je vais essayer d'examiner aujourd’hui, la notion de tissu urbain, nous inscrivons donc cette nouvelle critique de la vie quotidienne urbaine dans une nouvelle critique de l’économie politique qu’en fait nous avons menée à Ars Industrialis depuis déjà presque dix ans et qui nous a conduit précisément au concept d’économie contributive. Donc ce que je suis en train d’essayer de montrer là, ou pas de montrer mais d'introduire comme thèse, c’est que le droit à la ville c’est le droit à l'œuvre, c’est le droit à œuvrer, très bien, mais œuvrer ça suppose une économie contributive. L’économie dans laquelle nous sommes aujourd’hui ou l’économie dans laquelle pense encore Henri Lefèvre en 1967, c’est une économie de la prolétarisation. Ce n’est pas une économie de la classe ouvrière, comme il le dit, c’est une économie du prolétariat. Et nous, nous disons, alors ça c’est le point de départ presque d’Ars Industrialis, c’est que le prolétariat, ce n’est pas la classe ouvrière. C’est la classe désœuvrée. C’est la classe qui ne peut pas œuvrer. Les ouvriers sont ceux qui œuvrent. Alors, je m’attarderai un petit peu tout à l'heure sur la notion de tissu urbain, puisque le mot tissu urbain, comme je viens de le dire, c’est une notion en fait, sinon un concept d’Henri Lefebvre, qu’on trouve un peu plus loin, on va le retrouver ensemble. Et ce tissu urbain, je soutiens que, d’abord ce qui est important, ce n’est pas tellement le tissu urbain, c’est le tissage urbain. Comment est-ce qu’on le tisse, ce tissu ? Quels sont les points du tissage urbain ? Je prends le mot point au sens où quand on tisse, il y a des points de tissu. Et ce que j’essaye de dire, vous l’avez vu depuis le début, j’ai commencé presque par-là, c’est que le tissage urbain suppose des rétentions tertiaires hypomnésiques et que Lefebvre ne les thématise pas en tant que tels. Lorsqu’il dit que la ville est le lieu de formation de la philosophie, j’ai essayé de montrer qu’il y a un point qu’il ne mentionne pas, qui me paraît fondamental, c’est que le lieu de la ville, c’est aussi le lieu de l’écriture et les supports de la ville, les murs de la ville sont les supports de l’écriture collective, de l’écriture de la citoyenneté. Et ça, c’est ce que souligne Vernant, à peu près à la même époque, un petit peu avant, deux ans plus tôt. Dernière remarque, la question qui va se poser, c’est celle de l'œuvre commune et c’est ce qu’on appelle aujourd’hui les urban commons, les communs urbains. C’est un sujet sur lequel travaille en ce moment Maël, ici présent, avec Clément Morla et sur ce qui concerne les indicateurs de valeur que nous essayons d’élaborer en ce moment, une valeur anti-anthropique qui serait comptabilisée dans une économie de la lutte contre l’anthropie, une économie de l'œuvre. Une œuvre, c’est ce qui lutte contre l’anthropie, avec un a et un h parce que l'œuvre est inusable. Et c’est ça qu’on appelle une œuvre. Une œuvre, ça ne s’use pas. Et c’est anti -anthropique dans ce contexte-là. C’est pour ça que la valeur d’usage ne permet absolument pas de décrire la valeur d’une œuvre. C’est ce qui constitue aussi les communs. Les œuvres dont parle Lefebvre ici ou dans ce qui précède, c’est les œuvres qui font que Paris est une belle ville, Rome est une belle ville, etc. C’est beau. Et pourquoi est-ce que c’est beau ? C’est ce qui constitue l’espace commun et c’est ce qui s’impose comme cet espace. On verra plus tard comment Lefebvre pose la question du beau, justement. Enfin, c’était mes remarques préliminaires. J’ai maintenant quelques éléments de rappel que je vais faire sur les séances précédentes et ensuite je vais revenir sur le texte à proprement parler. Quand on lira bientôt, enfin bientôt oui, dans la séance prochaine, mais elle n’est malheureusement pas bientôt, elle n’est qu’au mois de mai, quand nous lirons Vers le cybernanthrope, nous verrons que quant à la question de la rétention tertiaire hypomnésique, enfin nous verrons, j’essaierai de vous montrer plutôt qu’il y a un malentendu quant à la Cybernétique chez Henri Lefebvre et que du coup, ce malentendu sur la Cybernétique qui, à l’époque, c’est 20 ans après la publication du bouquin de Wiener, donc même 19 ans après la publication de Cybernétique et Société, là, on est beaucoup plus tard, on est 70 ans plus tard, on a un certain recul, mais on est aussi en train d’entrer dans la smart city ou dans la ville connectée, dans la ville cybernétique, on peut l’appeler comme ça et où ce dont parlait Henri Lefebvre, à cette époque-là, en 1967, comme ce que voudrait le cybernanthrope - le cybernanthrope, chez Henri Lefebvre, ça ne veut pas dire le robot ou tout ça, ça veut dire l'homme qui veut la cybernétique. C’est Norbert Wiener, en fait. Eh bien, aujourd’hui, c’est là, ça fonctionne. Les automobiles qu’on voit là, qui ne fonctionnent pas encore tout à fait comme ça, mais c’est en train de se développer. Comment les automobiles vont permettre d’éliminer les feux rouges ? Je ne sais pas si ça permettra d’éliminer les feux rouges, mais en tout cas, c’est une des questions qui se posent. L'université de Compiègne travaille là-dessus depuis 30 ans. Le département de génie mécanique et de génie des systèmes mécaniques, ce sont des questions qui se sont posées depuis fort longtemps. Tout ça, c’est ce qu’il faut arriver à penser maintenant et qu’il faut intégrer. Et pour l'intégrer, pour intégrer un droit à la ville, c’est-à-dire un droit à œuvrer de manière urbaine dans la ville vraiment intelligente que nous visons, il faut lutter contre ce que j’ai appelé la smart city en m’appuyant sur la sarcellite. Mais pour ça, il faut avoir une compréhension de la cybernétique qui, en aucun cas, ne pourrait se satisfaire de ce qui est une sorte de pamphlet quand même contre la cybernétique de Norbert Wiener dans Vers le cybernanthrope. J 'y reviendrai au mois de mai. Alors maintenant je vais faire quelques rappels. Si on veut poser correctement la question de la ville, c’est-à-dire de l’urbanité, même si le mot urbanité apparaît récemment en réalité, c’est un point que souligne aussi Lefebvre, il faut comprendre que la ville c’est un lieu d’agencement d’un type spécifique, d’une configuration, d’une morphologie spécifique entre l'individuation psychique et l’individuation collective. C’est ce que j’avais essayé de montrer en commentant notamment Jean-Pierre Vernant. Et que cette articulation entre l’individuation psychique et l’individuation collective, qui va par exemple produire la politeia, au sens de la Grèce ancienne, eh bien elle passe par l’individuation technique. Ça, c’est ce que les grecs ne voient pas forcément. C’est ce que même Henri Lefebvre, à mon avis, ne voit pas du tout et qui est pourtant la question fondamentale. Parce que la rétention tertiaire hypomnésique, la façon de géométriquement construire la ville antique, par exemple, c’est lié à des techniques de construction, c’est lié à des techniques, à des mnémotechniques, etc. Et que donc, il faut penser la rétention tertiaire hypomnésique si on veut penser le devenir de la ville. Là, je ne fais que répéter et résumer les séminaires antérieurs. Donc voilà, ça c’est une inscription lapidaire typiquement grecque. Alors ça, c’est ce qui va constituer, en tant que processus d’individuation psychique et collective, ce qu’on appelle un droit de cité, c’est-à-dire le droit de faire partie de la cité qui n’est pas simplement un droit à la ville mais un droit à la citoyenneté. C’est aujourd’hui, évidemment, toujours un sujet très vif. Qui a le droit d’être déclaré citoyen ? Qui a le droit d’avoir des papiers, autrement dit ? C’est un sujet important à Plaine-Commune, où il y a beaucoup de sans-papiers et il y a 140 nationalités sur le territoire de Plaine-Commune. Je le dis juste en passant. D’autres rétentions tertiaires hypomnésiques existent bien avant la cité grecque. Ça, c’est une rétention tertiaire hypomnésique pour moi. Ce totem, je prends le mot totem au sens d’Émile Durkheim, il constitue un processus d’individuation psycho-collective que Durkheim croit pouvoir décrire au XIXe siècle comme le totémisme. C’est autre chose, ça n’est pas la cité grecque, ça n’est pas une ville d’ailleurs, c’est plutôt un village, ou un campement même, puisque les Indiens d’Amérique du Nord sont plutôt des nomades, pas tous, mais la plupart sont nomades, ils emmènent leur totem. Il y a un musée absolument formidable de Totem au Canada, tout au bout, je ne me souviens plus comment ça s’appelle cette grande et belle ville du Canada, à Vancouver, qui est absolument extraordinaire où on voit des équipements nomades d’indiens. Je dis ça juste pour vous dire que la rétention tertiaire hypomnésique n’apparaît pas tout à coup avec les grecs. Elle a toujours été là, au moins depuis le néolithique et probablement même le paléolithique supérieur. Depuis qu’il y a des grottes ornées, à mon avis, il y a déjà des rétentions tertiaires hypomnésiques qui constituent l’espace public. Enfin, l’espace public. Je dis une bêtise, ce n’est pas l’espace public, l’espace commun. Parce qu’il n’est pas public. Dans la société chamanique, il n’est justement pas public. Si on veut penser le droit de cité, le droit à la ville, il faut penser ce rapport et rétentions tertiaires hypomnésiques. Je voudrais souligner, juste en passant, que le droit de cité et le droit à la ville, c’est pas tout à fait la même chose, au sens où l’entend Henri Lefebvre, en tout cas, le droit à la ville, c’est pas tout à fait la même chose. Et je voudrais ajouter que, par exemple, le droit de cité chez les Grecs, dont on parlait avec Vernant, ça ne concerne que les nobles, en fait. Les nobles qui ont des esclaves et les métèques ne font pas partie des gens qui ont le droit de cité. Ils ont le droit d’être là, Enfin, je dis peut-être une bêtise, d’ailleurs. Ils n’ont pas le droit de la citoyenneté, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas le droit de prendre part au vote, mais ils ont le droit d’être là, donc ils ont un droit de cité. Quant à nous, nous, les habitants des métropoles du XXIe siècle, eh bien, nous sommes des prolétaires. Nous sommes des prolétaires, et c’est dans le contexte de la prolétarisation qu’Henri Lefebvre essaye de penser ce qu’il pense quand il parle, par exemple, de Sarcelles ou de ce qu’il appelle les villes nouvelles, la cité nouvelle. Mais en même temps, par rapport à ce que dit Henri Lefebvre, nous nous vivons, je crois, c’est une thèse un peu polémique que porte Ars Industrialis aussi, le temps du déclin du prolétariat. Je le dis un petit peu au sens où André Gorz avait écrit un livre qui a pour titre Adieu au prolétariat. Quand je dis le déclin du prolétariat, ça ne veut pas du tout dire que le prolétariat disparaît, tout au contraire, ce que je soutiens moi, c’est que nous sommes tous prolétarisés, de plus en plus. Mais par contre, le prolétariat et la prolétarisation n’est absolument pas une puissance de transformation, n’est pas une puissance d’individuation, c’est un état de désindividuation généralisée, qui produit quoi ? De la réaction, du ressentiment. Et par exemple, la montée des extrêmes droites partout dans le monde. La dernière en date, c’est l’Italie. Mais bientôt, ce sera d’autres pays. Et avant, il y en a eu bien d’autres. Et malheureusement, toute l’Europe est exposée à cela, de près ou de loin, y compris par Brexit, etc. Ce qui n’est pas tout à fait l’extrême droite, mais ce qui, bien entendu, vous avez bien compris, a une forme de nationalisme un peu archaïsante. Je dis une forme de nationalisme un peu archaïsante parce que je ne dis pas ça contre la nation, ce que je suis en train de dire là. Moi, je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut repenser la nation tout à fait différemment. Et on en reparlera dans la toute fin du séminaire qui est consacrée à ce que j’ai appelé la remondialisation. Je pense que la remondialisation passe par la revitalisation des nations, mais pas par le nationalisme. Les nations, pour moi, ce sont des niveaux de la localité. Alors, nous, nous sommes confrontés à de nouveaux automatismes qui sont les automatismes qui remplacent les prolétaires, c’est pour ça que le déclin du prolétariat est à mon avis inéluctable et qui constitue la Smart City en tant que telle aujourd’hui, à savoir comme plateforme https://www.flickr.com/photos/66227526@N00/↩︎. Car la ville, qu’on appelle Smart City, c’est ce qui tend à se transformer en plateforme c’est-à-dire à s'homogénéiser sur le capitalisme des plateformes et à faire qu’il y ait une interface, bon ça c’est une interface de plateforme, sur cet ordinateur je peux me brancher sur Amazon ou sur Google ou sur n 'importe quoi, ou sur Facebook, mais il y a une conception de la ville comme une méta-plateforme où les habitants se brancheraient ensemble sur les grandes plateformes et tout ça, ça forme un nouveau tissu urbain au sens où