Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2016

Séance 1 : La fonction épistémique

Séance 1 : La fonction épistémique

L’exosomatisation comme sélection artificielle. Transvaluer Nietzsche : de la volonté de puissance au courage de vivre et de panser

Bernard Stiegler

Bernard Stiegler, « Séance 1 : La fonction épistémique », dans Michel Blanchut, Victor Chaix (dir.), Le séminaire Pharmakon en hypertexte : 2016 (édition augmentée), Laboratoire sur les écritures numériques, Montréal, 2025, isbn : , https://pharmakon.epokhe.world/seminaire-hypertexte/2016/seance1.html.
version 0, 20/12/2025
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Le titre générique du séminaire que vous voyez affiché-là est de contribuer à une transvaluation de Nietzsche lequel a énoncé la nécessité de transvaluer toutes les valeurs, qui a posé que le nihilisme c’est ce qui devait aboutir à la transvaluation de toutes les valeurs. Dans un ouvrage récent qui paraîtra la semaine prochaine, je dis qu’il faut transvaluer Nietzsche lui-même et je vais commencer à essayer de dire pourquoi et comment dans ce séminaire-ci. Le séminaire s’appelle La fonction épistémique et le séminaire dans son ensemble aurait pu s’appeler Qu’est-ce que l’hubris – je disais tout à l’heure le merdier technologique à nouveau ne marche pas, c’est ça l’hubris ; ça ne marche jamais, c’est pour ça que ça marche ; c’est ce que disaient Deleuze et Guattari ; c’est parce que ça dysfonctionne que ça fonctionne comme ça, comme ce qu’on appelle l’âme noétique. De fait je vais tenter de vous montrer dans ce séminaire que la fonction du savoir c’est de faire avec l’hubris, contre elle, tout contre elle comme disait Sacha Guitry.

Ce que je tente de faire à travers ce séminaire viendra au centre de la proposition que fait l’IRI dans le cadre du Digital Studies Network ; nous sommes en train de répondre à un appel d’offre dans le cadre d’un gros programme sur ce que nous appelons les Digital Studies et la part de ce que fera l’IRI dans ce programme européen, c’est ce que je vais commencer à esquisser ici puisque c’est aussi le programme de l’IRI pour 3 ans. Il s’agira dans ce séminaire, qui est aussi une partie du séminaire Digital Studies de l’IRI et dédié à la fonction du savoir, de montrer que les savoirs en général sont tous des façons de prendre soin de l’hubris, de la démesure autrement dit, du crime et de la folie, parce que ça veut dire tout ça, et pas seulement ça. Il s’agira aussi de penser en fonction de cette fonction, la fonction des savoirs (le mot fonction fonctionne dans toutes sortes de régimes de fonctionnalités, dont de nos jours, dans la disruption, ce qu’on appelle les fonctions digitales, les fonctions des interfaces homme-machine, les fonctions mathématiques qui fonctionnent dans les Big datas, les fonctions machiniques, les fonctions ergonomiques etc.) ; il faudra donc interroger le verbe fonctionner du point de vue de ce que c’est qu’une organologie générale, comment fonctionne le verbe fonctionner dans une organologie générale telle que nous la concevons. Il s’agira aussi de penser les conditions des apprentissages en tant qu’ils ne sont pas simplement des apprentissages des limnées du lac Léman – ce que dont je vous parle-là ne se réduit pas au dressage des neurones, des 350 à 500 neurones des limnées du lac Léman ; ça c’est que disent les sciences cognitives ; moi, je suis anti-cognitiviste, en tout cas anti-cognitiviste classique.

Apprendre, ça se dit en grec mantano (Μανθάνω), et la mathesis qui est l’origine du mot mathématique c’est essentiellement l’art d’apprendre ; au début, ça veut dire ça, ça ne veut pas dire d’abord les mathématiques ; c’est plus précisément l’art d’apprendre à vivre en fonction de la raison, logos. Tout ce que je vous dis là, c’est évidemment dans le sillage des thèses de Alfred North Whitehead que je parle, par exemple dans un texte très compréhensible intitulé La fonction de la raison. Il la décrit comme ce qui a pour but de favoriser l’art de vivre. C’est aussi ce dont parle Georges Canguilhem dans l’introduction d’un livre majeur que je vous incite à lire attentivement pour vraiment profiter de tout ce qui va être en jeu dans ce séminaire et qui s’appelle La connaissance de la vieCanguilhem, avant de parler de la biologie, la vie donc à travers la biologie, réfléchit à ce que c’est que la fonction de la biologie et la fonction du savoir en général. Pour Whitehead, la fonction de la raison est de favoriser l’art de vivre et ça veut dire aussi que la raison peut être déduite d’un point de vue darwinien et nous y reviendrons avec Frédéric Nietzsche dans la 3e séance. Ça veut dire que la vie, qui est ici la vie noétique – et non pas les limnées du lac Léman – mais par exemple Georges Canguilhem, Alfred Whitehead, vous-même, moi, n’est pas réductible à ce que Whitehead appelle la survie et ce que j’appelle, moi, la subsistance (dans un livre, j’ai catégorisé les formes de formes de vie comme subsistance, existence et consistance) ; et tout ça, Alfred Whitehead nous dit que cela doit être pensé dans un rapport au milieu qui est ce qui conduit à ce que j’appelle depuis un certain temps, après Nicolas Georgescu-Rögen, mathématicien roumain devenu ensuite économiste parce qu’un mec qui s’appelait Schumpeter cherchait un mathématicien capable faire un peu de métrologie en économie et donc il a découvert l’économie et il a en fait révolutionné l’économie en développant non seulement le concept d’entropie en économie mais aussi d’exosomatisation. Il montre que l’exosomatisation, en tant qu’elle requiert à la fois une économie qui se substitue à la biologie - ce n’est pas la biologie qui régit la vie noétique, c’est l’économie, dit Georgescu-Rögen (mais ça ne veut pas dire que c’est l’économie de Schumpeter, c’est l’économie, par exemple, de Freud, l’économie libidinale, c’est l’économie de Georges Bataille, l’économie somptuaire, l’économie de ce que Georges Bataille appelle aussi avec Hegel « la reconnaissance » etc.). L’exosomatisation, c’est ce qui requiert à la fois une économie qui se substitue à la biologie et un art de vivre qui fait que cette économie n’est pas seulement une étude des échanges et du point de vue de ceux qui échangent – ça c’est l’économie actuelle, une vision totalement idéologique de l’économie qui s’appelle le néo-libéralisme - mais c’est une économie libidinale, qui est aussi une économie générale, une économie du don au sens de Marcel Mauss et de Georges Bataille. Cela implique de concevoir la vie noétique, nous dit Whitehead, à la fois comme vivre, vivre comme une limnée du lac Léman, bien vivre càd vivre comme un esclave qui ne vit pas trop mal, un artisan ou un métèque à Athènes par exemple, et mieux vivre, càd vivre comme un aristocrate, vivre pour l’ariston, le meilleur, toujours meilleur, un méliorisme fondamental qui est la noésis en tant que telle. Et d’autre part, d’un tel point de vue, selon Whitehead toujours, je cite :

le principal rôle de la raison est de diriger l’attaque contre le milieu car le rapport de l’âme noétique à son milieu, c’est un rapport de transformation de ce milieu et une transformation qui se produit, je cite encore Whitehead, vers la réalisation d’une fin conçue dans l’imagination mais qui n’existe pas encore.

J’essayerai de vous montrer que ça procède de ce que j’appelle une néguanthropologie, non pas une néguentropie au sens de Schrödinger, la théorie classique de l’entropie et de la néguentropie en biologie, mais d’une néguanthropologie qui produit des bifurcations qui ne sont pas biologiques précisément, mais économico-politiques et libidinales. Ce propos cité plus haut de Whitehead, ça peut vous rappeler deux discours : d’une part celui d’Emmanuel Kant, et de fait Whitehead est un néo-kantien - mais pas du tout à la façon des allemands, c’est pas du tout Cassirer ou des gens comme ça – un néo-kantien anglo-saxon et d’autre part ça rappelle Paul Valéry, qui explique dans un certain nombre de textes, en particulier Regards sur le monde actuel où il dit :

l’homme est avant celui qui est capable d’imaginer ce qui n’existe pas encore, et que c’est ça penser

autrement dit, la pensée n’est pas ce qui décrit le réel, c’est ce qui inscrit dans le réel quelque chose qui n’était pas réel et qui devient réel, mais qui peut devenir non seulement irréel mais déréalisant parce que cela s’appelle un pharmakon et ça peut tourner à la catastrophe. C’est ce que j’appelle l’hubris. Paul Valéry, Whitehead, Emmanuel Kant mettent au cœur de la raison, l’imagination (je parle du premier Kant, celui de 1781) ; l’imagination comme ce qui est capable de faire, ce que j’ai appelé, dans un livre à paraître, La disruption, des rêves noétiques càd des rêves réalisables. Je rappelle en deux mots : les animaux supérieurs rêvent tous, on le sait très bien, mais ils ne réalisent pas leurs rêves ; tandis que nous, nous réalisons nos rêves et ça veut dire que très souvent nous déréalisons nos rêves : nous croyons que nous réalisons un rêve, en votant pour François Hollande par exemple, et nous nous apercevons que nous déréalisons ce dont nous rêvions ; c’est pas à cause de François Hollande simplement, c’est parce que c’est pharmacologique tout ça et ça peut toujours tourner au cauchemar parce que tout ça procède de l’hubris qui est la racine profonde de la folie. A propos de la folie, s’il y a des gens qui peuvent dire que les animaux ne pensent pas, c’est que de prime abord les animaux ne deviennent pas fous.

Voyons un peu plus en détail ce que nous dit Canguilhem ; il commence par nous dire que savoir pour savoir est insensé ; cela rappelle un texte très important des Confessions de St-Augustin qui, à un moment donné, étudie les formes de la libido et parle la libido sciendi et qui montre qu’elle peut tourner à la catastrophe. Le plaisir de savoir pour savoir, purement savoir, peut devenir une catastrophe. Et cette problématique de savoir pour savoir, telle qu’elle peut devenir catastrophique, est très observable aujourd’hui dans les universités où on voit des gens qui se disent : voilà, je fais ma petite thèse, foutez-moi la paix, je n’ai aucune envie d’entendre parler des problèmes de la Seine-St-Denis, je suis un savant. Pour Georges Canguilhem, ça c’est un péché au même titre que la gourmandise ou le meurtre. Ce n’est pas le discours de Canguilhem, il n’est pas chrétien, il ne parle pas comme cela mais dans le langage des grecs c’est l’hubris (les grecs n’ont pas le péché mais par contre ils ont le crime, ça s’appelle l’hubris). Par ailleurs Canguilhem nous dit, chose très importante, la connaissance, premièrement c’est essentiellement l’analyse, « connaître c’est analyser » ; oui, mais ça ne se réduit pas à l’analyse ; si la connaissance est essentiellement analyse, càd division, dit-il, la connaissance n’est pas simplement division, analyse, elle est aussi vision ; ça c’est ce que Kant appelle la synthèse et on appelle ça comme ça depuis Aristote ; donc c’est pas du nouveau ; et tout ça a pour conséquence qu’en biologie, un rapport essentiel à la bête est requis ; ça veut dire que le biologiste est essentiellement confronté à la bête, à la bête qu’est le vivant et à la bêtise qu’emporte le vivant, la bêtise en particulier du biologiste lui-même en tant qu’il est vivant et donc qu’il est bête : la bêtise ça va consister à faire fonctionner à fond la libido sciendi uniquement dans la dimension analytique et oublier complètement la vision càd ce que Whitehead appelait le bien-vivre et le mieux-vivre pour faire fonctionner le vivre et donc élever des êtres humains ou des enfants, comme des bouillons de culture ( c’est un peu ce qui se passe en ce moment dans un certain nombre de situations) ; cela a conduit Whitehead à dire que la biologie est un savoir qui a un rapport fondamental au devoir – ça ne signifie pas que la biologie doit se soumettre à une morale ; là il n’est pas question de morale ou même de déontologie ou d’éthique ; c’est le blabla contemporain, du XXIe siècle, hypermoderne ; non, il ne nous parle pas de ça ; il nous parle d’un rapport de la biologie comme fonction non pas seulement de survie mais de vie comme bien-vivre et comme mieux-vivre qui est un devoirComme loi immanente ? cf. Paul Diel↩︎ ; cela ne renvoie pas à l’éthique ou à la morale, ça renvoie à ce que Pic de la Mirandole appelait la dignité de l’homme. C’est une notion qu’ont perdue beaucoup de gens happés par l’analyse et qui totalement perdu le sens de ce qu’est la synthèse càd une vision, càd une volonté, càd une orientation. Et donc ce que nous dit Whitehead, c’est que la biologie comme savoir n’est pas à se confronter seulement au pouvoir, donc au devoir mais aussi au vouloir et vous avez bien compris que nous sommes en train de nous approcher de Nietzsche et de la volonté de puissance. Canguilhem était un grand lecteur de Nietzsche ; il le cite très peu mais il l’a toujours à l’esprit ; ça ne veut pas dire qu’il est nietzschéen ; il est canguilhemien, comme tout philosophe digne de ce nom, il est ce qu’il est ou ce qu’il devient. Ça veut dire enfin que le savoir biologique en tant qu’il est pouvoir, devoir et vouloir est dans un rapport originel à la technicité qui constitue la vie noétique.

Si la vie noétique, càd si la vie qui n’est pas simplement vivre ou survivre mais bien-vivre et mieux-vivre, si cette vie peut et doit non seulement bien-vivre mais mieux-vivre c’est parce qu’elle est toujours en rapport à sa technicité qui fait qu’en développant de quoi mieux-vivre, elle crée des problèmes qui font qu’elle se retrouve à être obligée à retrouver un bien-vivre et même un vivre et qu’elle est donc prise dans un cycleA rapprocher de Karl Popper Toute vie est résolution de problèmes – Questions autour de la connaissance de la nature Actes Sud 1997 2 vol. et Gilbert Simondon L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information Ed. Jérôme Million 2005 p. 166-7↩︎ et ce cycle, c’est ce que les grecs de l’époque d’avant Platon appellent le tragique et c’est aussi ce que Nietzsche appelle le tragique et ce que Foucault, on va le voir, appelle le tragique.