là, il faut rentrer dans le détail du tissu urbain. Je vous remontre cette page https://www.cerib.com/rapport/341-e-beton-interactif-capteurs-puces/↩︎ qu’on trouve sur le web qui nécessiterait des approfondissements. Béton interactif, capteur et puce RFID, de nouvelles technologies pour des produits en béton à plus forte valeur ajoutée. Rapport de veille, c’est un rapport qui a été fait par un consortium d’industriels du bâtiment. Le nouveau tissu urbain, il passe par là. Tisser, si on tisse, il faut des fils, des instruments de tricot ou de tissage, etc. Est-ce que ça permet le tissu urbain au sens où en parle Henri Lefebvre ? On va voir comment il en parle. Ce que je voudrais qu’on arrive à comprendre ici, peut-être pas dans le séminaire, mais dans le programme Territoire apprenant contributif, c’est à quelles conditions c’est effectivement possible de tisser un nouveau tissu urbain avec ce genre de choses, par exemple. Et ici, il faudrait, si on avait le temps, je ne l’ai pas donc je ne fais qu’évoquer, Il faudrait montrer que ce tissu qui résulte d’un tissage est constitué par un système des objets, un nouveau système des objets. Je vous signale en passant que Henri Lefebvre emploie le mot système des objets, il le met entre guillemets. Pourquoi ? Parce qu’il cite Jean Baudrillard, qui venait de publier Le système des objets. Voilà, Jean Baudrillard qui va devenir connu à travers ça, à travers ce livre, Le Système des Objets, qui commence par une citation de qui ? De Gilbert Simondon. Et qui parle de transduction, etc. Il y a eu une époque, dans les années 60, où il se passait des choses du côté de Baudrillard, entre Baudrillard, Simondon et Lefebvre en particulier et aussi les situationnistes où on se posait des questions importantes, mais qu’on a perdu de vue en route, à mon avis et qui ont fait aussi évoluer Baudrillard dans un sens un peu spécial, qui peut-être, moi en tout cas, je trouve beaucoup moins intéressant que, par exemple, quand il écrit Le système des objets. La question pour nous, c’est de savoir comment tisser de l’urbanité avec le système des objets aujourd’hui, qui constitue ce qu’on appelle parfois The Internet of Things. On avait fait un colloque, c’était le deuxième ou le troisième colloque de l’IRI, au Centre Pompidou, à ce sujet. L’Internet des choses, des objets, Internet of Things, qui sont aussi bien automobiles, panneaux de coUn "panneau de co" est un terme informel pour désigner le panneau de configuration, une interface qui permet de gérer les paramètres et les contrôles d'un système d'exploitation, d'un appareil ou d'un logiciel. Il donne accès à des réglages comme les options d'affichage, les paramètres réseau, la gestion des périphériques et des programmes. ↩︎, tout ce qu’on veut en fait, puces RFID dans les parpaings en béton, etc. Tout ça avec des algorithmes, donc avec une ingénierie à savoir, une compréhension des enjeux de l’algorithmique, les Open data, donc comment on ouvre ça, ces données aux citoyens, aux habitants, aux entreprises, etc. Comment, à quelles conditions ? Et tout ça, il y aurait beaucoup d’autres choses à dire, je ne fais qu’évoquer, c’est juste pour vous évoquer les stratifications du nouveau tissu urbain. Tout ça dans les plateformes. Et là, il faudrait lire Benjamin Bratton, The Stack Tout ça dans un contexte qui serait l’économie contributive. Je redis, l’économie contributive, c’est l’économie de l’œuvrer. Contribuer, ça veut dire œuvrer, au sens où en parle, je crois, Henri Lefebvre. Et qui est fondé sur un nouveau système des valeurs. C’est aussi une expression d’Henri Lefebvre, système des valeurs. Mais ce système des valeurs dont je parle, ce n’est pas celui d’Henri Lefebvre, c’est celui de la lutte contre l’anthropocène, c’est-à-dire de l’homme soigneux. L’économie du nouveau tissu urbain, c’est-à-dire d’un tissu qui est capable de durer, œuvrer, c’est-à-dire durer, qui lutte contre l’usure, pas inusable, parce que rien n’est inusable, comme dit Maurice Blanchot, tout s 'effacera, tout était pris dans l’entropie, mais il y a des choses qui vont durer très longtemps, qui vont produire des différances avec un a, comme dit Derrida, moi j’appelle ça de l’anti-anthropie, depuis que j’ai lu les travaux de Maël, avec un a et un h, anthropie, et ça c’est ce qui procède de l'être soigneux. C’est pour ça qu’on a créé un atelier soin et qu’on développe toute une réflexion sur le soin, avec Maël aussi d’ailleurs et Anne Alombert ici présente et un certain nombre d’autres, sur le territoire de Plaine Commune. Le droit à la ville qui est revendiqué par Henri Lefebvre en 1967, mais aujourd’hui aussi par Patrick Braouezec, Président de Plaine Commune, etc., restera tout à fait formel et là j’emploie le mot formel à dessein, quand vous savez bien que Marx dit que le droit de la bourgeoisie est un droit formel, parce qu’il ne correspond absolument pas à la réalité économique, ce droit revendiqué par Plaine Commune restera totalement formel s'il ne devient pas un droit de tissage, un droit d’œuvrer, c’est-à-dire un droit de contribuer à quoi faire ? A faire se développer le tissu urbain, la ville en tant que telle et à vouloir et produire une nouvelle croissance, ce que j’appelle une véritable croissance. Je me réfère ici à un bouquin qu’on avait publié avec Christian Fauré et Alain Giffard qui s’appelait, pour une... Je ne me souviens plus... Pour en finir avec la mécroissance, merci. Une croissance qui ne serait pas la mécroissance. Ce qu’on nous présente comme la croissance aujourd’hui, c’est une mécroissance, puisque c’est une croissance négative. C’est une croissance qui s’autodétruit, donc qui s'use, qui s’épuise même dans la valeur d’échange, etc. Donc, ce n’est pas du tout une croissance. Il faut repenser la croissance et ça, il faut le faire avec les Grecs, physis, ça veut dire croissance en grec. Au départ, les Grecs pensent la physis comme une croissance. Bon, ça, c’est une petite... Enfin, ce n’est pas si petit que ça, parce qu’à l’époque de l’anthropocène, c’est une question qui se repose totalement. Qu’est-ce que c’est que la physis dans l’anthropocène de la biosphère ? Voilà. C’est ça, la question. Alors, le droit à l'œuvre, le droit à œuvrer, le droit à tisser, c’est la possibilité de constituer une ville désirable. Une ville désirable au sens où en parle Henri Lefebvre ici. C’est là qu’il emploie les mots système des objets, système de valeurs, tissu urbain, société urbaine et écosystème. Il faudra qu’on relise tout cela. Pas maintenant. Quand je dis qu’il faudra qu’on le relise, c’est dans les travaux de la chère recherche contributive et pour en faire un objet de négociation et de contractualisation. Je pense qu’il faut qu’on se mette bien d’accord sur ce qu’on appelle le droit à la ville, l’urbanité numérique comme droit à la ville, c’est le titre du programme territoire d’innovation de grande ambition que nous sommes en train de négocier avec la Caisse des dépôts et notre partenaire Rêve de scènes urbaines. Il faut qu’on arrive à mettre bien noir sur blanc ce qu’on entend par là, le droit à la ville dans l’urbanité numérique. Et ça suppose de préciser tous ces termes-là, système des objets, système de valeurs, etc. C’est ce que nous sommes en train de faire dans les ateliers, pas les ateliers, les groupes de rédaction des fiches-actions, comme on les appelle du programme TIGA. La ville et ce tissage n’est pas un simple besoin social, dit ici Henri Lefebvre. C’est la première page du livre. Il dit ça n’est pas simplement... Non, je vous dis une bêtise, ce n’est pas la première page du livre. C’est l’une des dernières pages du livre. C’est la première page du dernier chapitre qui s’appelle le droit à la ville, du chapitre 7. Il dit, il en avait déjà parlé avant dans le début du livre, il y a des besoins sociaux, il y a des besoins vitaux, il y a des... Mais il y a un besoin, qui est le besoin d’activité créatrice d'œuvre. Il dit c’est ça le besoin fondamental. Et c’est ça que doit garantir le droit à la ville. Ce n’est pas seulement de répondre aux besoins vitaux, de répondre aux besoins sociaux, par exemple, du fonctionnement social de la ville, etc. C’est fondamentalement de satisfaire le besoin d'œuvre. C’est intéressant, ça. Qu’est-ce que ça veut dire, besoin d'œuvre ? On verra, quand on lira au mois de mai Vers le cybernanthrope, qu’il n’est pas très clair là -dessus. Pourquoi ? Parce qu’il va rapporter ça au désir, un sujet qu’il a traité aussi dans la Critique de la vie quotidienne. Et dans ce rapport au désir qu’il va faire, il va sortir la psychanalyse. Et je pense que c’est là où on va s’apercevoir qu’il y a un petit problème. Enfin, il y a deux gros problèmes pour moi quand on veut mobiliser Henri Lefebvre. Il faut le faire, je pense que c’est très important parce que je pense qu’Henri Lefebvre est un très grand contributeur de nos questions, mais il y a deux limites. La force, la puissance du négatif du prolétariat, ça ne marche pas. Et il confond d’ailleurs prolétariat et classe ouvrière, vous allez le voir. Et deuxièmement, il ne comprend rien à la psychanalyse. Il y a un troisième point, comme je vous le disais tout à l’heure, c’est qu’il ne comprend pas Wiener non plus. Quand je dis qu’il ne comprend pas Wiener, je ne suis pas en train de dire qu’il faut être d’accord avec Wiener et en désaccord avec Henri Lefebvre. Ce que je veux dire, c’est que les critiques que fait Lefebvre de Wiener, ne sont pas toujours pertinentes. Je pense qu’il faut faire des critiques de Wiener, mais il ne fait pas les bonnes critiques de Wiener. Si on veut critiquer la smart city en particulier, il faut faire des critiques très pertinentes de la cybernétique. Je pense que celles de Lefebvre ne sont pas toujours pertinentes. Quoi qu’il en soit, il dit qu’il y a un besoin d’activité créatrice, un besoin d'œuvre, c’est très intéressant, ça renvoie à une théorie du désir qu’il soutient mais que je crois qu’il ne soutient pas très bien. Et si on en avait eu le temps, je le dis juste pour ouvrir peut-être un élément de discussion ou des travaux futurs ou peut-être rien du tout, je voudrais parler du besoin de la raison dont parle Kant. Parce que chez Kant, il y a quelque chose de très important, c’est que la raison, c’est ce qui a besoin de la raison. La raison se définit par le fait qu’elle a besoin d’elle-même. Et ça, ça m’intéresse énormément. Parce que ça renvoie à une question dont on a parlé avec Maël hier, d’ailleurs, dans un entretien qui sera publié, je ne sais pas bien quand, à propos de la possibilité et que je rapportais... Maël, je résume ce que tu dis. Maël se réfère à un texte de Bergson dans La Pensée et le Mouvant, où Bergson dit que la symphonie écrite par le compositeur n’existe pas comme possibilité avant d’exister. Sa possibilité, c’est le fait de l’écrire. Il y a des préconditions de ça, mais ce sont... possibilité n’est pas là avant, tant qu’elle ne s 'est pas réalisée. Il y a quelque chose d’absolument nouveau qui apparaît dans cette réalisation. Ça, pour moi, c’est du performatif au sens très fort, mais ça renvoie aussi à la quasi-causalité. On a beaucoup parlé de quasi-causalité hier. C’est pour ça que j’insiste sur ce point. Le besoin d 'œuvre, je pense que c’est un besoin de quasi-causalité tout comme je crois que le besoin de la raison qui constitue la raison comme raison, la raison n’est que son propre besoin, c’est aussi quelque chose de quasi-causal. C’est évidemment pas du tout ce que dit Emmanuel Kant. Je le dis, c’est une interprétation de Kant au XXIe siècle et qui n’est pas du tout kantienne. Alors, cela étant, penser le besoin d’œuvrer, le besoin d’activité créatrice, d'œuvre, ça suppose, je crois, de dépasser ce que dit aussi Lefebvre ici, à savoir l’idée que c’est la classe ouvrière qui est l’enjeu ici. Je dis ça parce que, non pas du tout que j’ai quelque chose contre la classe ouvrière, mais je répète ce que j’ai déjà dit tout à l’heure, je pense que pour Lefebvre, classe ouvrière et prolétariat, c’est la même chose, tout à fait équivalent. Et je pense que c’est une grave erreur, c’est pas du tout ce que disent Marx et Engels, en tout cas dans leurs premiers écrits et je pense que précisément nous, nous avons à penser aujourd’hui, si nous voulons lire Henri Lefebvre aujourd’hui et Le droit à la ville et le mettre en œuvre, œuvrer avec Henri Lefebvre, eh bien il nous faut dépasser cette notion de la classe ouvrière, il nous faut repenser ce que veut dire classe ouvrière. Je le dis pour une raison très précise, c’est que ce qu’on essaye de faire à Plaine-Commune, lorsque nous disons qu’il faut reconstituer du compagnonnage, nous essayons de réinventer une classe ouvrière. Ça m'est apparu en préparant ce séminaire. Jusqu’à maintenant, je n’avais pas du tout pensé ça. Mais en lisant Lefebvre, je me suis dit que ce qu’on essaye de faire, c’est de réinventer une classe ouvrière