Tout ça pose pour Canguilhem le problème, par exemple, du statut d’une route ; qu’est-ce qu’une route ? Canguilhem nous dit : c’est un objet technique ; il a peut-être lu ça dans “Être et temps” (ce texte-là est tardif chez Canguilhem) ; dans Être et temps, Heidegger dit « la rue est un outil pour marcher » ; de la même manière, pour Canguilhem, une route c’est un outil ou un instrument ; et le problème qui se pose : quel est le statut de la route en biologie ou en zoologie ? on pourrait dire aussi en écologie ; qu’est-ce qu’une route pour un hérisson (Canguilhem raisonne ici en zoologue) ? la route, dans le milieu (de vie) du hérisson, interfère en perturbant ce milieu et Canguilhem nous dit : c’est comme ça qu’on fait de la biologie, on perturbe le milieu de vie de l’animal, ou de l’être vivant ( ça peut être une plante ou une bactérie) et par cette perturbation, dans cette interférence, on va observer un écart ; donc la science est de part en part organologique et pharmacologique ; elle est intégralement rendue possible par l’intervention d’un artifice qui dénaturalise le vivant (et éventuellement pour le renaturaliser, ça c’est une autre question). Cela suppose que pour créer une mesure, il faut créer une démesure (hubris en grec). Cet hubris, cette démesure, qui est provoquée par exemple dans la vie d’un hérisson, c’est ce qui va permettre d’opérer ce que Canguilhem appelle une « conversion de la vie ».

Je signale en passant que dans Dans la disruption, qui a pour sous-titre « Comment ne pas devenir fou », j’essaye de poser le statut de la conversion en général ; par exemple, pourquoi est-ce qu’on se convertit à l’Islam en prison à ce qu’on dit (j’essaie de réfléchir à la conversion en général) ? Ma conversion phénoménologique, aussi en prison ? la conversion hystérique qu’étudient Freud et Lacan dans les hôpitaux psychiatriques ou dans les cabinets de psychanalyse ? quel est le statut de la conversion dans la vie noétique ? Ce que je soutiens c’est que sans conversion, il n’y a pas de vie noétique ; cette conversion, elle peut se produire à travers ce que j’appelle un épochè technologique, càd un double redoublement épokhal. La conversion, c’est qui ce qui constitue la condition du processus d’individuation dans l’exosomatisation ; dans l’exosomatisation, on doit sans arrêt se convertir (par exemple à un nouveau logiciel) et en général, ces conversions, elles ont pour origine des rêves ; par exemple, Léonard de Vinci rêve de trucs qu’il représente et en 1880 et quelques, Clément Ader réalise le rêve de Vinci ; ça s’appelle l’avion ; et cet avion va convertir la vie sur la planère, la biosphère qui s’appelle aujourd’hui l’anthropocène et qui est une catastrophe. Cette conversion du réel peut déréaliser le réel, par exemple détruire la biosphère et c’est possible parce que la conversion, c’est toujours la conversion à l’irréel (c’est aussi la maxime du Xerox Center en Californie qui dit que la meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de l’inventer càd d’irréaliser le réel pour le déréaliser et le reréaliser ; et c’est ça qui fait aujourd’hui la puissance de la Californie), d’avoir adopté une stratégie par rapport à cela – qui n’est pas du tout la mienne et je pense qu’elle n’est pas bonne à long terme, mais elle est profitable à court terme pour la Californie.

Dans le cas où la réalisation de l’irréel produit la déréalisation du réel, la conversion conduit au contraire de ce pourquoi elle avait été faite ; chez Donald Winnicott, chez Paul Valéry, chez Georges Canguilhem (qui fut maître de Foucault) mais aussi chez Ludwig Binswanger (j’en parle dans Dans la disruption – c’est le jeune Michel Foucault qui traduit Binswanger en français et qui introduit un texte extrêmement important, Rêve et existence) la biologie – je vous rappelle que Canguilhem était le maître de Michel Foucault - comme activité rationnelle en particulier, et les savoirs sous toutes leurs formes beaucoup plus généralement – et non seulement sous leur forme théorique mais savoir-vivre et savoir-faire - sont des fonctions de la vie noétique, des fonctions indispensables pour vivre, bien-vivre et mieux-vivre ; sans ces fonctions, sans ces savoirs, la vie devient impossible et c’est ce qui est en train de nous arriver parce que l’hyperprolétarisation dans laquelle nous sommes est en train de détruire toutes les formes de savoirs, du haut en bas des soi-disant « sachant » ou savants, d’Alan Greenspan au homeless qui vit comme une bête parfois maintenant sur les trottoirs de Paris (et tout le monde s’en fout, y compris vous et moi puisqu’on ne fait rien) et ça, c’est une disparition des savoir-vivre, des savoir-faire, des savoirs théoriques, des savoirs spirituels qui rendent la vie impossible. C’est d’ailleurs pour ça que le sous-titre de l’Académie d’été pour s’appelle L’art de vivre qui se tiendra au mois d’août aura pour sous-titre Comment vivre dans l’invivable. Cette forme de la vie, la vie noétique, ne peut survivre, elle ne peut se poursuivre que dotée de telles fonctions de savoir et ces fonctions de savoir je les appelle des thérapeutiques (les grecs les appelaient aussi comme ça) ; ces thérapeutiques, ce sont des façons de prendre soin ; la therapeia en grec c’est pas simplement la science du médecin mais c’est la manière dont je m’occupe de mes parents qui n’ont plus de quoi manger, la manière dont je soigne mes enfants, la manière dont je me préoccupe de mes voisins, c’est ça la therapeia, c’est le savoir-vivre sous toutes ses formes ; c’est le savoir-faire, par exemple comment je fabrique un bon feu pour chauffer le foyer (c’est un savoir-faire, c’est le savoir d’Hestia) et puis c’est le savoir de Socrate, le savoir d’Héraclite, c’est le savoir spéculatif, c’est ce que j’appelle le savoir des consistances et qui n’est pas réservé aux philosophes ; tous les gens ont accès aux consistances dans ce monde-là.

Ce n’est plus le cas dans notre monde à nous. Non seulement les gens n’ont plus accès aux consistances , pour la plupart, Alan Greenspan par exemple n’a pas accès aux consistances, j’ai essayé de le montrer dans La société automatique – c’est lui-même qui le dit – mais en plus, les gens n’ont pas accès à l’existence càd qu’ils sont réduits au statut de l’hyperprolétarisation où ils n’ont même plus aucune reconnaissance, c’est ce dont parle Axel Honneth – à mon avis en se trompant, je ne suis pas trop d’accord avec les analyses qu’il produit mais qui pose un vrai problème ; vous avez peut-être entendu parler d’Alternative für Deutschland AfD qui est un parti néo-nazi et qui est en train de devenir le premier parti d’opposition en Allemagne ; et ce qu’a montré Axel Honneth, c’est que ces gens-là, il viennent pour beaucoup de l’ancienne Allemagne de l’Est, des gens qui ont été totalement méprisés, dépourvus de reconnaissance et que c’est un des processus fondamentaux de l’émergence des néo-nazis en Allemagne ; mais il n’y a pas que ces néo-nazis allemands qui sont en souffrance d’existence et de reconnaissance ; beaucoup de gens, de toutes sortes ; certains ce cament, d’autres se suicident, d’autres braquent des banques ou encore se font sauter devant le Stade de France.

Ces fonctions, qui sont des fonctions des savoirs dont je viens de parler, qui sont des fonctions thérapeutiques qui prennent soin des pharmaka qui sont engendrés par l’exosomatisation càd par l’hubris, et cela depuis 3 millions d’années, ce sont des fonctions qui sont radicalement menacées par le transhumanisme (ce qui sera le sujet des Entretiens du nouveau monde industriel au mois de décembre prochain au Centre Pompidou) ; que représentent-elles comme danger ? non pas de détruire l’homme ; ça n’existe pas l’homme, on ne peut pas le détruire ; l’homme est une idée à venir, toujours à venir ; et ce qui est intéressant dans l’idée de l’homme toujours à venir, c’est que c’est une âme noétique ; ce qui est menacé c’est la noésis et à travers cela, l’idée consistante de l’homme, de ce que pourrait être l’homme ; l’homme consiste, il n’existe pas ; il consiste à travers les consistances auxquelles il accède et il y accède par ces fonctions qu’on appelle les savoirs, qui tout à la fois le réalisent et le déréalisent ; vous voyez bien, c’est ce que disaient Adorno et Horkheimer dans Dialektik der Aufklärung, comment tout ce que l’Aufklärung a développé au XVIIIe siècle pour mieux vivre a été mis au service du pire que mal vivre, pire que survivre; parce qu’aujourd’hui, la catastrophe dans laquelle nous sommes, c’est l’Aufklärung qui en est à l’origine et c’est parce que l’Aufklärung n’a pas compris que la raison est pharmacologique ; elle a toujours un côté sombre et ténébreux parce qu’elle est conditionnée par le pharmakon et si elle ne comprend pas qu’elle doit prendre soin d’elle-même en tant qu’elle est pharmacologique alors elle devient un cauchemar, le cauchemar de ce médecin à Auschwitz, toutes sortes d’autres cauchemar, le cauchemar de l’anthropocène, qui est un cauchemar et qui ne fait que commencer.

Les fonctions réalisent des rêves qui peuvent déréaliser le rêveur et qui sont à la fois des promesses et des mensonges, toujours ; et toute promesse, ce que Derrida a très bien montré, ne peut être une promesse qu’à la condition de courir le risque de se transformer en mensonge. Parce que si vous faites une promesse en sachant que pourrez la tenir, ce n’est pas une promesse ; une promesse c’est quand vous dites « je te promets que je vais faire cela » et il n’est pas sûr que vous pourrez le faire sinon ce n’est pas une promesse, c’est un engagementPour toutes sortes de raisons, conscientes ou inconscientes, je suis déjà « tenu » de tenir ma promesse.↩︎. Ça c’est pour introduire le sujet de ce séminaire.

Maintenant, je vais décrire le contexte de ces questions telles qu’elles s’imposent à la pensée au XXIe siècle, à la pensée càd à nous en tant que nous essayons de penser et en tant que nous sommes mis en question et en plusieurs types de questions. C’est par exemple le contexte d’Alphago (logiciel qui a battu deux fois le champion de go en Corée) et de tout ce que cela suscite comme débats plus ou moins indigents. En 1987, ici, au Centre Pompidou, j’ai fait une exposition qui s’appelait Mémoires du futur où je montrait des logiciels qui produisaient des romans au kilomètre par écriture générative; on ne présentait pas du tout cela comme un exploit de la machine mais comme l’a très bien dit Médiapart, comme un exploit des êtres humains ; c’est l’intelligence humaine qui a produit cela ; ce n’est pas du tout l’ordinateur qui a produit le roman ; c’est l’intelligence humaine qui a produit un ordinateur capable de faire du roman au kilomètre ; ce n’est pas du tout la même chose ; mais la connerie transhumaniste, parce que c’est le transhumanisme qui est derrière tout ça, consiste à nous dire que bientôt nous serons remplacés par ces machines et que, bien entendu, la connerie anti-transhumaniste consiste à dire « pas du tout, il n’y aura jamais de machines comme ça » ; mais bien sûr que oui, il y aura des machines comme ça, il y en aura de plus en plus et cela ne veut pas dire qu’il faut qu’elles nous remplacent, cela veut dire qu’il faudra que l’on apprenne à vivre avec ; apprendre à vivre avec l’hubris, c’est le sujet de ce séminaire et c’est ça la fonction du savoir. N’ayons pas peur de ces machines et d’Alphago et essayons, par exemple, de nous pencher sérieusement sur ce que sont les vrais enjeux du Deep Learning.

Tout cela c’est le contexte, le premier élément de contexte c’est, appelons ça la disruption par le calcul intensif, le Deep Learning etc. et puis c’est le transhumanisme, avec son lot de fantasmes, et puis, là ce n’est pas du fantasme en revanche, un rapportLa santé, bien commun de la société numérique↩︎ dont j’ai écrit les dernières pages et qui parle de la médecine 3.0 qui est l’agent précurseur à travers lequel le transhumanisme est en train de s’installer en France en ce moment ; les salles de médecine n’y comprennent rien ; les laboratoires de médications chimiques qui contrôlent la recherche scientifique disent « ça n’existe pas le transhumanisme, il ne faut pas faire de recherches là-dessus » donc la recherche européenne ne se développe pas ; le résultat c’est que c’est la recherche américaine et asiatique qui est en train de se développer dans le domaine médical et d’installer toutes sortes de pratiques nouvelles qui sont en train de faire exploser tout le secteur de la santé tel qu’on l’a conçu en Europe et en France en particulier. Tout cela a été anticipé par toutes sortes de gens.

Dans notre terminologie, la terminologie de pharmakon.fr et dans la perspective du Digital Studies Network, tout cela procède d’une histoire du supplément, au sens de Jacques Derrida, càd aussi de la grammatisation, non pas de la grammatologie mais de ce que j’appelle, moi, contre Derrida, la grammatisation ; je dis contre Jacques Derrida parce que je considère que le concept de grammatologie n’est pas suffisant pour penser ces choses-là ; quand je dis contre c’est tout contre comme je disais tout à l’heure ; pas contre Derrida ; je suis tout contre mais pas sur la même ligne que Derrida et cette grammatisation, j’essaye de la penser à travers une organologie générale qui est aussi une pharmacologie et dans ce contexte-là, les fonctions de la faculté de connaître, à travers l’histoire du supplément et le processus de grammatisation, se transforment, se transforment, se transindividuent et en s’individuant et en se transindividuant se transforment, se réforment, se déforment etc. Il y a une plasticité de la faculté de connaître qui permet des processus de transformation qui sont conditionnés par ce que j’appelle les rétentions tertiaires, par l’évolution des rétentions tertiaires. Or nous vivons une révolution tertiaire, une révolution des rétentions tertiaires ; la technologie numérique c’est une révolution foudroyante du processus de grammatisation ; la faculté de connaître étant elle-même la faculté de transformer ; c’est la faculté de connaître qui crée les rétentions tertiaires qui permettent de transformer la faculté de connaître. Et ça c’est ce qu’ont très bien compris les gens de la Silicon Valley ; c’est ce que n’ont toujours pas compris les gens qui vivent en Europe, en général, il y a des exceptions.