en fait. Et en effet, quand on dit par exemple, avec les cobotiseurs dans la métallurgie, on réfléchit à des formes d’activités, de métiers, qui sont des gens qui savent travailler avec des cohortes de cobots. Les cobots sont des modules automatisés qu’on fait travailler ensemble et qu’il faut éduquer. Il y a donc des maîtres cobotiseurs. Et nous disons, c’est une discussion qu’on avait eue avec des gens de Peugeot-Citroën, Direction de la prospective, ces maîtres cobotiseurs sont des instructeurs de cobots et ils viennent faire des missions dans des activités industrielles courtes. Et ils sont le reste du temps en formation soutenue par un revenu contributif, ce sont des gens qui sont en perpétuelle réactivation de leur savoir. Ce sont des ouvriers au sens strict. Ils œuvrent, ils ouvrent. Et la même chose, la même discussion se tient parfois avec un ingénieur de Vinci sur les nouveaux métiers de la construction à l’époque, justement de ce qui conduit au parpaing RFID, etc. là où il y a beaucoup de robotisation, où en fait c’est une nouvelle conception de la construction et pas simplement de la construction, mais de la programmation urbaine, etc. qui va s 'emparer de toutes ces technologies de grammatisation pour faire émerger de nouveaux métiers et qui ne sont plus des métiers fondamentalement de salariés, ce n’est pas non plus des entrepreneurs, auto -entrepreneurs, ou profession de consulting, etc. non, ce sont des gens qui bénéficient d’un revenu contributif. Ce sont des intermittents du bâtiment, de la métallurgie, de l’alimentation, du soin, etc. Ce sont tous des ouvriers. Pourquoi ? Parce qu’ils œuvrent. Alors, comme vous le voyez, nous nous attaquons à des sujets compliqués. Et ce sont ces sujets dont je crois que... Alors qu’est-ce que c’est qui fait qu'un ouvrier œuvre ? C’est qu’il produit de l’anti-anthropie. Ce qui distingue un prolétaire d’un ouvrier dans ce sens -là, c’est que le prolétaire, il produit de l’anthropie, avec un a et un h Anthropogenic forcing. Je le dis parce que, voilà, anthropie avec un a et un h, les gens ne comprennent pas très bien. Mais quand on entend Anthropogenic forcing, on comprend beaucoup mieux parce que là, le GIEC décrit très précisément l’augmentation de l’entropie. Et donc, l’ouvrier, c’est celui qui produit de la néguentropie. On pourrait dire de la différance avec un a parce que la néguentropie, c’est de la différance avec un a, au sens de Derrida. Différer dans le temps et en produisant de la... Alors, ce n’est pas de la biodiversité, c’est ce que j’appelle de la noodiversité. La noodiversification qui produit quoi ? Des œuvres. Les œuvres sont singulières, elles ne sont pas standards. C’est ça qui fait qu'une œuvre est une œuvre. Et par exemple, si vous disiez ce que dit... Gilbert Simondon, sur le passage de la production sur mesure à la production industrielle, c’est le passage d’une production chaque fois singulière à une production totalement standard. Mais là, vous apercevez aussi que je suis en train de dire quelque chose qui est en désaccord avec Simondon. Parce que Simondon dit, dans Du mode d’existence des objets techniques, ce devenir qu’il appelle la concrétisation industrielle de l’objet, et qui va vers une forme toujours plus standardisée, lui, il le pose comme étant l’avenir de l’industrie et moi, je ne suis pas du tout d’accord. Je ne suis absolument pas d’accord, parce que ça, ça conduit à l’anthropocène précisément. Simondon ne voit pas le problème du pharmakon, il ne voit pas venir le problème de l’anthropocène, il ne voit rien. Il y a des gens qui le voient, André Leroi-Gourhan par exemple, à la même époque. Donc il y a... Georges Canguilhem aussi anticipe ce genre de problème. Donc il y a quand même, ce n’est pas simplement une impossibilité de penser à l’époque. Il y a des gens qui pensent ça à l’époque déjà. Je ne parle pas de Günther Anders et d’un certain nombre d’autres. Donc voilà, je pense qu’il y a aussi une critique à faire de tout cet héritage, qui pour moi est fondamental. Je me sens un héritier, un fils de Simondon, mais en même temps, on ne peut pas se contenter de répéter Simondon. Il y a des limites. Et ces limites, il faut les identifier, en particulier du côté de ce qu’on pourrait appeler un design territorial, c’est absolument fondamental. Alors, tant qu’on n’arrivera pas à thématiser ces questions de manière véritablement claire, compréhensible, par exemple par les habitants de Plaines Commune, on ne parviendra pas non plus à combattre ce qui était un des titres de Mediapart la semaine dernière, La post-vérité, tombeau incertain des démocraties 3 mars 2018↩︎, qui faisait référence à un colloque qui s'est tenu tout récemment à l’initiative de Rosanvallon. Je ne suis pas allé au colloque, mais j’ai lu les comptes rendus, les recensions. Je pense qu’ils ont tout faux. Ils n’ont rien compris. Ils n’ont rien vu. Ils ne voient pas du tout qu’en fait, ce qu’on appelle post-démocratie, post-vérité, etc., ce sont des grandes questions d’économie, en fait. Pas seulement d’économie, d’ontologie, d’épistémologie, etc., mais qui se traduisent dans la vie quotidienne des gens d’une manière extrêmement... Et que, par exemple, on n’arrête pas de parler de la puissance du prolétariat ou je ne sais pas quoi, mais c’est du bidon, les gens savent très bien que c’est faux, que c’est de la pure rhétorique, c’est de la posture, comme on dit aujourd’hui, voilà, et que ça ne correspond à rien du tout. Tant qu’on n’arrivera pas à véritablement reprendre ces propositions que faisait, par exemple, Henri Lefebvre en 1967, mais en les critiquant, ce qui est la seule manière de lire un livre de philosophie, il faut les critiquer, eh bien on produira de la désespérance. Ça, si je le dis, c’est parce que ça nous ramène aussi aux questions de la polis grecque dans son rapport à la vérité. Et je redis que voilà, la polis grecque c’est ce qui constitue un processus d’individuation psychique et collective basé sur l’aléthéia comme épreuve de la vérité, dont le canon est la géométrie c’est-à-dire la démonstration apodictique, c’est très important, et le critère, ça n’est plus la divination comme chez les Égyptiens, ça n’est plus les pratiques chamaniques comme dans le modèle totémique dont je parlais tout à l’heure, c’est la géométrie. Et Thalès, premier fondateur, enfin, pas un des premiers fondateurs, un des sages, comme on les appelle, fondateur de cités, nomothète, voilà, c’est un géomètre. Et tous sont géomètres. C’est ce que rappelle Platon, lorsqu’il dit, nul n’entre ici s’il n’est géomètre. C’est une évidence pour tous les Grecs. Si on ne fait pas de géométrie, on ne comprend rien à la citoyenneté grecque. Mais d’autre part, ça renvoie à la cosmologie et pas simplement à la géométrie. Et c’est ce que rappelle Jean-Pierre Vernant. Jean-Pierre Vernant, il dit, voilà, tous ces... Ces nomothètes, ce sont aussi des physiologues. Et ces physiologues, de quoi est-ce qu’ils parlent ? du cosmos ? Par exemple, ils distinguent la sphère des fixes, le monde sublunaire, etc. Et il y a des lieux. C’est une théorie des lieux. Pourquoi est-ce que j'y insiste ? C’est parce que je dis que, premièrement, nous sommes confrontés avec les technologies de scalabilité, à des changements d’échelle et ces changements d’échelle, il faut les réinscrire comme échelles différentes et comme topoï différents, c’est-à-dire comme impossibilité de réduire une échelle à l’autre, non-solubilité. On ne peut pas dissoudre, par exemple, le vivant dans la physique. On ne peut pas non plus dissoudre la ville dans la biologie. etc. Donc on a à reconstituer des topologies ou des topoï, des topi, j’appellerais des sphères cosmiques moi et aujourd’hui ça se joue, ça, à travers ces technologies de scalabilité que sont les plateformes. Donc là je fais juste un rappel pour faire le lien avec ce qu’on avait étudié beaucoup plus précisément l’année dernière. Et évidemment, tout ça n’est possible que parce que nous avons une nouvelle grammatisation. Une nouvelle grammatisation qui produit ce que, par exemple, Antoinette Rouvroy appelle la gouvernementalité algorithmique. Et donc, tout ce que nous sommes en train de dire là, c’est de donner à la gouvernementalité algorithmique un contenu avec des perspectives de surmonter le modèle actuel de la gouvernementalité algorithmique, mais non pas de la rejeter. Parce qu’on ne peut pas la rejeter. On en a besoin, de toute façon. Maintenant, si on revient à ce que disait Lefebvre sur la ville comme œuvre, la cité grecque, comme politeia, c’est une œuvre de vérité, de ce que d’ailleurs Détienne et Vernant appellent des maîtres de vérité et qui constitue ce que Foucault appelle des régimes de vérité. Comment ce régime de vérité se constitue à l’époque de la cité grecque ? Comme une individuation collective qui est basée sur une conjugaison de la géométrie, du droit et du cosmos à travers la rétention tertiaire hypomnésique littérale. Qu’est-ce que nous devons combiner, nous ? Quelle combinaison devons-nous faire ? Eh bien, avec quoi d’abord est-ce que nous devons faire une combinaison ? Cette combinaison étant une articulation d’échelles cosmiques. Je dis d’échelles cosmiques parce que le problème que pose le GIEC, quand il dit dans 30 ans, en 2014, dans 30 ans c’est trop tard, c’est un problème d’articulation d’échelles cosmiques, c’est-à-dire comment est-ce qu’on protège l’échelle biosphérique dans le cosmos ? C’est une question cosmique. Ce n’est pas simplement une question du rapport de, je ne sais pas, la ville de Saint-Denis à la ville de Paris, de la ville de Paris à la nation française, de la nation française à l’Union européenne. Ça ce sont des problèmes administratifs. Mais c’est un problème de la localité de Saint-Denis dans la biosphère, laquelle biosphère est elle-même en relation avec le système solaire, le rayonnement solaire, etc. Donc dans un système solaire, un système stellaire. Et il faut réinscrire tout ça. Il faut repenser l’économie, par exemple, par rapport à cette situation, par rapport au soleil. C’est absolument fondamental. C’est ce que disait déjà Georges Bataille en 1949 ou 47, je ne me souviens plus, dans La part maudite. Donc ce ne sont pas des questions tout à fait nouvelles. Georges Bataille, je vous l’avais déjà dit, je crois d’ailleurs, c’est celui qui m’a fait découvrir Vernadsky. C’est le premier que j’ai vu à citer Vernadsky. Quelle est la combinaison aujourd’hui, la conjugaison que nous avons à faire ? Ce n’est pas géométrie, droit et cosmos à travers la rétention tertiaire littérale. C’est la combinaison : droit, nouvelle cosmologie, nouvelle géoéconomie, Ce que les Grecs ne traitaient jamais, ils s'en moquaient éperdument, c’est l’économie. Ça ne faisait pas du tout partie de la combinaison, c’était les esclaves et les métèques. Ils n’en avaient absolument rien à faire. Nous, au contraire, on doit repenser, après Karl Marx, l’économie comme étant ce qui n’est pas un droit formel, mais un droit réel, ce que Marx appelait un droit réel. Le droit réel, c’est le droit à œuvrer réellement avec quoi ? Avec les rétentions tertiaires hypomnésiques urbaines qui apparaissent, les pucés RFID, les technologies de modélisation, de gestion, de l’information, des composants urbains, etc. Et tout ça, ça doit nous conduire à réélaborer une géopolitique. Cette géopolitique, c’est une géopolitique de la remondialisation. Pour négocier un contrat avec les différentes localités, dans les grandes régions de la biosphère, je prends le mot région ici au sens de la géopolitique, c’est-à-dire les continents en fait, généralement plutôt les continents, l’Amérique, l’Europe, l’Asie, l’Afrique, etc. Nous avons à renégocier une combinaison entre droit, cosmologie, géoéconomie et géopolitique à travers ces rétentions tertiaires hypomnésiques, urbaines, y compris quand on est en pleine campagne. Ça c’est un point que je ne vais pas développer non plus, mais je le dis juste en passant. Pas mal d’entre vous connaissent Epineuil et savent que je m'y suis beaucoup investi. D’ailleurs, je viens de recevoir une lettre de Bonneau qui me demande de revenir discuter du numérique au centre. Peut-être que tu pourrais y aller parce que tu es pas mal par là-bas maintenant. Bonneau, c’est le président de la région Centre-Val de Loire. J'étais allé là -bas, moi, pour dire vous allez urbaniser le rural. Il n'y a pas le truc... l’opposition ville-campagne, ça ne veut pas dire urbain-rural. Vous pouvez urbaniser le rural. Urbaniser, ça veut simplement dire civiliser, tout simplement. Et donc, avec les liaisons de fibres optiques et toutes ces choses -là, il y a des possibilités de réinvestissement des territoires extrêmement importantes. Et si je dis ça, c’est parce que, personnellement, je ne crois pas du tout que 7 milliards de la population de la biosphère dans 30 ans, puisqu’on nous dit que dans 30 ans nous serons 10 milliards, je ne crois pas du tout que 7 milliards vivront dans des grandes villes. Je pense que c’est absolument impossible. Je pense que c’est insoutenable, qu’il y a des problèmes de changement d’échelle tels que le truc s'effondre. Et donc je pense qu’il va falloir réaménager les zones rurales et faire une nouvelle urbanité qui n’est pas la rurbanité, mais une urbanité qui est un nouveau tissu urbain extensif. Et tout comme on commence à revisiter l’agriculture extensive, par exemple, je pense qu’il faudrait revisiter l’urbanité extensive. Je pense que c’est extrêmement important. En Chine, par exemple, c’est absolument essentiel. Et je pense que tous ces urbanistes qui nous parlent des 70 % de la population dans les villes, ce sont des gens qui ne réfléchissent pas, qui ne réfléchissent pas à la faisabilité des choses. Ce n’est pas faisable. Pour des raisons toutes simples, l’acheminement de flottes, etc. Ce n’est pas faisable. Il faut redistribuer la population planétaire sur les territoires de l’ensemble de la biosphère qui sont vivables. Ils ne le sont pas tous, bien entendu.
Juste un rappel, excusez -moi, je suis toujours dans les rappels. Tout ça, ce sont des considérations qui n’ont de sens que du point de vue exosomatique. Je disais tout à l’heure, je ne sais plus très bien, à l’IRIS, à l’institut de Recherche Stratégique qu’il faut relire Machiavel, Hobbes, Montesquieu, tous ces gens-là, du point de vue exosomatique, qu’ils ne voyaient pas. Ils ne le voyaient pas parce qu’il était tout à fait invisible pour eux, puisque les organes exosomatiques, ils ne les voyaient pas évoluer, donc ils ne les voyaient pas comme exosomatiques. Mais aujourd’hui, nous, nous les voyons, et non seulement nous les voyons, mais c’est un énorme problème, y compris d’épuisement des métaux rares, de pollution atmosphérique, etc., etc. Vous connaissez bien tout ça. C’est des questions qui sont absolument inconcevables, pour Hobbes, par exemple, inconcevables. Nous nous sommes confrontés à ça et il faut aborder ça du point de vue exosomatique faute de quoi on ne pourra pas du tout apporter de réponses rationnelles. Pourquoi ? Parce que l’apparition des plateformes, c’est un nouveau stade de l’exosomatisation. Tant qu’on n’aura pas compris en quoi ce stade de l’exosomatisation est nouveau, on ne pourra pas aborder ces questions du point de vue exosomatique, on ne pourra pas traiter ces questions. C’est ce qui m’amène, c’est pour ça que ce séminaire s’appelle Exorganologie 1, c’est ce qui m’amène à la proposition de développer ce que j’appelle une exorganologie urbaine. Et dans l’exorganologie, une question qui se pose, c’est de déterminer les constantes. Quelles sont les constantes du champ de recherche appelé exorganologie urbaine ? Ça veut dire qu’est-ce qui est définitoire de ce qu’on appelle ici l’urbain. C’est ça que ça veut dire. Il y a des constants. Et je pense que Lefebvre en indique un certain nombre. Par exemple, et en premier lieu, œuvrer. Il dit un tissu urbain, ça œuvre. Ça ne tient, ça n’est tissé, ça n’est tenu comme tissu que si ça œuvre et si c’est une œuvre, s’il y a des œuvres. Il ajoute, il faut un sentiment d’appartenance. Pour ça, c’est très classique. Tout le monde le sait d’une certaine manière, de manière intuitive. Mais en même temps, c’est quand même important de le dire et de l’analyser. Je ne vais pas le faire, lui-même ne le fait pas mais c’est précisément ce que j’appelle l’individuation collective. C’est ce que Simondon appelle l’individuation collective. L’individuation collective ne peut pas se produire s’il n 'y a pas de sentiment d’appartenance. Ce qui est le nom, je dirais, sociologique de ce qu’Aristote appelait la philia. Donc l’individuation urbaine, pardon, l’exorganologie urbaine, c’est ce qui doit aussi être capable de produire de la philia. Le tissu urbain, ce n’est pas simplement des parpaings, ce n’est pas simplement des rétentions tertiaires hypomnésiques ou je ne sais quoi, c’est aussi de la philia. Je compte faire un séminaire, je ne sais pas très bien quand, sur ce que c’est que la philia aujourd’hui donc peut-être qu’on y reviendra. Et je pense qu’il y a des philia de différents types, il y a des philia urbaines justement, des philia de toutes sortes. D’autre part, une constante des exorganismes urbains, c’est qu’il s’y passe des procédures de circulation et d’échange avec d’autres exorganismes semblables. Par exemple, je ne sais pas, Paris échange avec Londres ou avec New York via le Stock Exchange de New York, Wall Street, le Palais de la Bourse à Paris, etc. Et échanges via, je ne sais pas, Durham à travers l’université de Durham d’une part et l’RI d’autre part à Paris. Voilà, ce sont des lieux d’échanges. Ce sont des choses pour lesquelles je voulais que nous lisions Fernand Braudel et puis finalement, on n’aura pas le temps. Mais je vous recommande d’aller voir un peu ce que dit Braudel sur les échanges, sur les conditions de l’échange. C’est le grand objet de Braudel, l’échange. Il a une approche des villes, justement, un peu différente, même très différente de celle d’Henri Lefebvre donc à mon avis, il faut regarder parce qu’elle est très complémentaire. Il y a par ailleurs des métabolismes dans ces processus d’exorganologie urbaine, des métabolismes internes, plus ou moins anticipés, voulus, contrôlés ou au contraire subis. Par exemple, celui -là, ça c’est subi, c’est subi par les représentants des organismes qui disent mais qu’est-ce que c’est que ce bordel, ce parking qui est devenu un dépotoir. Ça c’est ce qu’on appelle un garage de rue, c’est de la mécanique de rue. Et alors ça c’est de la mécanique de rue assez bordélique en effet, il y en a qui sont un peu moins bordéliques que ça, mais j’ai choisi le plus bordélique que j’ai trouvé parce qu’il faut savoir que par exemple à la Courneuve, les habitants qui ne sont pas des mécaniciens de rue, qui ont des papiers, etc. disent, foutez-nous ça en tôle et débarrassez-nous de tout ce merdier. Où il y a de l’huile de vidange partout, c’est pollué, et c’est un problème. C’est un très gros problème. Nous, nous pensons que ces métabolismes qui ne sont pas voulus, mais qui sont produits, ont un très grand intérêt, comme le dit aussi ce sociologue. Qui, lui, a travaillé à Roubaix, également sur la mécanique de rue. Je pense qu’il faudra qu’on le rencontre dans le territoire apprenant contributif de pleine commune parce qu’il a fait des travaux là déjà depuis un bon moment. Il appartient à un collectif qui s’appelle Rosa Bonheur. Je pense qu’il faudrait aller regarder puisqu’il a travaillé en particulier sur la mécanique de rue. Il s’appelle Calderon. En fait, je donne cet exemple de la mécanique de rue, des métabolismes non désirés, enfin non voulus par les représentants, mais il y en a en permanence. Il y a des métabolismes, par exemple, en Italie, ça s’appelle la mafia. C’est extrêmement important, dans certaines parties de l’Italie en particulier. Il n'y en a pas qu’en Italie. Je dis mafia en Italie parce que c’est très connu, mais il y en a aussi en France. Il y en a en fait dans très nombreux pays. Et ce sont des métabolismes qui ne sont pas voulus. Moi, j’ai connu des gens qui disaient, mais peut-être qu’il faut reprendre des idées de la mafia. Ça s'est dit y compris chez des gens de gauche ou plus ou moins, voilà. J’ai toujours été très dubitatif, moi, sur ce genre de choses, mais pourquoi est-ce qu’on a pu dire ce genre de choses ? C’est parce qu’il y a des dynamismes, voilà, qui se produisent, des nouvelles formes de solidarité. C’est une solidarité par le meurtre, par le crime, c’est-à-dire, voilà, si on ne respecte pas la solidarité, on est assassiné, tout simplement. Mais ce que je veux dire par là, c’est que là, je ne suis pas en train de parler au sens de... la solidarité au sens de Hobbes ou de je ne sais pas quoi, mais de la réalité actuelle que nous connaissons et qui, en intégrant l’économie, intègre toutes ces questions-là. Hobbes s'en foutait de l’économie, lui, autant que les Grecs. Enfin, peut-être pas tout à fait mais presque. Nous, nous ne nous en foutons pas du tout, parce que nous sommes après Marx et après le capitalisme industriel et c’est l’économie aujourd’hui qui constitue le pouvoir, ce n’est pas la représentation symbolico-politique.
Bon, enfin, il y a dans tous les processus d’exorganologie urbaine des processus de grammatisation, c’est pour ça que je vous ai montré un totem, une écriture lapidaire ou des systèmes algorithmiques. Et enfin, il y a aussi des institutions de formation aux conditions de l’habiter. Et il y a toujours de telles institutions. Le chaman, par exemple, est une telle institution. Le chaman a un rôle extrêmement important pour ordonner les processus initiatiques ce qui construit la solidarité organique de cette tribu soit de guerriers, soit de chasseurs, soit de je ne sais pas quoi. Et ça ne peut pas marcher, parce que s’il n 'y a pas ce processus-là, les chasseurs ne vont pas arriver à chasser, les chasseurs travaillent en coopération, ils travaillent ensemble pour chasser, les guerriers encore plus. Et c’est pareil dans les usines. Il faut que le contremaître, les ouvriers, le technicien, le machin, ça marche ensemble. Il y a des problèmes de solidarité organique qui à chaque fois se transforment. Donc il y a une exorganologie des solidarités organiques à faire. C’est exactement ce que ne voit pas Émile Durkheim. Je dis ça parce que le mot solidarité organique est un mot d’Emile Durkheim. Et moi je pense que la solidarité n’est pas organique, elle est exorganique. Et comme Durkheim ne le voit pas, il produit un fond de proposition qui est très intéressant. C’est le fond du Parti Socialiste. Je dis du Parti Socialiste, ça n’existe plus. Du socialisme. C’était un socialiste, Emile Durkheim, comme son neveu Marcel Mauss. Mais ils n’ont pas vu ces questions d’exorganologie. Donc ils sont dans une conception totalement formelle du droit. Voilà, je répète ce que je disais tout à l’heure en citant Marx. Alors, un exorganisme complexe urbain, qui est un cas particulier d’exorganisme qu’il faudrait classer dans une typologie des exorganismes complexes, parce que, bon, il faudrait... J’avais commencé à le faire l’année dernière, dans le séminaire précédent. Il faudrait classifier les exorganismes complexes. Il y en a de toutes sortes. Par exemple, celui-ci qui est apparu au XIXe siècle, c’est l’usine. Vous vous souvenez, j’avais commenté un peu Andrew Ure, La philosophie de la manufacture, etc. Ça, c’est un autre exemple d’usine, je ne sais pas si vous reconnaissez, si vous voyez où c’est. Toi, tu dois connaître Arnaud, je ne suis pas sûr. Pardon ? C’est Citroën. Ça, pour vous, c’est en plein Paris, ça. Pour vous, c’est inimaginable. Moi, quand j'étais petit, tous les dimanches, je passais devant ça, je passais sur le quai Citroën, le quai Javel, pour aller voir ma grand-mère. Et je regardais toujours cette usine, mais tout ça avec une espèce d’horreur. Cette usine, elle était en plein Paris. Et ça, ça renvoie au fait qu’à un moment donné, les villes se sont développées en intégrant ces nouveaux exorganismes qu’étaient les usines. Et ça s 'est traduit par... Voilà, c’est la même chose, la vue de haut. Ça a transformé la morphologie de l’exorganisme urbain. C’est très important de faire une histoire des exorganismes, sinon vous ne comprendrez absolument rien à ce qu’on appelle l’aménagement du territoire. Là vous voyez Paris, Paris est également là, ici, le Quai Javel est à peu près là, mais ça s’inscrit dans un exorganisme qui s’appelle la Nation française. Et donc vous avez des emboîtements, vous avez des échelles exorganiques qu’il faut absolument penser et ceux qui gagnent dans ces affaires, ce sont ceux qui ont qui savent articuler les échelles. Macron, par exemple, il essaye d’articuler les échelles, à tous les niveaux. Les échelles politiques, les échelles économiques, etc. Amazon, ils n’essayent pas. Ils articulent les échelles. Ils n’essayent pas. Ils y arrivent et ils arrivent à passer à l’échelle de la nanoseconde jusqu’à l’échelle du temps extrêmement long de l’évolution de la biosphère. L’aménagement du territoire, c’est une organisation fonctionnelle de la territorialité entre des exorganismes. Par exemple, là, vous voyez un truc qui est bien connu de ceux qui vont dans le sud de la France, qui est considéré aujourd’hui comme une espèce de chef-d'œuvre d’ailleurs de ce qu’on appelle un ouvrage d’art, c’est-à-dire un pont réalisé à Millau et qui permet de raccorder Montpellier à Clermont-Ferrand et tout ça ce sont des éléments d’exorganologie entre les grands exorganismes mais qui sont absolument fondamentaux. Il faut penser tout ça, sachant qu’aujourd’hui c’est plus simplement ce genre de choses, c’est aussi des transpondeurs, des réseaux de fibre optique, des choses qu’on ne voit pas et qu’il faut absolument intégrer. On