Quelqu’un avait compris ça ; en fait c’était deux personnes, Marx et Engels, et quand ils ont publié leur onzième thèse sur Feuerbach (qui introduit à l’Idéologie allemande comme critique de l’idéalisme ; c’est un texte sur l’histoire de la métaphysique comme on dirait dans le langage du XXe siècle) , qui était le grand post-hégelien qu’ils admiraient, ils ont dit que

les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c’est de le transformer 

alors beaucoup de gens, parfois Marx lui-même, ont dit : abandonnons l’interprétation du monde ; mais ce n’est pas ça que disent Marx et Engels ; ils disent que l’interprétation de monde, c’est la transformation du monde sinon ce n’est pas une interprétation c’est un fantasme ; il ne faut pas opposer transformation et interprétation.

Ce qui importe c’est de transformer le monde

que dire du transhumanisme à partir de cet énoncé ? que fait le transhumanisme ? il trans-forme le monde à travers le trans-humanisme. Tel est l’enjeu de ce séminaire qui est consacré pour la première séance à la fonction épistémique et aux fonctions des savoirs au sens large et cela signifie qu’il faut élargir le concept de l’épistémè dont vous trouvez le concept dans la bouche de Socrate ou sous la plume de Platon, elle n’est pas réductible à ce que disent Socrate ou Platon parce que pour eux, l’épistémè c’est l’épistémè apodictique càd qui est capable se soumettre à l’administration de la preuve telle que, depuis la géométrie apodictique on en a fait l’expérience produisant ce qu’on appelle l’aléthéia. Mais Heidegger nous dit, épistème au départ ça veut dire technè (par exemple chez Homère) et ça c’est très important parce que si c’est vrai, ça veut dire qu’il faut repenser l’épistémè sur d’autres bases, qui sont des bases tragiques, et qui sont aussi des bases qui doivent revisiter le rapport entre épistémè et hubris sur la base d’une hubris primordiale qui est précisément ce que je vous dit depuis le début de ce séminaire, ce qui nous oblige à penser, comme le disent Whitehead et Canguilhem ; nous sommes obligés de penser parce que nous sommes exosomatiques, en tant qu’exosomatiques nous n’arrêtons pas de faire des conneries et nous devons méditer nos fautes, nos erreurs, nos bêtises – c’est que fait Epiméthée - pour produire une sagesse après coup qui n’est donc pas transcendantale et a priori, qui est à posteriori mais ça ne veut pas dire qu’elle est empirique ; c’est ça le problème, sinon ce serait trop facile. C’est aussi l’enjeu de l’épistémè des Digital Studies ; la question de l’épistémè telle que nous la posons dans les Digital Studies, c’est cette question-là : les rapports des savoirs avec leur hubris qui est leur condition de possibilité. Il nous faudra nous pencher sur les rapports à la question des catégories telles qu’Emile Durkheim les pose à la fin du XIXe siècle presque en même temps que Nietzsche ; Durkheim dit (dans Les formes élémentaires de la vie religieuse Introduction) : il faut penser la question des catégories à partir des pratiques sociales et on verra ça de très près dans 15 jours, dans des fragments de Nietzsche que Barbara Stiegler a commenté pour essayer de comprendre le statut de la biologie chez Nietzsche.

Tout cela, toutes ces questions et le contexte où elles se posent et où elles s’imposent, cela nous confère, à nous qui prétendons apprendre et savoir à partir de ce que nous apprenons, cela nous confère une fonction et une responsabilité immense en particulier dans ce moment tout à fait spécifique, sans précédent, de l’exosomatisation, ce moment où nous commençons à prendre la mesure ou la démesure de ce signifie et de ce qu’impose le fait de l’exosomatisation, à savoir le transhumanisme, l’anthropocène, le Big shift, la 6e extinction de masse, toutes ces possibilités, voire ce qu’il y a de plus probable. C’est sur ce registre qu’il faut lire La crise des sciences européennes de Husserl et comprendre ce que Husserl appelait les fonctionnaires de l’humanité – Husserl disait : les philosophes sont les fonctionnaires de l’humanité i.e. ce sont ceux qui ont la fonction d’humanité et bien entendu, il faut entendre ça avec Husserl disant que toute âme noétique a une dimension philosophique de ce point de vue-là ; c’est le rôle de tous les gens qui ont le sens de la dignité de vivre bien et mieux.

Alors, ayant dit cela qui sont des éléments de contexte liés à la disruption et à ce que l’exosomatisation contemporaine représente pour nous, en tout cas pour moi en introduction de ce séminaire, je voudrais introduire trois autres éléments de contexte beaucoup plus spécifiques ; le premier élément, c’est un nouveau discours qui apparaît sur le capitalisme d’un garçon qui s’appelle Jean Vioulac qui dit des choses intéressantes sur le rapport entre la métaphysique et le matérialisme marxien… et le capitalisme ; il présente le capitalisme comme la réalisation de la métaphysique ; et là-dessus, je suis tout à fait d’accord avec lui ; c’est ce que j’avais dit moi-même l’année dernière quand je commentais le Gestell sauf que ce je crois c’est que Jean Vioulac rate complètement l’essentiel, en tout cas dans ce que je lis-là et dans un bouquin que je viens de commencer qui s’appelle L’époque de la technique ; c’est un normalien « normal » càd, comme les althussériens qu’il voudrait dépasser, tout à fait dans la normativité institutionnelle de la boutique et donc qui répète – tous les normaliens ne sont pas comme ça ; les meilleurs philosophes sont généralement des normaliens - mais beaucoup répètent, ils sont presque dans le mieux-vivre mais en fait, ils restent dans le bien-vivre très confortable de la rue d’Ulm et ils ratent l’essentiel ; là, par exemple, il rate le problème de la rétention tertiaire ; il ne voit absolument pas que la grande question c’est la grammatisation et que c’est cela que Marx manque ; et que du coup, il manque la question des rapports entre l’analyse et la synthèse, bien que d’une certaine manière, Marx en aura parlé dans le troisième manuscrit de 1844 ; Marx aura manqué la considération des fonctions de la raison, ce qui est assez paradoxal, parce que Marx, c’est essentiellement un discours sur le savoir et la raison et sur sa fonction ; d’une certaine manière il ne parle que de ça ; quand il dit que le savoir est le principe fondamental du capitalisme, la transformation du savoir en machines, il ne parle que de ça donc d’une fonction économique du savoir ; mais en même temps il ne pose pas la question de la fonction de la raison ; tout en disant que le philosophe est là pour transformer le monde, donc il a la fonction de transformer le monde ; il est celui qui raisonne, et Engels et Marx sont des rationalistes et moi-même je me revendique du rationalisme. C’est étrange, parce que dans les Grundrisse, dont je considère, comme Toni Negri, que c’est le texte fondamental qu’il faut lire – je ne suis pas sûr qu’il faille le lire comme Negri – il n’est question que des fonctions de la raison et de leur pourvoir de transformation et non seulement d’interprétation ; mais la limite, et c’est ce qui fait que Negri ne va pas assez loin dans sa lecture des Grundrisse tout en montrant que c’est le texte le plus riche, beaucoup plus riche que le Le Capital - il dit ça contre Althusser - la raison pour laquelle ni Marx, ni Negri lui-même, à cette époque-là en tout cas, ne sont capables de penser cela jusqu’à ce niveau qui est celui de Canguilhem ou de Whitehead qui est de penser la fonction de la raison en tant que telle, c’est qu’ils restent dialecticiens càd hégeliens même s’ils renversent la dialectique hégelienne pour en faire un matérialisme, la dialectique, qu’elle soit idéaliste ou matérialiste, reste la dialectique ; et la dialectique c’est ce qui pose qu’il y a une synthèse possible qui va résoudre les contradictions de la négativité ; et cela je pense que c’est catastrophique ; le point de vue que je défends ici est un point de vue tragique qui est celui des Grecs : on ne résout jamais les problèmes ; chaque fois qu’on résout un problème, on crée un nouveau problème ; il vaut mieux le savoir parce que si on le sait pas, ça donne le transhumanisme, le goulag et pas mal d’autres choses du même genre.