ne les voit pas mais elles sont extrêmement importantes. L’exorganologie, c’est ce qui étudie l’organisation fonctionnelle et territoriale d’un exorganisme, par exemple ce qu’on appelle la France, par exemple ce qu’on appelle Paris, par exemple ce qu’on appelle l’usine Javel Citroën, etc. Et c’est aussi ce qui pose des problèmes qu’il faudrait identifier, je ne vais pas le faire, mais d’entretien. Par exemple, un exorganisme, ça produit beaucoup de choses toxiques. Ça produit des poubelles, ça produit de la fumée et il faut s 'en occuper. Donc il y a des services qui sont là pour ça comme dans un organisme, d’une certaine manière. Moi j'étais très heureux d’apprendre que quand je dors il y a... Il y a des neurologues qui disent ça fait le ménage de mon cerveau, ça élimine des toxines, c’est pour ça que quand je me réveille je me sens mieux. Parce qu’en fait j’ai simplement envoyé, enlevé des... Ce n’est pas idiot ça de dire ça ? C’est à peu près la réalité. Bon ben il y a aussi des éboueurs qui enlèvent, voilà. Si on ne faisait pas le ménage dans Paris pendant une semaine, c’est ce qui s'est passé en 68, ça se voit très vite. Vous êtes encombré, vous pouvez plus vous déplacer en fait. Donc il y a toutes ces fonctions qu’il faut étudier de manière très précise et ce que je peux vous dire c’est que les acteurs, les nouveaux acteurs qui voudraient prendre le pouvoir sur tous ces processus, eux, ils étudient ça très près. Amazon se demande comment on fait avec les poubelles un nouveau business. Ça, vous pouvez en être sûr. Ils travaillent sur absolument tout ça, ils ont des méthodes, ils analysent tout, ils ne laissent absolument rien dans l’ombre et nous on ne le fait pas et c’est pour ça qu’on ne va pas bien. Alors, entretenir, ça ne veut pas dire simplement faire les poubelles, ça veut dire aussi restaurer par exemple la cathédrale, enfin la basilique de Saint-Denis. Et cet article pose la question, mais comment, jusqu’où, est-ce que c’est bien que la ville de Saint-Denis, un communiste prenne en charge ce que l’évêché ne prend plus en charge ? Est-ce qu’il faut le restaurer comme ci ou comme ça ? Ça pose aussi des problèmes de l’activation du pacte. Ce sont aussi des... des rétentions tertiaires, les bâtiments. Et donc, on peut les altérer gravement. Vous vous souvenez, quand on avait restauré la chapelle Sixtine, il y a 30 ans, à Rome, il y avait toute une polémique. Est-ce qu’il fallait vraiment la restaurer, redonner les couleurs ? Si je dis cela, c’est parce que ce sont des questions de la vie quotidienne dans les exorganismes et qu’il faut poser, et qu’il faut instruire. Je pense que quand nous disons que nous voulons à Saint-Denis, à la Courneuve, à Stein, etc., constituer un nouveau génie urbain, et bien c’est pour que les populations s'emparent de tout ça et se qualifient, s’encapacitent sur ces questions. Il ne faut pas laisser ça aux architectes des bâtiments de France ou à Vinci ou à tel service de la ville ou de je ne sais pas quoi. Il faut que tout le monde s'en occupe. Pourquoi ? Parce que c’est la question de l’œuvrer. Et s’il faut le dire, il ne faut pas le dire au sens où c’est important de s'occuper du patrimoine, etc. ça fait venir les touristes. Non, c’est parce que ça œuvre toujours la basilique de Saint-Denis. Elle n’est plus une basilique. Il n'y a plus de roi. Donc, ce n’est plus un endroit où on enterre des rois. Enfin, elle est toujours une basilique parce qu’il y a toujours des rois qui sont enterrés là. Mais disons que ça n’est plus un lieu. C’est une tombe. Mais c’est un lieu qui continue à œuvrer même si ce n’est plus une tombe. Enfin, si c’est plus simplement. Et ça, c’est très important. Comment repenser l’œuvre ? Si on veut repenser la classe ouvrière, il faut repenser ça. Ça me paraît absolument fondamental. Aujourd’hui, c’est compliqué de penser tout cela. Pourquoi ? Parce que nous arrivons après un siècle de fonctionnalisme. Qu’est-ce que c’est que le fonctionnalisme ? C’est ce qui va conduire à ce qu’on appelle les zones. Qu’est-ce que c’est que les zones ? Zones commerciales, zones industrielles, zones artisanales. Ça a conduit aux zones d’aménagement concerté. Aller voir la notice de Wikipédia, elle est, je crois, assez efficace. Qu’est-ce que c’est que les zones d’aménagement concertées ? C’est un truc qui est apparu comme un compromis, comme vous le voyez là, en 1967, l’année du bouquin d’Henri Lefebvre. Qu’est-ce qui s'est passé ? Eh bien, il y avait des réglementations en matière de plans d’occupation des sols, comme on disait, permis de construire, etc., qui existaient, et qui consistaient aussi à définir des zones à urbaniser en priorité. On appelait ça des ZUP. Et les investisseurs fonciers, les gens qui fabriquent des centres commerciaux, ont dit, mais vous nous cassez les oreilles avec vos ZUP, etc. Ce n’est pas du tout, d’un point de vue commercial, ce n’est pas du tout ce qu’on veut. En fait, le point de vue qu’ils appelaient commercial n’est pas un point de vue commercial, c’est le point de vue du marché. Moi, je distingue le marché et le commerce. Ce n’est pas la même chose. Il y a du... Quand il y a du commerce, il y a toujours du marché, mais quand il y a du marché, il n'y a pas toujours du commerce. Le commerce, c’est ce qui constitue un processus d’échange où il y a toujours merci dedans, ce que veut dire commerce, mercès. Et donc, ça intègre toujours une partie du circuit du don dont parle Marcel Mauss dans son œuvre sur L’économie du don. Il y a toujours quelque chose de cette dimension-là. Si vous avez acheté un tapis à Meknès, par exemple, le mec qui vendra le tapis vous offrira forcément un thé. Ça va vous paraître de la pure politique commerciale un peu débile. Pas du tout. Ça fait partie des règles de l’hospitalité, de la politesse, de la civilisation, en fait. Et, bon, alors, chez je ne sais pas qui, à la FNAC, on vous donnera une carte de fidélité. Ce n’est pas tout à fait la même chose qu'une tasse de thé à la menthe. Parce que d’abord, le thé à la menthe vous allez le boire avec le commerçant et donc ce n’est pas la même chose. Ça fait un peu cucul à praline ce que je raconte, excusez-moi, mais ce que je veux simplement dire c’est que les oppositions qu’on fait entre l’économie du don et l’économie de marché, elles ne sont pas toujours si nettes que ça et je pense qu’il faut les remettre en question. Si je vous en parle, c’est parce que ces questions de zones d’aménagement concerté, voilà, elles sont apparues communes par une remise en cause des zones urbanisées en priorité et toute une lutte d’intérêts dont on voit bien là qu’il y a des intérêts de la haute fonction publique et de la technocratie qui dit qu’il faut aménager comme ça. C’est la DATAR, à l’époque ça s’appelait comme ça, délégation à l’aménagement du territoire et AR, je ne sais plus ce que ça veut dire. Et puis d’un autre côté, il y a les grands investisseurs, Promodès, ceux qui vont faire Carrefour, tous ces machins-là et pas seulement ça, mais Vinci, les parkings, ils vont dire mais pas du tout, vous ne comprenez rien, etc. Et ce qu’on voit c’est qu’il y a une zone d’aménagement concertée mais la concertation elle se fait entre qui et qui ? Entre le marché et la haute fonction publique. Mais il n 'y a pas d’habitants dans cette concertation. Et donc nous nous disons qu’il faudrait inventer des nouveaux ateliers d’urbanisme. Les ateliers d’urbanisme c’est très important. En France, les collectivités locales ont l’obligation de s’appuyer sur des ateliers d’urbanisme. Pierre nous en dira peut-être un peu plus. Pardon, c’est limité mais en principe c’est une obligation. Pardon ? Ouais, ça serait pas mal, ouais, tout à l’heure. Ouais, ouais, ouais. Et donc, en principe, il y a des agences d’urbanisme qui doivent conseiller les élus, etc., parce que... Le maire d’une petite ville de 50 000 habitants n’a pas forcément les compétences pour les techniciens, etc. pour ce genre de choses. Et du coup, ils se font écrabouiller par des grosses compagnies qui ont tout ce qu’il faut, des ingénieurs, des avocats, etc. Donc on a créé ces agences d’urbanisme pour essayer d’équilibrer la relation, qu’elles ne soient pas totalement asymétriques. Mais en fait, nous nous pensons qu’il faut créer de nouvelles agences d’urbanisme. On appelle ça des agences d’urbanisme contributifs, des ateliers d’urbanisme contributifs où on s'emparerait de ce dont j’avais déjà parlé, les technologies de modélisation, le BIM, toutes ces choses, l’internet des objets, en vue de construire, d’œuvrer la ville ensemble, de faire de la vraie concertation, la concertation contributive où tout le monde est concerné et peut trouver du boulot, participer en tant qu’intermittent, etc. Tout ça est très compliqué et paraît inaccessible, pourquoi ? Parce que nous sommes à une époque, nous vivons à une époque qui a conduit à la prolétarisation généralisée. Elle commence par ça, alors ça ce n’est pas en France, c’est au Maroc, mais ça vous en voyez beaucoup au Maroc. Au Maroc, vous aviez le droit. Là, ils disent, on envisage d’interdire les paraboles. Mais vous avez le droit au Maroc de mettre votre parabole... Voilà. Donc vous avez des bâtiments, des quartiers entiers qui sont comme ça. C’est couvert de paraboles. C’est assez joli, d’ailleurs, vu de loin. Mais comme il y a aussi du linge, etc. Enfin bon, c’est un peu... Voilà. Et en tout cas, ça vous montre la pénétration de la télévision. Donc, à travers les industries culturelles que vous voyez là, les zones commerciales. Alors ça, celle -là, elle est toute petite. Vous voyez un petit peu ce que c’est que l’aménagement urbain d’une zone typiquement de mitage, ça pourrait être au sud de Paris, ça peut être beaucoup plus hard, ça c’est une zone commerciale entre Marseille et Vitrolles. C’est calamiteux. Aujourd’hui tout le monde admet, il y avait un projet par exemple il y a une vingtaine d’années ou une trentaine d’années avec Michel Noir avant qu’il n’aille en prison, c’était le maire de Lyon et avec Jean-Christophe Bailly, j’avais participé à ce projet avec Paul Virilio, de monter une nouvelle école d’urbanisme qui aurait complètement remis en cause le fonctionnalisme, etc. Comme Michel Noir a eu des ennuis avec la justice, tout s'est cassé la figure. Mais si j’en parle là c’est parce qu’il y a une trentaine d’années on a commencé à dire mais est-ce que c’était si bien que ça le discours de Le Corbusier, par exemple, etc. Et donc on a remis en cause toutes ces choses et en même temps je ne suis pas sûr qu’on ait véritablement réussi à élaborer un propos alternatif. Nous, nous avons l’obligation d’élaborer des résultats. Si on veut réaliser le projet avec Plaine Commune de manière concrète, il faut absolument qu’on réalise des choses très efficientes et donc ce que j’affirme c’est qu’il faut passer par ces technologies de modélisation. Ça c’est le logiciel Catia Dassault Systèmes avec qui nous avions une réunion hier après-midi. C’est très intéressant de voir ce que fait Catia, qui permet donc de modéliser, là, ce que vous voyez, c’est une modélisation d’une automobile en virtuel. On peut imaginer distribuer ça pour la construction de la ville à toutes sortes d’acteurs. On peut faire des plateformes, des dispositifs de prise de décision collective sur ce genre de choses avec ces objets-là. Ça pose des problèmes aussi quant à la prévision et la gestion parce qu’une ville c’est quelque chose qui nécessite en permanence d’être d’une part gérée et d’autre part d’anticiper des transformations, faire des travaux, ouvrir une voie ou je sais quoi. Et la question se pose de savoir dans quelle mesure, par exemple avec ces technologies des Big data, on ne va pas vers une hyperprolétarisation des élus, des habitants, etc. C’est un vaste sujet. Je vous invite à regarder cet article. Il est intéressant parce qu’on y voit des réponses de Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, qui gère la ville intelligente de Paris. Et c’est intéressant et important d’aller voir ce que raconte la technostructure de la grande ville de Paris sur ces sujets. Je parle de tout cela parce que là, je vous montre quelque chose dont on a discuté hier avec quelqu’un de Dassault Systèmes. Là, vous voyez ce que c’est. C’est un bateau. Ça, c’est un bateau qui a été élaboré et conçu avec Catia, donc avec le logiciel de Dassault. Qu’est-ce que c’est que le logiciel de Dassault ? Qu’est-ce que permet de faire Catia ? Eh bien, avec des échelles, des zoom, il va vous permettre de rentrer dans la structure, etc., et d’aller extraordinairement loin dans l’anticipation des conditions de la production de l’objet. Mais si vous aviez suivi le séminaire de l’année dernière, vous vous souvenez peut-être que quand j’ai commencé à parler des exorganismes complexes, qu’est-ce que j’ai montré ? Des bateaux. Je vous ai montré les 6 bateaux avec lesquels Christophe Colomb est parti en Amérique. Pardon, les caravelles. Et qu’est-ce qu’il y avait sur ces caravelles ? Il y avait des hommes d’équipage, entre 20 et 40 hommes d’équipage, des canonniers, des navigateurs, etc. Et je disais, l’exorganisme parfait, on voit le mieux de quoi je parle quand je parle des exorganismes complexes, c’est un bateau. Pourquoi est-ce que c’est ce qu’il y a de plus éloquent ? Sur un bateau, vous servez le bateau. Vous ne servez pas le capitaine, vous servez le bateau. Le capitaine vous dit, voilà comment vous devez servir le bateau. Mais vous devez servir le bateau. En principe, on considère que le bateau sert au marin. Eh bien, quand c’est l’équipage, c’est le marin qui sert le bateau. Ce que je veux dire par là, c’est que là, on a vraiment affaire à une question d’exorganologie. Et hier, j’ai montré ça à une personne de chez Dassault qui vient pour créer une nouvelle direction industrielle de Dassault qui est la modélisation des villes et des territoires. Et je lui ai montré ce truc en disant, vous voyez, ça c’est un exorganisme. Et elle a dit, c’est incroyable, c’est à partir exactement de ce truc-là qu’on s'est dit, il faudrait modéliser les villes et les territoires. En partant, nous aussi, de l’exemple du bateau. Alors, aujourd’hui, la grammatisation, c’est ça. Ça aboutit à ça. Ça passe par le BIM, aussi, qui n’est pas le modèle de Dassault. Par contre, c’est le modèle de... Non. ? Ça m’intéresse qu’on en parle tout à l’heure, il faut qu’on en discute là. Tout à l’heure ou plus tard, mais il faut absolument qu’on en discute parce qu’on est en pleine discussion avec eux. Ils ont très envie d’entrer dans le PIA. En tout cas, nous, il faut que nous fassions une philosophie de tout ça pour constituer des ateliers contributifs d’urbanisme qui vont utiliser toutes ces trucs. Alors, quand on a dit à cette dame, on va utiliser Catia avec les habitants de pleine commune, vous n 'y pensez pas, c’est absolument impossible. Il faut être très spécialisé, etc. A ce moment-là, on a dit oui, mais on peut, à travers ça, extraire à partir de ces bases de données, ce sont des bases de données, en réalité, tout ça. Ce sont des représentations de données dans des bases de données. On peut extraire avec des interfaces qui ne soient pas dédiées à des ingénieurs qui vont construire, etc. Mais par contre, à des habitants qui vont habiter, par exemple. C’est le sujet, je crois, qu’on va examiner avec, pas à Plaine Commune, avec Dassault dans les semaines qui viennent. Alors, maintenant, je voudrais revenir à la question de ce que veut dire œuvrer. Quant à l 'œuvre en général, dans la formation de l’esprit humain et des organisations sociales, je vous avais dit qu’il faudrait que nous lisions Ignace Meyerson Les fonctions psychologiques et les œuvres Ignace Meyerson Albin Michel↩︎. Qu’est-ce que dit Ignace Meyerson ? Eh bien, il dit, en fait, la psychologie humaine, elle se produit dans les œuvres, pas que dans les œuvres, mais fondamentalement dans les œuvres. Et cette production de la psychologie humaine dans les œuvres, par exemple la symphonie dont parle Bergson et ses œuvres sont toujours de cette dimension dont parle Bergson, c’est-à-dire sont toujours quelque chose qu’elles portent du nouveau, absolument nouveau, c’est-à-dire qu’ils produisent ce que j’appelle moi une bifurcation. Et pas forcément dans le monde artistique, ça peut être dans le monde de la production, etc. C’est ce que Meyerson met au cœur de sa démarche, et je pense qu’il va falloir que nous revenions ici à des questions d’épistémologie, parce que derrière ce que dit Meyerson, ce sont des questions d’épistémologie fondamentales qui se posent. Comment on pense la psychologie, l’individuation psychique, l’individuation collective à partir de la notion d'œuvre. Donc il faut prendre très au sérieux ce que dit Henri Lefèvre. Mais je dirais qu’il faut être plus lefèbvrien que Lefèvre. C’est-à-dire qu’il faut aller lire Meyerson pour étendre la proposition de Lefèvre quant à ce que c’est que l'œuvre. Alors cela dit, revenons à Lefèbvre. Que dit -il ? C’est là qu’il parle de la beauté. Je vous disais, ça c’était la première page que vous avez montrée « Cette ville est elle-même œuvre, et ce caractère contraste avec l’orientation irréversible vers l’argent, vers le commerce, vers les échanges, vers les produits ». Qu’est-ce qu’il est en train d’introduire en disant ça ? Il est en train de dire que l’œuvre, la ville aristocratique est une œuvre, la ville bourgeoise n’est pas une œuvre. Elle ne produit plus que des produits, justement. Et les produits, ce ne sont pas des œuvres, et les œuvres ne sont pas des produits. Ça mérite discussion, ça aussi. Ça mérite discussion. Mais en tout cas, si on dit ça, et si on dit par ailleurs que ce qui définit un produit, c’est qu’il a une valeur d’échange qui est liée à sa valeur d’usage, alors le truc de Lefebvre ne tient plus la route. Et ça, Lefebvre sait très bien que c’est ça qu’il faut dire. Puisque c’est ce que dit Marx. Que lui, il s’appuie sur Marx. Ce que je viens de dire, c’est Marx qui le dit. Marx disant que, par ailleurs, la valeur d’usage est toujours dissoute par la valeur d’échange, c’est-à-dire qu’elle se dévalue en permanence et qu’elle est remplacée par le fétichisme, non pas simplement de la marchandise, mais de la monnaie comme marchandise, c’est-à-dire la monétisation, la financiarisation. Là, il y a un problème, je vais y revenir dans un instant. L’autre problème, enfin l’autre point que je voulais souligner, donc c’est ce que je vous ai dit tout à l’heure, ce n’est pas un problème, mais c’est que, dans ce passage-là, « Les violents contrastes entre les richesses et la pauvreté, les conflits entre les puissants et les opprimés, n'interdisent ni l’attachement à la ville, ni la contribution active à la beauté de l'œuvre ». C’est très intéressant ce qu’il dit. Il dit, voilà, par exemple, les seigneurs des grandes belles cités italiennes et les manants qui sont exploités par ces seigneurs, etc., ils sont en conflit permanent. Mais en même temps, ils avancent ensemble. Ils arrivent ensemble, malgré leurs conflits, finalement, à produire ces cités magnifiques où ils sont heureux de vivre. L’attachement à la ville et la contribution active à la beauté de l'œuvre. Et c’est ce qui produit, dit-il un peu plus loin, le sentiment d’appartenance. Ça, c’est ce qui n’existe plus dans les cités d’aujourd’hui. Et ça, c’est ce que nous voudrions, nous, à Plaine Commune, réactiver, mais sur des bases un tout petit peu différentes de ce que disait Henri Lefebvre. Alors, pour ça, il faut s’appesantir un tout petit peu, se pencher un tout petit peu sur la suite qui est qu’il souligne un paradoxe, « il convient de souligner ce paradoxe, le fait historique mal élucidé, des sociétés très oppressives furent créatrices et très riches en œuvre ». Ça, c’est une question d’exorganologie. Si par exemple vous regardez à quel point les fourmis dans les fourmilières travaillent à, je ne vais pas dire embellir la reine, mais disons à quel point il y a une espèce de soumission dans l’organisation de la fourmilière, je vous en présentais une tout à l’heure, une fourmilière avec douze fonctions. Une soumission, une hiérarchisation des fonctions, j’ai passé trois semaines en Inde où j'étais dans la société des castes et je me disais c’est incroyable quand même à quel point ça ressemble vraiment à des fonctions d’une fourmilière et c’est franchement choquant. Ça paraît incroyable, ça existe encore parce que ce sont des structures dont on se dit, oui, les sociétés existaient comme ça, il y a mille ans, deux mille ans, c’était ce qu’on appelait le Moyen-Âge. Aujourd’hui, c’est toujours comme ça que ça marche. Pourquoi est-ce que ça tient ? C’est parce que ça a aussi une certaine nécessité. Et ça produit des œuvres. Delhi, c’est somptueux. Ville absolument somptueuse. Somptueuse, j’emploie le mot somptueux parce que ça renvoie à ce que Bataille appelle le somptuaire. Et ces œuvres dont parle Henri Lefebvre, elles sont somptuaires. Mais ça, Lefebvre ne le dit pas. Il a forcément lu Georges Bataille, Henri Lefebvre était un homme très cultivé. Il n’a pas pu ignorer du tout ce que disait Georges Bataille dans La part maudite, du sacrifice, de la destruction, du potlatch, etc. Et de tout ce qui est le somptuaire. Et il n'ignore pas que Bataille dit qu’une économie, ce qu’il appelle une économie générale, nécessairement développe du somptuaire. Mais ce somptuaire, ce que nous dit ici Henri Lefebvre, c’est qu’il est basé sur l’oppression. Et donc, il y a une question qui se pose à nous ici, qui est très, très importante, de revisiter la question de la justice sociale, de la hiérarchie, de la contributivité, etc., à l’aune de ces questions. Quand je vous dis ça, ce n’est pas du tout mon ambition de répondre à ces questions-là aujourd’hui, c’est de poser ces questions. Je pense que nous aurons, dans ce programme de territoire apprenant-contributif, à affronter ces questions en permanence. Et ce sont des questions fondamentales qui relèvent de ce que j’appelle la sculpture sociale, Ce qu’on est en train de discuter avec le 104 est un projet qui s’appelle Lumière-Pleyel, qui est un projet du Grand Paris, de réaménagement du carrefour Pleyel dans le cadre du Grand Paris, du train, je ne sais plus comment il s’appelle, enfin bref... de la ligne 14 et de tout ce qui constitue la nouvelle infrastructure urbaine, archi-urbaine, hyper-urbaine du Grand Paris, derrière cela, il y a, pour moi, des questions de sculpture urbaine, pardon, de sculpture sociale, au sens où Joseph Beuys parlait de sculpture sociale. Joseph Beuys, c’est un artiste qui a fait une œuvre d’art qui s’appelle Les Verts, puisqu’il a présenté le Parti Vert allemand comme une œuvre d’art, quand il l’a créée, à la documenta de Cassel. John Latham, qui est un artiste anglais, qui n’a pas utilisé ce mot, mais a fait un peu les mêmes démarches, en posant des problèmes de cosmologie et je m’apprête à ouvrir une discussion, moi aujourd’hui, avec le 104, pour proposer qu’on fasse des résidences d’artistes de sculpture sociale. Si vraiment on veut faire de la sculpture sociale, à l’époque du BIM, à l’époque des technologies de modélisation, du béton interactif, de toutes ces choses-là, et de l’économie contributive, la sculpture sociale, c’est l’économie contributive. Et là, on peut prendre très, très au sérieux ce que disent ces artistes, qui sont pour moi les artistes les plus intéressants du XXe siècle. Je dis les plus intéressants parce que ce n’est pas forcément ce que je préfère. J’ai une passion pour un certain nombre d’artistes qui n’ont jamais parlé de sculpture sociale. Mais ça, c’est ma passion esthétique. Je dirais que c’est ma passion du jugement de goût au sens d’Emmanuel Kant. Ils font jouer l’imagination et l’entendement en moi, ces artistes-là. Après, ce que disent Beuys et Latham sur la fonction de l’art dans la société du XXe siècle, ça, ça m’intéresse énormément. Ils disent que c’est là pour faire de la sculpture sociale. Eh bien, c’est ce que faisaient précisément les oppresseurs et les opprimés. Ils faisaient de la sculpture sociale, produisant des œuvres dans ces grandes cités religieuses, ces républiques, la République de Venise ou je ne sais quoi sur un registre différent, c’était une autre sculpture sociale, elle passait par Dieu. Nous, nous ne passons plus par Dieu, nous passons par le capital. Et nous avons à cultiver le capital, si je puis dire. A le cultiver et à en faire un producteur de la sculpture sociale. Un producteur au sens du cinéma américain. Les producteurs, la mafia d’ailleurs américaine, investit dans Hollywood et donne la liberté à des artistes de constituer des nouveaux publics. Je parle des Hollywood des années 40, 50, 60. Ça c’est fini aujourd’hui. Totalement fini. Alors, pour pouvoir penser ce genre de choses, il faut sortir du concept de valeur d’usage dont parle ici à nouveau... Non, pardonnez -moi. Là, il ne parle pas de ça. Il parle des produits. Il faut sortir de l’opposition que Lefebvre fait entre l'œuvre et le produit surtout dans la mesure où il rapporte le produit à la valeur d’échange et l'œuvre à la valeur d’usage alors que précisément, le produit est constitué par la valeur d’échange. Le produit, c’est ce qui permet de transformer une valeur d’usage en valeur d’échange. C’est ça la définition du produit. C’est-à-dire, le produit, c’est ce que Marx appelle la marchandise. L 'œuvre est aussi quelque chose qui a une valeur marchande, de toute façon et donc aussi une valeur d’échange. Mais par contre, elle a quelque chose d’inusable. Et donc, il faut ici absolument rénover l’économie de la valeur, ce qu’on essaye de faire depuis longtemps avec Arnaud, avec Franck Cormerais etc. Il faut requalifier tout cela et il faut noter en passant quand même cette chose assez formidable, qui est qu’Henri Lefebvre anticipe le do-it-yourself « La notion même de création s 'estompe ou dégénère en se miniaturisant dans le faire et la créativité (le faites-le vous-même, etc.) ». Je dis ça parce que le faites-le vous-même, c’est ce qui constitue l’idéologie des makers. Mais est-ce que, par exemple, on doit s 'en tenir à ce que dit ici Henri Lefebvre ou est-ce qu’on ne doit pas prendre au sérieux les makers pour en faire des fabbeurs, pour réfléchir à ce que nous avons appelé avec une doctorante la Fab City ? Voilà, ce sont des questions qu’il faut que nous étudiions en dépassant cette opposition valeur d’usage et valeur d’échange. Et là, je crois que ça mériterait de lire un petit peu Hannah Arendt. Parce qu’Hannah Arendt, quand elle parle de la durabilité, c’est de ça dont elle parle. C’est ce que j’appelle la valeur pratique. Pourquoi j’appelle ça la valeur pratique ? Parce que quand vous pratiquez le piano, le violon, la philosophie ou je ne sais pas quoi, plus vous pratiquez, plus ça prend de la valeur. Vos chaussures, plus vous marchez avec, plus elles perdent de la valeur. Elles s'usent. Mais vos pratiques de piano, de philosophie, de mathématiques, de football ou de la cuisine ne s'usent pas. Elles n’arrêtent pas d’augmenter. Et ça, c’est fantastique. C’est plus que le mouvement perpétuel, ça augmente. Et donc, c’est ça qu’on appelle œuvrer. C’est pour ça que, par exemple, la mairie communiste de Saint-Denis n’a pas du tout l’intention de laisser à l’abandon la basilique de Saint-Denis, mais au contraire la restaure. Alors, vous allez me dire, c’est un calcul politique, tout ça, peut-être, mais c’est possible uniquement parce que tout le monde dans Saint-Denis dit, mais c’est très beau cet endroit, c’est inusable. Ça fait combien de temps ? 