Derrière tout cela, il y a le fait que Marx n’a pas suffisamment interprété et transformé Hegel ; il est donc resté dans la dialectique.

Le deuxième élément, ce sont les Accélérationnistes dont nous avons découvert en France l’existence grâce à la revue Multitudes et à Yves Citton qui a traduit leur Manifeste qui pose et qui repose d’une manière assez proche d’ailleurs des thèse d’Ars Industrialis et de l’IRI ; ça n’a pas échappé à Laurent de Sutter qui lui-même vient de publier Accélération ! chez PUF ; on voit que les Accélérationnistes sont en train de s’installer dans le paysage du débat public en France et c’est une bonne chose ; ils croisent donc, ces jeunes chercheurs, ces jeunes marxistes anglais, un certain nombre d’analyses et de relectures de Marx que nous faisons mais en même temps, je pense – peut-être que je me trompe – que nous divergeons sur un point, c’est qu’ils ne voient pas la dimension pharmacologique de l’organologie et si cela se confirme, c’est évidemment un sujet important. Nous verrons aussi, durant l’Académie d’été comment il est possible de parler avec le pape François puisque nous avons le projet, en essayant de poser les conditions dans lesquelles on pourrait vivre, bien-vivre, mieux-vivre dans l’invivable au XXIe siècle, d’écrire un texte qui s’adresse à la fois aux Accélérationnistes et au pape François et pour essayer d’ouvrir un grand débat public avec les gens de bonne volonté dont les uns et les autres font évidemment partie, sur les questions que j’essaye moi-même d’ouvrir ici.

Diverses considérations de 00 :56 :54 à … ce séminaire pharmakon qui est aussi un séminaire Digital Studies c’est aussi le premier séminaire du programme de Plaine Commune qui a démarré hier. Nous avons reçu une lettre signée de trois ministres français qui missionnent Patrick Braouezec et moi, càd Ars Industrialis et l’IRI pour mettre en place un travail sur 10 ans en intégrant ces questions-là dans une démarche de la chaire de Recherches contributives que nous sommes en train de mettre en place avec l’Université Paris 8 et l’Université Paris 13 avec Benjamin Coriat et pas mal d’autres personnes pour explorer les possibilités de produire une économie néguanthropique qui permettrait de changer un peu la donne. (…) ce séminaire devient maintenant un séminaire de Plaine Commune qui se tiendra à la rentrée à la Maison des Sciences de l’Homme de St-Denis (…) 00 :59 :23

Je vais récapituler maintenant. Le contexte dans lequel ces questions s’imposent à nous, c’est celui (je reformule ce que j’ai dit tout à l’heure) :

  • De la fonction automatisée de l’entendement ; les transhumanises, le capitalisme computationnel, le cognitivisme computationnel, c’est ce qui oublie que la connaissance ce n’est pas simplement l’analyse, c’est la synthèse et c’est ce qui automatise l’entendement comme faculté analytique en faisant sauter la synthèse, càd l’interprétation. Ça c’est l’enjeu des Big datas, du Deep Learning etc.

  • De la disruption qui résulte de cela parce que c’est cela qui provoque la disruption parce que la disruption du coup permet d’aller beaucoup plus vite que tous les organismes de décision délibératifs que sont les conseils des ministres, les conseils municipaux, les rédactions des journaux, bref tous les endroits où l’on délibère, les universités etc. pour les prendre de vitesse et pour prendre de vitesse la fonction de la raison au sens de Whitehead càd la fonction de vision, de synthèse, de bifurcation.

  • Tout cela nous engage dans une exosomatisation que l’on dit parfois, à tort selon moi, post-humaine ou trans-humaine ; je dis à tort parce que je considère que le post-humanisme c’est du vent puisque l’humanisme c’est aussi du vent ; donc la question n’est pas de savoir si on est dans le post-humanisme ou le trans-humanisme, parce que finalement, il faudrait pour ça que l’humanisme soit pertinent or je considère que la question ce n’est pas l’homme, c’est la raison. L’homme, ça change tout le temps ; ce n’est pas du tout ce qui est en train d’arriver que tout à coup l’homme se mettrait à changer puisqu’il n’a pas cessé de changer. Les questions de post-humanisme ou de trans-humanisme ne sont pas intéressantes ; je le dis fermement parce que je suis catalogué dans un tas de bouquins au Etats-Unis comme post-humaniste ; or je n’ai jamais reconnu ce machin (sic).

  • Tout ça aboutit à un capitalisme absolument computationnel, qui est, et là, je pense qu’il faut relire les Manuscrits de 1844 de Marx pour montrer qu’ils sont à la fois extrêmement intéressants mais que en même temps, ils ne voient pas une chose c’est que le savoir absolu de Hegel peut se réaliser, en déréalisant la réalité et cela s’appelle le capitalisme absolument computationnel ; je pense que ce que nous vivons c’est la réalisation du savoir absolu hégélien sauf qu’il est invivable et en plus, il est insolvable et donc il conduit à la guerre, à l’hubris.

Marx n’aura malheureusement jamais envisagé une seconde que la folie de l’idéalisme hégélien pourrait se réaliser et c’est ce qui se produit, ce qui veut dire que ce n’était pas une folie complète ; c’était une folie bien entendu ; mais ce n’était pas une folie de schizophrène càd qui a des fantasmes qui ne se réaliseront jamais, non, c’était une folie réalisable et précisément elle s’est réalisée ; elle s’appelle le capitalisme absolument computationnel. Marx n’a pas envisagé, autrement dit, la possibilité d’une pharmacologie négative du savoir absolu ; le savoir absolu est un pharmakon ; comme pharmakon positif, il doit être transformé, non pas en une dialectique matérialiste, mais en une nouvelle pensée que j’appelle, moi, l’organologie générale, mais comme pharmakon négatif, il peut se réaliser et c’est ce qui se produit en ce moment, c’est le capitalisme ultra-computationnel.