800 ans, 900 ans que ça existe et c’est inusable. C’est ce dont parle Arendt dans La condition de l’homme moderne. L'œuvre ne s'use pas et elle n’est pas efficiente. Elle est beaucoup plus qu’efficiente. Elle dure au-delà de tout usage et de toute efficience et au-delà de la causalité matérielle ou de la causalité efficiente et elle suppose des causalités formelles et des causalités finales qui doivent venir dans l’économie s’il est vrai qu’il ne s’agit pas de restaurer l’aristocratie mais de reconstituer le travail en tant que toujours, il œuvre. Ce que je suis en train de dire là, c’est que si nous voulons construire une économie contributive, nous devons réinscrire dans cette économie des causalités qui en ont été évacuées. L’économie du marché devenu le capitalisme purement et simplement computationnel, c’est une économie qui a éliminé les formalismes, c’est pour ça que Christian Andersen dit qu’il n 'y a plus besoin de la théorie, et qui a éliminé les finalités. Et c’est pour ça que, par exemple, Peter Thiel dit qu’on n’a plus besoin d’Etat qui est là pour définir des finalités, etc. On n’en a rien à foutre. Ce qui compte, c’est l’efficience des algorithmes. Le reste, ça n’a aucune importance. Ça, ça produit le désœuvrement et en plus, une augmentation catastrophique de l’entropie. Donc la question, c’est de réinscrire, de réintroduire de l'œuvre, et à travers l'œuvre, des causalités formelles et finales. C’est pour ça que je vous avais parlé déjà de la théorie des quatre causes d’Aristote et j 'y reviendrai. Pas dans ce séminaire, mais l’année prochaine. Un dernier mot où je reviens sur un petit peu ce que dit Ignace Meyerson. Vous vous en souvenez peut-être il y a deux ou trois mois, enfin non peut-être un mois ou deux, je vous avais dit que Meyerson avait introduit le concept de fonction d’objectivation. Il disait qu’une œuvre permet d’objectiver une dimension de la psyché et l’objectiver c’est la créer, c’est-à-dire c’est la faire apparaître. Ce n’est pas simplement mettre au-dehors ce qui était au-dedans. Non, c’est faire émerger une fonction qui n’existait pas avant son extériorisation exactement comme la symphonie. Ça, c’est une position extraordinairement importante. Ça pose que la psyché, l’appareil psychique, les fonctions noétiques, elles se créent et elles apparaissent, elles se développent à travers le temps. Elles n’existaient pas avant, elles existent maintenant. Mais ce qui se crée, c’est aussi ce qui se détruit, c’est-à-dire qu’il y a aussi des régressions. Et ça, c’est le problème de la prolétarisation. Alors, je pense que nous avons, nous, à essayer de repenser les rétentions tertiaires hypomnésiques qui apparaissent en ce moment et qui sont les rétentions hypomnésiques digitales et urbaines du point de vue d’une telle fonction d’objectivation. Qu’est-ce qu’on va pouvoir objectiver comme fonction à travers ces ateliers d’urbanisme contributif, en utilisant ces technologies pour faire apparaître quoi ? De nouvelles fonctions psychologiques de Plaine Commune, des habitants de Plaine Commune. C’est ça que prétendait faire Joseph Beuys quand il voulait faire de la sculpture sociale. Et là, il y a des choses à théoriser très fortement. Pourquoi il faut les théoriser ? Parce qu’il faut les négocier avec nos partenaires industriels, mais aussi artistes, 104, etc. C’est un programme de recherche artistique, c’est un programme de recherche urbaine pour lequel on doit se mettre d’accord sur un protocole de recherche, sur une durée et des objets, cette fonction d’objectivation, par exemple. Si j’avais eu le temps, j’aurais essayé de vous montrer que la sculpture sociale dont parle Beuys, c’est aussi la sculpture des rétentions et des protentions. Et qu’il est évident que quand Amazon utilise vos rétentions qui ont été postées, qui ont été transformées en rétentions tertiaires, qui sont des traces, c’est-à-dire des datas pour vous piloter à distance à travers ces algorithmes, il fait aussi de la sculpture sociale. C’est plus exactement de la sculpture asociale. Et quand c’est Facebook, c’est de la sculpture anti-sociale, pour moi. Mais c’est de la sculpture quand même, parce qu’ils travaillent avec vos rétentions, ils les sculptent. Ils les utilisent pour fabriquer des grandes œuvres qui sont, je ne sais pas, l’audience ou le public de Facebook, etc., par exemple. Ça, ça suppose, pour pouvoir faire fonctionner des fonctions d’objectivation qui œuvrent, ça suppose d’accomplir des synthèses locales, ce que j’appelle des synthèses locales, c’est-à-dire des agrégations qui sont irréductibles aux analyses que permettent de produire les rétentions tertiaires hypomnésiques. Les rétentions tertiaires hypomnésiques, par exemple, les Big data, ça permet de produire des analyses. Qu’est-ce que c’est que ces analyses ? Par exemple, dans tel quartier, vous avez tel risque de criminalité 30 % supérieur à tel autre quartier. C’est ça, les analyses produites par les Big data. Cette personne a 98 % de chance de faire un infarctus dans les 10 ans qui viennent. Celle-là, 2%. Tout ça basé sur des statistiques et qui sont très critiquables en réalité. Mais c’est comme ça qu’on gère de plus en plus les villes et la vie urbaine. C’est purement analytique. Nous, nous disons, nous travaillons en ce moment avec l’équipe de Maël, de Clément Morla, à quoi faire ? A dire, il faut créer des dispositifs délibératifs dans les territoires pour dire, on va investir tant dans telle action d’anti-entropie. Ça, c’est plus du tout seulement analytique, c’est synthétique, au sens d’Aristote ou d’Emmanuel Kant. C’est du jugement synthétique. C’est de la délibération et à un moment donné, on dit, nous, habitants, on décide d’investir dans telle fonction d’anti -entropie, de lutte contre l’entropie. L’entropie... physique, biologique, mentale, etc. Donc ce que je pose, c’est qu’il faudrait avec ces technologies urbaines, hypomnésiques, passer de l’analyse à la synthèse c’est-à-dire réinscrire de la synthèse dans le processus. Pour ceux qui connaissent un peu mon discours sur ce que j’appelle le double redoublement épokhal et sur la disruption, où je dis que la disruption, ce qui la caractérise, c’est que le premier temps du double redoublement épokhal empêche le deuxième temps, Le premier temps du double redoublement épokhal, c’est ce qui produit une épokhè technologique qui, à travers une innovation, perturbe des modes de vie existants, des circuits de transindividuation classiques, des modèles institutionnels, des savoirs, etc. Et le deuxième temps, c’est ce qui reconstitue, à partir de cette perturbation, une nouvelle époque, une nouvelle société, une nouvelle civilisation, une nouvelle ère, etc. Et aujourd’hui, ce qu’on appelle la disruption, c’est ce qui empêche ce deuxième temps. Et c’est une stratégie qui est enseignée. Le but étant d’empêcher le contrôle, la limitation, etc. Et donc si on est en perpétuel, en premier temps, toujours nouveau, et bien il n 'y a pas de deuxième temps qui peut se constituer. C’est ça la disruption. Ce que je crois moi, c’est que cette disruption ainsi opérée est totalement insoutenable, et donc insolvable, et qu’il est possible de réinscrire des synthèses. Mais ça suppose de relocaliser. Les synthèses ne peuvent être que locales. Et donc, ça suppose de reconstituer une urbanité qui va s'emparer de ces technologies d’analyse qui sont maintenant les bases de l’industrie de l’urbanisme contemporain, pour les habitants, qui vont être des technologies d’analyse de l’habitat, de l’habité, et qui vont permettre donc de construire une nouvelle intelligence collective et ce que j’appelle un nouveau génie urbain. Alors, aujourd’hui, ceux qui réfléchissent à ces questions, c’est l’industrie du béton. Opportunité pour l’industrie du béton. Nous, nous travaillons avec l’industrie du béton. Parmi nos partenaires, il y a les ciments Lafarge qui n’est pas un petit partenaire du béton. Qu’est-ce que disent les gens du béton ? « Ces technologies constituent de réelles opportunités pour l’industrie du béton ; autant en termes de marché que de valeur ajoutée pour la plupart des produits en béton. Elles permettent d’accroître les fonctionnalités des systèmes constructifs : interaction avec les utilisateurs, gestion des infrastructures, récupération d’énergie ». C’est le sujet dont on a à parler et dont on doit dire que ce n’est pas simplement une opportunité pour l’industrie du béton, mais pour les habitants du béton et peut-être d’ailleurs pour sortir du béton et aller vers autre chose que le seul béton. Pour ça, il faut développer des politiques locales de grammatisation urbaine. Ça suppose aussi... Par exemple, il y a des... Il y a des urbanistes dans les villes avec lesquels on travaille, forcément, à Plaine-Commune, à Saint-Denis, etc. Il faut rouvrir une discussion sur qu’est-ce que c’est qu’une culture urbaine. Une culture urbaine au sens d’une culture d’urbanistes et d’habitants de zones gérées par des urbanistes. C’est évidemment une dimension qui passe par les Open Data. Enfin, les Open Data, on nous en parle depuis dix ans. Il y a un Open, je ne sais plus comment ça s’appelle, un Chief Officer qu’on connaît très bien, Henri Verdier, qui s'occupe de ça pour le gouvernement français. Mais ça n’est qu’un des aspects du problème. Le problème, ce n’est pas simplement les Open Data, c’est l’intégration précisément de toutes les choses que la grammatisation permet de fonctionnaliser. Alors ça, pour bien prendre la mesure de l’enjeu, il faut revenir à la question que pose Wiener. Parce que Wiener, en 1948, dit : toutes ces technologies que je suis en train de développer, basées sur les boucles de rétroaction, les feedbacks, à travers des algorithmes, ça peut conduire à une fourmilière. Si on ne fait rien, si on ne voit pas venir la chose, si on ne... C’est un homme de gauche, Wiener, il dit, j’ai très peur que la cybernétique serve au fascisme, à une nouvelle forme de fascisme, basée sur la cybernétique, et donc je vous préviens, on pourrait produire des fourmilières humaines. Ça, c’est une fourmilière. Comme vous voyez, j’avais dit qu’il y a douze fonctions, il y en a quinze. Enfin, il y a quinze. Il n 'y a pas quinze fonctions. Il y a quinze types de lieux dans lesquels se déclinent des fonctions. Et c’est très important de regarder cette chose de près, parce que c’est un exorganisme, ça. Ce n’est pas un exorganisme humain, mais c’est un exorganisme animal Cf Karl Popper Une approche biologique du troisième monde in La connaissance objective p. 189↩︎. Et il y en a des exorganismes animaux, ils sont très différents des exorganismes humains, parce qu’en gros, ils n'évoluent pratiquement qu’avec leur enveloppe génétique, donc ils ne sont pratiquement pas décorrélables de l’évolution biologique de l’espèce, tandis que les exorganismes, comme le bateau que je vous présentais tout à l’heure, ils sont tout à fait décorrélés de l’évolution biologique de l’espèce. Enfin, pas tout à fait, parce qu’il y a quand même des caractères qu’il faut avoir pour pouvoir vivre dans ces lieux, mais disons qu’il y a une très forte décorrélation quand même entre les deux. Pas totale, mais très importante. Alors, ce que nous dit Wiener, c’est que si on ne prend pas au sérieux la question... il ne parle pas de grammatisation, c’est moi qui parle, je traduis son langage. Aujourd’hui, ce qu’il disait, en 1948, c’est complètement réalisé. Quand vous lisez le truc de ce que je présentais tout à l’heure, l’industrie du béton, comment s'emparer de ces rétentions tertiaires hypomnésiques, etc., ça y est, le truc est fait. Comment faire des fourmilières comme ça pour des hommes avec ce béton interactif ? C’est ça que posent ces gens-là comme question. Je ne dis pas qu’ils sont malveillants ou quoi que ce soit. Je ne leur reproche pas du tout. Ce que je crois, c’est que nous, nous devons nous reprocher de ne pas nous emparer de ces questions du tout suffisamment tôt, parce que si c’est le cas, ça va produire ce que décrit Wiener ici, à savoir ce qu’il appelle l’état fourmilière fasciste. « Bien qu’il soit possible de jeter aux orties cet énorme privilège de formation que possède l 'être humain et non la fourmi... » qu’est-ce que dit Wiener ? Il dit qu’un être humain, ça a des savoirs. Ce qui constitue un être humain, c’est le fait qu’il a des savoirs. Une fourmi n’a aucun savoir, elle a un ADN. « ... et d’organiser l’Etat-fourmilière fasciste avec du matériel humain, je crois que c’est là une dégradation de la nature même de l’homme et économiquement, un gaspillage des valeurs les plus hautes ». On est exactement dans cette situation. Ce que décrit Wiener ici, c’est ce que j’appelle la prolétarisation totale. C’est exactement ça qu’on est en train de vivre. Et ça, il faut absolument le dépasser. Et c’est pour ça qu’il faut lire le bouquin de Wiener, qui a beaucoup de défauts, par ailleurs. Il y a des chapitres entiers qui, pour moi, sont très problématiques et qu’il va bien falloir critiquer précisément, en particulier sur le rapport entre langage, information et savoir. Mais voilà, Wiener voit ces choses venir très près. « L’homme condamné et réduit à accomplir indéfiniment les mêmes tâches ne fera même pas une bonne fourmi ». Conclusion du MIT, on va la remplacer par un robot. Parce que les bonnes fourmis, ce sont des robots, en fait. Une fourmi est une sorte de robot. Je ne dis pas que c’est le cas, mais je dis que c’est le raisonnement, là, du MIT. Et donc, plus besoin de tous ces prolos, donc le prolétariat, n’a plus aucune... Nous nous disons mais ça ce n’est pas solvable, c’est insoutenable et donc qu’est-ce qu’il faut faire ? Et bien il faut y réintégrer du savoir, de l’œuvré et de la lutte anti-entropie. Alors je vais, je ne sais pas quelle heure il est mais donc il faudrait quand même que je m’achemine vers la fin. Je n’ai pas tout à fait fini, je vais un peu survoler et je reprendrai peut-être dans la séance d’après ce que je n’aurais fait que survoler aujourd’hui. Je pense que toutes ces questions, il faudrait les aborder en passant aussi par Gaston Bachelard. Vous vous souvenez de ce que dit Henri Lefebvre du lien entre la ville et la philosophie. Quelle est la nature du lien entre la ville et la philosophie ? Ce que je soutiens, moi, c’est la grammatisation. Aujourd’hui, nous vivons un nouveau stade de la grammatisation, et je pense que ce nouveau stade de la grammatisation, il faudrait essayer de le penser et pas simplement sous le stade de la grammatisation, mais de la grammatisation générale, avec Gaston Bachelard. Lorsqu’ici, il parle du bibliomène. Je crois que vous ne pouvez pas voir grand-chose. Certains d’entre vous connaissent ce texte, bien sûr. Gaston Bachelard dit... Qu’est-ce qui fait la science véritablement ? C’est le livre. Il dit... Depuis Kant on parle de la scientificité en distinguant le phénomène et le noumène. Mais entre le phénomène et le noumène, il y a quelque chose qu’on n’a jamais pensé, c’est le bibliomène. Peut-être que certains d’entre vous se souviennent que c’est un des points de départ de Jacques Derrida. Je n’ai vu Derrida citer Bachelard qu’une seule fois, c’est ça. Et là, il dit, Derrida, oh là, il y a un truc, il y a un truc que dit Bachelard, qui est vraiment très important. Et tout Derrida va consister à déployer cette chose-là. Moi, j’essaye d’hériter de ça et qu’est-ce que je souligne ? Eh bien, outre que, entre le noumène et le phénomène, il y a le bibliomène et que le bibliomène, qu’est-ce que c’est ? C’est aussi les inscriptions lapidaires sur les vides de la Grèce. Ce n’est pas simplement ce qu’il y a dans les bibliothèques et ça, Bachelard le sait très bien. Il ajoute « exister par le livre, c’est déjà une existence, une existence si humaine, si solidement humaine ». Voilà, solidement, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que c’est inscrit et c’est extériorisé par une fonction d’objectivation qui est la fonction d 'œuvrer de Meyerson. Ce n’est pas Bachelard qui dit ça, c’est moi, bien entendu. Qu’est-ce qu’il ajoute, Bachelard ? Il dit, la science, aujourd’hui, c’est une cité et « De même qu’une technique particulière enjoint de bâtir une ville entière, une ville -usine, pour créer quelques atomes de plutonium... », c’est ce qui se passe, c’est ce qui existe à Genève aujourd’hui, « ...pour loger quelques corpuscules de plus dans l’infime noyau d’un atome, pour y susciter une énergie monstrueuse, ... de même, une énorme préparation théorique réclame l’effort de toute la cité théoricienne ». Alors, qu’est-ce que je suis en train d’essayer de vous dire ? Je suis en train d’essayer de vous dire que le processus de grammatisation est absolument à toutes les échelles ici et qu’il faut nous faire une théorie générale de l’œuvrer, de l’objectivation fonctionnelle et des processus de grammatisation en vue d’une économie des savoirs. Parce que c’est de ça dont il parle. La cité théoricienne, c’est une cité des savoirs. Et ça suppose un milieu polémique. « La science moderne réclame un acte social essentiel puisqu’on n'y participe qu’en se plaçant dans le milieu polémique actuel ». Qu’est-ce que nous disons, nous, lorsque nous disons qu’il faut repenser les plateformes délibératives ? Nous disons que ça doit être des plateformes où on rend possible et nécessaire la polémique, c’est-à-dire les bifurcations, les divergences, etc. Donc ça, c’est un programme d’urbanisme qui est fondé, pour moi, sur une considération du savoir au XXe siècle, du savoir scientifique et particulièrement de la physique, et où Bachelard prend acte d’un point fondamental, c’est que la noèse, l’activité noétique, pas simplement de la science, passe par l’objectivation fonctionnelle et donc par des processus qui sont en dehors de l’individu psychique, par ce que j’appelle maintenant l’exosomatisation. Alors, je vais m’arrêter là en ajoutant deux points juste pour vraiment conclure la séance. Qu’est-ce que c’est que ça ? C’est un extrait, vous vous souvenez peut-être, c’est un film très important de Rossellini qui s’appelle Rome, ville ouverte. Et je voulais, bon j’ai fait sauter, je voulais commenter un passage de Wiener pour dire il faut rouvrir la chose contre la fermeture, là en l’occurrence à Rome c’est la fermeture des nazis qui sont arrivés. Mais je ne vais pas vous en parler. C’est un film absolument fabuleux avec une actrice absolument fabuleuse. Je voulais pour conclure vous parler d’Alfred Sohn-Rethel. Alfred Sohn-Rethel, je ne sais pas si vous le connaissez, il n’est pas très connu, c’est un philosophe allemand de l’école de Francfort et qui a posé que le marxisme n’a pas véritablement accompli ce qu’il promettait, à savoir de constituer une nouvelle épistémologie. Une nouvelle épistémologie générale, c’est-à-dire une nouvelle définition des conditions du savoir sous toutes ses formes. Et ça, je suis absolument d’accord avec ça. Et Sohn-Rethel dit, en fait, ce que, par exemple, il s’appuie sur d’autres travaux de gens très importants dont je ne vais pas vous parler maintenant mais je vous en reparlerai dans une séance prochaine. Il dit, en fait, les... par exemple Thalès dont je parlais tout à l’heure, Parménide, tous ces penseurs, on dit, les premiers philosophes, le miracle grec, les grands penseurs qui seront à l’origine de l’ontologie, de l’idéalisme, etc. en fait ce ne sont que des effets de la monnaie. Parce que ce sont des gens qui vont penser l’abstraction - Clémence Ramnoux a dit des choses aussi comme ça sur le fait que, voilà, elle expliquait que Héraclite, si on veut comprendre ce que c’est, c’est une séparation entre les mots, dit-elle ; c’est cité par Maurice Blanchot dans L’entretien infini. Bon, Sohn-Rethel lui, dit : mais en fait, toute cette abstraction qui va être produite par ces géomètres, ces physiologues, ces nomothètes, etc., en fait, elle est faite par quoi ? Par la monnaie qui a été développée par les rois de Lydie en Anatolie et qui a été adoptée par les Grecs aux alentours du VIIe siècle avant J.-C. Il y a des textes très intéressants à lire de... je ne sais plus, je n’arrive plus à retrouver son nom... Vidal-Naquet, qui a parlé de la crise économique de la Grèce, etc., qui apporte des éléments de réflexion qui nourrissent un peu tout ça. Et ça, c’est très intéressant. Je pense que c’est quelque chose de très prometteur, mais en même temps d’extrêmement insuffisant. Et je pense que, en fait, Sohn-Rethel parle de la monnaie, tout ça. Mais pourquoi est-ce qu’ils parlent de la monnaie ? Parce que, comme tout grand lecteur de Marx, il connaît très bien Marx, donc il s’intéresse à la valeur d’usage, la valeur d’échange, la monétisation, etc. Mais il ne voit pas l’écriture. Il ne s’aperçoit pas que pour qu’il y ait de la monnaie, il faut qu’il y ait de l’écriture. C’est ce que montre Clarice Herrenschmidt et que c’est tout un processus qui est bien avant la monnaie. Donc il rate quelque chose de fondamental. Et ce qui fait que du coup, à mon avis, il ne peut pas nous être d’un très grand secours. Mais en même temps, si je vous en parle, ce n’est pas simplement pour le plaisir de parler de sujets que je crois être intéressants et importants. C’est parce que si nous voulons relire Henri Lefebvre et l’actualiser, nous devons passer par les débats avec Sohn-Rethel que Lefebvre n’a pas activé, mais que nous, nous devons activer pour donner beaucoup plus d’expansion à Henri Lefebvre au XXIe siècle. Le texte d’Henri Lefebvre, c’est un texte du XXe siècle. Et nous devons absolument lui donner une autre dimension. Aujourd’hui, la monnaie, qu’est-ce que c’est ? C’est des bites. C’est ce qui est en train de devenir virtuel. C’est du bitcoin, c’est toutes sortes de technologies de certification distribuées à travers des plateformes comme ce qu’on appelle la blockchain, etc. C’est un tout nouveau processus de grammatisation. Je regarde Jean-Claude parce qu’il bosse là -dessus. Si on ne pense pas à ces questions, aujourd’hui, en reprenant les questions de Sohn-Rethel, de Lefebvre, etc., mais en les bouleversant, en les disruptant totalement avec ces choses -là, on ne fera que faire de l’incantation commémorative d’antiquité. Pour ça, ça serait intéressant aussi, je voulais vous montrer des... mais j’ai oublié de les... j’ai plus d’images. Je voulais... j’ai oublié de... ça serait intéressant d’aller voir un article de Bernard Gergen, qui a été publié avec un autre, je crois que c’est toi, qui l’a fait circuler, non ? Je ne sais plus qui l’a mis en circulation. Je vais essayer de l’inviter au mois de juillet dans le colloque qu’on va faire, enfin pas le colloque, le séminaire sur les Smart Cities. Les 2 et 3 juillet, on va faire un séminaire avec, je compte l’inviter lui, ainsi que David Berry, qui a développé ce concept d’infrasomatisation, ce que je vous montrais tout à l’heure, par exemple, le pont de Millau, ou ces choses dont je vous parlais tout à l’heure sur les fonctions interurbaines, comme on dit à la SNCF, de lien entre les grands exorganismes urbains, eh bien, ça fait partie de ce que David Berry appelle l’infrasomatisation. L’infrasomatisation, c’est les infrastructures des exorganismes. Et là, je pense qu’il y a des gens qui fournissent des concepts extrêmement intéressants pour essayer d’aller un petit peu plus loin dans nos objets. Voilà, je m’arrête là. La prochaine fois, on attaquera... Je n’en dirai pas beaucoup plus sur le droit à la ville. Si vous avez des questions que vous voulez aborder et tout ça, c’est évidemment bienvenu. La prochaine fois, je vous parlerai plutôt de Vers le cybernanthrope. J’essaierai de vous montrer d’autres questions qu’il faut reprendre chez Lefebvre et en même temps critiquer. Et à partir de là, j’essaierai de revenir ensuite vers la question du là. Comment prendre au sérieux la question heideggérienne du là sans être heideggérien. A l’époque des technologies de grammatisation et de ce que j’appelle le « n'être plus là » qui fait voter Trump. Bon, je m’arrête là et vous avez la parole.
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