Derrière ces questions, il y a un truc très important pour les gens qui connaissent bien Karl Marx et qui est le problème de l’abstraction ; vous savez certainement que Marx définit le travail du capitalisme comme travail abstrait et vous savez certainement que la condition de la prolétarisation, c’est l’abstraction du travail, càd la possibilité de la réduction du travail en un système de valeurs qui est un rapport entre valeur d’usage et valeur d’échange et où la valeur d’échange détruit la valeur d’usage ce qui produit une prolétarisation généralisée et ça, c’est rendu possible par l’abstraction. Ce que dit Marx, le tout jeune Marx, qui n’est pas encore philosophe mais juriste et jusqu’à la dernière ligne de Marx, jusqu’au dernier Marx, c’est que le problème c’est l’abstraction. Si on veut penser le capitalisme, ses limites et ses contractions, il faut comprendre ce que c’est que l’abstraction ; et bien, l’abstraction, c’est ce qui est rendu possible par la grammatisation ; et ça c’est ce que Marx ne peut pas penser, c’est ce ne peut pas penser Vioulac et c’est ce que les Accélérationnistes ne posent pas comme problème et c’est le problème fondamental parce que ça c’est le problème de la technologie computationnelle qui est la rétention tertiaire digitale.

Tout cela signifie que nous ne pouvons pas nous satisfaire et nous suffire de la critique du savoir absolu de Marx pas plus de celle de Negri ou de Foucault et qu’il nous faut relire tout ça ; il faut qu’on relise Hegel, il faut qu’on relise Marx ; il faut qu’on lise plus loin et, ce que j’essayerai de vous montrer bientôt, il faut qu’on relise Nietzsche, en passant par Nicolas Georgescu-Rögen, pour pouvoir nous introduire à une lecture spéculative et contradictoire de Nietzsche, pour transvaluer Nietzsche.

Pour documenter toutes ces questions historiquement et comme une histoire contemporaine du supplément, il faudrait analyser des cas ; nous n’en avons par le temps même si je crois que c’est toujours en faisant des analyse de cas qu’il faut faire des analyses de ce type ; j’essaye de le faire dans mes bouquins, donc je ne m’en dispense pas personnellement mais ici on n’aura pas le temps ; ce que je voudrais souligner en disant cela c’est qu’il faudrait, par exemple, revenir sur la question de Paul Virilio telle qu’il l’a introduite dans Vitesse et politique à savoir le rapport entre la décision et la vitesse parce que la question de l’automatisation, c’est cette question-là. La multiplication par 4 millions de la vitesse des capacités de prise de décision de la vitesse des machines, c’est une question fondamentale qu’il faudrait que nous revisitions avec l’automatisation et je le souligne, parce que nous allons le retrouver la semaine prochaine chez Nicolas Georgescu-Rögen ; ce que dit Georgescu-Rögen, c’est que l’exosomatisation c’est une accélération foudroyante de l’organogenèse et que c’est comme ça d’abord qu’il faut le penser. Deuxièmement, dans L’art du moteur, qui est un texte que Virilio a publié 20 ans après Vitesse et politique, je pense que Virilio régresse puisqu’il constitue une opposition entre le temps réel et le temps différé càd aussi entre ce qu’il appelle l’écran et l’écrit ; il pose en principe que l’écran, l’écriture numérique, etc. ça ne peut conduire qu’au temps réel qui est le contraire du temps différé, càd la réflexion ; je suis en désaccord total avec ce point de vue et je tenais à le dire parce que ce sera au cœur de la question que l’on va investiguer ici ; ce sont des questions que j’avais ouvertes en 2011 dans le premier séminaire Pharmakon qui se tenait à l’époque à Epineuil.

Pour faire face à ces questions de la vitesse, de la prise de décision, l’individuation etc. il faut réfléchir à de nouvelles modalités de l’apprentissage et proposer une nouvelle entente du verbe savoir. Je le dis parce que c’est au cœur de ce que nous faisons à l’IRI et de ce qui est l’enjeu de Plaine Commune ; il faut appréhender le savoir comme exercice d’un savoir qui savoure la fonction qu’il assume ; il faut savourer l’assomption de la fonction pour savoir ; si on ne savoure pas un savoir, on n’est plus dans le savoir ; on entre dans l’exécution d’une procédure ; et il y a des tas de savants qui sont là-dedans ; càd qu’on n’est plus dans ce que Husserl, par exemple dans La crise des sciences européennes, appelle « l’intuition de la géométrie » ; on est dans l’exécution d’un truc que l’on pourrait confier à une machine ; c’est ça que nous sommes en train de vivre ; à ce moment-là, l’entendement peut se mettre à fonctionner tout seul sans passer du tout ni par la raison ni par l’imagination, ni par l’intuition au sens de Kant càd par l’expérience.

Qu’est-ce que c’est que savoir ? savoir c’est remettre en ordre la faculté de connaitre ; la faculté de connaître étant précisément chez Kant ce qui lie la raison, l’entendement, l’intuition et l’imagination; la remettre en ordre parce que la faculté de connaître est toujours en train de se désordonner et la fonction propre de la raison dans la faculté de connaître, c’est de produire des transformations majeures qui réordonnent la faculté de connaître càd qui réinstaurent un ordre à contre-courant de quoi ? du devenir. C’est là que je ne suis pas du tout nietzschéen ; pour moi, la question qui se pose n’est pas du tout d’aller vers une philosophie du devenir, comme Nietzsche l’a dit et comme tous les nietzschéens derrière lui, c’est de faire une philosophie de l’avenir et l’avenir ce n’est pas du tout le devenir ; l’avenir c’est ce qui va contre le devenir, à contre-courant du devenir ; c’est ce qui instruit et instaure une bifurcation en réalisant un rêve qui est la fonction de la raison selon Whitehead et c’est produire ce que Simondon appelait « un perfectionnement majeur », là où il faut une intervention, non pas simplement la matière qui fonctionne toute seule càd ce que découvre, par exemple, Simondon dans le fonctionnement de la morphogénèse d’un moteur thermique mais il faut un ingénieur qui, d’un seul coup, par exemple Diesel, comprend qu’en utilisant un défaut de fonctionnement, un dysfonctionnement peut produire une nouvelle fonction ; ça s’appelle le moteur diesel qui d’ailleurs pollue terriblement et qui a valu à Volkswagen quelques problèmes. Autrement dit, la raison c’est ce qui produit des sentiers qui bifurquent, ça renvoie à un texte que vous connaissez bien de Borges et d’un commentaire de Deleuze et ce sont des choses qu’il ne faut prendre métaphoriquement, ce ne sont pas des métaphores comme des crétins qui ne savent pas lire Deleuze l’ont cru, ce sont des assertions nouvelles d’une nouvelle façon de penser.

L’étude des fonctions du savoir et celles des organes qui fonctionnent comme savoir est une organologie. Comme il se doit, il faut aussi faire une pharmacologie de la fonction épistémique qu’est la faculté de connaître dans son ensemble comme raison, imagination, entendement et intuition qui sont toujours, et c’est ça le problème, décomposables ; on peut toujours décomposer la faculté de connaitre ; ça c’est ce que fait le capitalisme absolument computationnel ; pourquoi ? parce qu’en décomposant l’entendement de la raison, il s’exonère du droit ; or la raison, en tant qu’elle produit des sentiers qui bifurquent, c’est ce qui toujours érige un droit contre les faits, dans les faits, à partir des faits ; c’est une question du droit que j’ai essayé de poser dans La société automatique très près d’Antoinette Rouvroy ; ça signifie qu’il faut une nouvelle critique de la raison qui est une nouvelle critique des limites de la raison, la critique de la raison depuis Kant, nous le savons, c’est la critique de ses limites ; sauf qu’il y a aujourd’hui des limites que Kant ne pouvait pas voir ; par exemple, l’entropie, il ne savait pas ce que c’était ; c’est 40 ans après Kant que l’entropie a commencé à apparaître ; il y a toutes sortes d’autres limites qu’il ne pouvait pas voir : le capitalisme industriel par exemple, ça n’existait pas ; il ne pouvait pas voir non plus que la faculté de connaître est habitée par des pulsions paranoïaques ou schizoïdes et qui sont des pulsions entropiques de destruction ; il ne pouvait pas voir que la transindividuation, qui est la condition du savoir, est aussi l’imposition synchronique d’un ordre qui porte en lui un désordre comme la nuée porte l’orage, comme on dit ; et ce désordre, c’est une indifféranciation avec un a, en ce sens-là ; c’est ça qui emporte la dimension paranoïaque du savoir dont parlait Jacques Lacan ; c’est le savoir qui tue le savoir parce qu’il devient un ordre tellement ordonné qu’il devient un désordre, càd qu’il empêche toute expression de désordre et, du coup, il devient un désordre lui-même ; c’est le savoir qui empêche l’ordre différant avec un a qui est un ordre qui ménage la possibilité de son désordre, de sa mise en désordre par le « diable » càd par l’hubris – le diable étant le nom théologico- (appelons-le le je ne sais pas quoi du diachronique) et tout cela procède de l’hubris et c’est l’hubris qui impose l’ordre indifférant ( c’est l’ordre que nous avons tous combattu, c’est l’ordre que Flaubert dénonce dans Madame Bovary, Baudelaire etc.) ; c’est une des croix spéculaire de la théorie de l’entropie et de la néguentropie de savoir comment on traite l’ordre et le désordre ; c’est ça qu’on a pas réussi à résoudre dans ces discussions qui se sont tenues dans les années 60-70 essentiellement en France autour de ces questions ; en fait, je pense que ces questions étaient mal posées et ce que j’essaye de faire à travers tous ces travaux, c’est de reposer ces questions sur des bases nouvelles. Le désordre peut être différant avec un a càd donneur ou producteur d’ordre (c’est ce qu’on appelait le bruit producteur d’ordre, c’est à l’horizon de ce que dit Henri Atlan) ; il est à la fois le dia- du diable, le diabolique du symbolique, qui sauve le savoir constitué – parce qu’il le transforme – et ce qui le menace comme cet ordre qui, localement habité et individué par des désordres qui ont tout affaire avec l’hubris, cependant sert un ordre qui lui-même court-circuite la raison et qu’elle sublime le désordre ; un ordre qui de ce fait devient entropique parce qu’il stérilise ses chances de processuellement engendrer des bifurcations. C’est au cœur de la théorie des systèmes, ce que je dis là ; si vous lisez Ludwig von Bertalanffy, il parle de ça ; derrière les questions de système ouvert – système fermé, ce sont ces questions ; mais un système ouvert peut se fermer bien entendu puisque ses fonctions fonctionnant il se transforme, il peut se transformer en système fermé ; c’est ce qu’on est en train de vivre en ce moment ; et à partir de là ce qui était un désordre producteur d’ordre devient un ordre producteur de désordre au sens de l’entropie, càd producteur d’entropie. Et la question ce n’est pas – et c’est ce que je crois qui a été l’erreur de tous ceux qui ont débattu de ces questions dans les années 60-70 dans la théorie de la complexité, c’est qu’il ne s’agit pas de savoir qu’est-ce qui est entropique et qu’est-ce qui est néguentropique – tout est entropique et néguentropique – la question c’est d’être capables de faire des bilans dans un processus de transformations et de voir dans quelle mesure le processus de transformations augmente les capacités de transformation ou les réduit ; c’est ça la question ; et l’ordre peut être ce qui réduit les capacités de transformation – à ce moment-là, c’est ce que j’appelle un ordre indifférant – ou bien il peut être ce qui augmente ces capacités - il est à ce moment un ordre différant càd ce qui produit du désordre, mais du désordre dia-chronique càd enrichissant l’ordre ; et alors là on n’est pas dans la dialectique ; ça ressemble énormément à la dialectique ce que je dis là ; mais c’est pas du tout la dialectique parce que c’est une pharmacologie ; il n’y a pas de solution à un tel problème (c’est pour ça que si vous lisez la Dialectique de la nature de Engels, vous verrez qu’Engels dit : l’entropie c’est pas possible, c’est faux, parce que ça ne peut pas se relever dialectiquement ; il y a toujours une relève dialectique à toutes questions, donc la théorie de l’entropie est fausse ; voilà ce que dit Engels).

Alors on reviendra sur ces questions, on y reviendra aussi du point de vue de la transindividuation car c’est aussi ça qui est en jeu ; on en parlera avec Frédéric Lordon au Théâtre Gérard Philippe parce que c’est aussi l’enjeu de sa lecture du Traité politique de Spinoza ; quand il parle de verticalité et d’horizontalité, du rapport entre l’imperium, l’ordre, et le désordre (mais il n’appelle pas ça comme ça – vertical et horizontal ) c’est de ça aussi dont il parle ; il ne le sait pas ; on va essayer d’en discuter avec lui.

Un ordre n’est qualifiable qu’en fonction du processus qui le traverse comme une flèche et celle-ci est courbe – nous le savons depuis la géométrie de Riemann ; c’est pour ça que je décris des spirales à quatre dimensions parce qu’effectivement, il y a une flèche au bout de chaque spirale – donc ça renvoie à un espace-temps au sens de la physique einsteinienne.

Ce que je crois c’est que derrière tout ça, la question fondamentale c’est la question de la contradiction ; c’est ce qui faisait évidemment la force de la pensée hégélienne de rendre pensable la contradiction comme fonction, sauf qu’ici ce n’est pas une contradiction d’une fonction dialectique, c’est une contradiction transductive qui requiert une processualité où l’ordre devient désordre et réciproquement toujours et sans solution : un désordre instaure toujours un nouvel ordre et réciproquement ; et ce jeu est aussi celui du sens et de la signification ; cela je le dis pour ceux qui connaissent bien Simondon et que pour Simondon le transindividuel c’est la signification.

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